📜 L'insoumise
Les années avaient passé et la demeure de Lotus Pier avait été témoin d'innombrables éclats de rire, disputes, punitions et moments de complicité.
Depuis le jour où l'oncle de Wei Wuxian avait accepté Yuri, elle avait grandi aux côtés de Wei et de Jiang Cheng, partageant avec eux les rigueurs de l'entraînement et la rudesse de leur éducation. Mais là où Wei Wuxian était turbulent par espièglerie, Yuri l'était par incompréhension.
Elle ne respectait pas les règles... non pas par provocation, mais parce qu'elles n'avaient aucun sens pour elle.
Un esprit libre et rebelle. Obéir sans poser de questions ? Incompréhensible. Respecter une hiérarchie imposée par des adultes ? Inutile. Se soucier des conséquences de ses actes ? Jamais anticipé.
Yuri agissait comme si elle vivait selon ses propres lois, comme si elle ne ressentait pas la peur ou le doute qui freinaient les autres. Son insouciance était déconcertante.
Quand elle faisait une bêtise, ce n'était jamais pour braver l'autorité, mais parce qu'elle ne comprenait pas pourquoi certaines choses étaient interdites.
Elle disparaissait pendant des heures en escaladant les toits du domaine, s'infiltrait dans des endroits interdits, déclenchait des incidents involontaires... et chaque fois, elle était ramenée par l'oreille devant la femme de Jiang Fengmian, Madame Yu.
Madame Yu ne l'avait jamais aimée.
Elle supportait à peine Wei Wuxian, mais Yuri... Yuri était une aberration à ses yeux. Une fille sans discipline, sans respect des traditions, une étrangère qui n'aurait jamais dû être là.
Chaque punition était cinglante et Yuri les acceptait sans broncher, indifférente aux gifles ou aux sermons. Wei Wuxian essayait souvent de la défendre, mais cela ne faisait qu'aggraver les choses.
— Tu es un fardeau, lui disait souvent Madame Yu d'un ton tranchant. Une honte.
Mais Yuri ne répondait jamais. Pas par soumission, mais parce que cela n'éveillait rien en elle.
Wei Wuxian, lui, voyait cette absence de réaction et s'en inquiétait parfois. Pourquoi Yuri ne semblait-elle rien ressentir face aux injustices qu'on lui faisait subir ?
L'insouciance dangereuse.
Si son esprit libre lui attirait les foudres de Madame Yu, cela la mettait aussi en danger.
Un jour, alors qu'ils étaient encore adolescents, Yuri et Wei Wuxian avaient décidé d'aller explorer une zone interdite du territoire. En grimpant une falaise, Yuri manqua de tomber, son pied glissant sur une pierre instable.
Wei Wuxian la rattrapa de justesse, mais elle n'avait pas eu un seul regard de peur. Pas un tremblement, pas une respiration saccadée. Elle avait juste sourit, comme si ce n'était rien.
— Tu es complètement folle ! lui avait crié Wei Wuxian, encore sous l'adrénaline. Tu aurais pu mourir !
Elle l'avait observé un instant, avant de hausser les épaules.
— Ce n'est pas arrivé.
Son ton était détaché, comme si le danger n'avait aucune signification pour elle.
Et, c'était là que Wei Wuxian comprit quelque chose : elle ne ressentait pas la peur comme les autres.
Depuis, dix ans s'étaient écoulés.
Wei Wuxian, devenu un jeune homme vif et confiant, continuait de défier les règles avec une malice incontrôlable. Jiang Cheng, fidèle à son rôle de futur chef, s'efforçait de canaliser ce chaos.
Et Yuri... Yuri était restée la même. Toujours insouciante, toujours indomptable.
Mais quelque chose avait changé et Wei Wuxian le voyait.
Son absence d'émotions n'était plus seulement une bizarrerie d'enfant. Elle était devenue un vide troublant, une constante qui éveillait peu à peu des soupçons.
Un jour, alors qu'ils s'entraînaient ensemble sous un ciel rougeoyant, Wei Wuxian l'observa en silence.
Elle souriait, riait, vivait... mais il savait que derrière cette façade, quelque chose manquait.
Il se demandait pour la première fois : qu'est-ce que Yuri ressentait vraiment ?
