8 - Talion
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Talion : châtiment qui consiste à infliger au coupable le traitement qu'il a fait subir à autrui.
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— Enlevé, dis-tu ?
Le regard de la jeune femme sondait entièrement l'homme d'en face ; étrangement enjoués, ses yeux papillonnèrent plusieurs fois de suite, comme si elle attendait confirmation. La musique classique s'envolait entre eux dans la salle, s'échouant sur les tapisseries anciennes des murs, glissant sur les dorures du plafond pour atteindre la peinture, au ciel.
— Cela n'est pas surprenant. A vrai dire, je m'y attendais. Elle gloussa un court instant. Donc Taehyung est ici, si je ne me trompe.
— Oui. Le Prince Jeon l'a placé dans la prison royale.
— Quel traitement de faveur... J'ai entendu dire qu'il était mignon. Serait-il tombé sous son charme ? Un rire, plus prononcé, avant qu'il ne se tut. Qu'en est-il de la situation avec les autres Royaumes ? N'ont-ils toujours pas réagi ?
Le jeune hocha la tête, un léger sourire dessiné sur ses lèvres.
— Nous n'avons aucune nouvelle pour l'instant. Mais cela ne saurait tarder.
— Très bien. Qu'ils nous attaquent ! Elle s'exclama. Nous n'attendons que ça, oh...
Sa tête retomba sur le dossier du trône, ses longs cheveux noirs glissaient de chaque côté de ses épaules.
— J'ai si hâte de voir leur sang couler. Oh, oui... Si seulement cela pouvait arriver.
La belle femme se mit à ricaner, son visage retomba en avant. Sa main passa sur son menton, ses ongles frôlèrent ses lèvres décorées d'un rouge à lèvre mat de couleur mauve. Son regard de biche revint se placer sur la silhouette de l'homme, qui s'était courbé.
Elle reprit.
— Quand sera le jour où la vérité éclatera, dis-moi ?
— Lorsque resplendira le gris. Il répondit. Je pense que ce ne sera que dans quelques jours.
— Mh... Elle laissa tomber, l'air joyeux.
Dans quelques jours, pensa-t-elle.
— J'aimerais organiser une petite cérémonie pour fêter cette magnifique trouvaille, qu'en penses-tu ?
Le garçon se releva.
— C'est une merveilleuse idée. Devrions-nous inviter chaque Royaume ?
— Bien sûr ! Nous les accueillerons ici, à Némésia. J'ai hâte de revoir Jungkook, mais surtout je veux absolument rencontrer ce Taehyung, quand bien même je les verrai bientôt. Je tiens plutôt à m'entretenir personnellement avec lui.
— Très bien. Souhaitez-vous que je fasse les invitations aujourd'hui ?
— Ce serait fabuleux. Vas-y donc, Seokjin.
L'homme se courba à nouveau, avant de se diriger vers les portes de la salle. Un bruit sourd ; il était sorti. La jeune femme soupira, ses yeux se levèrent alors vers le plafond, pour se placer sur la tapisserie. Pendant plusieurs secondes, elle l'observa silencieusement. Les coins de ses lèvres s'étirèrent lentement, jusqu'à former un joli sourire.
— Oh, trésor... Elle murmura.
Sa main remonta gracieusement en l'air, elle pointa le dessin de l'Ange avec son ongle. Son rire s'envola, se joignant aux sons des violons.
— Ce sera moi. Ce sera moi qui te tuerai.
[...]
C'était la fin d'après-midi.
Le noiraud avait fermé paisiblement les yeux, assis sur ce trône qui lui conférait son image de Prince. Les seuls sont qui détruisaient le silence était les pleurs du châtain ; ils étaient seul à seul, aucune autre présence n'avait été ordonnée de la part du Libre.
Mais le garçon profitait pleinement du calme, bien qu'il ne fût pas totalement absolu. Quant au Juste, il laissait simplement partir le chagrin qui le détruisait. Il n'y avait aucuns mots échangés entre eux, pour être honnête Taehyung se demandait même pourquoi le Prince avait exclu les gardes de la salle.
