1-
Il était une fois, dans un château perdu au milieu de la forêt française, une jeune fille, belle comme le jour et courtisée par tous. Mais derrière cette Belle ensoleillée se cachait un cœur noir, vif comme les épines d’une rose. Ces dernières années, elle avait refusé à maintes reprises des demandes en mariage de grands seigneurs, jusqu’à ce qu’un paysan vienne à elle. Repoussée par sa pauvreté et sa laideur, elle le congédié, se moquant de son audace, sous les rires de la cour de la maîtresse du lieu.
L’homme répondit qu’il ne fallait pas compter sur les apparences, que les personnes les plus puissantes n’étaient pas toujours les plus belles, et que le pouvoir n’était pas la seule chose qui comptait dans une vie. Les nuages qui violaient la pleine lune se dissipèrent, révélant aux yeux de tous, la vraie nature de l’homme.
Un halo de lumière lunaire apparut. Ces yeux devinrent blancs. Il s’était métamorphosé en beau magicien. Avide de pouvoir face à cet excès de force, la belle s’excusa et accepta sa demande en mariage, mais il était trop tard. Son cœur, plein de convoitise, n’était pas capable d’aimer.
Elle voulait le pouvoir. Il le lui donnerait. Tellement qu’elle regretterait à jamais sa cupidité.
Le magicien, alors, l’a maudit. À chaque pleine lune, pendant mille pleines lunes, elle se transformait en loup-garou. C’est tout ce qu’elle aurait pour renoncer à son pouvoir, au risque de voir la malédiction perdurer pour toujours.
Mille pleines lunes, et un seul destin.
*Quelques mois plus tard*
Arrivée devant le château de la Belle, une jeune fille regardait l’endroit, un couteau en argent à la main. Elle n’était en aucun cas étonnée par la grandeur et la Belle de l’endroit. La façade noire brillait sous les rayons de la lune, qui se posaient lentement à l’horizon. Des ronces grimpaient le long des murs gris, agrémentées de roses rouges comme du sang qui donnaient la seule touche de couleur de l’endroit.
La main sur le sac contenant les affaires qu’elle avait apportées, la nouvelle arrivante hésita devant la porte d’entrée. Des épines, acérées comme le tempérament de la maîtresse de maison, couvraient la grille de fer.
― Qui est là ?
La voix venait de l’intérieur de l’enceinte. La visiteuse sursauta, surprise. Elle n’avait rien entendu annonçant l’arrivée de quelqu’un. Pas un seul bruissement de feuilles. Pas un seul craquement de branche. Aucun signe. Comme si la personne était apparue par magie près de l’entrée.
Elle plissa ses paupières pour essayer de voir quelque chose, en vain. Il faisait trop sombre pour qu’elle puisse discerner quoi que ce soit. Discrètement, elle cacha son arme dans la manche de son pull.
― Qui est là ? Je ne me répéterais pas une troisième fois.
C’était une voix féminine aux accents rauques qui venait de parler. L’étrangère regarda dans la direction d’où la voix lui parvenait. Deux yeux cramoisis brillaient dans l’obscurité, au ras du sol. Cela ne l’a pas fait reculer. Elle était venue pour ça.
― Je m’appelle Alicia.
― Que faites-vous ici?
― Je me suis perdue dans la forêt. Je cherche un abri pour la nuit. Pourriez-vous m’offrir l’hospitalité ?
Alicia n’était absolument pas perdue. Elle savait parfaitement où elle était, tout comme elle était certaine que la bête de l’autre côté de la grille écoutait les battements de son cœur pour vérifier si elle mentait ou non.
Un grognement fut la seule réponse à la question d’Alicia. Les pupilles pourpres disparurent au moment où la porte s’ouvrait.
Alicia s’avança et franchit le portail. Devant elle, la tête vers le sol et les cheveux cachant son visage, se tenait une femme. Un seul détail permis à Alicia de savoir que c’était la maîtresse de maison maudite qui se tenait devant elle. Deux éclats rouges traversaient le rideau de cheveux noirs. La prise de la chasseuse se referma sur son poignard, toujours caché dans sa manche. Elle serait bientôt en mesure d’agir.
― Suivez-moi. Je suis la maîtresse de cette maison. Un de mes serviteurs vous préparera une chambre lorsque nous arriverons au château.
Sa voix n’était plus rauque, mais mélodieuse. Était-ce vraiment la même personne, où y avait-il une autre bête à sa place ?
― Merci pour votre hospitalité, Madame.
La Belle balaya ses remerciements d’un geste désinvolte de la main.
― Appelez-moi Belle.
Avec une approche féline et gracieuse, elle avança dans les jardins de son domaine. Des rosiers aux fleurs rouges et blanches encadraient leurs pas. Sur le chemin de terre emprunté par les deux filles, des marques de pattes recouvraient le sol, comme si un animal était passé par là.
― Avez-vous des animaux de compagnie ? se renseigna Alicia.
― On peut dire cela de cette manière.
Cette réponse évasive éveilla la curiosité d’Alicia. Tout comme le fait que son hôtesse ne se dirigerait pas vers son château. Le bâtiment s’était rétréci au fur et à mesure qu’elles marchaient. La chasseuse commença à croire que la Belle la traînait dans un piège. Son pouls s’accéléra.
― Mes serviteurs vivent dans une bâtisse loin de la maison principale, expliqua alors Belle. Je dois y aller en personne pour réveiller l’une de mes servantes.
En effet, un autre bâtiment est apparu à l’horizon. La Belle s’arrêta, sans se tourner vers Alicia.
