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Le samedi suivant, j'avais eu la surprise de me faire réveiller aux aurores par Cléa et Eros. Pendant quelques secondes, j'avais grogné en me cachant sous la couette, m'en voulant mentalement d'avoir mal fermé la porte... Puis j'avais entendu un petit toussotement. Une fois un œil hors de la couette, je me rendis compte que Maximilian se tenait devant moi, une tenue décontractée – mais toujours classe – sur le dos.
Son petit sourire narquois et petit air moqueur m'arrachèrent un grognement :
– Debout, la belle au bois dormant, me nargua-t-il, on part dans moins de quinze minutes.
Un très distingué « Hein ? » fut tout ce qui sortit de ma gorge sèche, commandé par un cerveau encore léthargique.
– Samedi, les courses... Tu te souviens ?
Je m'étais redressé difficilement, me frottant les yeux en bâillant à m'en décrocher la mâchoire :
– Pourquoi si tôt ? me lamentai-je en voyant l'heure.
– Parce qu'on a peu de temps avant que le vent ne se lève. Tu feras une sieste à notre retour, alors dépêche-toi !
– Rappelle-moi pourquoi je dois venir, déjà ?
– Frites, hamburger, pizza...
– Convaincu !
J'avais bondi du lit pour chercher des vêtements, avais enfilé les moins moches, puis m'étais présenté à lui avec une fraîcheur et un dynamisme qu'il enviait. Ça se voyait dans son regard.
Une fois sur le bateau avec un bol de café dans une main et un morceau de pain dans l'autre, j'avais eu droit à un cours de navigation improvisé. Ça m'intéressait un peu. Disons que,, si jamais j'en avais l'utilité, savoir comment on manœuvrait cet engin me serait d'une grande aide. Maximilian était reposé, détendu et de bonne humeur, ce qui ne s'accordait pas vraiment avec le temps couvert... Rien que l'idée d'engloutir une bonne pizza bien chaude dans quelques heures faisait rayonner un soleil dans tout mon être !
La veille, Maximilian avait bouclé un gros dossier et en avait profité pour passer l'après-midi à m'aider dans mes cours. Vraisemblablement, il ne s'attendait pas à ce que je sois aussi autonome dans les matières du jour – pas de maths, pas d'allemand – et s'était un peu ennuyé. Pourtant il était resté avec moi, le temps que je finisse, puis il m'avait réquisitionné pour m'occuper du potager.
Une fois arrivé au port, j'avais tenté d'amarrer le bateau, sans grand succès. Il m'avait montré comment faire sous le regard moqueur de matelots du coin. En fait, il les connaissait. Ce fut à eux qu'il acheta du poisson en prenant des nouvelles de chacun. Il semblait dans son élément, encore plus qu'à Glasgow... C'était un peu comme son territoire officieux ici aussi.
Je le suivais comme son ombre parmi la foule, armé d'un panier qui allait se remplir de vivres sous peu.
Il saluait beaucoup de monde de loin, certains venaient discuter avec lui de tout – souvent de rien. Ce qui me laissait muet, c'était qu'il me présentait comme un ami de la famille, alors qu'à Glasgow, c'était bien différent.
– Je ne suis pas un gamin à problème dont ton frère s'occupe, pour eux ? demandais-je, une fois que nous étions un peu tranquilles.
J'avais peut-être été un peu brutal, puisqu'il me regarda avec un air étrange :
– C'est une couverture, m'indiqua-t-il, et puis si tu as des problèmes, ce n'est pas de ta faute.
Ses mâchoires crispées m'intriguèrent autant que ses paroles. C'était moi la cause de mes problèmes, indéniablement. Même si je ne demandais rien à personne, j'en causais pas mal – moins depuis que j'étais ici, ce qui devait fausser l'appréciation de mon hôte.
– Si tu veux, on dira que tu es un ami de la famille à partir de maintenant, ça évitera les confusions.
Ça me touchait. Vraiment. Oh, je savais que ce n'était qu'une histoire de couverture, pourtant savoir qu'il me considérait comme un ami m'emplissait de joie ! Mon cœur s'emballait, mon humeur fut légère et joviale – je crois qu'il l'avait remarqué, lui aussi.
Les courses au marché durèrent un long moment, étant donné qu'il semblait être une personnalité locale ! Des commerçants lui offraient du surplus et lui faisaient goûter des produits – généralement, il me les refilait. Ne pensez pas que c'était par charité ; il voulait juste me forcer à manger des fruits, des légumes et du fromage ! Bien évidemment, face aux commerçants, je n'osais refuser ou recracher. Maudit Maximilian.