Mais il savait que c'était mieux ainsi, pour lui. Il voyait cela comme un temps de confort, sans aucuns coups portés sur son corps sali. Le soulagement ressenti avait été exceptionnel une fois les hommes sortis.
Cependant, Taehyung savait pertinemment que ça n'allait pas durer éternellement. Cela ne faisait que quelques minutes, moins d'une dizaine que le silence avait pris place. Il n'osait pas même remonter son regard par peur de croiser celui du Prince, en craignant le fait qu'il le prendrait comme un signe comme quoi le garçon s'en était déjà remis.
Le châtain tentait pourtant d'étouffer les sons qui sortaient de sa bouche, bloqués par sa main. Il était allongé, les deux jambes repliées sur le côté, l'autre main sur son ventre.
Cela devait faire déjà plus de 6 heures que Yoongi et le Roi étaient partis, sans aucune nouvelle. Mais Taehyung sentait que le noiraud restait serein face à la situation ; les quelques échos qu'il avait pu entendre était qu'une personne non-libre s'était aventurée sur leur terrain interdit. Le châtain s'était rendu à l'idée que lui aussi allait se faire retrouver en quelques secondes, bien que le temps logeât un certain doute dans le coin de sa tête : que faisaient-ils depuis ce temps ?
Jungkook lâcha un soupir, Taehyung tressaillit.
Non, non, non, pensait-il.
Allait-il faire rentrer les hommes ? La respiration du garçon s'emballa à la seconde.
— Taehyung.
Le visage ensanglanté du châtain se leva. Il avait un œil fermé à cause du sang qui coulait de son arcade sourcilière. L'autre se planta sur sa silhouette, pourtant, le noiraud n'avait pas même ouvert ses paupières. Simplement, il avait levé sa tête, le crâne posé contre le haut du dossier du trône.
Dans un second souffle, ses yeux se plantèrent sur le garçon.
— Pourquoi gardes-tu le silence ?
Taehyung recommençait déjà à suffoquer.
— Répond. Le noiraud s'impatienta.
— J-Je ne s-sais pas...
Un rire.
— As-tu au moins conscience de ce qu'il se passe ?
Les larmes reprenaient le court des anciennes.
— J-Je ne s-sais rien... je suis d-désolé. P-Pardon.
Un silence.
— Pourquoi est-ce que tu t'excuses ?
Second.
— J-Je ne s-sais pas...
Un soupir, plus prononcé. Le noiraud craqua sa nuque, avant qu'il ne se relève du siège. Taehyung fût pris de panique en le voyant descendre les marches pour venir jusqu'à lui. Son visage s'était immédiatement baissé, les larmes coulaient sur le côté de son nez, se mêlant au sang.
Est-ce qu'il y avait dans ce monde, une torture plus cruelle que l'espoir ?
Celles-ci redoublèrent de volume lorsque les chaussures du Prince se stoppèrent à quelques centimètres de son visage.
— Tu fais pitié. Tu me fais pitié. Taehyung pleurait à chaudes larmes. Je commencerais presque à croire que tu ne connais réellement rien à ton sujet.
Un souffle, deux.
— Mais ce n'est pas le cas. Et ce ne sera jamais le cas.
— Je v-vous jure ! J-Je ne sais ri-...
— Tais-toi.
De sa main droite, ses doigts gelés prirent place sur ses joues et son visage fût relevé de force. Il se confronta à des iris d'un noir, aussi sombre, aussi obscur que son âme semblait être. Taehyung peinait à garder son regard dans le sien, tant la haine semblait hacher son incompréhension.
— Yoongi m'a parlé de toi.
Il s'accroupit devant lui, et posa un genou sur le sol. Sa main gauche remonta se placer sur sa joue, son pouce caressa le dessous de son œil moins abîmé.
Il était grand. Majestueux.
Taehyung fût gêné d'être si proche, d'autant plus que ses larmes coulaient désormais sur la peau du Prince. Mais Jungkook ne semblait pas spécialement préoccupé par cela, mais plutôt par son œil. Il le fixait, et le châtain avait remarqué qu'il ne le regardait pas lui, mais lui. Son œil. Sa pupille. Son iris.
