Bénévolat

Spider s'était débarrassé du haut d'uniforme de Quaritch. Il l'avait découpé en morceau et s'en servait désormais comme torchon pour nettoyer la vaisselle; c'était extrêmement pratique. Cependant, le plus vieux n'aimait pas du tout cette idée qu'il avait eue: il se plaignait qu'il n'avait plus rien à mettre et qu'il ne se sentait pas à l'aise comme ça. Pas affecté pour un sou, le blond s'était contenté d'hocher la tête à répétition.

— Arrête de te plaindre et termine de préparer tes affaires. On part tôt demain.

— J'ai déjà terminé... j'ai presque rien à moi à apporter de toute façon.

Pendant qu'il râlait, le plus petit terminait de mettre leur repas du lendemain ainsi que quelques collations dans une boîte qu'il alla ensuite porter dans la rivière pour garder les aliments frais. Lui non plus ne possédait pas grand chose, mais il ne s'apitoyait pas sans cesse sur sa triste condition. De toute façon, les possessions matérielles n'étaient rien face aux relations sociales: c'étaient ces dernières qui donnaient à la vie sa plus grande valeur.

— J'veux un dédommagement, poursuivit le colonel. Pour mon uniforme que t'as sauvagement saccagé.

Spider leva les yeux au ciel. Il se laissa néanmoins tomber aux côtés de Quaritch sur leur natte et colla sa bouche contre la sienne, assez longtemps pour être à bout de souffle. Les joues rouges, il demanda:

— Satisfait?

— Non.

Le plus vieux l'agrippa pas les hanches et l'allongea sous lui avant de l'entraîner dans un second baiser, plus décadent encore. Le blond lui rendit toute la force de son étreinte sans jamais le repousser ou lui reprocher sa fougue soudaine.

En vérité, cette histoire de bénévolat lui faisait un peu peur. Il craignait que les Na'vi de l'autre clan ne reconnaissent Quaritch et ne tentent de lui faire du mal. Il craignait aussi qu'ils s'en prennent à lui, un humain, un démon. Il n'y aurait probablement que son frère, sa sœur et possiblement Tsireya pour le défendre; les autres s'en fichaient bien.

La matin vint vite cependant, et avant même d'avoir entreprit le voyage, il se sentait déjà courbaturé. Tous les volontaires s'étaient réunis sur la plage, car ils feraient le trajets en ilu. Du coin de l'œil, il avait remarqué que l'avatar à sa droite ne semblait pas ravi, ce qui était compréhensible puisque les ilus ne l'aimaient pas beaucoup. Ils convinrent donc que Lo'ak chevaucherait avec Quaritch et Kiri avec Spider. Ce dernier avait bien tenté d'inverser les « équipes », par peur que son frère ne décide d'assassiner le colonel en chemin, mais ils avaient refusé, car l'ilu de Kiri était plus petit et aurait moins bien supporté le poids d'un adulte en plus. Bien sûr, son propre poids était considéré dérisoire. Agacé, il fit la moue jusqu'à ce que Kiri ne lui fasse une pichenette sur le nez et ne l'amène en souriant vers son ilu.

Tuk les rejoignit pas longtemps avant le départ. Elle avait croisé ses bras sur sa poitrine et affichait un air hautain.

— Vous partez encoooore à l'aventure sans moi!

— On va revenir vite, la rassura Kiri, avec plein d'histoires à te raconter.

Elle et Spider enlacèrent leur jeune sœur puis ils montèrent en selle. Le plus petit se plaça à l'avant afin de ne pas se faire emporter par le courant et Kiri se plaça derrière lui, les sécurisant tout deux ensemble grâce à une corde. S'ils lâchaient prise durant le trajet, par accident ou par sécurité, ils ne se perdraient pas l'un l'autre.

Lorsque tous et toutes furent en selle, on annonça l'ordre du départ. Les ilus partirent comme des fusées et le seul humain du groupe était bien content d'avoir son masque, car ils restaient un bon moment sous l'eau avant de remonter à la surface. Une pause avait également été prévue à la moitié du trajet pour ne pas se retrouver trop ankylosé et courbaturé.

