Nouvelle liberté
Suite à cette fameuse journée, Kiri remarqua que plusieurs choses avaient changées. D'abord, Quaritch semblait plus timide, ce qui était assez étonnant étant donné son caractère habituel. Puis il insistait désormais pour pratiquer la langue Na'vi à tous les jours, avec un désir évident de s'améliorer. Il avait même demandé à la jeune fille de lui apprendre quelques expressions courantes du langage des signes qui leur permettait de communiquer sous l'eau. Cette soudaine motivation lui venait de son envie de plus en plus grande d'impressionner Spider. Comme Kiri lui avait suggéré, il voulait montrer au blond qu'il valait mieux que ce qu'il avait démontré jusqu'à présent.
Ce soir-là, quand le jeune homme vint rendre visite au plus vieux, il le trouva particulièrement stressé.
— On peut parler en Na'vi aujourd'hui? s'enquit-il dans la langue en question. Je voudrais me pratiquer.
Spider rigola. En général, il se moquait de l'accent de Quaritch pour l'énerver, mais visiblement ce dernier avait fait beaucoup d'efforts la semaine précédente pour s'améliorer.
— Tu pensais qu'après une semaine à pratiquer avec ma soeur tu perdrais ton accent?
— Mon but c'est pas de euh, de plus avoir d'accent, mais que les autres me comprennent. J'ai fait, euh, j'ai fait une liste des mots que j'voulais pratiquer...
Agréablement surpris, le garçon jeta un œil intéressé aux gribouillis plus ou moins lisibles sur la feuille.
— C'est quoi ce mot-là? T'as la calligraphie d'un enfant de cinq ans.
— Oh ça? Cheveux, je me demandais comment on disait ça en Na'vi. Par exemple si je veux complimenter quelqu'un sur ses cheveux.
— On dit nikre pour les cheveux, mais si tu veux parler de leur tresse c'est tswin. Par contre selon le contexte, ça peut aussi désigner leur queue.
— Txasunu nikre, lui dit-il alors. J'aime beaucoup tes cheveux.
— Tu prononces pas assez le « t » dans txasunu. Et tu dois ajouter ma à la fin, c'est l'équivalent du déterminant « tes », sinon c'est comme si tu disais juste « j'aime beaucoup cheveux ».
— Txasunu nikre ma.
Le blond lui fit répéter la phrase une bonne quinzaine de fois avant de juger que c'était à peu près correct. Quaritch lui demanda aussi de corriger sa prononciation sur certaines expressions de politesse fréquentes comme « pardonnez-moi », « comment puis-je vous aider » et « merci beaucoup ». Cependant, tandis que son interlocuteur s'était lancé dans une longue explication sur la façon dont l'avatar n'ouvrait pas assez la bouche pour prononcer tel son et ne faisait pas le bon mouvement avec sa langue pour tel mot, il perdit un peu le fil. En fait, c'était la première fois que Spider était aussi gentil avec lui et qu'il répondait avec autant d'enthousiasme à toutes ses questions, sans le juger. Ça changeait de leur soirée habituelle où il se contentait de l'écouter parler en se moquant parfois de lui, bien que sans réelle méchanceté.
— Hey!
Il venait de recevoir une baffe sur la tête.
— Tu m'écoutes même pas!
— Pardon pardon, j'étais distrait.
— Et comment tu dirais ça en Na'vi?
— Euh... Txoa, lahe'u fpil?
— Mmh, pas tout à fait. T'as inversé les deux mots: c'est fpil lahe'u.
Ils s'exercèrent encore un peu, puis Quaritch demanda si c'était possible d'oxygéner la salle dans laquelle ils se trouvaient afin que Spider puisse retirer son masque. Le fait que le plus jeune doive toujours porter un masque l'agaçait. Ce serait lui qui devrait en porter un puisqu'il n'avait pas besoin de respirer aussi souvent, surtout depuis qu'il s'entraînait à retenir son souffle plus longtemps.
