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Aux yeux de tous les habitants de Skylock, je suis la gothique de la petite ville du Michigan, la fille stupide qui pense ouvertement que s'habiller en noir donne un style à la mode. Et je ne fais que les citer ! Alors que j'aime tout simplement les vêtements que je porte. D'ailleurs une fois, j'ai eu le droit à une question qui m'a vraiment fait rire : "Avez-vous déjà fait des sacrifices ?" Par ma vieille voisine de soixante-dix ans que je dois saluer tous les matins pour paraître gentille. Je n'ai pas vraiment l'impression que ça fonctionne.
Aujourd'hui, j'ai décidé de profiter de ce – rare et – grand soleil d'hiver pour porter ma nouvelle robe noire. Elle possède une grande toile d'araignée sur la hanche. J'adore cette tenue avec des bottines noires ; à talons. Je prends néanmoins ma veste molletonnée parce qu'il faut toujours se méfier du beau temps en cette saison.
Le bus passe avec dix minutes de retard. Je ne me plaindrais pas, j'ai un peu l'habitude de traîner comme un boulet cette inévitable malédiction de la fille maladroite, par excellence. Heureusement pour moi, ma professeur de biologie appliquée m'a quand même accepté en cours malgré mon retard. Ce matin, elle a attaché ses cheveux en tresses, cela fait ressortir ses reflets blonds vénitiens. Je l'aime bien, contrairement à mon paresseux professeur de mathématique qui nous prend les cours sur internet et nous les distribue sans nous les expliquer. C'est un mauvais enseignant, d'après moi, mais il paraît que ça paye bien.
J'arrive à mon casier les mains pleines de manuels très lourds à ranger. Mes bras ne tarderont pas à lâcher si je ne me dépêche pas de trouver mes clés dans mon sac. Voilà que mes cheveux décident de me gêner les yeux. J'essaie de les repousser en soufflant sur mes mèches rebelles comme une idiote et ne capte que trop tard mes livres s'éparpiller sur le sol. Comme par hasard !
Je me baisse pour les récupérer, lorsqu'un élève me bouscule. Mon front frappe la porte métallique et me voici avec une jolie bosse... Par chance, mon meilleur ami Léon Tyler arrive à ma rescousse.
— Salut Jo' ! Attends, je vais t'aider, dit-il en attrapant mes livres.
Je me relève en suivant ses mouvements et lui souris, sans cesser de frotter ma blessure.
— Merci, Léon.
— Pas de quoi.
Il me rend mon sourire.
— Encore une journée poisseuse, soupiré-je en récupérant mes livres.
— Ah bon ? Tu n'as pas reçu l'invitation du bal dont toute la ville parle ?! réplique t-il en imitant des gestes théâtrales. Toi, la fille le plus curieuse que je connaisse, j'aurais pensé que tu m'en aurais parlé la première.
— Comment ça ? Quelle invitation ?
Je devine que ma mère a dû la recevoir et me la cacher. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle sait que je haïs les bals de petite princesse bourgeoise et qu'en plus, y être invitée est inimaginable pour moi. Ça ne doit pas être des gens du coin, sinon ils ne m'auraient jamais invité, ou alors dans le seul but de m'humilier. Louche, beaucoup trop louche.
Je soupire pour la deuxième fois, ferme mon casier en claquant violemment la porte métallique et je commence à entamer le chemin du couloir. J'entre dans la fosse - comme je l'appelle - suivie par Léon qui presse mon pas en essayant de se faufiler dans la masse volumineuse d'élèves.
— Une nouvelle famille a débarqué au manoir ce matin. Tu sais, celui au sommet de la colline, derrière le cimetière ? Eh bien, ils ont invité toutes les personnes influentes de la ville à leur grande crémaillère. Ça m'étonne que tu n'ai rien reçu puisque ta mère est secrétaire adjointe du maire.
— Bah, pourquoi inviter une régénérât comme moi ? j'ironise. De toute façon, c'est sûrement un bal avec des gens friqués, bien habillés qui parlent de la pluie et du beau temps. Qui plus est, dans un grand et flippant manoir. En plus, qui fait encore des bals pour ça de nos jours ?
