📜 Ce qui nous sépare

L'air était chargé des senteurs de la ville : l'odeur du pain chaud, des épices et du poisson grillé se mêlait aux bruits des marchands criant leurs prix. C'était une journée comme les autres, la dernière avant leur départ pour le clan Gusu Lan.

Wei Wuxian marchait en tête, insouciant comme toujours, un sourire aux lèvres. Jiang Yanli, douce et attentive, suivait de près, veillant à ce que ses frères ne se mettent pas trop en danger. Yuri, silencieuse mais alerte, scrutait les visages des passants, tandis que Jiang Cheng, fidèle à lui-même, soupirait dès que Wei Wuxian faisait une remarque de trop.

— On devrait acheter des provisions pour le voyage, suggéra Jiang Yanli avec un sourire.

— Oh, allons plutôt goûter les brochettes épicées de ce stand ! s'exclama Wei Wuxian en désignant un marchand un peu plus loin.

Jiang Cheng roula des yeux, mais il n'eut pas le temps de protester. Des cris éclatèrent non loin d'eux. Une voix fluette, suppliée et paniquée.

— S'il vous plaît, arrêtez !

Wei Wuxian se figea, ses traits s'assombrissant immédiatement. Il tourna la tête et vit un garçon d'une dizaine d'années, recroquevillé au sol, tandis que deux hommes le poussaient violemment contre un mur.

— Regarde-moi ça, souffla Wei Wuxian en serrant les poings. Ces types sont en train de s'en prendre à un gamin.

Sans attendre, il s'apprêta à s'élancer, mais une main ferme l'agrippa par le poignet.

— Ce n'est pas notre problème, déclara Yuri, d'une voix neutre.

Wei Wuxian fronça les sourcils, surpris par son ton.

— Quoi ?

— On ne sait pas ce qui s'est passé avant ça. Peut-être qu'il a volé quelque chose. Peut-être que ces hommes ont une raison de le punir.

Wei Wuxian la fixa, comme s'il ne la reconnaissait plus.

— Ça aurait pu être toi.

Un silence s'abattit entre eux. Yuri resta immobile, figée sur place.

— Ce gamin, il est seul, comme tu l'étais autrefois. Sauf que toi et moi, on a eu de la chance. Lui, il n'en a pas.

Wei Wuxian ne lui laissa pas le temps de répondre. Il arracha son bras et se précipita vers l'altercation.

Cette fois, Yuri le suivit. Naturellement.

Les scélérats n'eurent pas le temps de comprendre ce qui leur arrivait. Wei Wuxian leur fonça dessus avec son enthousiasme habituel, tandis que Yuri, méthodique, frappa rapidement et avec précision. Pas d'excès, pas de colère, juste une efficacité glaciale.

Quelques instants plus tard, Jiang Cheng les rejoignit, achevant d'éloigner les agresseurs.

Le silence retomba. Jiang Yanli s'était déjà agenouillée près de l'enfant, lui murmurant des paroles apaisantes en lui offrant un mouchoir propre pour essuyer son visage.

Jiang Cheng se tourna alors vers Yuri.

— Pourquoi tu as hésité ? demanda-t-il d'une voix tranchante.

Yuri ne répondit pas tout de suite. Elle haussa simplement les épaules.

— J'ai réfléchi.

— Réfléchi ? répéta Jiang Cheng, incrédule. C'était un gosse en train de se faire tabasser ! Et toi, tu réfléchissais ?!

Wei Wuxian posa une main sur l'épaule de Jiang Cheng pour l'apaiser, mais ce dernier n'était pas d'humeur à se calmer.

— Tu n'es pas normale, Yuri.

« Comme si je ne le savais pas. »

Le ton était sans appel.

Yuri ne broncha pas. Pas de colère, pas d'indignation. Juste ce même silence pesant, cette absence d'émotion qui dérangeait.

Wei Wuxian sentit de nouveau ce doute lui serrer la poitrine. Et si Jiang Cheng avait raison ?

