Chapitre 6 - l'entraînement d'Angelo
Après deux semaines à venir régulièrement s'entraîner avec William, Kean n'était plus venu. Il était retourné dans son Sanctuaire-École, d'après ce qu'il m'avait dit. Il y suivait un cursus qui m'échappait encore dans les détails, mais les grandes lignes visaient à ce qu'il ait la capacité d'assurer la protection et la sécurité de son aîné. « C'est comme ça que ça se passe au sein de leur Coven », m'avait précisé William, qui s'y connaissait bien mieux que moi.
J'avais du mal à imaginer Markus flanqué de son frère à ses basques toute la journée, entre le bodygard, l'assistant et la baby-sitter – même si Markus serait un jour responsable du Coven et qu'il était une cible de choix pour quiconque voulait faire vaciller l'ordre établi.
– On a beau être en paix et en zone neutre, personne ne lésine sur la sécurité des responsables, m'indiqua William.
C'était aussi en partie pour cela que sa mère l'avait fiancé à Markus ; pour s'assurer que le Coven Sorcier avait ses intérêts préserésr... Les deux mères étaient très proches et ça ne m'étonnait même pas qu'elles cherchent à tout contrôler, y compris après leurs morts – ou leurs retraites.
Contrairement à son fiston qui avait une accointance pour les Anthropes, Lycan en tête, elle préférait de loin les Sorciers. « Ça lui va bien, à cette vieille chouette » disait William, quand il avait les nerfs échaudés par sa mère.
Kean m'avait dit qu'il finirait son cursus bientôt et qu'il réintégrerait son Coven, comme cela semblait être prévu depuis sa naissance – peut-être même avant. Ce qui le soulageait grandement, c'était que Markus ne bougeait pas beaucoup de leur domaine et que celui-ci était sans doute aussi protégé que le Sanctuaire.
Depuis qu'il ne venait plus un soir sur deux pour s'entraîner, je m'ennuyais un peu de lui. Pendant que William n'était pas là, il m'apprenait quelques trucs. Même si je me sentais gauche et maladroit, j'aimais bien passer du temps avec Kean. Il était sympa et souriant, il avait toujours quelque chose à raconter et s'intéressait à moi comme personne ne l'avait fait jusqu'à présent... William avait une autre manière de me demander si j'allais bien – sans doute par politesse – quand Kean se sentait plus concerné... Comme si ça l'intéressait réellement de savoir si j'avais bien dormi, si le temps maussade ne me pesait pas trop, si William était aussi maniaque que son frère... Bref, quand il était là, je ne m'ennuyais pas !
– Quelque chose ne va pas ? me demanda William, qui avait délaissé son téléphone pour me regarder quelques instants.
– Hein ? Oh, rien... Je pensais juste à Kean. Ça me fait drôle qu'il ne soit plus dans le coin.
– Effectivement...Il faut que je trouve quelqu'un d'autre pour les entraînements – il a beau être ce qu'il est, au moins il est ponctuel et régulier. La seule personne qui soit soulagée qu'il soit reparti, c'est Mark.
– À ce point-là ? M'étonnais-je, je sais qu'ils sont différents, mais... Ils ne s'entendent pas ?
– Oh, si... Ils s'entendent bien. C'est juste qu'ils aiment bien leur petite liberté, l'un comme l'autre, et le fait que l'un devienne le chaperon de l'autre, ça agace légèrement Markus.
– Et il ne peut pas lui dire d'aller voir ailleurs ?
– Il essaye de me refiler Kean pour m'aider au Sanctuaire, mais comme on va rompre nos fiançailles – j'espère bientôt – j'hésite à accepter...
– Ça ne serait pas de trop, quelqu'un pour t'aider, souriais-je, un brin moqueur. T'as une pile de rapports en retard, je te signale.
Il roula des yeux en poussant un soupire agacé :
– Ne commence pas comme ma mère, par pitié ! Je sais que je suis à la bourre... Mais entre mes études, les entraînements, les rondes, devoir me faire voir partout et régulièrement, j'ai juste pas le temps !
– Je disais ça pour te taquiner, m'excusais-je avec un sourire. Si tu veux, je peux déjà en rédiger un ou deux ?
Il hésita un moment. Techniquement, je n'avais pas de nez ni de truffe à fourrer dans ses histoires... Mais avait-il le choix ? S'il comptait maintenir ce Sanctuaire à flot, il fallait que ses rapports soient faits, les papiers importants signés, les demandes effectuées en temps et en heure...
– Amuse-toi bien ! Conclut-il finalement, avant de perdre son nez dans son verre de whisky. Ce que je déteste la paperasse, bon sang !
– Ça m'occupe, vu que... Ben, je n'ai pas grand-chose d'autre à faire.