Il ne répond rien puisque j'arrive aux escaliers qui mènent à ma salle de cours. Je grimpe les deux premières marches et me retourne vers mon ami avant de partir.
— Tu devrais inviter Cathy si tu y vas, lui suggérais-je.
Cathy est notre amie d'enfance, elle ne traîne malheureusement plus avec nous car dès la première année de lycée, elle s'est faite attraper par l'effet de groupe. Nous sommes toujours en très bons termes et je l'aime beaucoup, mais Léon et elle sont beaucoup plus proches. Je soupçonne même plus que de l'amitié.
Il me fait une moue compréhensive avant de me saluer et de partir à mon opposé.
Skylock n'est pas une grande ville et n'a pas non plus une grande répartie. Voilà pourquoi les ragots se font vite savoir par toute la population, et que, c'est encore plus frappant quand une riche famille inconnue débarque en ville. Surtout quand elle décide d'inviter la cinquantaine d'habitants infnuents de Skylock.
Ça me rappelle que, souvent, je suis lasse d'entendre des choses que tous les autres trouvent fantastique et que moi, je n'y trouve aucun intérêt. L'Iphone numéro je ne sais plus combien, par exemple. Parfois, je me demande vraiment si je ne suis pas venue d'une autre planète. Le seul point commun que je pourrais me trouver avec les autres filles de mon âge, c'est ma complexité due à mon poids. Je ne peux me supporter devant un miroir, et encore moins nue. Il faut s'accepter blabla, mais croyez moi ce n'est pas aussi facile.
J'arrive devant ma salle de classe, tout le monde est déjà là et attend notre professeur. Je m'adosse contre le mur, croisant mes bras contre ma poitrine.
Soudain, je l'entends. Cette mélodie.
Mon esprit est de nouveau projeté dans ce cocon étrange, remplie de couleurs à la fois sombres et vives. Une galaxie où il y fait froid et l'atmosphère est triste, mais pourtant je m'y sens à ma place. J'ai la forte impression que cette musique m'attire comme si j'étais destinée à l'entendre, comme si elle avait été créée et réalisée pour moi. Je comprends cette mélodie, j'en comprends chaque sons. C'est comme une évidence pour moi. J'ai beau tourner la tête dans tous les sens et regarder partout autour de moi ; je ne vois rien. Rien du tout, et cela me provoque une telle frustration.
Incroyable. Voilà le seul mot qui me vient à l'esprit.
Quand j'observe le visage des autres élèves, ils n'ont pas l'air de la distinguer, ils sont trop occupés avec leur smartphone sans doute. La sonnerie retentit et cette merveilleuse mélodie disparaît. Mon cœur est comme arraché de ma poitrine et jeté dans un vide sans fin.
Quant à mes pensées, elles sont embrouillés et silencieuses, ne comprenant absolument pas le pourquoi du comment. J'ai énormément de mal à respirer et mon souffle tremble, ainsi que tout le reste de mon corps. Je suis parcourue de frissons, et incapable de bouger. Ai-je rêvé ? Suis-je la seule à pouvoir l'entendre ? Je ne sais pas, mais j'ai envie de la réécouter.
— Allô ! La Terre, Houston appelle la Terre ! s'écrie subitement mon professeur de Lettre.
Je reviens à la réalité encore abasourdie, et découvre que je suis seule dans le couloir. Je me précipite au fond de la classe, les yeux cloués au sol. En m'asseyant, je sens les regards désobligeants des autres élèves ainsi que leurs murmures. Je les ignores comme à mon habitude et sors mes affaires de littérature en essayant de me concentrer sur le cours. Bien sûr, il m'est impossible d'oublier ce son si fragile qui m'a fait tombée amoureuse. J'espère découvrir qui se cache derrière.
— Ouvrez votre livre à la page cent vingt trois et commencez à lire le texte.
