24 - Marchandeuse d'informations
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Eowyn est en train de siroter un diabolo au comptoir de la cantina. Elle ne quitte pas une seule seconde des yeux le Kallerien qui déguste ses algues. Dob se demande même si elle a cligné des yeux pendant la demi-heure qui s'est écoulée, tant elle est concentrée. Au moment où il s'empare des plateaux pour aller servir ses clients, elle se lève enfin de son tabouret, diabolo totalement consommé, en direction du Kallerien.
— Oh Wynnie, ma belle Wynnie, l'accueille-t-il en s'adossant à sa chaise. Tu ferais une si belle Kallerienne.
Face au charabia de Tikala, elle se dit que les algues doivent déjà faire effet. Probablement que son cerveau transforme toutes les femmes qu'ils voient en Kallerienne.
— De quelle couleur suis-je ? lui demande-t-elle, un brin curieuse de la Kallerienne qu'il voit désormais en elle.
Pas qu'elle souhaiterait ressembler à un poisson, elle qui n'aime pas énormément l'eau, mais l'idée qu'elle devienne quelqu'un d'autre l'espace d'un instant la séduit immédiatement. Pas de vaisseau à réparer, pas de droïde à rebooter, pas de loubard à tabasser. Pas une esclave, en somme. Ce serait trop beau.
— Un violet si léger, comme tes yeux, explique-t-il en posant maladroitement sa main sur celle d'Eowyn. Comme de la lavande. Si doux et pourtant contrastant avec le reste de notre espèce. Un modèle exceptionnel.
De la lavande. Eowyn a toujours aimé le violet, en effet. S'il y a bien une chose qu'elle apprécie sur elle, c'est la couleur de ses yeux. Elle n'a jamais vu personne d'autre sur Ongarth avec les yeux mauves. Elle a beau ne pas connaître tous les habitants de cette planète, ni même imaginer combien de personnes il existe dans la galaxie, elle se doute bien que ce n'est pas une couleur répandue. Sauf peut-être pour des espèces particulières mais si c'est le cas, elles n'ont jamais mis les pieds sur Ongarth.
— J'adore le violet, se contente-t-elle de répondre.
Tikala lâche un gémissement de satisfaction tout en fixant Eowyn avec intensité. Elle se rappelle les mots de son client : « il fait partie de ces vicieux qui utilisent le statut des esclaves pour assouvir leur appétit charnel ». Un frisson de dégoût la parcourt à l'idée qu'il ait eu un orgasme rien qu'en la regardant et complètement sous l'effet des algues.
— Tu as réfléchi à ma question ? cherche-t-elle à mettre fin au plus vite à cette entrevue.
— J'aurais quoi en échange ?
Elle serre les dents. Elle espérait pourtant que l'effet des algues le détendrait suffisamment pour qu'il soit d'une générosité sans nom. Mais un cafard reste un cafard.
— Le plaisir de me revoir la prochaine fois que j'aurais besoin d'une info. Si celle-ci est fiable, cela m'empêchera d'aller chercher ailleurs.
— Mes infos sont fiables.
Le ton est devenu sérieux, bien plus que lorsqu'il est sobre. On dirait presque qu'il est redescendu illico.
— Elles sont fiables une fois sur deux. Tout dépend de ton humeur et de la personne qui te demande de l'aide.
— Elles sont toujours fiables pour toi.
Un nouveau frisson la traverse. Cet homme la dégoûte.
— Il va me falloir un peu plus que ça. L'info que tu me demandes, elle vaut de l'or. Tu n'imagines pas le nombre de personnes qui recherchent des Mandaloriens.
En effet, je n'imagine pas.
— Je n'ai plus de pièces de vaisseau à te donner. Rien d'intéressant en tout cas.
— Pourquoi pas ça ? lui demande-t-il en pointant du doigt la chaine qui pendouille à son oreille.
Cela ressemble à un bracelet de poignet, mais ce dernier passe dans un petit trou au sein du cartilage de son oreille et le tout se rejoint sous son lobe pour finir en une courte chaine au bout de laquelle trône un petit anneau.
— À première vue, je dirais que c'est du fer Jovak. Étonnant pour une esclave. À qui l'as-tu volé ?
— Je n'ai jamais rien volé de ma vie, c'est un bijou de famille.
— Étonnant pour une famille d'Ongarth, dans ce cas. Ce genre de métal n'existe que sur une seule planète dont le peuple a subi un génocide. C'était une belle planète.
Il semble divaguer dans ses souvenirs, ou les milliers d'informations qu'il a en tête. Eowyn ne fait pas vraiment attention à ce qu'il raconte, le pouvoir des algues doit monter crescendo, lui faisant dire de plus en plus de bêtises. Elle doit se dépêcher de lui soutirer cette info.
— Dis-moi où trouver des Mandaloriens et le bijou est à toi.
Il reprend soudainement contenance, lui offre un regard entendu et un sourire ravi.
— J'ai toujours rêvé de posséder du fer Jovak, cela doit valoir des milliards de crédits maintenant que leur population a été exterminée.
