Un vrai Na'vi

Une violente pluie éclata durant la nuit, mais dans la chaleur de Pandora qui planait à ces temps-ci de l'année, personne n'était indisposé par le déluge. Au contraire, elle était perçue comme une bénédiction du ciel. Heureux, les Na'vi récoltaient l'eau de pluie qu'ils considéraient sacrée pour la boire et privilégiaient des repas sans viande puisque c'était plus difficile de partir un feu pour la cuire.

Lorsqu'ils quittèrent leur maison ce matin-là, Spider et Quatitch, plus inséparables que jamais au grand dam de Lo'ak, furent assailli par l'averse. Si de son côté le colonel n'en avait que faire, habitué à l'inconfort, son Monkey Boy, lui, frissonna légèrement au bout d'une heure en raison de sa peau plus fine. Malgré ses protestations, Miles le tira de nouveau à l'intérieur et le força à revêtir le haut de son uniforme que le garçon détestait. Le tissu lui donnait l'air ridicule, étant tellement trop grand qu'il ressemblait presqu'à une robe, mais au moins, il le gardait un peu plus au chaud. Quaritch l'attira même à lui et le frictionna jusqu'à ce que sa chair de poule disparaisse. Spider lui jeta un regard profondément agacé tout le long, mais ça n'ébranla pas la détermination du plus vieux.

— Tu devrais rester à la maison aujourd'hui, lui conseilla ce dernier.

Le concerné se releva d'un bond en furie.

— C'est absolument hors de question! Tu me prends pour qui?

Soudainement, il changea totalement d'expression, passant d'indigné à malicieux en une seconde. Le coin de ses lèvres se releva en un demi-sourire amusé et le colonel eut la vague impression qu'il n'aimerait pas ce qui allait suivre.

— En fait, j'veux bien rester à l'intérieur... à une condition!

Il haussa un sourcil vers le haut.

— Qu'est-ce que tu veux?

— Te faire faire un relooking complet.

— Non.

— C'était pas une suggestion.

Il attrapa son poignet et tira de toutes ses forces pour le ramener à l'intérieur, mais le plus grand ne bougea pas d'un iota.

— T'as aucun moyen de me forcer, déclara-t-il.

— Oh? Tu veux que j'aille chercher Kiri et Lo'ak?

Quaritch plissa ses paupières en un regard meurtrier, puis une ébauche de sourire se fraya un chemin sur son faciès. Il croisa les bras, plus amusé que réellement mécontent.

— Vas-y, j'attends.

Le Monkey Boy ne se le fit pas dire deux fois et se précipita avec une aisance naturelle entre la végétation touffue pour gagner le marui de Kiri et Lo'ak. Il y trouva Jake en train de cuisiner ce qui semblait être un délicieux repas et ce dernier l'informa que Lo'ak était parti à la pêche avec Aonung et que Kiri se trouvait avec sa clique habituelle, en d'autres mots, Ronal, Neytiri et parfois Tsireya lorsqu'elle avait le temps. Il le remercia d'un grand sourire et s'arrêta un instant pour l'enlacer plusieurs secondes. À défaut de pouvoir déposer un baiser sur sa joue, son père adoptif embrassa ses cheveux emmêlés qu'il caressa tendrement avant que le garçon ne reparte avec la même énergie intarissable.

Il trouva d'abord Kiri qui l'accueillit avec une telle joie qu'il en ronronna presque. Ronal et Neytiri le saluèrent également par politesse, mais sans chaleur. De toute façon, il n'était pas là pour elles! Après quelques suppliques suivit de battements de cils faussement langoureux, la future Tsaìk accepta de délaisser temporairement ses occupations pour un relooking express.

Ils firent un détour par la plage et y trouvèrent Lo'ak qui, aidé d'Aonung et d'autres Na'vi, hissaient la carcasse d'un large poisson sur le rivage. La créature serait ensuite découpée en morceaux et salée pour la préservation; le reste serait probablement mangé le soir même.

Quand il les vit lui faire signe, Lo'ak se précipita à leur rencontre. La lumière se reflétait dans les gouttes d'eau qui s'accrochaient à sa peau et le faisait scintiller comme une étoile. Il passa une main dans sa longue tresse et la tordit grossièrement pour en extraire le surplus d'eau.