C'est bien ce que je disais, une journée poisseuse. J'ai eu une mauvaise note en math-nat et Léon m'a planté à la cantine pour aller inviter Cathy. Je sais que c'était une de mes idées, mais manger seule n'a jamais été mon truc préféré. Heureusement que nous sommes mardi, je n'aurais pas tenu le coup plus longtemps pour aller le voir. Il est le seul à me comprendre, à ne pas me juger ni me critiquer, après Léon et ma mère. En fait, il ne fait que m'écouter mais ça m'apaise et j'adore passer du temps avec lui. D'habitude, je lui apporte des fleurs ou des bougies. J'ai donc choisi des jonquilles, aujourd'hui.
Ce cimetière ne m'a jamais effrayé, j'ai toujours trouvé que c'était un lieu inspirant et reposant. Un mauvais jeu de mot, je l'avoue. Alors que ma journée ne peut se terminer sans quelque chose pour me pourrir encore plus l'existence, mon talon craque et je m'étale sur le sol poussiéreux. Avez-vous déjà entendu un éléphant tomber ? Eh bien c'est à peu près la même chose. Espérons que les nouveaux voisins n'appellent pas les flics pour tapage nocturne, ce serait le comble.
Je me relève avec difficulté et retire mes chaussures aussi chiquement que le ferait un singe. Lorsque je commence à me diriger vers la tombe, je sens des picotements au niveau du genou et découvre avec surprise en écartant le trou de mon collant que je saigne. Quelques gouttes de sang tombent sur la terre ferme. Je prends l'initiative de déchirer un morceau de mon bas - déjà mort depuis quelques minutes - et l'attache autour de ma blessure. Une sorte de bandage à la MacGyver quoi !
Puis, je reprends mon chemin en boitant légèrement. Une fois arrivée en face, je m'assoie et dépose les jonquilles au pied de la pierre froide.
Andrew Brenton - 12/03/2004 - La vie est courte, vivons le présent.
— Salut, papa.
Tous les mardis je lui rends visite, il me manque et j'aime lui raconter mes semaines. Parler aux morts n'est pas une chose bête ou puérile, ce n'est pas non plus que l'on accepte pas la réalité. C'est plutôt que l'on veut faire persister son existence dans nos cœurs au lieu de l'oublier à tout jamais. C'est ma façon de penser, en tout cas. Même si j'avoue qu'au fond, je sais que ça ne le ramènera pas.
— Comment vas-tu ? Question bête... hum... Moi ça va. Enfin, mes semaines se ressemblent toutes ces temps-ci... je suppose. J'ai eu une mauvaise note en math-nat, un D, et le professeur de sport était absent donc ça m'a remonté le moral, ha, ha ! Aussi maman va bien. Tu nous manques, mais ça tu le sais déjà puisque je te le répète chaque semaines depuis maintenant cinq ans.
Depuis qu'il est parti, je me suis promis de ne plus jamais pleurer, et j'ai tenu ma promesse. Je n'ai plus versé une larme depuis treize ans. Être forte pour lui, c'est un peu mon but dans la vie car j'ai toujours la forte impression qu'il me surveille de là-haut. Ça me réchauffe le cœur de le savoir prêt de moi, voilà pourquoi je ne pense pas qu'un cimetière soit un lieu sombre et froid, au contraire rempli de chaleur. Enfin, ça dépend aussi des gens qui viennent ici.
— J'ai aussi oublié de te dire ! poursuivi-je. Il y a une nouvelle famille de riches qui a débarqué à Skylock, et devine quoi ? Ils ont invité uniquement les personnes influentes à leur bal de crémaillère. Si je suis invitée je n'irais pas, mais je laisserais maman y aller pour qu'elle s'amuse un peu. Elle ne sort pas souvent ces temps-ci. Bon, il faut avouer qu'il ne fait pas chaud ! Mais, ses comptes l'occupent presque tout le temps. J'aimerais pouvoir l'aider mais je n'y connais rien...
Un bruit de buisson inattendu me fait sursauter. Je me retourne et observe attentivement le moindre mouvement suspect, une boule au ventre. Pas que je sois une trouillarde, mais je n'ai pas non plus envie qu'on m'observe. En plus, c'est un crime.
Le vent se lève et ébouriffe mes cheveux. Tout ce que je vois ce sont des buissons qui flottent comme des vagues sur une mer déchaînée, et les branches des arbres qui dansent au gré du vent glacial d'hiver. Je sors mon téléphone portable de ma poche de veste et regarde l'heure: 22h34. Je devrais peut-être rentrer, demain à huit heures du matin je commence avec des travaux pratiques en chimie.