On n'avait plus parlé de mon avenir depuis un moment. Il avait arrêté d'essayer de me faire intégrer une Meute, il avait même arrêté d'en parler... Mais on n'avait pas parlé non plus d'autre chose. Du genre , me rescolariser, me trouver un petit job, officialiser ma position au sein du Sanctuaire...
– Tu sais, si tu t'ennuies, je peux toujours voir avec quelques contacts pour un petit boulot ou quelque chose du genre...
Je haussais les épaules :
– Rattraper ton retard, ça me plaît bien. Même si je n'ai pas vraiment le droit de le faire.
Pour ça, il faudrait que je devienne un membre officiel de ce Sanctuaire, comme un Soutien de Venandi, ce dont on n'avait pas encore parlé tous les deux. En soi, ce n'était pas difficile ; quelques papiers à remplir, un examen médico-magique, un examen psychologique et je pouvais intégrer officiellement les rangs du Sanctuaire. Là où les choses se compliquaient, c'était d'un point de vue plus personnel ; une fois rattaché à un Sanctuaire, c'était difficile de s'en détacher. Je ne pourrais plus intégrer de Meute, de Coven ou quoique ce soit sur le Territoire de William... Ce qui était plutôt catégorique.
Ni moi ni William ne voulions que je sois obligé de partir de Glasgow – pour aller je ne sais où – si j'en avais marre de travailler pour lui... Ce qui pouvait arriver, demain comme dans quelques mois, voire des années... C'était difficile de se projeter dans l'avenir pour moi, mais pour mon hôte, c'était plus facile ; il y aurait bien un moment où je me sentirais prêt à quitter le Sanctuaire, ne serait-ce que lorsque j'aurais trouvé quelqu'un avec qui me caser et avec qui j'aurais des projets d'avenir qui n'incluait pas William Von Berg et son Sanctuaire.
Le lendemain, après avoir bouclé deux rapports et en attendant que William ne rentre pour les relire, je m'étais rendu dans la salle d'entraînement. Kean m'avait appris à frapper dans un sac de frappe et j'avais envie de perfectionner la technique.
Même si j'étais contre toute forme de violence, nos petites « séances » m'avaient fait un grand bien. Je me sentais comme... Rassuré. En tout cas, j'avais envie de recommencer, même si mon professeur était absent.
Après être passé dans le vestiaire pour bander mes mains comme Kean m'avait montré, je revenais dans la salle d'entraînement... Pour tomber nez à nez avec William, qui se dirigeait droit vers le vestiaire. Il portait ses vêtements et son sac de cours – et ne s'attendait visiblement pas à me trouver sur son chemin.
– Ah, t'es là, finalement, nota-t-il, qu'est-ce que tu...
Il se répondit lui-même quand il me vit avec des bandages sur les mains. J'étais gêné et plutôt mal à l'aise, ce qui l'intriguait probablement autant que me trouver ici.
Pourquoi est-ce que j'étais ainsi gêné ? Parce que je me sentais ridicule, comme à chaque fois que je m'apprêtais à avoir une activité physique. En plus d'être bien enrobé de partout, je n'avais aucune souplesse. Me mouvoir dans l'espace était laborieux – ne parlons pas de mes réflexes, qui étaient inexistants...
J'avais l'habitude qu'on ricane et qu'on se moque de moi dans les vestiaires, en sport et en dehors. J'étais différent, mon physique n'était pas avantageux et dans les codes de la norme actuelle – c'était suffisant pour être le mouton noir. D'autant plus à cette époque où on valorisait la minceur, le healthy life style et les apparences...
Ça me gênait qu'on me regarde – même qu'on sache – quand je faisais une activité physique. J'étais vite essoufflé, vite transpirant, et même avant de devenir un Loup-Garou, j'avais une bonne ouïe pour ce qui était d'entendre les commentaires désobligeants et autres moqueries grasses.
William n'avait jamais fait la moindre remarque ou le moindre commentaire, mais j'étais gêné devant lui quand même. « Surtout devant lui », devrais-je dire... Il avait le corps d'Apollon, avec des muscles saillants, une souplesse à faire pâlir une prof de yoga, pas un seul bourrelet disgracieux... Sans compter son endurance, mais pour l'instant, je n'avais pas réellement assisté à ça.
– Rien ! Répondis-je sur un ton très suspect, je vérifiais que la douche fonctionnait ! Kean m'a dit qu'elle déconnait la dernière fois !
J'essayais de fuir, mais il m'avait bloqué le passage.
– Bizarre, je l'utilise tous les jours et je n'ai jamais remarqué de soucis, nota-t-il, avec son air de vilain chat qui voulait jouer avec sa souris – ce que je haïssais quand il était comme ça, surtout en cet instant.
– Ah ! Bah, elle fonctionne – il a dû confondre !