Spider hésita un peu, puis accepta. Les seuls moments où il pouvait retirer son masque étaient lorsqu'il était chez lui (on lui avait construit une petite maison oxygénée) et lorsqu'il était dans les laboratoires humains, ce qui restait assez rare. Et l'idée que l'avatar veuille qu'il soit plus confortable en sa présence lui plaisait bien. Malgré tout, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il y avait un plan quelconque derrière cette simple suggestion.
Le jour suivant, il fit part de ses inquiétudes à Kiri qui, sans surprises, les balaya d'un geste désinvolte.
— Je peux venir vous surveiller ce soir si t'as peur qu'il tente quelque chose, lui proposa-t-elle.
— Non, j'ai une meilleure idée. On pense qu'il agit bien pour pouvoir me voir, donc si j'arrête d'aller lui tenir compagnie, il aura plus aucune raison d'être gentil et il va probablement essayer de s'enfuir.
— Mais il a bien travaillé aujourd'hui... on peut pas lui enlever ce qu'on a promis sans même l'avertir avant!
— On aura juste à trouver autre chose comme récompense si il continue de bien agir.
— Okay, mais vas-y pour ce soir. Tu l'avertiras que c'est la dernière fois.
Spider soupira, vaincu comme toujours par l'adorable petite moue de sa soeur (et non pas par son argument, loin d'être infaillible).
En entrant dans la pièce oxygénée, le jeune homme eut un drôle de pressentiment. Quaritch avait l'air vraiment bizarre. Il ne le salua pas et ne lui jeta même pas un regard. Pourtant, il l'avait entendu arriver, car ses oreilles avaient instinctivement pivoté vers le bruit de la porte.
— Qu'est-ce que t'as? s'inquiéta-t-il. T'es bizarre depuis hier, mais là c'est pire.
— Je me sens triste. Je sais pas, peut-être... non laisse faire.
Spider abandonna partiellement sa méfiance et alla s'installer sur le petit matelas de fortune près du plus vieux.
— Pourquoi t'es triste?
— Parce que.
— C'est pas une réponse ça.
— Kiri m'a dis l'autre jour que je venais juste de naître dans mon corps d'avatar. J'me rappelle parfaitement de ma vie d'avant, mais des fois j'me dis que j'suis peut-être encore comme un enfant pour certaines choses.
— Peut-être... mais tu m'as pas dis pourquoi t'es triste?
— Qu'est-ce que ça changerait si tu le savais?
— Pourquoi t'évites la question?
Quaritch laissa échapper un grognement de frustration, puis se cacha dans son masque pour respirer quelques secondes.
— Vous me gardez enfermé. Même si c'est pas toute la journée, c'est normal que j'me sente comme ça non?
— À partir de demain on peut arranger ça. Ça tombe bien en fait! On t'avais promis une « récompense » pour ton bon comportement, donc au lieu que je vienne te tenir compagnie dans ta petite cage, tu pourrais sortir dehors.
— On pourrait aller marcher le long de la plage?
— Tu pourrais aller marcher où tu veux, quand tu veux. On arrêterait de te surveiller!
Ils continueraient bien sûr à le surveiller de loin, pour éviter une mauvaise surprise. Cependant, Spider garda cette information pour lui.
L'avatar haussa un sourcil dubitatif.
— Vous allez vraiment risquer de me laisser sortir sans surveillance?
— Si ton comportement reste comme en ce moment, oui.
Le plus grand soupira; il n'avait pas du tout l'air content comme Spider s'y était attendu.
— C'est pas ça que tu voulais? Plus de libertés?
— Pas vraiment, honnêtement... je voulais faire des activités avec toi, que tu me montres tes endroits préférés... En fait, ça me dérange pas tant que ça que vous me surveilliez, c'est juste que j'ai l'impression que tu te forces à passer du temps avec moi... c'est plus ça qui me rend triste. Kiri m'a dit que tu m'aimais, mais moi je trouve ça dure à croire.