— Désolé, papa. Je vais devoir te laisser, il se fait tard. Passes une bonne semaine et je te dis à mardi prochain. Je t'aime, lui dis-je en souriant.
Je me relève et remarque que je suis pieds nus et que je ne vais pas pouvoir marcher comme ça jusqu'à chez moi. J'envoie alors un SMS à ma mère pour qu'elle vienne me chercher.
Une main se pose sur mon épaule, je sursaute et me retourne violemment en hurlant de toutes mes forces.
— Du calme, du calme ! Je ne vais rien te faire ! s'exclame l'inconnu avec un ton de tueur en série.
L'homme, pas beaucoup plus vieux que moi, se baisse et me donne mes chaussures tombées lors de mon sursaut. Son regard si glaciale m'effraie, je n'ai qu'une envie : courir loin, très loin. Pourtant quelque chose m'attire en lui, ou plutôt attire ma curiosité. Je ne sais pas si c'est son beau visage ou la lueur étrange dans ses yeux. Il a des petites bouclettes rousses coupées court, ses yeux sont bruns. Lorsqu'il tourne la tête sur le coté en grattant sa barbe de trois jours, je remarque que sa mâchoire carrée est très prononcée.
Je le trouve assez séduisant pour un possible tueur en série... Malgré mes efforts, je n'arrive pas à respirer normalement, mon souffle est trop rapide parce qu'il me fait peur autant qu'il me fascine ; et je suis aussi pétrifiée par le froid sous mes pieds.
— Tu t'es perdue ? me demande t-il.
— Non... En fait j'étais venue rendre visite à quelqu'un mais...
Je ne sais pas du tout quoi dire. Il me fixe étrangement et je me mets à m'imaginer pleins de scénarios possible dans la tête, ce qui n'arrange pas mon angoisse. Il met ses mains dans ses poches de jeans et me sourit de ses longues dents. Si je n'avais pas été aussi hypnotisée – oui, c'est le bon mot – par ce gars, j'aurais pu me demander si ce n'était pas un des nouveaux arrivants.
— Moi c'est Josh ! s'annonce t-il pour briser le silence.
— Et... euh moi c'est-
— Brenton, c'est ça ?
Ma peur se redouble en un instant. Comment peut-il le savoir ? Sauvée par le gong, un bruit de moteur résonne derrière moi. Je coupe rapidement court à la discussion sans cacher mon euphorie.
— Oui, oui ! C'est ça ! Désolée mais ma mère arrive donc je vais y aller. Au revoir ! dis-je en m'éloignant à pas rapide.
— Attends ! Tu saignes, non ?
Je m'arrête subitement au milieu du chemin de terre, à quelques mètres de lui. J'ai pourtant mon bandage, comment a t-il su que je saignais ? C'est peut-être lui qui m'a espionné tout à l'heure. C'est même certain, autrement, comment aurait-il pu savoir mon nom ? Il l'a sûrement comparé avec celui de la tombe. Ou alors, je me fais réellement des films.
Ma main se met à trembler tandis que je réfléchis à la façon de m'enfuir vite. Mon cœur bat à nouveau la chamade et mon corps tout entier frissonne. Une rafale de vent vient claquer mes joues et fait voltiger mes cheveux dans les airs. Le son du klaxon de la Citroën de ma mère retend.
Soulagée, je pars en courant dans sa direction, sans faire attention à mes pieds qui souffrent contre les petits cailloux. J'ouvre la portière à la volet, et la referme en la claquant fort.
— Dépêche-toi, y a un gars bizarre derrière moi ! crié-je à ma mère qui me regarde comme si j'étais une inconnue.
— Mais de quoi tu parles ? Il n'y a personne.
Je me retourne et effectivement, il n'y a personne. Le chemin est sombre et brumeux, mais il n'y a aucune autre silhouette que celles des arbres dessinés dans l'ombre de la nuit. Il a disparu.
Merci d'avoir lu ce chapitre ♡
À très vite pour le suivant !
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