— Lo'ak, tu nous abandonnes? demanda Aonung.

— Attends. Vous avez besoin de moi? s'enquit-il auprès de son frère et sa sœur.

— Ça dépend, dit Spider. Est-ce que tu veux être aux premières loges pour voir Quaritch porter des vêtements Na'vi?

Sa bouche se plissa en une légère moue à l'entente du nom du colonel.

— Je viendrai voir ce soir, j'ai encore du travail, répondit-il en désignant l'énorme poisson. Le srakat va pas se préparer tout seul. Mais honnêtement, vous devriez amener Tuk à la place, ajouta-t-il. J'suis sûr qu'elle adorerait se moquer de Quaritch. En plus, elle se plaint toujours qu'on l'exclue de nos activités.

༺༺༺

La pluie avait finalement cessé de tomber dans l'après-midi, mais Spider n'avait surtout pas laissé tomber son idée merveilleuse de relooking complet.

— Reviens ici, cria-t-il à Quaritch qui s'enfuyait à toute jambe dans la forêt en espérant lui échapper.

Mais c'était peine perdue. En sens inverse, Kiri surgit subitement face à lui et le temps qu'il pense à changer de direction, Tuk, qui venait de se jeter en bas d'un arbre, lui atterrit directement sur les épaules.

— Hey! C'est de la triche, s'écria-t-il tandis que la fillette éclatait de rire.

— Par quoi tu veux qu'on commence? demanda-t-elle, malicieusement. Tes cheveux ou tes vêtements?

Elle avait remarqué que l'avatar portait encore le bracelet qu'elle lui avait confectionné et ça lui faisait plaisir. Elle avait donc prévu de nouveaux accessoires pour lui qu'elle avait contribué à fabriquer avec d'autres enfants durant les cours de Tsireya.

— C'est hors de question que je m'habille comme vous, déclara-t-il catégoriquement. Mais tu peux couper mes cheveux si tu veux. C'est vrai qu'ils s'en viennent un peu long.

Il avait l'habitude de les raser régulièrement, car c'était obligatoire dans l'armée, mais après près de neuf mois passé chez les Na'vi, il devait admettre que cette habitude s'était doucement estompée. Il n'avait pas eu de miroir non plus depuis longtemps pour admirer son apparence physique, alors il avait peu à peu arrêter de s'en soucier, plus ou moins consciemment.

Ils s'installèrent tous ensemble dans l'herbe à l'ombre d'une grande fleur et Tuk lui présenta divers accessoires pendant que Spider rasait une partie de ses cheveux et que Kiri tressait le reste.

— C'est quoi ça? Ça a l'air d'un truc de guerrier.

Il pointa l'item en question. La plus jeune gloussa.

— C'est une dent de nalutsa. C'est Lo'ak qui me l'a donnée. Habituellement les Metkayina la porte en collier... Mais c'est pas un « truc de guerrier »... En fait, on la porte surtout quand un membre de la famille est enceinte; c'est supposé porter chance à la mère et au bébé.

Quaritch se sentit rougir sans parvenir à s'en empêcher. Il toussota de gêne et reprit contenance.

— Laisse tomber alors. Et celui-là?

Celui-là lui semblait incontestablement masculin.

— Ah! Ça c'est un bracelet en peau de nantang, un loup-vipère comme vous dites en anglais. En général on l'offre à quelqu'un qui a tué sa première proie à la chasse.

Elle le lui plaça sur le bras droit, un peu au dessus du coude, et il admira l'effet que ça produisait, lui donnant l'air assurément plus féroce.

— Je l'aime bien.

— Tu peux le garder! Veux-tu aussi quelque chose pour mettre dans tes cheveux? J'ai des perles en bois simple pour mettre dans les tresses ou un bandeau fait avec des algues que j'ai été cueillir moi-même. C'était assez profond en plus et j'ai dû retenir ma respiration super longtemps!

Il observa les deux propositions, dubitatif.

— C'est pas des trucs pour filles, hein?

Tuk soupira longuement.

— Non, c'est pas des « trucs pour filles ».

Elle semblait un peu exaspérée et il haussa les épaules.

— Je peux les essayer.

Elle retrouva le sourire et plaça quelques perles dans les petites tresses que Kiri avait faites. Puis elle lui tendit le bandeau pour qu'il l'enfile.