Mon hôte avait tenu parole en me présentant comme un ami de sa famille – certes, il avait bricolé une histoire de santé fragile, à qui le calme et l'air du large faisaient du bien, mais il fallait bien trouver une explication à mon emménagement soudain ! Cependant, je devais reconnaître que j'avais fini par y prendre goût. Surtout quand on me souriait et me parlait sans le moindre préjugé, la moindre animosité. C'était agréable et reposant.
Lorsqu'on eut fait le tour, je m'attendais à rentrer directement sur l'île. Le vent se levait doucement, après tout. Mais Maximilian en avait décidé autrement. Je ne saurais expliquer ce qu'il se passait, mais nous passions un moment très agréable – sans doute ne voulait-il pas que cela s'arrête. Surtout après les derniers jours, où j'avais laissé mes larmes se déverser sans me contrôler, et où son emploi du temps avait été plus que chargé.
– Et on va où ? demandais-je en descendant du bateau, sa main tenant la mienne pour m'éviter de tomber.
– Dans un endroit qui devrait te plaire.
Ma curiosité fut titillée et cela se trahit en un sourire espiègle.
La ville restait petite, aussi vis-je clairement où nous allions : une pizzeria. J'avais été franchement content, même s'il tirait une tête bizarre !
– Il est dix heures, m'indiqua-t-il, on va peut-être attendre midi, tu ne crois pas ?
J'aurais voulu être un gamin pour pouvoir répondre non, cependant j'avais passé l'âge depuis longtemps. Nous avions continué de nous balader en ville, j'admirais l'architecture typique et authentique de la région, cohabitant avec la modernité de certains magasins, des habitants et des transports.
Le bras que Maximilian passa sur mes épaules me sortit de mes rêveries. Mon regard trouva le sien, à la recherche d'une explication sur cette soudaine étreinte qui m'avait fait vaciller :
– Il y a des marches, pas comme dans tes pensées, on dirait.
Idiot, je baissais la tête pour constater qu'il y avait un escalier pas très régulier à nos pieds. Cela m'avait fait oublier le battement de cœur que j'avais loupé quand il m'avait effrayé. Ou alors, ce n'était pas à cause de la surprise ?
Cela paraissait cliché, mais il m'emmena faire les boutiques. Je détestais toujours ça, mais cette fois-ci, j'étais plutôt content. Il y avait moins de monde qui me regardait, déjà.
– Tu cherches quoi, exactement ? avais-je demandé, admirant les boutiques avec intérêt.
– On est là pour toi, Kaeden. L'hiver va bientôt prendre ses quartiers définitifs et je ne tiens pas à ce que tu meurs de froid ! Et puis je pense que ça te fera du bien de choisir tes propres vêtements.
– Comment ça ?
– Tu m'as dit que tu récupérais de quoi t'habiller, maintenant tu vas pouvoir les choisir. Prends ce que tu veux, j'ai largement les moyens.
Ça me gênait et il le vit. Je le connaissais à peine et il m'offrait un toit, sa présence et toutes ses choses hors de prix... Mon cœur balançait entre le bonheur et la gêne. Les paroles qui suivirent me rassurèrent, même si cela n'ôtait pas mon impression de profiter de son argent et de lui.
Quelques mois auparavant, je n'aurais pas hésité du tout, mais maintenant que j'avais investi sa vie, c'était plus compliqué encore d'accepter.
J'étais largué dans ce magasin. Qu'est-ce que je devrais prendre ? Quelles couleurs ? Quelle taille ? Il y avait trop de choses !
– Essaye ça, me dit Maximilian en me tendant une veste. Ça supportera le froid et les chiens. Trouve-toi une cabine, j'arrive !
J'obéissais avec docilité. De toute façon, j'étais tellement perdu que je ne savais pas quoi prendre... La veste qu'il avait choisie était d'une couleur lie-de-vin que j'appréciais, épaisse et doublée d'un tissu qui tenait bien chaud. Maximilian trouvait la coupe moderne, elle m'irait bien, selon lui. La seule chose qui me dérangeait, c'était la bordure de la capuche faite en fausse fourrure. Similaire au pelage du loup commun, des frissons me parcouraient l'échine quand j'imaginais que cela puisse être une partie de moi... Enfin, de moi sous forme de loup, plutôt.
Le temps que je dégote une cabine d'essayage, Maximilian était revenu avec trois tonnes de vêtements... Avais-je vraiment besoin de tout ça ? J'en doutais. Cependant, ça avait l'air de lui plaire de jouer le styliste personnel, donc je m'étais laissé porter.
Me déshabiller à un mètre de Maximilian me rendait tout chose. Bien que je sois dissimulé dans une cabine et qu'il s'en fichait probablement, cela ne changeait rien. Je me montais la tête ! Comme si ça m'importait qu'il pose son regard sur moi ! Ce n'était pas comme si j'étais une femme ou pudique de nature !
