Le temps n'effaçait rien. Il faisait uniquement creuser les écarts, renforcer les doutes et façonner les destinées.

Cela faisait maintenant plusieurs mois que la bataille avait eu lieu. Le monde changeait. Wei Wuxian était devenu un paria.

Accusé d'avoir utilisé la Cultivation Démoniaque, rejeté par les siens, il avait été exilé vers les terres fertiles de Yiling, où il s'enfonçait dans une voie que personne ne comprenait encore. Certains disaient qu'il avait trahi son clan. D'autres murmuraient qu'il avait simplement été trahi par eux.

Yuri, elle, ne comprenait pas. Elle n'avait jamais douté de lui, mais chaque jour qui passait l'éloignait un peu plus de son seul repère dans ce monde.

Depuis cette nuit fatidique, Yuri avait été placée sous la protection directe de Lan Xichen. Il ne la surveillait pas comme une menace. Il cherchait à la comprendre. À lui faire comprendre les émotions humaines.

— Tu es intelligente, Yuri. Tu peux apprendre à décrypter les gens, mais ce n'est pas suffisant.

— Pourquoi ? demandait-elle toujours.

— Parce que comprendre n'est pas ressentir.

Elle ne répondait jamais à cela. Elle était incapable de dire ce que cela signifiait vraiment. Mais elle écoutait. Si Lan Xichen lui accordait sa patience, ce n'était pas le cas de Jiang Cheng.

Depuis le départ de Wei Wuxian, une fracture invisible s'était creusée entre eux. Là où il voyait en elle une sœur autrefois, il voyait maintenant un mystère qu'il ne pouvait plus ignorer.

— Je ne te comprends pas, Yuri, lui avait-il dit un jour, les bras croisés, le regard dur.

— C'est normal. Moi non plus.

Il avait détesté cette réponse. Il avait détesté l'idée même que quelqu'un puisse vivre sans ressentir. Sans peur. Sans tristesse. Sans amour. Et pourtant... il l'aimait toujours comme une sœur. C'était bien là le problème.

Lan Wangji, lui, avait pris une autre approche. Il ne lui posait pas de questions. Il ne tentait pas de la comprendre. Mais il observait. Il voyait ce qu'elle ne percevait pas elle-même. Il voyait son absence d'émotions, ce vide silencieux qui faisait d'elle une énigme. Mais il voyait aussi autre chose. Quelque chose qu'il ne parvenait pas à nommer.

Puis tout bascula en une nuit. Cela commença par une simple conversation, qui, comme toutes les autres, aurait dû s'éteindre d'elle-même. Mais cette fois, Lan Xichen avait franchi une limite.

— Tu dois apprendre à rester ici, Yuri. À te stabiliser.

— Je ne suis pas instable.

— Alors pourquoi ne ressens-tu rien ?

Un silence.

Lan Xichen se redressa légèrement, l'étudiant comme il l'avait fait tant de fois.

— Si tu ne ressens rien... alors pourquoi cherches-tu quelque chose qui n'existe pas ?

— Parce que quelque chose me dérange dans la poitrine depuis qu'il est parti. 

C'était la première fois qu'elle l'admettait. Wei Wuxian n'était plus là et bien qu'elle ne puisse pas nommer cette sensation, elle savait qu'elle existait. Et ça, Lan Xichen ne comprenait pas. C'est à ce moment-là que les choses dégénérèrent.

Un échange de mots froids et tranchants. Puis une attaque. Pas de colère. Pas de haine. Juste une confrontation inévitable. Lames croisées sous la lueur pâle de la lune.

Lan Xichen ne voulait pas la blesser, mais elle ne lui laissait pas le choix. Alors, elle le fit. Elle prit sa propre main, attrapa lame de son protecteur et l'enfonça lentement dans sa propre épaule. Sans trembler. Sans hésiter. Sans aucune émotion.

Lan Xichen se figea, les yeux emplis d'horreur.

— Yuri...

Elle leva un regard impassible vers lui.

— Tu hésitais. Alors, j'ai décidé pour toi.

Un bruissement brisa le silence. Une silhouette émergea des ombres. Lan Wangji.

Il avait tout vu. Il avait tout compris. Yuri ne pouvait plus rester ici. Sans un mot, il avança et attrapa son poignet. Lan Xichen, encore sous le choc, ne réagit pas immédiatement.

— Elle doit partir.

Lan Wangji n'attendit pas de permission. Il l'entraîna hors du domaine, brisant pour la première fois les règles du clan qu'il avait toujours respectées. Puis, dans la nuit noire, ils disparurent ensemble.