L'apprentissage


Xingchen sentait peser dans son dos le regard de son maître. Surtout ne pas se retourner. Bien qu'il porta un bandeau sur les yeux, des larmes de sang coulaient sur ses joues, il le sentait. Elle ne devait pas voir sa faiblesse. Il devait être fort et assumer les choix qu'il avait fait par amour pour Song Lan.

Maintenant, il en était sûr, il l'aimait . Pas comme un frère ou un ami, mais comme un partenaire de culture. Il savait aussi qu'à présent ce genre de relation ne pouvait plus exister entre eux. Les derniers mots que Song Lan lui avait adressés avaient mis un terme d'une manière définitive aux années qu'ils avaient passé ensemble . Il n'avait donc plus que 2 options devant lui : la première était radicale mais mettrait fin à son calvaire , la seconde le ferait souffrir jusqu'à la fin de ses jours. Il avait jusqu'en bas de la colline pour décider de son avenir : la vie ... ou la mort.

Il redressa la tête et les épaules et fit un pas en avant, sa canne de bambou oscillant devant ses pieds en quête de tout obstacle pouvant se dresser sur son chemin. Il allait devoir apprendre à s'en servir, mais aussi à vivre coupés du monde. Jamais plus, il ne pourrait percevoir la beauté d'un paysage, les différentes couleurs que donnaient les rayons du soleil se couchant sur un lac en hiver...

Il avait payé de ses yeux , la culpabilité qu'il ressentait vis-à-vis de Song Lan pour la mort de son maître et de ses frères. Il savait que ce n'étaient qu'un faible tribut par rapport à la dette de vie qu'il avait contracté à l'encontre du clan du temple Bai Xue, mais que pouvait-il faire d'autre maintenant qu'il était diminué ?

Xue Yang avait gagné ! Il avait du mal à l'accepter. Dans son cœur résonnait un cri de vengeance pour ceux qui avaient perdu la vie, mais une fois de plus que pouvait-il faire ? Son pied heurta une pierre que sa canne n'avait pas décelée. Il trébucha et tomba au sol. La colère s'empara de lui. Comment pouvait-il ne serait-ce que penser à la vengeance alors qu'il n'était pas capable de mettre 2 pieds l'un devant l'autre sans faire une chute ! Ses mains empoignèrent de la terre et il frappa le sol de toutes ses forces, de colère ! Il posa son front sur la terre et la mousse humide. Il avait tout perdu ! Son maître lui avait interdit de revenir quelle qu'en soit la raison, son âme sœur l'avait rejeté et ne voulait plus entendre parler de lui et Xue Yang avait réussi à tout anéantir et à faire de sa vie un enfer !

Depuis sa naissance, la seule chose qu'il avait appris était de cultiver son noyau d'or et aider ceux qui en avaient besoin de manière altruiste. Aujourd'hui à quoi lui servait ce savoir ? L'art de l'épée et Shuanghua lui étaient inutiles puisqu'il ne pouvait plus voir ses adversaires. Comment pourrait-il mener une chasse nocturne et se protéger des monstres s'il ne pouvait les voir venir ? Il était condamné à vivre comme un simple mortel ...

Il prit appui sur ses bras et tenta de se relever... sa paume droite glissa à cause de la mousse ...Il leva la main pour s'essuyer le front...au passage, il sentit une légère odeur. Il porta ses doigts devant ses narines, ils avaient le parfum de la mousse et de la terre. Il n'avait plus ses yeux, mais il disposait encore de ses autres sens : l'odorat, le toucher, l'ouïe et le goût. Avec un peu de chance , il pourrait utiliser son noyau d'or pour les développer. Bien sûr, il y avait des choses qu'il ne pourrait plus jamais faire comme contempler les couleurs, mais pour le reste, ses autres sens pouvaient prendre le relai et lui permettre de se déplacer et d'affronter la vie au quotidien...

L'espoir commençait à renaître dans son cœur meurtri.

Il avait eu le meilleur maître qu'il soit. Abandonner serait lui manquer de respect. Il allait tout recommencer du début comme lorsqu'il était enfant. Il devait réapprendre les actes de la vie courante, privés du sens de la vue. Après peut-être, il pourrait réussir à redevenir un cultivateur digne de ce nom et partir en quête de sa vengeance. Mais pour cela , il lui fallait un endroit tranquille. Un sanctuaire de paix ...Une idée germa dans son esprit. Un lieu consacré à l'apprentissage de la voie de l'épée. Un lieu qui disposait de tout ce dont il aurait besoin pour cultiver son noyau d'or. Un lieu abandonné qui lui permettrait de faire pénitence chaque jour : le Temple Baixue ! Là où son âme sœur s'était entraînée des années durant.

Yiling et Luoyang étaient à peine à 5 jours de marche, mais dans son état, il ne savait combien de temps, il lui faudrait pour atteindre sa destination. Au fond, cela n'avait pas vraiment d'importance, il commençait son voyage initiatique et comme le disaient les grands-maîtres : le plus important n'est pas la destination, mais le chemin que l'on emprunte pour s'y rendre.

Bravement, il se remit debout , sa détermination pouvait se voir dans sa posture. Ses épaules s'étaient redressées et il avançait la tête droite. Il avait ouvert ses chakras au maximum afin d'alimenter en priorité les organes de ses sens. Il se tenait aux aguets.