La salle principale du domaine était baignée par la lumière tamisée des lanternes. Autour de la table, Jiang Fengmian, Madame Yu, Jiang Cheng, Wei Wuxian et leur sœur Jiang Yanli étaient réunis. Yuri, comme à son habitude, était assise un peu en retrait, observant la discussion avec une curiosité vive.
Le sujet du jour était d'importance : leur départ prochain pour les entraînements au clan Gusu Lan.
— Vous partirez demain à l'aube, déclara Jiang Fengmian d'un ton posé. Vous resterez plusieurs mois dans leur secte pour suivre l'enseignement des disciples du Clan Lan.
À ces mots, Yuri pencha légèrement la tête, les sourcils froncés.
— Pourquoi on doit y aller ? demanda-t-elle sans détour.
Madame Yu lâcha un soupir exaspéré, son regard déjà chargé d'irritation.
— Parce que c'est ainsi que les choses fonctionnent.
— Mais pourquoi ce clan en particulier ? Sont-ils plus forts que nous ?
Un silence pesant tomba. Jiang Cheng lança un regard appuyé à Yuri, comme pour lui signifier qu'elle ferait mieux de se taire.
— Le clan Gusu Lan est connu pour ses enseignements stricts et son savoir ancestral, répondit Jiang Fengmian avec patience. Leur code moral et leur maîtrise des arts martiaux en font l'un des plus respectés des grandes sectes.
Yuri hocha la tête, pensive.
— Donc, si l'on apprend leurs règles, cela veut dire que l'on devient aussi ennuyeux qu'eux ?
Wei Wuxian éclata de rire, mais il fut vite réduit au silence par le regard assassin de Madame Yu.
— Tu n'as aucune discipline, aucun respect ! siffla-t-elle entre ses dents. Comment peux-tu te permettre de parler ainsi des traditions ?!
Yuri l'observa un instant, puis, pour la première fois, elle répondit.
— Peut-être parce que je n'en vois pas l'intérêt.
Son ton était calme, détaché, sans provocation ni défiance. C'était une simple constatation.
Madame Yu serra les poings, sa mâchoire crispée par la colère.
— Tu ne vois pas l'intérêt ? répéta-t-elle d'une voix froide. Tu es une ingrate, une étrangère à ce clan et tu oses remettre en question les règles qui nous régissent ?
Jiang Cheng et Wei Wuxian avaient cessé de respirer. Ils savaient tous deux que Yuri venait de franchir une limite dangereuse.
Un silence menaçant s'abattit sur la pièce. Puis, dans un geste vif, Madame Yu déroula son fouet violet et, sans prévenir, le fit claquer en direction de Yuri.
Le coup fut fulgurant.
Le cuir s'abattit sur son épaule, libérant une onde d'énergie qui, normalement, révélait la vraie nature de celui qui était frappé.
Wei Wuxian s'était déjà levé, prêt à protester, mais quelque chose le cloua sur place.
Yuri ne bougea pas.
Pas un cri, pas une grimace. Même la douleur semblait inexistante. Mais surtout... il n'y eut aucune réaction magique. Le fouet, censé exposer les véritables formes, glissa contre elle sans révéler quoi que ce soit. Wei Wuxian sentit un frisson lui parcourir l'échine. Ce n'était pas normal.
Madame Yu, elle-même, plissa les yeux, troublée. Elle s'attendait à quelque chose... une réaction, un signe, mais il n'y avait rien.
Yuri baissa simplement les yeux sur sa tunique déchirée par le fouet, puis releva la tête vers Madame Yu. Son expression était inchangée, son regard aussi vide que d'ordinaire.
— C'est terminé ? demanda-t-elle simplement.
Un frisson parcourut l'assemblée. Wei Wuxian n'arrivait pas à détourner les yeux d'elle. Il connaissait Yuri depuis des années, il l'avait vue rire, courir, se battre... mais à cet instant, elle lui parut totalement différente. Comme si quelque chose manquait. Comme si elle n'avait jamais été là entièrement.
Il sentit une drôle de sensation lui serrer la poitrine. Une question qu'il n'avait encore jamais osé se poser le traversa soudain. Et si Yuri n'était pas celle qu'ils croyaient connaître ?
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