– Mais bien sûr, susurra-t-il, amusé, ça t'arrive souvent de faire couler l'eau de la douche en tenue de sport et avec ceci ?
Il avait pris ma main bandée dans la sienne, ce qui m'avait fait rougir d'autant plus. Je me débarrassais de sa main en poussant un râle frustré :
– Bon, OK, tu as gagné ! Je voulais frapper dans ton sac pour me défouler un peu, c'est interdit ?
Face à la colère générée par mon insécurité, il reprit un peu de son sérieux :
– Non, bien sûr, je te le laisse volontiers... Tu avais l'air bizarre, c'est tout.
Il se poussait pour me laisser rejoindre le sac de frappes. Bon, il était lourd et imposant – plus adapté à William qu'à moi, quoi. Je le regardais comme s'il allait me manger pendant de longues secondes, avant de lancer un regard à William. Comme s'il avait compris qu'il était de trop, il fila dans le vestiaire pour se changer, me laissant seul face à la bête.
Après de longues secondes à étudier le sac, je me rendais à l'évidence ; ce n'était pas fait pour moi. Mais qu'est-ce qui m'avait prit de penser que ça pouvait l'être, exactement ? William devait bien se marrer à mes dépens, en plus.
Je collais mon front au sac, essayant de retenir les larmes qui me piquaient les yeux. Comme souvent, je me sentais stupide et incapable. Et comme je ne savais pas comment gérer ça, je restais planté là, à me lamenter tout en pleurant. Ce que je trouvais d'autant plus pathétique.
– Je vais te le tenir, si tu veux, dit William, qui débarquait comme une fleur en tenue de sport. Hé, ça va ?
Il me trouvait avec les yeux humides et la mine déconfite, en plus du moral à zéro.
– Laisse tomber, c'était stupide, dis-je avec la voix grave, troublée par l'émotion.
Tandis que j'essayais de fuir encore une fois, William me retint :
– Il n'y a rien de stupide, tu sais, dit-il avec sa voix sérieuse, c'est même normal que tu cherches à expérimenter ce genre de choses...
Comme il éveillait ma curiosité, je me retournais vers lui :
– « Normal » ?
Il hocha la tête :
– Les Bêtas aussi cherchent à être performants et à prouver aux Alphas qu'ils sont importants pour la Meute – dans une moindre mesure, certes...
Bon, peut-être qu'il avait raison et que je n'avais pas pensé que peut-être ce qui me poussait à vouloir frapper ce sac, c'était ma nouvelle nature.
– Viens, je te le tiens.
J'hésitais un moment, pas franchement emballé par l'idée... Même si William me mettait en confiance pour l'instant, je craignais qu'il change d'attitude au fur et à mesure qu'il constatait à quel point j'étais un cas désespéré... Lui, il était grand, fort et performant, alors que moi j'étais gros, gras et flasque – comment pouvait-il sérieusement ne pas me trouver ridicule au point d'en rire ?
Comme il m'encourageait, je finissais par atterrir devant le sac, qu'il tenait fermement dans ses bras.
– Tu devrais pas t'entraîner, toi ? Tentais-je.
– Je devrais, mais comme mes cours ont été annulés cet après-midi, j'ai tout mon temps d'ici l'entraînement de ce soir avec ma mère.
Maudits professeurs, songeais-je alors.
Après avoir profondément inspiré, je me mettais en position, comme Kean m'avait appris à le faire. Enfin... « Appris »... C'était vite dit. Il m'avait juste montré rapidement quand on attendait William...
– OK, ne bouge pas, me dit-il après quelques frappes mollassonnes.
Il m'avait replacé tel un pantin articulé, m'avait montré le mouvement au ralenti, avant de me laisser recommencer.
– Ah, c'est nettement mieux, marmonnais-je alors.
– Vas-y, essaye d'y mettre le plus de force possible au fur et à mesure.
Comme j'étais un bon élève, j'exécutais les ordres. Mes petites frappes n'avaient rien de bien déstabilisant pour lui, mais j'étais plus concentré sur mes coups pour le remarquer.
Après un moment à frapper dans le sac, quand je commençais à fatiguer, on avait arrêté. Mieux valait y aller tranquillement au début, surtout pour mes articulations et muscles qui n'avaient pas l'habitude d'être trop sollicités.
J'étais assis sur un banc, à descendre une bouteille d'eau, pendant que William s'étirait pour « passer aux choses sérieuses ».
– C'est de nous voir nous entraîner avec Kean qui t'as donné des idées ? Me demanda-t-il soudainement.
– Ehm... Plus ou moins. En fait, pendant que tu te faisais désirer, il m'a montré comment donner quelques coups... Et je me disais que... Je ne sais pas, ça m'avait fait du bien. Même si c'est ridicule.
