L'air était chargé d'électricité. Les disciples tenaient fermement leurs armes, leurs muscles tendus par l'attente. Personne ne parlait.

Seul le bruit du vent hurlant entre les montagnes de Luanzang Gang résonnait. Wei Wuxian se tenait sur un toit en ruine, sa flûte serrée entre ses doigts. Sous lui, l'armée des clans se préparait. Face à eux, les marionnettes fantômes attendaient dans l'ombre, immobiles... comme si elles guettaient un signal. Soudain... Le signal fut donné.

Tout se brisa d'un seul coup. Les marionnettes se ruèrent en avant, animées d'une rage incontrôlable. Les cris fendirent l'air. Les lames s'entrechoquèrent dans un concert de fer et de sang. Wei Wuxian posa immédiatement sa flûte sur ses lèvres. Un son profond et envoûtant s'éleva dans la nuit.

Ses marionnettes répondirent instantanément. Elles se ruèrent à leur tour, interceptant l'ennemi. Pour un instant, Wei Wuxian avait le contrôle. Jusqu'à ce que... Une note. Une seule note. Par-dessus la sienne.

Wei Wuxian s'arrêta net. Quelqu'un d'autre jouait... Quelqu'un d'autre retournait les marionnettes contre lui. Elles cessèrent de lui obéir. Ses propres créatures se figèrent. Puis, elles tournèrent leurs lames... contre les vivants. Le chaos s'intensifia.

Une voix hurla quelque part dans la bataille.

— A'Li !

Wei Wuxian leva les yeux à temps. Il la vit. Sa sœur. Elle était au sol. Une lame traversait son dos. Jiang Cheng hurla, déchiré. Et quelque chose se brisa en lui. Wei Wuxian aussi.

Dans la bataille, Lan Wangji fut le premier à la voir. Une silhouette fluide, rapide. Yuri se déplaçait entre les décombres avec une facilité déconcertante. Son objectif était clair : rejoindre Wei Wuxian. Elle bondit sur un toit adjacent, puis sur celui où il se tenait.

Wei Wuxian, les yeux toujours rivés sur le champ de bataille, sur le corps inerte de sa sœur, ne remarqua sa présence que lorsque sa voix retentit derrière lui.

— Wei Wuxian.

Il tressaillit légèrement, comme si elle venait de le ramener à la réalité. Il tourna lentement la tête, le regard hanté.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

Elle ne cligna même pas des yeux.

— J'ai enfin compris quelle était ma place.

Sans attendre, elle leva les mains. Elle entama un acte de purification. Wei Wuxian n'eut pas le temps de réagir. Un flux d'énergie spirituelle explosa entre eux. Une lumière pure, née de la technique qu'elle avait maîtrisée au sein du Clan Gusu Lan, enveloppa Wei Wuxian. Il sentit immédiatement quelque chose se déchirer en lui.

L'énergie démoniaque... Elle était aspirée hors de son corps pour s'infiltrer dans celui de Yuri. Son souffle se coupa. Il savait ce que cela signifiait.

— Arrête, Yuri ! hurla-t-il.

Mais c'était déjà trop tard. Son pouvoir était en train de disparaître. Les ombres qu'il avait domptés fuyaient sous l'aspiration de Yuri, tournoyant autour d'elle comme des spectres déchaînés. Lan Wangji, toujours au sol, observait la scène avec stupeur. Jiang Cheng, lui, vit autre chose.

Il vit Wei Wuxian... affaibli. Il vit sa sœur... morte. Et pour lui... Il n'y avait qu'une seule conclusion possible. Wei Wuxian était responsable. Ses poings se crispèrent sur son épée. Son regard se teinta de haine pure.

— Je vais le tuer.

Lan Wangji l'entendit avant Wei Wuxian. Il se redressa immédiatement.

— Ne fais pas ça.

Mais Jiang Cheng ne l'écoutait plus. Wei Wuxian haletait, tentant de reprendre son souffle. Il fixa Yuri qui, malgré l'épuisement, tenait bon.

— Pourquoi tu as fait ça ?! hurla-t-il.

Sa voix était déchirante, emplie de détresse.

— Tu vas mourir, Yuri !

Elle sourit. Un sourire léger, presque paisible.

— Rappelle-toi...

Elle tendit une main vers lui, avant de la poser sur sa joue, son regard indéchiffrable.

— Je n'ai pas d'âme. Je suis déjà morte.

Wei Wuxian respirait difficilement. Son corps était vidé de toute énergie démoniaque. Yuri, elle, tenait à peine debout. Mais ils devaient descendre.

Wei Wuxian jeta un regard vers le champ de bataille. Les cris résonnaient toujours. Mais c'était un bruit sourd qui captait son attention. Une douleur insidieuse, quelque chose d'inhabituel. Il fronça les sourcils. Un mauvais pressentiment s'insinua dans son esprit.