— Les médicaments que tu prends, sais-tu ce de quoi il s'agit ?
Le cerveau de Taehyung se bloqua sur sa question.
— M-Ma mère... c-c'est pour ma v-vue... Il bafouilla malgré les doigts du Prince.
— Pour ta vue, mh ?
Le visage du Prince s'était encore rapproché. L'odeur de cèdre embauma les narines du châtain, la peau pâle faisait ressortir ses yeux aussi noirs que sa chevelure et ses lèvres joliment roses. Taehyung se demanda s'il n'y avait pas plus beau que lui, que cet homme pourtant si différent, si opposé, au fond. Il sortait tout droit d'un conte de fée, d'une histoire surnaturelle, d'un roman fantastique.
Sa main était gelée. Ses doigts fins étaient si froids. Puis, il crut que son cœur allait s'arrêter lorsqu'il porta sa seconde main un peu plus haute, pour dégager les quelques mèches de cheveux qui le dérangeait dans sa contemplation. Mais très vite, celle-ci quitta sa peau.
L'autre gardait sa place ; le Prince pencha son visage sur le côté.
Ses longs cils battaient si calmement, d'une manière si douce et belle comme les ailes d'un papillon. Ses yeux en amandes n'abritaient aucune lueur joueuse, mais le Libre semblait intéressé par ce qu'il observait : les siens. Le sien.
— Ça n'a pourtant pas l'air de changer grand-chose. Penses-tu ?
Le châtain n'avait pas assimilé sa phrase ; il s'était concentré sur la manière dont ses lèvres avaient bougé, les coins de celles-ci qui se tordaient et sa langue qui se levait pour formuler ces mots.
— Tu as arrêté de pleurer.
Cette fois-ci, sa phrase l'avait percuté de plein fouet. Le Prince ne tarda pas plus à se relever sur ses jambes, laissant ses doigts laisser place à un vide sur le visage du garçon, qui retomba à la suite.
— Tu t'es assez reposé, il me semble, non ?
Oh non, sil-vous-plaît.
— J-Je vous en s-supplie ! Ne l-les faites pas r-revenir !
Le Prince leva un sourcil.
— Tu préfères que je te frappe ? Je m'en moque ouvertement de tes préférences.
— N-Non, c-ce n'est pas ce q-qu-...
— Rentrez.
Sa voix avait résonné, plus sévèrement, plus fort. Taehyung s'était retourné sur le ventre, pour apercevoir les hommes venir à nouveau jusqu'à lui. Il se tourna vivement de l'autre sens, pour regarder d'une manière totalement impuissante, le Prince s'en aller vers le trône.
Plus cruelle ? Avez-vous quelque chose en tête ?
Pris d'une énergie soudaine, il tenta de se relever, trois fois de suite, mais son corps ne supportait plus ces efforts soudains. Il réussit tout de même à attraper la jambe du Libre. Il entoura sa cheville de ses doigts, ses ongles s'accrochaient fermement à sa peau...
...et Taehyung s'était accroché à son restant d'humanité qui n'avait pourtant pas l'air d'exister.
Cette pensée se confirma lorsque la chaussure du Prince frappa violemment son visage. Le châtain avait lâché prise, suffisamment pour que le noiraud puisse s'en libérer et se tourner face à lui.
— Mon Prince ! Avaient crié les hommes.
— Qui es-tu pour te permettre de me toucher ?! Il avait agrippé le haut de son vêtement.
— S-S'il-vous-plaît ! Taehyung bafouilla. J-Je ne veux p-pas... Je ne v-veux plus qu'ils me f-frappent...
Le regard du Libre s'était à nouveau rempli de cette nonchalance inhumaine, pourtant le châtain pouvait jurer avoir perçu de la bienfaisance dans ses yeux, un peu plus tôt. Au début, et là, juste là. Il y a quelques minutes. Il pouvait jurer sur n'importe qui, le noiraud n'était pas si indifférent que ça.
— J-Je vous en s-supplie... Il répéta.