Ouvrir le rideau m'avait soudainement rendu nerveux... Et si jamais ça ne m'allait pas du tout ? Qu'il trouve ma tenue moche ? Rah, on s'en fichait de tout ça ! Pas vrai ? Les doutes m'assaillaient sans que je sache vraiment pourquoi cela m'importait autant. Il m'avait vu habillé avec de vieilles fripes, pourquoi subitement cela avait de l'importance ?
Bravant mes propres craintes infondées, j'avais ouvert le rideau :
– Wow, dit-il en me découvrant, ça te va bien, vraiment !
Un coup d'œil rapide vers un miroir me le confirma. Ce fut comme si je voyais mon corps pour la première fois ! Mon pantalon n'avait pas deux tailles de trop et une coupe qui ne m'allait pas du tout, mon t-shirt était tout neuf et bien adapté à ma carrure, sans compter cette veste qui égayait vraiment mon visage... J'avais l'air d'un jeune adulte normal habillé comme ça.
– Tu trouves que ça me va ? demandais-je.
Je savais que oui, cependant j'avais envie de l'entendre de sa bouche. Il hocha la tête et ce fut un regard ardent que je croisai avec le mien. Cela ne dura qu'une seconde, aussi doutais-je rapidement de son existence... J'avais rêvé, c'était sans doute ça !
L'heure du déjeuner arriva assez rapidement. Notre route avait croisé celle d'un fast-food d'une chaîne américaine bien connue et j'avais réussi à convaincre Maximilian d'y manger à la place de retourner vers la pizzeria. Il n'avait pas franchement l'air ravi, cependant personne ne me résistait avec un hamburger-frites comme motivation !
Avec une grimace, il daigna avaler la moitié de son plateau. J'avais englouti le mien et le sien – j'avais horreur de gâcher – et puis je ne savais pas quand j'aurais à nouveau droit à un repas aussi succulent ! Son regard me détailla avec une expression étrange, mêlant la surprise, le dégoût et l'admiration.
– Mais où tu mets tout ça ? souffla-t-il tandis que la dernière frite terminait dans ma bouche.
– Je ne sais pas, j'ai faim, c'est tout ! Et puis c'est toi qui n'as rien mangé, aussi !
Son regard en dit long sur la cause de son estomac au trois quarts vide ; moi. Je me sentis un peu coupable, cependant repenser aux légumes qu'il me forçait à avaler tous les jours occulta cela bien loin.
Il regarda sa montre. Si j'avais bien suivi, la mer allait s'agiter d'ici quelques heures. On ne pourrait sans doute pas trop traîner.
– On a encore un peu le temps, estima-t-il, me ramenant sur terre, si tu veux faire quelque chose.
Je ne savais pas vraiment quoi répondre. Les choses à faire devaient être nombreuses, même dans une petite ville comme celle-ci... Mais sincèrement, je ne savais pas ce dont j'avais envie. Habituellement, je sortais faire des tours en forêt, seul.
– Ben je... je ne sais pas. On devrait rentrer parce que je... j'ai encore des trucs à réviser.
Son visage fut surpris, son regard curieux :
– Tu devrais laisser ça là où c'est, me dit-il avec sérieux, crois-moi, c'est important d'avoir des moments de pause comme maintenant. La prochaine on prévoira un truc, si le temps le permet. Qu'est-ce que tu dirais d'aller voir un match de rugby ? On a une bonne équipe pas très loin, au pire, je décalerais les courses pour qu'on en profite. Ça te dirait ?
J'avais haussé les épaules, pas vraiment convaincu. Le sport ce n'était pas mon truc. J'avais du mal à trouver de l'intérêt pour ce genre de choses, ne serait-ce que de le regarder à la TV ou dans un stade.
– Enfin, on n'est pas obligé, enchaîna-t-il, je ne sais pas ce que les jeunes font maintenant... Il y a un truc que tu aimes faire plus que le reste ?
– J'aime bien marcher.
Enfin « m'isoler »... Je marchais sans but dans la forêt juste afin d'être tranquille. C'était pour moi le seul moyen d'avoir un peu la paix, loin de la Meute et de tout ce que j'avais comme problèmes là-bas. Bien qu'ici je ne sois pas dans la même situation, je ne serais pas contre un peu de marche.
– J'oublie que tu as grandi dans la forêt, s'excusa-t-il, ça doit te manquer. On fera ça dès que possible.
Je m'étais contenté d'un hochement de tête et d'un sourire. Ça me touchait qu'il dise cela. Maintenant qu'on en parlait, les grands espaces forestiers me manquaient un peu.
Mais l'air marin me plaisait bien. De plus en plus, même.
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