Son air jovial laissa place à quelque chose de plus sérieux :
– Comment ça « ridicule » ? C'était bien pour quelqu'un qui a appris à frapper en dix minutes... C'est le début, c'est normal.
Je baissais le regard, pas sûr de vouloir continuer la conversation.
– Je ne parlais pas de ça, soupirais-je alors. C'est moi qui suis ridicule... Regarde-moi, on dirait un éléphant qui essaye de courir...
Il s'installa à côté de moi, assez proche pour que je sente la chaleur qu'il dégageait :
– Déjà, je ne trouve pas ça ridicule, et ensuite... T'es dur avec toi-même, d'accord ?
– Oh, pitié, m'agaçais-je alors, je sais que je suis ridicule, d'accord ? T'as pas besoin de faire comme si ce n'était pas le cas – ou pire ; faire comme si tu pouvais comprendre !
Je me levais pour partir d'ici, direction... Je ne sais pas où, mais loin de William. Monsieur j'ai le physique parfait m'agaçait grandement en cet instant.
– Angie, attend, me retint-il, me prenant le bras avec sa main, j'ai un truc à te montrer...
Je poussais un râle agacé :
– Et ça ne peut pas attendre que j'aie moins envie de t'étriper ?
Vu son horripilant sourire, non.
– Donne-moi une minute.
Et comme je n'avais que ça à faire – et que j'étais bouffé par la curiosité – j'attendais là, planté comme une carotte au milieu de la salle d'entraînement. William prit son temps pour revenir, son sac de cours sur une épaule et son portefeuille dans les mains. Il y cherchait quelque chose, visiblement.
– T'as prévu de me donner mon argent de poche ? plaisantais-je, même si le ton n'était pas forcément le bon.
– Je pourrais, ouais, sourit-il, avant qu'il ne se fane un peu : tiens.
Il me tendait un morceau de papier de la taille d'une carte de crédit. Ce fut en la retournant que j'avais compris ; c'était une photo de lui plus jeune. Quand il avait une dizaine d'années – peut-être un peu plus ?
C'était lui, c'était sûr. Il avait la même tête que maintenant, avec quelques années de moins... Et beaucoup de kilos en moins. Le gamin que j'avais sous les yeux était encore plus imposant que moi à son âge – et ce n'était pas rien... Pour ne rien arranger, il était boudiné dans ses vêtements trop petits, ce qui donnait vraiment l'impression qu'il était énorme.
– La vache, soufflais-je malgré moi, je veux dire... Ce n'est pas toi, la vache, mais... Comment c'est possible ?
Entre l'énorme gamin de la photo et le fringuant jeune homme que j'avais sous les yeux, il y avait un monde – voire peut-être deux ! On aurait dit deux personnes différentes, tellement c'était... Impressionnant ? Déstabilisant ?
– J'avais compris, marmonna-t-il, passant nerveusement sa main dans ses cheveux, j'avais douze ans quand on a pris cette photo et je m'en souviens comme si c'était hier.
– Il y a de quoi... Qu'est-ce qu'il s'est passé entre ça.... Et ça ?
C'était sans doute intrusif, mais j'étais trop curieux pour m'en préoccuper. De toute façon, si William ne voulait pas en parler, il n'aurait pas sorti cette photo, qui amènerait forcément des questions.
Il s'installa sur le banc, aussi l'imitais-je. On était tellement proches l'un de l'autre que je pouvais presque sentir sa peau contre la mienne, sans que celle-ci ne soit franchement en contact.
– Ma mère a pris cette photo un jour bien particulier, m'expliqua-t-il.
Le regard qu'il perdait sur la photo avait quelque chose de douloureux, mais je m'étais bien gardé de faire une remarque.
– C'est le jour où j'ai utilisé mes capacités de Venandi pour la première fois – enfin officiellement – c'est un jour important pour tous les Venandis. Encore plus pour ma mère.
– Pourquoi ça ?
– Parce que j'ai trois frères aînés qui sont des humains. J'étais... Le dernier espoir d'avoir un descendant Surnaturel de sang pour ma mère, pour résumer. Du coup, ce jour-là, c'était... Très important pour elle, comme pour moi.
– Je comprends...
Bon, en réalité, je ne comprenais pas... Mais je pouvais imaginer. Sa mère devait attendre ce jour depuis longtemps et elle devait aussi être très soulagée qu'au moins un de ses fils ait hérité de ses capacités Surnaturelles.
– Avant ça, j'étais le gros gosse timide et renfermé à qui personne ne voulait parler... Tu vois, le mec à part, de qui on se moque quand on en a l'occasion. C'était d'autant plus galère que j'étais dans une école privée et... Enfin, t'as pas forcément la vie facile avec des parents connus et riches à millions, même dans une école privée.