Malgré tout, l'expérience du voyage leur permit d'admirer la beauté époustouflante des fonds marins. Les plus petits poissons, marbrés de jaune doré et de noir, semblèrent particulièrement attirés par Kiri et nagèrent en bancs lumineux tout autour d'eux. L'un se glissa même contre le flanc de Spider qui frissonna sous son toucher écailleux. Kiri tendit la main pour les effleurer, mais lui avait trop peur de tomber s'il lâchait sa poigne de fer sur les rênes.

Ils sont magnifiques, lui dit sa sœur en langue des signes.

Il ne put qu'hocher la tête, pas encore très à l'aise dans ce langage.

Par la suite, ils traversèrent une forêt d'algues très chatouilleuses dans laquelle habitaient plusieurs animaux à carapace. Ils croisèrent des nalutsa qui les saluèrent de leur cri mélodieux ainsi qu'une bande d'ilus sauvages. Le tout défilait à une telle vitesse qu'il était difficile de tout voir, de ne pas se perdre dans cet amalgame de bleus et de reflets aveuglants.

Les pensées de Spider voltigèrent d'un sujet à l'autre, s'arrêtant tantôt sur la chance qu'il avait de profiter de la beauté d'un tel monde en sachant que la plupart des autres humains habitaient une planète mourante, tantôt sur Quaritch un peu plus loin qui semblait étonnement serein ou encore sur Kiri qui attirait tous les poissons à eux comme un aimant. Lorsqu'il fut l'heure de leur pause bien méritée, le jeune homme s'allongea à l'ombre d'un palmier et observa le ciel dépourvu de nuages ce jour-là. Le voyage était plus épuisant qu'il n'en avait l'air.

Leur destination se profila à l'horizon peu avant midi. C'était une chance d'avoir pu voyager sous l'eau, car le soleil plombait sur eux sans interruption et malgré l'habitude, Spider n'était pas immunisé contre les coups de soleil s'il restait trop longtemps sans protection. Les Na'vi du village les accueillirent comme des héros, mais sans surprise, se raidirent de méfiance à la vue d'un humain parmi leur groupe. Pour les rassurer, Spider se mit à les saluer dans leur langue et son absence d'accent parut les mettre un peu plus à l'aise. Quaritch, pour sa part, se retint de parler, se contentant de montrer son respect par des gestes et sourires polis.

— Au nom d'Eywa et de tout mon clan, je vous remercie pour votre aide, leur dit la Tsaìk, l'air profondément reconnaissante.

— Nous le faisons avec plaisir, répondit Kiri, le plus sincèrement du monde.

Les travaux que nécessitait le village étaient nombreux. Presque tous les marui avaient été détruits ou grandement endommagés. Les réserves de nourriture s'amenuisaient, car ils avaient été trop occupés par la reconstruction et la pêche était devenue secondaire. Selon les talents de chacun, on leur attribua différentes tâches. Lo'ak et Tsireya, se virent attribuer la pêche; Quaritch, vu sa taille, fut plutôt assigné à la construction et au déplacement de matériaux lourds; et finalement, Kiri et Spider durent s'occuper de soigner les blessés. Personne n'osa s'enquérir de l'endroit où ils allaient passer la nuit, car tous se doutaient plus ou moins qu'ils dormiraient à la belle étoile.

Dans la tente qui avait été aménagée pour abriter les blessés, Spider pouvait apercevoir Quaritch au loin qui transportait d'imposants piliers de bois sous le soleil brûlant. Il se sentit soulagé de n'avoir qu'à assister Kiri dans son travail. Ses tâches consistaient à préparer des remèdes, des cataplasmes, ou à attacher des écharpes pour ceux et celles qui s'étaient cassés un bras ou un poignet; rien de particulièrement difficile ou qu'il n'avait jamais fait. En plus, il était à l'abri des rayons ardents.