Le voyant constant dans son discours, elle se demande alors s'il ne raconte pas une forme de vérité. Mais elle n'a pas le temps de s'en préoccuper pour le moment. Il est trop frivole, il pourrait changer d'avis au dernier moment. Elle détache son bijou de son oreille et le laisse pendre devant ses yeux.
— Où sont les Mandaloriens ?
— Je ne sais pas où ils sont, mais je connais quelqu'un qui sait où en trouver. En tout cas, c'est ce qu'il prétend savoir.
— Tikala.
— Il s'appelle Gor Koresh. C'est un Abyssin. Tu sais, chauve, généralement vert avec un œil de cyclope. C'est un grand parieur dans les combats de Gamorréens qu'il organise et un chasseur de beskar à ses heures perdues. Il est sur Todorim, à moins d'un jour d'hyperespace. Donc si tu cherches à envoyer ton ami le Mandalorien à l'abattoir, c'est vers lui que tu dois l'envoyer.
Il fait un mouvement de menton pour désigner son client qui les regarde depuis le comptoir. Elle tourne légèrement sa tête pour le voir. Il ne détourne pas le regard. Elle se reconcentre sur Tikala qui a attrapé le bijou qu'elle tient entre ses doigts. Il tire doucement dessus mais elle a du mal à le lâcher. C'est sa mère qui le lui a donné avant d'être emmenée par Wartob. Elle s'en souvient comme si c'était hier. Normalement, c'est un bracelet banal que l'on met au poignet, mais avec son travail au garage, elle a préféré le garder dans un endroit où il ne pourrait pas se casser : accroché à son oreille. Elle y a fait son piercing elle-même, quand elle avait douze ans.
Finalement, elle le lâche et Tikala s'empresse de le humer avec avidité. Elle se lève aussitôt pour s'éloigner.
— Je viendrais te voir te battre ce soir ! lui crie-t-il alors qu'elle se dirige vers la sortie de la cantina.
La pluie torrentielle est revenue en force. Elle se met à courir sous la pluie pour rejoindre la place suspendue dont les supérettes ont fini par fermer à cause des intempéries. Cela n'empêche toutefois pas les pêcheurs de continuer leur compétition.
Eowyn pose ses doigts sur la barrière en fer dégoulinante d'eau. Ses mains tremblent, tout son corps en réalité. Elle vient de donner le seul objet matériel restant de sa famille à un opportuniste qui n'hésitera pas à le vendre au plus offrant pour aider un Mandalorien doutant de son honnêteté. Elle essaie de reprendre son souffle, comme si elle avait été en apnée tout ce temps.
— Eowyn.
Elle déglutit alors que la pluie dégouline sur son visage comme le feraient ses larmes si elle les laissait couler.
— Il faut que vous alliez sur Todorim, se contente-t-elle de lui dire sans se retourner. Gor Koresh sait où trouver des Mandaloriens, ils les chassent pour leur beskar. Évitez d'emmener le petit dans vos dangereuses péripéties. Si vous y restez, il sera tout seul.
Comme moi.
— Tiens.
Il a fini par se rapprocher d'elle pour prendre sa main et y glisser quelque chose en son creux. Quand elle baisse son regard, c'est le bracelet qu'elle vient tout juste de céder à Tikala.
— Comment ?
— Je l'ai récupéré. Ça avait l'air de te coûter énormément de le donner. Ton informateur n'a rien remarqué. Il était trop...
— Défoncé, finit-elle en serrant le bijou dans sa main. Merci beaucoup, vous n'étiez pas obligé.
— Ça ne me coûtait rien de le reprendre, surtout après tout ce que tu as fait pour nous, pour lui.
Le berceau est à côté de lui, fermé. La pluie aurait tôt fait de l'inonder.
— Je m'excuse sincèrement. Je ne voulais pas remettre en question ta bonne foi. La galaxie est majoritairement peuplée d'égoïstes, il est difficile d'y trouver des personnes généreuses et dévouées, sans arrière-pensées.
— Je sais.
Elle lève finalement le regard vers son casque dont elle sait qu'elle ne verra jamais le visage derrière.
— Et vous, qu'avez-vous sacrifié pour l'aider ?
— Le droit d'être tutoyé, apparemment.
Eowyn a besoin d'une seconde pour comprendre. Elle lâche un petit rire qui détend tous ses muscles.
— C'est du professionnalisme, lui répond-elle en continuant de ricaner.
— Ça me vieillit surtout, constate-t-il.
Elle ne sait pas quoi répondre. Elle n'arrive pas à mettre un visage derrière le casque, ni même à lui donner un âge. Malgré tout, après avoir escaladé le temple Jedi pour rejoindre la Triade, elle se dit qu'il a quand même la forme.
— J'estime n'avoir rien sacrifié. Je me suis juste débarrassé du superflu et j'y ai gagné une mission digne d'intérêt, vertueuse, ainsi qu'une adorable compagnie.
Il pose sa main sur la coque du berceau.
— Ce n'est pas parce que c'est dangereux que c'est forcément un sacrifice. Et il en va de même pour toi. Tu n'as jamais été obligée de sacrifier quoi que ce soit, mais nous te remercions sincèrement de l'avoir fait.
Elle lui sourit en retour.
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