L'enfant s'éloigna en courant après avoir murmuré un timide merci à Jiang Yanli. Il disparut dans la foule en un instant, comme si tout cela n'avait jamais existé. Wei Wuxian observa son ombre s'effacer, puis soupira en passant une main dans ses cheveux.

— Bon, au moins, il est en sécurité.

Il se tourna vers Yuri, qui regardait la scène d'un air détaché.

— Tu comptes rester silencieuse encore longtemps ? demanda-t-il avec un sourire en coin.

Yuri haussa un sourcil.

— Pourquoi je parlerai ?

Wei Wuxian croisa les bras.

— Parce que je veux comprendre.

Yuri inclina légèrement la tête, attendant la suite.

— Pourquoi tu as hésité ? reprit-il. Pourquoi tu m'as retenu ?

Elle le regarda un instant, puis haussa les épaules.

— Parce que ce n'était pas notre problème.

Wei Wuxian la fixa, perplexe.

— Tu le penses vraiment ?

— Oui.

Il grimaça.

— Alors pourquoi tu t'es battue au final ?

Un silence s'installa entre eux. Yuri sembla chercher une réponse.

— Parce que tu y es allé.

Wei Wuxian cligna des yeux.

— C'est tout ?

— Oui.

Il souffla du nez, mi-amusé, mi-frustré.

— Donc, si je saute d'un pont, tu me suivras ? plaisanta-t-il.

Yuri réfléchit une seconde avant de répondre, d'un ton toujours aussi neutre :

— Si ça a du sens, probablement.

Wei Wuxian secoua la tête, son sourire s'effaçant légèrement.

— Je ne comprends pas, Yuri...

Elle haussa un sourcil, attendant la suite.

— Je t'ai toujours connue fougueuse, joyeuse. Sa voix s'adoucit légèrement, comme s'il se replongeait dans un souvenir. Toi, cette petite fille qui n'avait peur de rien et qui ne craignait personne. Je sais que tes éclats de rire n'étaient pas feints... mais avec le temps. Il marqua une pause, baissant un instant les yeux. Avec le temps, tout a disparu. Pourquoi ? J'aimerais comprendre.

Yuri l'observa, impassible.

— Comment pourrais-je expliquer quelque chose que je ne comprends pas moi-même ?

Elle posa sa main sur sa poitrine, juste au niveau de son cœur.

— Quand je te vois souffrir, j'ai mal ici.

Puis, elle leva son autre main et la posa sur son bras.

— Quand tu me souris, je ressens une chaleur là, descendant son bras vers son ventre.

Ses yeux noirs se fixèrent dans ceux de Wei Wuxian, cherchant une réponse qu'elle-même ne pouvait formuler.

— J'ignore ce que c'est et comment l'exprimer avec des mots.

Elle baissa lentement la main.

— Je suis comme ça, tu le sais. Et, pourtant... aujourd'hui, tu t'interroges.

Un silence tomba entre eux.

— Tu doutes.

Elle inspira légèrement avant de conclure, sa voix aussi calme et inébranlable que toujours.

— Et moi... tout ce que ça me provoque, ce n'est rien. Parce que je ne ressens rien, Wei Wuxian.

Wei Wuxian la regarda longuement, incapable de détourner les yeux. Son cœur se serra. Alors pourquoi avait-il l'impression qu'elle souffrait sans même en avoir conscience ?

La conversation entre Wei Wuxian et Yuri s'éteignit dans un silence lourd. Il n'y avait plus rien à dire.

Ils rejoignirent Jiang Cheng et Jiang Yanli, qui avaient déjà repris leur route vers Lotus Pier. Personne ne fit de commentaire sur ce qui s'était passé. Jiang Cheng était toujours contrarié, Wei Wuxian perdu dans ses pensées, et Yuri... simplement là.

Lorsque le domaine des Jiang apparut enfin, la réalité de leur départ imminent s'imposa à eux.

Le lendemain, au lever du soleil, ils partiraient pour le clan Gusu Lan, là où les règles étaient absolues et la discipline de fer.

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