― Attendez-moi ici.
Alicia hocha la tête et regarda son hôtesse s’éloigner. Elle prit son couteau à la main et attendit, pas très sereine. Des hurlements d’animaux résonnaient tout autour d’elle. Peu à peu, des silhouettes animales s’approchèrent d’elle. Des loups. Ils hurlaient à la lune et grognaient, leurs manteaux brillant sous la lumière lunaire.
― Je pense, dit une voix animale et rauque, que ta petite lame ne sera d’aucune utilité contre ma meute. Lâche ton arme, chasseuse.
Les loups déjà présents s’éloignèrent pour faire place à une bête plus grande et plus imposante. Aux yeux cramoisis. C’est elle qui venait de parler.
― Qu’est-ce qui m’a trahi ? demanda Alicia.
― Personne ne se promène dans cette forêt. Elle a mauvaise réputation et m’appartient. Seul un imbécile pénétrerait sur ses terres sans ma permission. Seuls les chasseurs le font encore.
Alicia commença à jouer avec son poignard d’argent. Elle le passa d’une main à l’autre, pensive. Elle compta rapidement le nombre d’adversaires qu’elle avait devant elle.
― Sept loups contre un chasseur ? Ce n’est pas très juste, si vous voulez mon avis. Auriez-vous trop peur de moi pour vous battre seule ?
D’un grognement, l’alpha fit reculer ses bêtas. Avec un signe de tête, il indiqua clairement à la chasseuse de s’avancer. Ce qu’elle ne fit pas.
― Ces loups, que vous voyez à côté de moi, sont d’anciens chasseurs, expliqua l’animal. Je les ai battus seule. Arrêtez de cacher votre visage dans l’ombre de la nuit et montrez-vous vraiment. J’aime voir à quoi ressemblent les futurs membres de ma meute avant de les mordre.
― Je peux savoir pourquoià?
― Le pouvoir vient de la beauté, voyons. Si l’un de mes bêtas potentiels est laid, je le tue.
Cependant, Alicia n’entendit pas la fin de la phrase. Les premiers mots prononcés par la Belle firent remonter en elle des souvenirs relégués au plus profond de sa mémoire depuis des années.
― Belle ?
Alicia s’approcha de l’alpha en quelques pas. Son visage était découvert par la lumière de la lune. La bête recula. Dans un tourbillon noir, elle redevint humaine. Ses longs cheveux d’ébène fouettaient son visage alors qu’elle faisait plusieurs pas en avant pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas.
― Ali ?
Les deux filles se regardèrent pendant de longues secondes. Belle avait gardé la tête baissée en tout temps, alors elle n’avait pas remarqué qu’elle connaissait Alicia. Et Alicia n’avait pas remarqué que le loup-garou qui se tenait devant elle était sa meilleure amie d’enfance.
― Comment en es-tu arrivée là ? murmura Alicia.
D’un geste décontracté, Belle haussa les épaules.
― Je voulais du pouvoir. J’en ai eu.
― Du pouvoir ? Tu veux dire celui pour qui tu as mis fin à notre amour il y a plusieurs années ? Celui qui t’a empêché de t’enfuir avec moi pour que nous puissions vivre nos vies comme bon nous semble ?
Sans la moindre trace de remords dans ses yeux, Belle hocha la tête.
― J’aurais perdu mon titre, ma richesse et mon domaine si je t’avais suivi. Je ne pouvais pas me résoudre à le faire. Tu le sais. Un homme n’est rien sans pouvoir.
― Non. TU n’es rien sans pouvoir, la contredit Alicia.
Le silence plana. Aucunes d’elles ne prononça un seul mot jusqu’à ce qu’Alicia commence à marcher. Elle s’arrêta à quelques centimètres de Belle.
― Tu es allée jusqu’à accepter d’être transformé en monstre pour devenir plus puissante.
Leurs respirations se mêlaient les unes aux autres tant elles étaient si proches.
― Ce n’est pas exactement comme ça que ça s’est passé. J’ai refusé la demande en mariage d’un magicien déguisé en horrible paysan et il m’a maudite. Je pense que je l’ai offensé.
― Ce ne serait pas surprenant.
Chacune regardait les lèvres de l’autre, attendant une étreinte entre elles. L’alchimie qui existait autrefois entre elles était toujours présente.
― Et si, commença Alicia, maintenant que tu as tout ce pouvoir, je te demandais à nouveau en mariage, accepterais-tu ?
Leurs fronts se touchaient.
― Abandonnerais-tu ton titre pour moi?
La Belle secoua la tête.
― Je ne serai jamais assez puissante à mon goût. Et tu ne pourras jamais m’apporter quoi que ce soit, à part des ennuis.
Alicia recula comme si Belle venait de la mordre.
― Tu es un monstre.
― C’est déjà ce que tu m’as dit la dernière fois qu’on s’est vu.
― La différence, maintenant, vient du fait que tu en es vraiment un.
Le couteau qu’Alicia tenait dans sa main se planta dans la poitrine de Belle, qui la regarda, les yeux écarquillés. Peu à peu, l’étincelle rouge de ses yeux s’éteignit, jusqu’à ce qu’ils redeviennent bleus, comme avant sa malédiction.
Des larmes coulèrent des prunelles de la chasseuse.
― Quand je te rejoindrai dans l’au-delà, tu me remercieras de t’avoir épargné une triste vie à courir derrière le pouvoir.
Elle accompagna le corps de Belle dans sa chute, l’embrassant quand elle rendit son dernier souffle. Ce n’est qu’alors qu’elle se donna carte blanche pour pleurer.
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