Chapitre 1
Note de l'auteure :
Bonjour à tous ! Juste un petit mot pour dire à ceux que ça intéresse de lire certaines parties en musique que les chansons dont je mets de temps en temps les liens ne correspondent pas forcément à la première partie du chapitre concerné, mais je ne veux pas mettre les vidéos en plein milieu, alors faites-en ce que vous voulez ! Ne les écoutez pas, écoutez-les quand vous pensez qu'une partie serait pas mal en musique, ou bien gardez-les pour vous imaginez à nouveau une scène lorsque votre lecture est terminée !
Le bleu des yeux de la jeune femme installée derrière le comptoir tranchait avec le orange soutenu de ses cheveux, autant que le gris intense du crayon à papier contrastait avec le blanc de la feuille que la rousse remplissait de diverses esquisses. Distinguant quelques minuscules points blancs au sein des lignes qu'elle avait déjà tracées, Azéna se pencha vers la feuille, replaça une mèche de ses courts cheveux bouclés derrière son oreille droite, puis elle repassa lentement le crayon sur quelques lignes. Elle n'aimait pas ce papier, les grains étaient trop grossiers et nuisaient à l'harmonie des tracés, mais la jeune femme de vingt-neuf ans ne pouvait pas se permettre d'amener son épais carnet à dessin à son travail, car comme le disait si bien son employeuse, « Les fleurs ici on les vend, on ne les dessine pas ». Malgré tout, dès qu'elle en avait l'occasion, Azéna prenait un ancien bon de commande, un post-it, n'importe quoi, et elle dessinait, prenant de l'avance sur son deuxième travail qui lui permettait de compléter ses revenus. Elle se le répétait sans cesse, chaque nouveau dessin correspondant aux critères imposés par les tatoueurs en manque d'idées ou les créateurs de start-ups en panne d'inspiration pour leur logo, c'était un peu plus de temps libre une fois la boutique fermée, c'était un peu moins d'ennui pendant la journée de travail, c'était une nouvelle possibilité de se rendre au cinéma, c'était un concert, c'était un peu plus de bonheur. En effet, ça n'était pas en vendant des fleurs à des gens qui tentaient de persuader les autres ainsi qu'eux-mêmes qu'ils appréciaient encore un membre de leur famille, un amoureux ou un ami, qu'Azéna trouvait la joie. Le dernier client, sorti dix minutes auparavant, avait dû faire une grosse bêtise, c'était évident au regard du prix exorbitant dépensé, ainsi qu'à la totale ignorance de l'acheteur à propos de tout ce qui touchait aux fleurs. Azéna avait eu l'occasion de vérifier l'absence de connaissance de l'homme marié en lui vendant un bouquet de myosotis, fleurs qui renvoyaient au souvenir, à la séparation. Si le mari du client s'y connaissait un peu en langage floral, la soirée s'annonçait mouvementée...
Azéna quitta son dessin des yeux en remarquant une silhouette près de la porte vitrée de la boutique. Les sourcils de la vendeuse se froncèrent alors doucement : même lorsqu'elle dessinait, elle repérait les personnes qui passaient près de la boutique avant qu'elles ne s'approchent de la porte. C'était devenu une habitude pour avoir le temps de ranger ses dessins avant l'entrée dans le magasin d'un éventuel client. Mais cette fois-ci pourtant, Azéna n'avait repéré le garçon qui poussait la porte qu'une fois qu'il avait atteint le paillasson rouge au pied de la vitrine.
La rousse assise derrière le comptoir secoua la tête, et comme à son habitude, elle se leva tout en cachant ses dessins sous l'ordinateur portable dont elle se servait pour faire les comptes.
« Bonjour, fit alors Azéna. Je peux vous aider ?
— Moui, répondit le nouvel arrivant en fourrant ses mains dans les poches de la sombre culotte courte qu'il portait. Bonjour. Je cherche quelque chose pour ma mère », poursuivit-il en tournant sur lui-même pour embrasser du regard l'intégralité du magasin.
Azéna profita qu'il soit concentré sur la boutique débordante de fleurs pour regarder plus en détail l'adolescent. En effet, la vendeuse aux cheveux roux pensait avoir déjà aperçu ce visage, ces cheveux noirs et lisses coiffés sur le côté, ainsi que cet uniforme sombre à liserés rouges. Lorsque le garçon pivota à nouveau vers elle, Azéna put voir plus précisément le blason brodé sur la veste de l'uniforme, et elle se souvint. Umbrella Academy. Cependant, les images qu'elle avait visionnées dans les médias dataient de pas loin de vingt ans, le garçon face à elle ne pouvait donc pas faire partie de cette étrange bande de justiciers. La ressemblance était-elle donc fortuite ?