Autant dire que je ne m'y attendais pas vraiment, à celle-là. Le William que je connaissais était ouvert, sympathique, connaissait du beau monde – humains comme Surnaturels. D'accord, il n'était pas fan des événements mondains, mais il y nageait comme un poisson dans l'eau une fois sur place. À chaque fois que je l'accompagnais quelque part, il rencontrait des connaissances et échangeait des mots avec elles... Sans compter qu'il discutait volontiers avec les vendeurs, caissiers et autres serveurs, naturellement, comme s'il les connaissait, alors que non, pas du tout, ils étaient de parfaits inconnus.
À côté de ça, il y avait moi qui avais du mal à commander un verre d'eau et craignais toujours de déranger les vendeurs pour demander quoi que ce soit... J'avais du mal à me dire que William avait un jour été comme moi, et qu'en quelques années, il était devenu comme lui.
– En plus, par rapport à mes frères, j'étais vraiment le vilain petit canard... Ils sont tous grands et fins, comme ma mère. Moi j'ai hérité du côté paternel, si on peut dire ça comme ça...
Une partie de moi avait envie de savoir si je devais ma condition à ma mère ou à mon père... Mais je chassais l'idée rapidement pour me concentrer sur William.
Je n'avais vu sa mère qu'en photo ; elle était plutôt grande, la carrure svelte et sportive d'une Venandi encore en activité, le visage sévère, encadré par de longs cheveux blonds légèrement plus clairs que ceux de son fils. Elle portait toujours des tenues sophistiquées de couleur sombre – même sa tenue de Venandi, c'était du grand luxe, d'après les dires de William.
Il me parlait un peu de son père, mais beaucoup moins que de sa mère. Il la voyait presque tous les jours, ce qui n'était pas le cas d'Howard. Mais je savais qu'il était d'une taille moyenne pour un homme, plutôt bien portant, et qu'il avait le sourire facile. Bref, l'exact opposé de son épouse, quoi...
– Ma mère a tout essayé pour régler « mes problèmes de poids », mais... Ça n'a jamais marché. J'étais un gamin anxieux, je calmais mes angoisses comme je le pouvais, en mangeant ce qui me passait sous la main.
Je connaissais ça aussi. Ma vie était instable depuis le départ ; j'étais ballotté de foyers en familles d'accueil sans avoir le moindre contrôle sur rien. Ni sur les lieux ni sur les personnes qui « s'occupaient » de moi... J'atterrissais où on me disait d'aller et je me débrouillais comme je pouvais pour gérer mes émotions et mes angoisses. Un moyen que j'avais trouvé, c'était de manger. Du moins, d'avaler des aliments, peu importe quoi, du moment que ça calmait mes peurs.
Ça me faisait tout drôle de me dire que William était passé par là, lui aussi. Qu'on avait ça en commun alors que tout le reste de nos vies nous séparait... On avait une espèce de... Connexion ? Ou quelque chose du genre... Quelque chose qui nous rapprochait bien plus que tout le reste, même ce qui nous séparait.
Maintenant que je savais ça, j'avais l'impression que je pouvais avoir confiance en lui – totalement confiance, je veux dire. Ça pouvait sembler stupide ou superficiel, mais j'avais l'intime conviction que quoi qu'il se passe, quoi que je fasse, même si c'était ridicule ou voué à l'échec, William serait là et comprendrait ce que je ressentais comme personne ne le pourrait jamais.
– Du moins, jusqu'à ce fameux jour-là, où j'ai... Je ne sais pas – compris un tas de choses sur moi et sur le monde autour. C'était une sorte de... Déclic. Quand j'ai soupçonné que j'étais différent de mes frères, j'étais d'autant plus angoissé... Ni ma mère ni mon père ne m'avaient dit que peut-être je serais un Surnaturel, alors quand j'ai commencé à percevoir les choses et à manipuler mes camarades à l'école sans le vouloir, j'ai cru que j'étais soit fou soit un extraterrestre envoyé sur terre pour la détruire – à peu de choses près.
On échangeait un sourire. Il savait que j'aimais bien les histoires d'extraterrestres et autres sciences-fictions qui se passaient dans les étoiles. Ce n'était pas son truc, mais il était toujours partant pour un film, une série ou jouer à un jeu vidéo avec moi.
Il marquait une pause, avant d'enchaîner :
– J'étais soulagé quand ils m'ont finalement dit pour tout le bazar Surnaturel... Surtout quand ma mère m'a expliqué que ce n'était pas ma faute si je manipulais les gens. Ou si je sentais des choses bizarres chez eux.
– C'est vrai que ça déstabilise un peu...