— Comment je fais pour savoir si c'est beau? On n'a pas de miroir...

— Oh, c'est facile! T'as juste à demander à Spider, dit-elle avec un clin d'œil.

Il écarquilla les yeux et se tourna vers le concerné qui venait de prendre une teinte rosée. Depuis quand les fillettes de dix ans faisait des clins d'œil?

— C'est pas mon avis à moi qui compte, se défendit Spider, c'est le sien. On a juste à aller au lac et il va pouvoir regarder son reflet.

— J'ai fini! annonça ensuite Kiri.

Elle fit pivoter le visage du colonel dans sa direction et hocha la tête de manière approbatrice face au rendu final.

— On ira au lac quand on aura tout fini, intervint Tuk. Il manque les vêtements.

— J'ai déjà dit que... pouah!

Spider venait de lui mettre une limace dans la bouche. C'était très efficace pour faire taire quelqu'un d'agaçant.

— Tuk a raison. Tes vieux vêtements sont troués en plus d'être sales et moches.

Quaritch serra les dents (après avoir craché la limace), se retenant de lâcher une remarque acerbe.

— Je veux pas...

Il était déchiré entre l'envie de faire plaisir à Spider et celle de se rebeller encore un peu, de garder cette part d'humanité en lui. Son dos finit par se voûter légèrement en signe d'abandon et il murmura:

— J'peux toujours essayer... juste pour voir ce que ça fait. Mais je l'enlève juste après!

— D'accord! s'exclama le blond, ravi par cette simple concession.

Par pudeur peut-être, l'avatar demanda aux trois autres de se retourner pendant qu'il se changeait. Kiri et Tuk obtempèrent aussitôt sans discuter, mais Spider haussa un sourcil l'air de dire: « Vraiment? Je t'ai déjà vu nu des tonnes de fois. » Il se retourna néanmoins à son tour par respect.

Quaritch se dévêtit rapidement et enfila le pagne qui ne couvrait... que ce qu'il y avait à couvrir et pas un centimètre de plus. Il se demandait parfois comment les Na'vi pouvaient porter des vêtements aussi révélateurs et n'éprouver aucune gêne. Même les femmes dissimulaient à peine leurs seins derrière quelques ornements et accessoires.

Il termina d'attacher correctement le lacet autour de ses hanches et se racla la gorge afin d'annoncer qu'il avait terminé. Trois paires de yeux se fixèrent sur lui et il ne put résister à la tentation de se triturer les doigts. Il ne manquait plus qu'un tapis et une caméra pour faire un défilé!

— Regardez-moi pas comme ça.

— T'as l'air d'un vrai Na'vi, dit Tuk. Comme papa!

Il grogna, irrité.

— Me compare pas à ton père.

Le regard de la plus jeune retomba vers le sol et elle ne dit plus rien. Il jura mentalement; les enfants étaient si difficiles à cerner parfois.

— Bon, euh, on va au lac? demanda Kiri.

Il hocha la tête, espérant qu'ils ne croiseraient personne d'autre.

༺༺༺

Son reflet ne lui plu pas. On aurait dit un autre. Il retira le bandeau et le rendit à Tuk. Les perles et le bracelet étaient plus discrets; il préférait cela. Quant au pagne qui couvrait à peine son corps... il devait admettre qu'il comportait, en plus de nombreux défauts, certains avantages. Si on oubliait que le bout de tissu minimaliste contrevenait à son identité profonde et laissait passer un courant d'air assez conséquent entre ses cuisses, il devait tout de même avouer qu'il était plus libre dans ses mouvements sans son épais pantalon d'armée et que le reste de la forêt semblait le reconnaître. Il effrayait moins la faune qu'avant, se glissait plus furtivement et aisément entre les arbres.

Comme Tuk l'avait fait remarqué, il était désormais réellement un Na'vi, ayant adopté pas seulement leur apparence, mais aussi leur culture. Il parlait assez bien leur langue maintenant malgré son vocabulaire limité et son accent, il habitait avec eux, bien qu'un peu en marge du village, il chassait pour eux, mangeait la même nourriture qu'eux, vivait à leur rythme. Que restait-il de l'humain qu'il avait été toute sa vie? Que restait-il du soldat qui s'était battu pour son pays, son monde?