Il fit un pas en avant. Puis un autre. Et, soudain... Son regard se posa sur elle. La découverte du corps d'A'Li. Le monde s'écroula autour de lui. A'Li gisait sur le sol. Son corps était immobile. Son sang s'était mêlé à la terre. Ses yeux... étaient ouverts. Wei Wuxian s'arrêta net.

Un bourdonnement s'empara de ses oreilles. Il ne pouvait pas bouger. Il ne pouvait que la regarder. Comme si son esprit refusait d'accepter la réalité. Il s'agenouilla lentement.

— A'Li... ?

Aucune réponse. Elle était partie. Pour de bon. Quelque chose se brisa en lui. Un poids écrasant s'abattit sur sa poitrine.

C'était de sa faute. C'était lui. C'était à cause de lui. Il ne s'en rendit compte que lorsque ses yeux brûlèrent sous l'émotion. Ses mains tremblaient. Puis... Il se leva. Ses mouvements étaient mécaniques. Il sentit une pression sur son bras.

— Wei Wuxian !

Yuri venait de le retenir.

Son regard était neutre, mais ses doigts serrés sur sa manche trahissaient quelque chose. Il la fixa quelques secondes, puis détourna les yeux.

— Je pars.

Yuri ne comprit pas tout de suite.

— Quoi ?

Il inspira difficilement, avant d'articuler :

— Je... abandonne.

Lan Wangji, qui les avait rejoints, se tendit légèrement.

— Wei Wuxian...

Mais ce dernier ne l'écoutait déjà plus. Il s'éloigna vers la crête. Vers le vide. Yuri regarda sa silhouette, puis sans réfléchir, elle le suivit.

Wei Wuxian s'arrêta au bord du précipice. Le vent fouettait son visage. En bas, les flammes du gouffre s'étendaient, profondes, insondables. C'était la fin. Il n'y avait plus d'autre chemin. Derrière lui, des pas précipités.

Yuri. Elle s'arrêta à quelques mètres de lui, essoufflée.

— Tu sautes, je saute.

Wei Wuxian ferma les yeux. Un ricanement traversa ses lèvres, brisé.

— Tu ne devrais pas être ici, Yuri.

Elle ne bougea pas.

— Si je ne suis pas là, alors qui le sera ?

Son regard était froid, mais dans ses yeux sombres, Wei Wuxian vit autre chose. Une trace d'incompréhension. De douleur. Mais ce n'était pas la sienne. Celle des autres. Wei Wuxian inspira profondément. Puis, sans prévenir... Il se retourna et la frappa.

Le choc la projeta en arrière. Elle tomba au sol, le souffle coupé.

Wei Wuxian serra les poings, la gorge nouée.

— Reste en vie.

Puis, il recula. Un pas. Deux. Et, il tomba.

Un cri brisa l'air.

— WEI WUXIAN !

Lan Wangji bondit, son corps en mouvement avant même que sa pensée ne suive. Il s'élança vers le bord du précipice. Sa main rattrapa la sienne. De justesse. Wei Wuxian était suspendu dans le vide. Ses doigts serraient ceux de Lan Wangji.

Un instant de flottement. Puis, d'autres pas. Jiang Cheng. Il arriva dans un tourbillon de rage et de douleur. Son épée brilla sous la lune.

— Tu vas payer, Wei Wuxian ! Meurs !

Lan Wangji le bloqua immédiatement.

— Arrête.

Mais Jiang Cheng n'écoutait pas. Sa sœur était morte. Son clan était brisé. Devant lui... Wei Wuxian était suspendu au bord de la mort. Alors Jiang Cheng fit un pas en avant. Wei Wuxian leva les yeux vers lui. Il fixa Jiang Cheng, son sourire triste s'effaçant lentement.

Lan Wangji serrait toujours sa main, ses doigts crispés sur les siens. Jiang Cheng s'approcha, son épée tremblante, prête à s'abattre. Et alors... Wei Wuxian prit sa décision.

Il libéra délibérément son emprise. Ses doigts glissèrent entre ceux de Lan Wangji.

Un souffle. Un instant suspendu. Lan Wangji tendit l'autre main, mais il était trop tard. Wei Wuxian bascula en arrière. Il chutait. Mais... Une ombre jaillit à sa suite.

— Non !

Yuri avait bougé avant même de réfléchir. Elle s'élança vers le bord du précipice. Lan Wangji tenta de l'attraper, mais elle était trop rapide.

Wei Wuxian chutait toujours, son corps s'enfonçant dans l'obscurité. Yuri plongea après lui. Son corps se cambra dans l'air froid. Elle le rattrapa.

Le vent hurlait à leurs oreilles. Wei Wuxian ouvrit de grands yeux en la voyant.

— Yuri !

Elle lui sourit. Un sourire doux, sincère, sans regret.

Puis, elle murmura :

— Je t'avais dit... Tu sautes, je saute.

Et, l'obscurité les engloutit.