L'après-midi défila sans qu'il ne voit le temps passer. Quand la nuit s'installa, ils mangèrent un repas simple de poisson et se couchèrent épuisés. Spider ne put qu'échanger un bref regard avec Quaritch avant de s'endormir serré contre Kiri, bercé par sa respiration profonde.

༺༺༺

Trois jours plus tard, la plupart des blessés étaient déjà presque guéris et les autres avaient été traités, se reposant désormais jusqu'à ce que leurs corps récupèrent. Ce matin-là, Kiri et Spider avaient été autorisés à faire la grasse matinée un peu plus longtemps. Ce fut Quaritch qui vint les réveiller brusquement avec un sourire si large que pendant un instant, il était méconnaissable, comme une version alternative de lui-même. Radieux de bonheur, il leur annonça sans plus tarder ce qui le bouleversait tant:

— Spider, Kiri, vois devinerez jamais quoi! s'écria-t-il et il n'attendit pas leur réponse. Il y a des ikran, ici! Je viens de les voir, il y en a plein.

— Tu penses que ton ikran est avec eux? s'étonna la jeune fille.

Il se rembrunit pendant un court instant seulement.

— Je pense pas... mais je pourrais me lier avec un autre!

— Tu veux qu'on vienne avec toi? demanda Spider.

Le colonel hocha vigoureusement de la tête, ne perdant jamais son air émerveillé.

À dos d'ilu, ils se rendirent sur la petite île au large où le groupe d'ikran avaient élus domicile pour se reposer. Ils étaient une trentaine au moins et croassèrent légèrement à leur arrivée, probablement agacés d'être dérangés dans leur sieste paisible.

Quaritch tenta plusieurs fois de se lier avec l'un d'entre eux, mais aucun ne fut coopératif et ils finirent par prendre leur envol.

Ils ne revinrent pas le lendemain ni le jour suivant. Le sourire de l'avatar s'était évaporé en même temps qu'eux. Spider ne savait pas comment le consoler; à la nuit tombée, il se blottit contre le plus vieux et lui caressa tendrement la taille jusqu'à ce qu'il ne plonge dans le sommeil.

Les bénévoles avaient énormément aidé le village et ils décidèrent d'un commun accord de repartir dans deux jours. Ce soir-là, Quaritch n'était nulle part en vue. Spider était terriblement inquiet, mais Kiri lui indiqua qu'il reviendrait sûrement bientôt. Lo'ak lui assura un peu plus tard qu'il l'avait aperçu se rendre sur l'île où les ikran étaient allés. Il poussa un profond soupir.

Le lendemain, il n'était toujours pas revenu.

— Il doit être coincé sur l'île! paniqua Spider. Il faut aller le chercher.

Lo'ak l'accompagna jusqu'au petit amas de roches à quelques kilomètres du rivage, mais l'endroit était désert. Le blond éclata en sanglots.

— Qu'est-ce qui est arrivé à l'ilu qui l'a amené? demanda Kiri lorsqu'ils furent de retour.

— Aucune idée, il a disparu aussi, répondit son plus jeune frère.

— Mais qu'est-ce qu'on fait?

L'ilu en question revint au village quelques heures plus tard, seul. Spider était à deux doigts de la crise de nerds. Sa sœur le força à avaler une tisane calmante.

— Paniquer n'aide personne, lui avait-elle dit sévèrement avant de le congédier.

La tisane ne l'avait que peu apaisé. Il n'arrêtait pas de se demander si Quaritch était mort, s'il avait perdu le contrôle de son ilu et s'était perdu quelque part. Une petite part de lui se disait qu'il avait survécu à bien pire pour mourir aussi stupidement.

À l'aube, le jour du départ, ils virent des ikran traverser le ciel pluvieux et aller s'installer sur la même île que la fois précédente. Cependant, aucun d'eux ne transportait un homme sur leur dos.