« C'est... pour une occasion particulière ? le questionna Azéna.
— Oui. Je suis rentré à la maison hier, après une fugue qui a duré plus longtemps que prévu, expliqua le jeune brun. Je voudrais me faire pardonner.
— Vous êtes au bon endroit dans ce cas, c'est le repaire des gens qui ont des choses à se faire pardonner ici.
— Je pensais que le plus souvent les fleurs étaient offertes comme preuve d'amour ?
— C'est en général plutôt pour se faire pardonner pour le manque de preuves d'amour », contesta la rousse après un haussement d'épaules.
La remarque d'Azéna fit naître un fin sourire sur les lèvres du jeune client, qui reprit la parole :
« Ça doit être pénible de sortir les fleurs des vases pour changer l'eau, non ? Il y en a un tas..., fit-il en inclinant la tête vers un pan de mur recouvert de différentes fleurs bleues et mauves.
— Disons que ça nous motive à les vendre plus vite... Celles qu'on vend le jour-même, on n'a pas besoin de changer leur eau ! Mais oui, c'est vrai que c'est long...
— Mais bien sûr..., chuchota le garçon avec un sourire en coin.
— Euh, voulez-vous quelque chose qui représente le pardon dans le langage floral, ou tout simplement des fleurs que votre mère trouvera belles ? reprit Azéna sans comprendre la réaction de l'adolescent.
— Simplement de belles fleurs, je compte lui dire moi-même que je suis désolé, rétorqua le garçon.
— Entendu, quelle couleur pré... »
Le regard d'Azéna avait bien repéré les silhouettes approcher de la vitrine cette fois. Et comme il lui arrivait régulièrement de nettoyer soigneusement la surface en verre, elle distingua sans aucun mal les armes à feu. Bouche entrouverte, la fin de sa phrase semblait avoir reçu l'une des balles que pourraient contenir ces armes, et les mots ne s'en remirent pas. Alors, le jeune client face à Azéna pivota vers la porte d'entrée, et soudain, la silhouette du garçon en uniforme fut comme aspirée au centre d'une spirale invisible, et après un léger son et une lumière bleutée, il disparut. Moins d'une seconde après, le bruit se fit entendre à nouveau, et deux mains forcèrent Azéna à s'accroupir derrière le comptoir.
« Cachez-vous, lui ordonna alors le brun, à présent accroupi près de la vendeuse aux cheveux roux.
— M... mais que..., parvint-elle seulement à articuler.
— Ces types travaillent pour une organisation qui veut ma peau. Je m'en occupe, mais restez prudente, ils se fichent pas mal des dommages collatéraux.
— Sors de là ! lança une voix de l'autre côté du comptoir. Tu crois pas que t'as déjà assez foutu la merde comme ça ? Et là qu'est-ce qu'on apprend ? Que des agents t'ont repéré ici : tu aggraves ton cas en interférant avec les affaires de la Commission.
— Je vous entends mal à cause du comptoir, répondit le garçon qui ne semblait pas le moins du monde anxieux. Attendez, je me rapproche. »
Aussitôt, le brun en uniforme disparut, et un craquement écœurant retentit dans la boutique de fleurs. Azéna plaça une main devant sa bouche, les yeux grands ouverts de stupeur. Elle ne comprenait pas ce qui se passait, et surtout, elle se demandait si le comptoir était suffisamment solide et épais pour arrêter les balles. Elle eut bientôt sa réponse, car des tirs se firent entendre. Une onde de choc parcourut le comptoir lorsqu'une balle atteignit l'épaisse surface colorée, mais Azéna fut soulagée de constater qu'aucun morceau de métal meurtrier n'était passé du côté où elle se trouvait. Des cris de douleur et des bruits de coups mêlés aux tirs parvinrent aux oreilles de la rousse aux yeux bleus, et soudain, une main attrapa son bras gauche et la tira vers le haut. Surprise, Azéna tourna la tête, et elle constata que la personne face à elle n'était pas le garçon qui lui avait ordonné de rester cachée, mais l'un des hommes armés.