Surpris, le plus jeune ne savait pas trop quoi répondre. Devait-il rassurer Quaritch?
— Euhm... non, elle... elle a raison, marmonna-t-il les joues brûlantes.
— Pas besoin de me mentir, je vais pas me mettre à pleurer, ni à aller tuer des gens, ironisa l'avatar.
Spider ne mentait pas, cependant, il comprenait que l'autre ne le croyait pas.
— Peut-être euh, que ça te ferait du bien de pleurer justement? Tu te sentirais mieux après?
L'homme pouffa doucement, puis secoua la tête.
— C'est pas de pleurer que j'ai envie.
Il se pencha vers Spider et lui chuchota à l'oreille:
— C'est faire ça que j'ai envie.
Ses lèvres vinrent ensuite se presser brièvement au coin de sa bouche; pas en un réel baiser, juste un petit bisou pour lui montrer ce qu'il désirait. La respiration du plus jeune s'accéléra tandis qu'il prenait conscience de ce que Quaritch venait de lui avouer par ce simple geste. Ça lui paraissait à la fois totalement inattendu et d'une évidence indéniable. Inattendu, car il détestait le colonel pour ce qu'il avait fait aux Na'vis, aux Tulkuns, à Jake, à Kiri... Pourtant c'était évident quand il pensait à leur récente proximité et au comportement de l'avatar envers lui.
Et Spider en avait envie aussi. Pourtant, il se sentait un peu mal; cet homme avait commis des actes immondes.
— Promets-moi quelque chose, murmura-t-il soudainement.
— Mmh?
— Promets-moi de faire tout ce que tu peux pour réparer tes erreurs, ordonna-t-il.
— D'accord, promis.
Le plus grand lui sourit sincèrement et osa prendre sa main dans la sienne. Il trouvait les doigts humains terriblement petits maintenant qu'il avait le corps d'un Na'vi et ça éveillait un instinct protecteur en lui dont il ignorait l'existence. Ce garçon était bien plus fragile qu'il ne le laissait paraître et il voulait le protéger.
Spider leva alors timidement son regard vers lui, avant de le détourner aussitôt et Quaritch fut incapable de résister une seule seconde de plus. Il attrapa sa nuque avec douceur et se pencha pour l'embrasser, véritablement cette fois-ci, emboîtant parfaitement leurs deux paires de lèvres ensemble. Le blond gémit légèrement en s'agrippant aux épaules de l'avatar. C'était son tout premier baiser et il était divin — ni trop chaste, ni trop empressé. Il fondit dans les bras du plus vieux, jusqu'à ce que celui-ci ne le soulève pour l'installer à califourchon sur ses cuisses. Spider rougit brusquement et se mit à protester:
— On devrait pas faire ça... chuchota-t-il, embarrassé.
— On fait rien de mal, contra Quaritch. On fait juste s'embrasser.
L'avatar posa un doux baiser sur son front puis glissa son nez dans son cou pour le chatouiller. Tenir le garçon dans ses bras était aussi enivrant qu'inespéré. Il s'éloigna un instant pour mettre son masque et Spider en profita pour bondir à un bon mètre de distance.
— Il commence à être tard, balbutia-t-il, ayant trouvé cette excuse bancale pour partir. Je devrais rentrer.
— Attends, reste encore un peu!
— Je suis fatigué, improvisa le blond. Et tu devrais être content qu'on te laisse enfin plus de libertés, ça fait presque deux mois que t'es enfermé ici.
Même s'ils le laissaient toujours sortir pendant la journée, il demeurait un prisonnier de guerre en quelque sorte et passait plusieurs heures par jour cloîtré dans sa petite chambre.
— Tu vas pouvoir aller partout où tu veux à partir de demain, insista le plus jeune pour qu'il prenne conscience de sa chance.
Quaritch prit un air malicieux.
— Parfait. Je vais me débrouiller pour être à la même place que toi alors.
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