Spider essaya de convaincre Lo'ak et même Kiri de partir à la recherche de l'avatar, mais ils refusèrent, arguant que c'était inutile, car ils n'avaient pas la moindre idée d'où il avait pu aller. Ils eurent la décence de ne pas mentionner qu'il s'était peut-être fait dévorer par un énorme poisson.

À la surprise générale, Tsireya se proposa pour partir à sa recherche.

— Je comprends que les chances de le retrouver sont faibles et que vous ne l'aimez peut-être pas tant que ça, mais il faut au moins essayer.

— Mais on part dans quelques heures à peine, balbutia Lo'ak.

— Je connais le chemin, je vous retrouverai demain... avec ou sans Quaritch.

— C'est dangereux de partir comme ça toute seule, l'avertit Kiri.

Elle baissa la tête face au regard déterminé de son amie avant de la relever en fronçant les sourcils.

— Okay, je viens avec toi alors. Et toi Lo'ak, tu veilles sur Spider.

— Je suis pas un enfant, se plaignit ce dernier, agacé. Je suis plus vieux que vous au cas où vous auriez oublié.

— Peut-être, mais t'as besoin de support émotionnel.

Il faillit protester encore, mais abandonna d'avance, sachant que ça ne servirait à rien.

— Faites attention, dit-il simplement.

Elles hochèrent la tête et Tsireya proposa à Kiri de monter à dos de skimwing ensemble, puisqu'ils étaient nettement plus grands et plus rapides. Celle-ci hésita une poignée de secondes, les yeux écarquillés, puis accepta.

Elle n'avait jamais fait ça et avait peur d'être un poids mort pour Tsireya qui maîtrisait presque parfaitement la technique. Cependant, l'heure n'était pas aux questionnements.

La jeune Omatikaya s'agrippa du plus fort qu'elle le put à la taille de son amie et elles s'attachèrent également ensemble, par sécurité. Kiri envoya une dernière fois la main en direction de ses deux frères, puis l'animal déploya ses larges ailes d'un coup.

Elle poussa un cri lorsqu'il plongea brusquement sous l'eau, mais se rappela une seconde avant qu'il ne soit trop tard de fermer la bouche et de retenir sa respiration. La vitesse était si rapide qu'elle se demanda furtivement comment Tsireya faisait pour non seulement garder les idées claires, mais également diriger leur monture.

Malgré l'importance de la situation, un sourire se fraya un chemin sur les lèvres de Kiri. Son cœur battait comme un fou et l'adrénaline acheva de rendre cette nouvelle aventure encore plus excitante.

༺༺༺

— Qu'est-ce qu'elle fait? demanda Spider, intrigué.

— Aucune idée, répondit Lo'ak. Il faudrait demander à quelqu'un qui habite ici.

Pour les remercier de leur aide précieuse, la tribu Metkayina avait envoyé une des leurs chercher un présent bien particulier. La Tsaìk leur avait expliqué qu'il s'agissait d'une denrée rare, difficile d'accès et très appréciée de leur clan. La Na'vi qui devait aller en chercher s'était vêtue de la tête aux pieds d'un épais tissu qui ne laissait que ses yeux dévoilés.

Agile et vive comme l'éclair, elle avait escaladé un grand arbre jusqu'à une petite cavité située sous une branche qui grouillait d'insectes bourdonnants. À la distance où ils se trouvaient, les autres ne purent pas vraiment apercevoir ce que la femme faisait, mais elle revint avec un bol de rempli d'un épais liquide ambré.

— Servez-vous, leur dit-elle. C'est du miel; ça a un goût très sucré.

Lorsque ce fut son tour d'en prendre, Spider goûta d'abord timidement la cuillère du bout de la langue, puis quand l'arôme affriolante se répandit dans sa bouche, il s'empressa de tout avaler, n'ayant jamais rien mangé d'aussi divinement sucré. Il se lécha les lèvres jusqu'à ce qu'elles ne soient plus collantes et repensa à Quaritch. Son expression vacilla, une larme menaçant de couler et Lo'ak l'attira à lui dans une étreinte serrée.

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