Et encore, moi, j'avais su ce que j'étais dès le départ ! Mes sens s'étaient affinés avec ma nouvelle condition Surnaturelle, ce qui m'avait beaucoup désorienté. Avec le temps, je m'y étais fait, mais c'était tout de même laborieux les premières semaines, même en sachant tout ce que William m'avait dit sur ce qui se passait et allait se passer.
– Et puis ma mère a commencé à m'entraîner, aussi... Ses maudits entraînements à la con qui n'en finissent pas ! J'en ai bavé pendant des mois – j'ai passé mon été à implorer la Lune d'abréger mes souffrances ou d'avancer la rentrée, c'est te dire...
– Pourquoi ça ne m'étonne même pas, souriais-je, en réponse à son sourire.
– Bon, les entraînements ont continué après la rentrée... Ça ne s'est jamais vraiment arrêté, à vrai dire. Mais avec le temps, j'ai commencé à changer physiquement et mentalement. Quand je suis retourné à l'école, j'étais une autre personne physiquement. J'étais encore un peu timide, mais les autres élèves ont changé d'attitude quand ils ont compris ce que j'étais – du moins, pour ceux capables de déterminer ma nature Surnaturelle. Les choses ont bien changé depuis, même si dans le fond, je reste toujours le gosse en surpoids silencieux au fond de la classe... Plus ou moins.
– Je dirais plus « moins » que « plus », tu fais du bruit tout le temps !
– Tu dis ça parce que tu entends trop bien, c'est tout !
Pendant qu'on partageait un rire, chaud et détendu, toujours horriblement trop proche l'un de l'autre, William rangea la photo à sa place, dans son portefeuille.
– Je la garde sur moi comme trophée, avoua-t-il. Pour me rappeler d'où je viens et à quel point j'en ai chié. Je dois le bon comme le mauvais à ce gamin... Bon, à ma mère aussi, mais je ne sais toujours pas si je dois lui dire « merci » ou « va te faire voir »...
– Probablement les deux, riais-je, en tout cas, t'en es capable...
– Je ne te le fais pas dire.
Un petit silence s'installa alors, pas dérangeant, mais reposant, tandis qu'il rangeait la photo dans son portefeuille, puis ledit portefeuille dans son sac. Je l'observais, concentré.
– Tu penses que c'est possible que ça m'arrive aussi ? demandais-je alors, plutôt mal à l'aise. Je veux dire... Pas que ta mère m'en fasse baver, mais... Je me disais que peut-être, tu avais retenu quelques conseils et...
Il haussa les épaules, passé un petit temps de réflexion :
– Si t'es prêt à me faire confiance et à vraiment le vouloir, je peux m'arranger pour que ça arrive.
– Vraiment ?
– Bien sûr... Je n'ai rien fait de plus que suivre les ordres – si je t'en donne et que tu les suis, qu'est-ce qui t'empêche d'arriver à un résultat satisfaisant, toi aussi ?
Ce fut à mon tour de hausser les épaules.
– Je ne pense pas que j'ai ce qu'il faut, avouais-je.
Il me tendit sa main :
– Je te parie que si. À condition que tu t'engages à faire tout ce que je dis à la lettre.
J'étudiais sa main avec un drôle d'air. J'avais l'impression de vendre mon âme au diable... Plutôt tentant et bien foutu, ce diable, en plus ! Mais soit, je serrais sa main en promettant l'obéissance. Pas sûr que ce ne soit pas dans les cris, les larmes et le sang – mais il n'avait rien précisé à ce sujet avant qu'on ait scellé notre destin commun.
– On commencera demain, conclut-il, là je dois aller m'entraîner avec ma mère. Je vais rentrer tard, comme d'habitude. Prépare-toi mentalement et repose-toi bien.
Je lui répondis par un signe de tête vague. Ça voulait dire que je passerais la soirée seul, ce qui ne m'enchantait pas. Surtout après ce qu'on venait de partager tous les deux... J'avais envie qu'il reste avec moi et que ce moment ne s'arrête pas si tôt.
Enfin... Il n'avait pas vraiment le choix. Il avait vendu son âme à sa mère et se devait de respecter ses engagements comme moi j'aurais à respecter les miens sous peu... Je ne savais pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose, finalement. J'avais l'impression d'avoir fait le mauvais choix – même si objectivement, il s'agissait du bon !
Ce fut avec confusion que je m'étais endormi ce soir-là, pour une nuit courte et plutôt agitée.
✨🐺✨🐺✨
La première semaine que j'avais passée entre les mains de William avait été un ENFER ! J'avais bien senti le coup de « j'ai vendu mon âme au diable », définitivement ! Je commençais à comprendre et entrevoir l'héritage maternel qu'il trimballait, et c'était tout sauf agréable !