Il posa la main sur le tronc d'un arbre tout proche , à la recherche de la mousse qu'il savait y pousser côté nord. Avec un sourire, il commença son long chemin vers Luoyang. Celui-ci fut semé d'embûches, mais il se débrouillait chaque jour de mieux en mieux. Au bout de 2 semaines , il arriva enfin au pied de la montagne où se trouvait le Temple. Il s'arrêta et huma le vent. Il lui apporta les effluves de fumées du village voisin de Luoyang puis l'air se rafraîchit. Il savait que plus il montrait en altitude, plus les conditions de son environnement allaient changer. Il allait devoir apprendre à les reconnaître. Il se mit en route pour la dernière partie de son périple.

Il était venu 2 fois au Temple. La première, c'était lorsqu'il avait fait la connaissance de Song Lan. A cette époque, il parcourait le monde de la cultivation et avait demandé l'hospitalité pour la nuit ... Il était resté un mois. Quand il en était reparti , Song Lan l'accompagnait. La seconde avait été trop brève et trop forte en émotion ! Cependant , il avait encore des souvenirs assez nets de l'endroit. Il fallait espérer qu'il pourrait les faire correspondre à la réalité qu'il allait découvrir !

Le chemin arrêta de monter, il sentit sous ses pieds que le sol avait changé. Il foulait des dalles de pierre. Sa canne lui fit savoir où se trouvaient les 2 marches de l'esplanade. Il savait qu'il faisait face au portail. Il monta les marches devant ce dernier et leva la main pour pousser la porte. Le lourd battant de bois s'entrouvrit. Il s'immobilisa un instant et écouta le silence. Il n'y avait pas un bruit, preuve que le lieu était inhabité. Avec sa canne, il explora les côtés de la porte afin de trouver la poutre qui servait à sécuriser le Domaine du temple la nuit. Quand il l'eut trouvé, il la mit en place et traversa la cour en direction de la salle de réception. De là, il avait accès à tous les bâtiments. Il trouva sans problème , le dortoir, le temple et la cuisine. Il arriva enfin dans une pièce qu'il ne connaissait pas.

Il ne savait pas où il se trouvait. Il avança les mains devant lui et rencontra les montants d'un meuble en bois. Ses doigts glissèrent lentement le long de l'étagère jusqu'à plusieurs livres. Il se saisit de l'un d'entre eux et caressa délicatement la couverture. En raison de sa cécité, il savait que jamais plus il ne pourrait parcourir de tels ouvrages. Il allait être limité dans son apprentissage et devoir se contenter de ce qu'il pourrait apprendre de vive voix .... sauf qu'il avait choisi de vivre loin des hommes dans la mesure du possible, en guise de pénitence. Il devait donc se résoudre à avoir à portée de main une source de savoir à laquelle il ne pouvait plus avoir accès. Il serra le manuscrit contre sa poitrine et le reposa à sa place sur l'étagère. Il caressa une dernière fois la couverture, celle-ci semblait faite de cuir . Quand ses doigts frôlèrent le vélin, il sentit sur le bout de ses doigts que la texture était différente. Était-ce le titre du livre ? Est-ce qu'avec un peu d'entraînement et en utilisant son énergie spirituelle , il pourrait augmenter sa sensibilité tactile et ainsi "lire" avec ses doigts en "sentant" les traces d'encre sur les feuilles ? Il avait le temps, alors cela ne lui coûtait rien d'essayer.

Il continua à explorer la pièce avec ses mains. Il y avait de très nombreux ouvrages. Il mémorisa l'emplacement des étagères et le nombre de livres sur chacune d'entre elles.

Quand il eut fini , il passa au bâtiment suivant. Il se souvenait vaguement de cet endroit, ce devait être la salle de travail du maître de Song Lan. Son intuition, basée sur ses souvenirs, fut confirmée par les meubles et les divers objets qu'il pu rencontrer et toucher de ses mains. Derrière, devait se trouver la chambre ainsi que la pièce de vie . Tout semblait encore en état. Il allait pouvoir s'installer ici. Dans une alcôve sur la gauche, était disposée une petite cuisine. Dans celle de droite, un lit. Xingchen trouva des coffres avec de la literie , des vêtements et du linge de maison. Il faudrait qu'il les lave afin qu'il puisse les utiliser. Il finit sa visite de repérage par le jardin. Avec le mois passé et l'abandon, il devait être dans un triste état. Ses mains le lui confirmèrent. Les plantes et les fleurs s'étaient flétries. Les cailloux marquant les allées s'étaient éparpillés, des mauvaises herbes avaient commencé a pousser. Il ne pourrait pas remettre cet endroit en état tout de suite, mais il s'y emploierait. Ce serait sa manière à lui de demander pardon aux esprits des frères de son âme sœur .

Il leva la tête vers le ciel. Un frisson remonta le long de son dos. Il allait pleuvoir. En visitant la cuisine tout à l'heure, il avait noté la présence de sac de grains et de riz. Il devait vérifier s'ils étaient toujours comestibles. Mais il n'y avait aucune raison pour qu'ils ne le soient pas ! Il ne mourrait pas de faim. Quant aux légumes , il devait y avoir un potager quelque part. Il se souvenait que Song Lan lui avait raconté que lorsqu'il était petit, il essayait toujours d'échapper à la corvée de cueillette. Pour le reste, il était habile de ses mains, il pouvait faire des jouets en bois ou tresser des paniers et les vendre à Luoyang.

Même s'il était toujours dans l'obscurité, Xingchen savait que de longues années d'études et de solitudes l'attendaient, mais cela ne lui faisait pas peur. Il avait un but : progresser et venger le clan de Song Lan !  

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top