« Vous, commença-t-il. Suivez-m... »
Il ne termina pas sa phrase, assommé par un pot à crayons en verre qu'Azéna avait discrètement saisi pendant qu'il entamait son ordre. La main tremblante, la vendeuse avait relâché le pot à crayons en regardant la silhouette de l'homme chauve s'effondrer lentement. La pression autour du bras de la jeune femme cessa enfin totalement, et lorsqu'elle entendit une voix inconnue crier « Arrêtez ! », elle tourna la tête vers l'avant de la boutique, où se trouvait le reste du groupe malmené par l'adolescent aux cheveux noirs. Elle eut alors le temps de voir un pistolet se pointer dans sa direction alors que son propriétaire s'avançait rapidement vers elle. Azéna s'empressa d'attraper un vase rempli de roses blanches, et elle le brisa sur le crâne de l'assaillant avant qu'il n'ait le temps de penser à presser la détente. La tempe gauche couverte de morceaux de verre et de pétales blancs maculés de sang, l'homme était étourdi, mais pas assommé. Et Azéna n'avait plus de vase près d'elle pour frapper à nouveau.
« Putain c'était de la merde ce vase, même le pot à crayon était plus solide... », lâcha-t-elle alors avec désespoir.
Voulant agir avant que l'assaillant ne reprenne ses esprits, Azéna saisit vivement le bras qui tenait l'arme à feu, tout en prenant rapidement appui avec ses pieds sur le mur derrière elle, ce qui lui permit de se propulser par-dessus le comptoir et de faire une roue sans lâcher le bras de l'homme armé, dont les articulations craquèrent brutalement quand Azéna atterrit sur sa droite. La rousse poussa violemment l'homme vers le comptoir, et sa tête heurta brutalement la surface mauve et lisse, ce qui assomma enfin ce deuxième agresseur. Mais Azéna n'eut même pas le temps de se retourner pour surveiller les agissements des hommes restants avant que l'un d'eux ne passe un bras autour de son cou tout en pressant un pistolet contre sa tempe droite. Alors qu'elle se débattait, la rousse récupéra quelque chose dans l'une des poches de la salopette bleu marine qu'elle portait. Et, moins de trois secondes plus tard, la lame d'un couteau au manche diapré se planta dans l'abdomen de l'homme aux courts cheveux blonds, qui lâcha immédiatement Azéna, le souffle coupé par la douleur et la surprise. La pression du canon de l'arme à feu s'estompa, et la vendeuse étrangement douée en combat pour une fleuriste-dessinatrice s'écarta tout en donnant un autre coup de couteau, qui atteignit cette fois l'homme au niveau de la gorge. Azéna recula vivement pour éviter de recevoir trop du sang qui s'échappait en jets réguliers du corps affaibli, et elle put anticiper la prochaine attaque. Alors qu'elle changeait son couteau de main pour attraper un lourd vase noir aux reflets irisés, elle eut le temps de voir le garçon en uniforme sombre à liserés rouges tuer l'un des hommes armés avec un cadre en bois. Il se battait si bien qu'on avait l'impression qu'il avait passé toute une vie à s'entraîner, ce qui était étrange... sans même parler de sa capacité à se téléporter n'importe où dans le magasin. Azéna commençait à comprendre pourquoi elle ne l'avait pas vu arriver.
Se reconcentrant sur son objectif – survivre –, Azéna s'approcha d'un homme de presque deux mètres. Il l'avait repérée, mais l'un de ses collègues, occupé à tenter vainement de se défendre contre le brun en uniforme, bouchait la ligne de tir, et le temps que le presque-géant se déplace pour pouvoir viser correctement, Azéna était assez près pour l'atteindre. Le premier coup de vase atteignit brutalement la main qui tenait l'arme, arrachant un grognement de douleur au colosse. Par chance, le vase avait tenu le coup, et il s'abattit sur le crâne de l'homme à la main maintenant cassée. Aussitôt, l'imposante silhouette vacilla, et deux coups, un peu de sang et un craquement plus tard, l'homme s'effondra parmi des bacs en bois remplis de fleurs de toutes les couleurs, et Azéna souffla bruyamment tout en lâchant le vase sombre encore entier.
« Attention ! »
L'assistante fleuriste s'écarta vivement, et elle vit passer l'adolescent, qui traînait avec lui le dernier homme encore sur pied. Une cravate enserrait son cou, et le jeune brun, en tirant brutalement sur la bande de tissu, fit littéralement s'écraser l'agent armé contre le mur près d'Azéna. Le choc fut tel que plusieurs étagères se décrochèrent du mur, chutant avec les vases, les fleurs et les cadres photo décoratifs sur l'homme évanoui, ou plus probablement mort étant donné l'état de sa tête.