Il était intransigeant, autoritaire, me poussait toujours plus haut, toujours plus loin, et ce même si j'étais à bout physiquement... C'était son boulot de me forcer à dépasser mes limites pour que je progresse – mais j'avais surtout envie qu'il se fasse très mal pendant et après mes séances de torture – euh, de sport.
Je souffrais physiquement de ces entraînements à la noix. J'étais souvent – pour ne pas dire tout le temps – à deux doigts d'abandonner, mais je gardais le cap. Même si j'avais envie de cramer William et la salle de sport, d'envoyer tout valser droit dans ses dents trop blanches, je m'accrochais.
Ce qui ne voulait pas dire que je n'avais pas craqué. C'était arrivé bien trop souvent à mon goût et au goût de ma fierté, mais William avait toujours les bons mots pour me calmer et me relancer. Ce qui n'était pas facile au début...
Le pire, c'étaient les séances de cardio. Je haïssais ça. William aussi n'était pas fan, mais il nous forçait à nous y astreindre – qu'il aille brûler en enfer avec son tapis de course, d'ailleurs ! Puis les séances de musculation n'avaient rien à envier au cardio... Je finissais sur les rotules, me promettant que je ne mettrais plus jamais les pieds dans cette maudite salle d'entraînements, pour finalement m'y remettre le lendemain.
Plus le temps passait, plus je sentais et voyais les changements. Bon, les séances étaient toujours aussi difficiles, mais c'était principalement parce que William augmentait l'intensité au fur et à mesure. Je progressais, mais le chemin serait long avant d'arriver à bon port – si tant est qu'il soit possible d'atteindre ledit port.
Après chaque séance, William était aux petits soins avec moi. Bon, il faisait en sorte que je récupère au plus vite et au maximum, histoire que je sois opérationnel, mais ses massages et autres étirements me faisaient du bien. Physiquement et mentalement.
On avait « notre petit moment » de calme durant lequel je regrettais presque de le maudire par tous les pores de ma peau – humaine comme lupine. Il s'en amusait, cet idiot. Puis il me contaminait avec son sourire. Du coup, j'en riais aussi. Même si j'avais réellement envie qu'il se fasse très mal pour me faire endurer tout ça.
✨🐺✨🐺✨
Presque trois mois après le début des hostilités, au printemps, quelques jours avant mon dix-huitième anniversaire, on sonna à la porte. J'étais de bonne humeur, car je savais exactement qui se tenait sur le perron ; Edward ! Ainsi, ce fut sans surprise que je le trouvais derrière la porte... Du moins, avant que je ne constate qu'il était accompagné.
– Angie, je te présente Danny, un ami d'enfance – Danny, Angie.
Pendant qu'on se serrait la main, « Danny » et moi, Edward nota le changement de physique entre le Angelo qu'il avait sous les yeux et celui qu'il s'attendait à voir : j'avais perdu presque vingt kilos depuis sa dernière visite, ma musculature était dessinée, plus prononcée que jamais, et surtout, j'avais le sourire ! J'étais aussi plus ouvert, plus sûr de moi, même si je ne m'en rendais pas vraiment compte.
On passait dans la véranda pour boire un verre tous les trois, afin de fêter ma prochaine majorité.
– Will m'avait prévenu que tu avais changé – mais à ce point ? On dirait presque un frère ou un cousin, c'est dingue !
– Je sais, souriais-je, même moi j'ai du mal à me dire qu'il y a quelques mois entre ce que je suis là et ce que j'étais avant...
Je m'en rendais compte au fur et à mesure que la pile de vêtements « trop grands » grandissait dans ma penderie... William passait son temps à me commander des vêtements en ligne ou à m'emmener faire les boutiques – mais il ne s'en plaignait pas vraiment d'avoir à le faire. Au contraire.
– Bon, j'en bave tous les jours, avouais-je, Will a hérité des méthodes de sa mère... Mais c'est toujours moins difficile qu'au tout début.
– Elle est spéciale, je sais... Mais t'es en pleine forme, c'est ce qui importe !
J'avais les joues rosies, gênées, comme à chaque fois qu'on me faisait un compliment.
– J'espère arriver à prendre le dessus sur William un jour, mais c'est difficile vu qu'il est plus lourd et grand que moi...
– Tu m'étonnes ! Je ne suis même pas sûr que Max ou mon père ait de quoi y arriver, c'est te dire...
– Je l'aurais, un jour – même si ce sera sans doute un coup de chance ! Et du coup, vous êtes venus voir Max, tous les deux ?
– Ouais, en gros ! Papa pense que ça fera du bien à Dan de prendre un peu l'air.
Comme c'était la première fois que je le voyais, je ne pouvais pas me douter que son expression triste et les cernes sous ses yeux, rougis à la fois par les larmes et la fatigue, n'étaient pas son état normal. Il portait des vêtements à Edward, noirs et gris, ce qui n'était pas habituel non plus, mais pour l'instant j'étais loin de m'en douter.