Ils décidèrent de rentrer lorsqu'ils entendirent les bruits d'une conversation qui semblait impliquer beaucoup de Na'vi en même temps. Quelque chose d'important devait s'être produit, en espérant qu'il s'agisse d'une bonne nouvelle.

— Partez devant, je vais remettre mes vêtements, dit Quaritch.

Les deux filles prirent donc de l'avance, mais Spider resta derrière. Cette fois Quaritch ne lui ordonna pas de se retourner. Il se changea en vitesse et le Monkey Boy, lui, grimpa agilement sur une branche basse d'un arbre tout près. Il avait le regard de quelqu'un qui avait une idée en tête.

— Qu'est-ce que tu fait? s'enquit le plus vieux.

— Viens par ici.

Il s'approcha jusqu'à être face à face avec le blond, à la même hauteur que lui. Celui-ci retira son masque avant de l'enlacer de ses deux bras autour de sa nuque et de l'attirer plus près. Il embrassa doucement sa joue puis ses lèvres. Le colonel eut un rictus satisfait, lui rendant son baiser un peu plus fougueusement tout en le plaquant contre le tronc rugueux de l'arbre.

— On devrait aller voir qu'est-ce qu'il s'est passé au village... C'est sûrement important.

— Ouais, on devrait, marmonna Spider, visiblement déçu que leur échange soit déjà terminé.

Vu sa mauvaise foi évidente, Quaritch le souleva sans peine et le lança comme un sac de patate sur son épaule.

— Hey! cria-t-il, indigné.

— Je vais te ramener.

— J'peux marcher!

— Mmh mmh.

Le regard de l'avatar dériva sur les jolies jambes qui pendaient sur son torse et il ressentit une profonde satisfaction.

Le village n'était pas loin. Ils y furent en quelques minutes à peine, mais commencèrent par espionner la grande assemblée de loin d'abord. Des Na'vi d'un autre clan Metkayina discutaient avec Tonowari et Ronal et une foule s'était rassemblée autour d'eux. Leur chef parla assez fort pour que tout le monde puisse entendre:

— Silence... silence! S'il-vous-plaît!

La voix de Tonowari se perdait dans le brouhaha ambiant et ne parvenait pas à faire taire les rumeurs parmi son peuple.

— SILENCE! asséna alors Ronal d'un ton aussi puissant qu'un coup de tonnerre.

Le résultat fut immédiat. Elle poursuivit:

— Nous avons des visiteurs comme vous avez pu le remarquer. Ils habitent près de chez nous et viennent en amis, en paix, demander une aide pour reconstruire leur village suite à un ouragan. Nous, le peuple des Metkayina, considérons l'hospitalité et l'entraide parmi nos valeurs.  Nous leur fournirons l'aide demandée avec fierté!

Un cri d'approbation s'éleva dans la foule.

— Est-ce qu'il y a des gens qui seraient volontaires pour aller leur porter main forte pendant quelques jours? demanda Tonowari.

Plusieurs Na'vi s'avancèrent, mais leur nombre demeurait assez restraint. La plupart d'entre eux ne souhaitaient pas, même pour une courte durée, quitter leur famille.

Soudain, une voix familière perça à travers les murmures qui avaient repris.

— Moi, je suis volontaire, déclara Quaritch, tout à fait sûr de lui.

Spider sursauta. Il ne s'y attendait pas du tout.

— Je suis volontaire, annonça ensuite Kiri.

Quoi?!

— Euh... Je suis volontaire aussi, cria-t-il, sans réfléchir.

— Moi aussi, ajouta également Lo'ak.

— Je suis volontaire, dit à son tour Tsireya.

Ils s'avancèrent de concert vers leur chef de clan. Tout s'était passé si vite: un moment personne ne voulait y aller et la seconde d'après cinq nouveaux volontaires se présentaient en même temps. Le colonel reçut son lot de regards méprisants et plusieurs lui crachèrent même au visage, mais il les ignora superbement. Il attrapa discrètement la petite main de Spider dans la sienne et la caressa de son pouce. Ce dernier rougit aussitôt sans pour autant retirer sa main.

— Merci pour votre initiative, dit Tonowari. Vous partirez demain matin.

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