Azéna resta interdite quelques instants, le regard fixé sur la silhouette immobile affalée sous les fleurs, comme si l'homme reposait déjà dans un cimetière généreusement fleuri. Puis, une goutte de sang tomba de la lame ensanglantée du couteau que la jeune femme tenait toujours, goutte qui s'écrasa sur la pointe de sa bottine gauche. Lentement, Azéna attrapa une décoration en papier crépon et essuya la lame qu'elle tenait dans sa main gauche, puis elle laissa tomber la décoration salie, et elle rangea son couteau dans sa poche. L'adrénaline pulsait encore dans ses veines, et son cœur battait si fort que c'en était presque douloureux. Tout était allé si vite qu'elle ne réalisait que maintenant qu'elle aurait pu mourir.
« Tu t'es plutôt bien débrouillée pour une fleuriste, intervint alors le garçon aux cheveux noirs en récupérant sa cravate autour du corps sans vie du dernier homme abattu.
— Et toi pour un gamin », rétorqua Azéna en copiant par automatisme le tutoiement employé par le brun.
L'intéressé ne répondit que par un sourire énigmatique, et la fleuriste visiblement plus douée pour détruire les fleurs que pour les vendre pivota sur elle-même, détaillant du regard le champ de ruine laissé par la bataille. Il ne restait plus que deux ou trois vases en un seul morceau, le sol était recouvert de fleurs parfois déchiquetées, de sang et de verre. C'était même à se demander comment faire plus de deux pas sans glisser sur un fragment de verre trempé dans du sang.
« Fait chier ! » cria Azéna en donnant un coup de pied rageur dans un morceau de vase qui tenait debout on ne sait trop comment.
La jeune femme n'entendit pas la porte de l'arrière boutique s'ouvrir, et elle sursauta lorsque la voix de sa patronne s'éleva au loin :
« Je suis rentrée ! Alors, les ventes ont été bonnes pendant mon absence ?
— Oh euh oui, tout s'est bien vendu, on n'a absolument plus aucune fleur ! cria Azéna en réponse, terrorisée à l'idée que sa cheffe voie le désastre qui régnait dans sa boutique.
— Tu dois venir avec moi, intervint soudain le garçon dont le pull à losanges sous sa veste était maintenant légèrement taché de sang.
— Quoi ? Pourquoi ? s'indigna la rousse aux yeux bleus, suffisamment bas pour que sa patronne n'entende rien depuis l'arrière-boutique où elle était sans doute occupée à ranger les achats qu'elle était partie effectuer.
— Tu es sur leur liste maintenant, expliqua le jeune brun en se passant une main dans les cheveux pour les remettre en place.
— Mais non, ils sont venus pour toi, et ceux-là ne sont pas prêts de témoigner, tenta-t-elle de le raisonner en faisant un vague geste de la main vers les corps immobiles.
— Peut-être, mais on n'a absolument pas le temps de nettoyer, et les agents qui m'ont repéré par hasard avant de signaler ma présence aux imbéciles partout par terre, eux sont bien vivants. Ils savent que tu étais ici pendant l'attaque, et peut-être même qu'ils étaient encore quelque part à l'autre bout de la rue, peut-être qu'ils t'ont vue m'aider. Si ça se trouve, l'examen approfondi de la scène de crime le confirmera. S'ils n'en sont pas certains, ils préféreront te liquider, histoire de ne pas prendre de risques. Soyons optimistes, disons qu'il y a une chance sur deux qu'ils te laissent tranquille. Si tu restes ici et qu'ils décident finalement de te tuer, tu n'auras aucune chance. Si tu viens avec moi, quelle que soit la décision de la Commission, tu survivras. Avec mes frères et sœurs, on sera assez forts pour empêcher l'autre bande de rats psychopathes de te tomber dessus comme une merde sur une planche. Sans compter que ta patronne pourrait te tuer elle aussi. Tu as vu l'état de la boutique ? » ajouta l'adolescent en faisant un large geste de la main.
Azéna se mordit la lèvre et passa son pouce droit entre son annulaire et son auriculaire tout en serrant fort le poing. Il y avait tellement d'impacts de balles dans la vitrine que la seule inscription encore lisible était « deuil ». Azéna ne sut pas dire si c'était un signe, mais quelle que pourrait être la réaction de sa supérieure, une chose était certaine : la rousse en salopette bleu marine et t-shirt à manches longues blanc à pois ne voulait pas être là quand il faudrait nettoyer.
« D'accord, je viens », déclara-t-elle en se dépêchant de rejoindre le comptoir pour récupérer sa veste et ses dessins.
Le garçon en uniforme sombre à liserés rouges eut un sourire satisfait, et il attendit Azéna avant de sortir de ce qui restait de la boutique.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top