– Quelle idée de génie, marmonna le concerné, pas du tout d'accord avec son Chef de Meute de parrain.
– Ça va aller, on rentre demain... Je me suis dit que passer quelques heures ici allégerait son moral, avant qu'on aille retrouver Max.
Visiblement, ça marchait un peu. En tout cas, il paraissait plus détendu qu'à leur arrivée.
– Will est avec lui, leur annonçais-je, ils ont des tas de dossiers de ceci et cela à rendre entre leurs révisions... Je ne vous explique pas le bazar qu'est l'emploi du temps de Will ces dernières semaines.
Entre ses cours, ses dossiers à rendre, les révisions, les entraînements avec sa mère, les entraînements avec moi, ses sorties « professionnelles », je me demandais quand il trouvait le temps de dormir... Enfin, il avait l'habitude d'être surchargé de tout un tas de choses depuis que sa mère en avait fait son successeur. Il ne se plaignait jamais – enfin, sauf quand il se plaignait d'elle et de ses responsabilités à la noix.
– Max n'appelle presque pas, Papa s'inquiète, mais il ne veut pas le déranger non plus... Du coup je m'occupe de taper l'incruste pour vérifier qu'il est vivant !
– Will ne m'a rien dit d'alarmant, le rassurais-je, mais après on ne parle pas vraiment de ses activités dans le détail...
Il n'avait pas beaucoup de temps à me consacrer ces derniers temps – enfin, en dehors de nos entraînements, j'entends. J'avais hérité de toute la paperasse du Sanctuaire à faire en son nom, histoire de le soulager un peu. Avec le temps, il n'avait presque plus rien à dire et les signais en les survolant brièvement. Ce qui était un exploit, étant donné qu'au début, il corrigeait tout, au point de presque tout réécrire derrière moi.
– Oh, chose qui n'a rien à voir, dit soudainement Edward, avant de sortir une enveloppe de son sac : joyeux anniversaire ! Même si c'est dans trois jours.
J'avais rougi, surpris, en prenant l'enveloppe :
– Je ne savais pas trop si tu avais besoin de quelque chose, du coup, c'est une carte cadeau pour un magasin de déco – Will m'a dit que tu n'avais pas grand-chose de personnel dans ta chambre, alors c'était l'occasion.
– Ah, ben, je... Merci ? Tu n'étais pas obligé...
Il m'avait serré dans ses bras en me souhaitant à nouveau un joyeux anniversaire... Et moi, je restais là, planté comme une carotte dans un champ, à ne pas savoir quoi dire ou quoi faire. Ça me touchait qu'il m'offre des cadeaux – je n'en avais pas vraiment l'habitude – et surtout, qu'il pense à mon anniversaire chaque année.
– On ira ensemble la prochaine fois que je viens ou Will t'y emmènera, je suis sûr que tu vas trouver des trucs pour prendre la poussière !
– J'en doute pas... Merci encore ! Et merci de ne pas m'avoir offert de vêtements, j'ai un dressing plein à craquer... Je dois vraiment me débarrasser de mes affaires trop larges un jour.
– On peut t'en débarrasser si tu veux ? On a toujours besoin de vêtements au sein de la Meute.
– Ce serait sympa, ouais... Autant que ça vous serve !
Ils m'avaient suivi à l'étage dans ma chambre pour emballer les vêtements, tout en parlant de tout et de rien. Danny ne disait pas grand-chose, mais je le sentais plus détendu qu'à son arrivée. Le Sanctuaire avait des effets positifs non négligeables, même sur les Lycans qui souffraient d'être hors de leur Territoire.
J'avais un peu de mal à concevoir cela, étant donné que je n'étais pas vraiment un Lycanthrope. Je n'avais pas cette notion territoriale ancrée en moi depuis toujours. Même si c'était vrai que mes poils se hérissaient lorsque je pénétrais sur le Territoire d'autrui, je m'en accommodais plutôt bien, et ce bien que je sois un Bêta.
Ça m'avait fait du bien de souffler un peu et de sortir la tête de la paperasse du Sanctuaire pendant une journée. Surtout si c'était pour parler de tout et de rien, tout en passant un bon moment avec Edward.
✨🐺✨🐺✨
Eeeeet voilà pour ce chapitre !
Déso du retard =w=
J'parie que vous vous attendiez pas à ça concernant Will, hein :D
Je vous laisse sur ça jusqu'à mercredi prochain pour la suite de cette histoire hehehehe
A tout',
Haydn
PS: je vous rappelle que TWW Kaeden passera en gratuit à partir de demain ❤️
Laissez-moi quelques jours pour faire 2-3 corrections et vous aurez un texte plus cohérent 🤣
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top