Voilà. C'était ça. En peu de temps, si ce n'est qu'en l'espace d'un regard, le Juste avait perçu au plus profond de son âme qu'Artémis n'avait pas l'emprise totale.
Son regard commençait peu à peu à changer. La main de Taehyung s'était placée sur celle qui tenait fermement son vêtement. Jungkook jeta un œil aux hommes qui s'approchaient d'eux, puis Taehyung, et eux, à nouveau. Les gardes semblaient avoir compris un message implicite ; ils s'étaient arrêtés à quelques mètres.
— S'il-vous-plaît...
— Je t'ai déjà donné assez de temps. Trop de temps. Nous, nous n'en avons pas assez.
Taehyung s'écroula au sol à la suite de ses mots prononcés. La réponse du noiraud avait été la plus douce de celles qu'il avait pu imaginer ; son regard fixait sa silhouette qui s'en allait une énième fois vers le trône, tandis que les grosses mains des gardes attrapaient violemment ses cheveux. Des coups reprirent, mais étrangement, l'esprit du garçon restait bloqué sur les phrases qu'il avait prononcées. Comme s'il s'agissait d'un secret.
C'était idiot de penser ainsi, mais le châtain en était convaincu.
[...]
Hyo jouait avec ses doigts, sa mère était partie voir quelqu'un un peu plus loin. Ne restaient à ses côtés que Jimin et Namjoon. Le brun observait ses pieds, son ami le fixait. A vrai dire, il n'osait pas tellement prendre la parole par peur de briser le silence, par peur de rappeler la situation au blond.
Mais il voyait bien des millions de pensées chahuter dans sa tête, Namjoon se devait bien faire quelque chose avant que celle-ci ne finisse par exploser.
— Jimin.
Pas de réponse.
— Jimin. Il appela un peu plus fort.
Cette fois-ci, le garçon avait relevé la tête.
— A quoi tu penses ?
Ses yeux se baissèrent.
— A ton avis.
Bon, en effet, ce n'était pas forcément la bonne question à poser. Namjoon reprit après quelques instants, une fois sa gorge raclée.
— Tu sais, ce n'est pas ta faute s'il... enfin, s'ils sont morts.
Hyo avait eu un frisson à sa phrase, le garçon se rendit compte de ses paroles. Il tenta de reprendre mais le blondinet fût plus rapide.
— Ils ne sont pas morts.
— Jimin, il va falloir que tu voies la réalité en face. Les Libres sont impitoyables...
— Taehyung n'est pas mort !
Sa voix avait résonné dans la cour du palais. Quelques personnes s'étaient retournées, mais Namjoon était trop occupé à observer ce visage déformé par une détermination incroyable.
— Pourquoi tu t'obstines tant ? Il lâcha d'une voix brisée.
— Si Hoseok n'est pas revenu, a-alors Taehyung n'est pas mort.
Il avait misé sur la vie d'un autre. Mais il y croyait fermement. Jimin était quelqu'un d'assez pragmatique bien qu'il avait un esprit très ouvert. Mais lorsqu'il s'agissait de la vie de ses amis, rien ne comptait plus que les penser vivants.
Namjoon serra les dents.
— Arrête de dire ça ! Tu sais très bien qu'il est impossible de survivre face à eux ! Taehyung est mort, Jimin. Il est mort, et ce n'est pas ta faute ! Hoseok l'est certainement aussi !
— N-Non !
— Tous les gens qui sont hors des frontières sont morts, voilà ! Quand vas-tu le comprendre ? Ses mots furent néanmoins coupés par des sanglots.
Jimin le fixait, les yeux en larmes.
— Comment... Comment est-ce que tu peux dire ça ?
— C'est la réalité. C'est ce que tu n'arrives pas à te dire.
— Taehyung et Hoseok ne sont pas morts.
Namjoon soupira.
— Tu-...
— Non, ne me contredis pas.
Le blondinet sanglotait, il s'essuyait les larmes avec le dos de ses mains de gestes rapides.
— S'il-te-plaît. Ne me contredis pas.
[...]
Le visage ensanglanté, les quelques soupirs rauques de Taehyung s'envolaient dans la salle, bien qu'ils fussent inaudibles pour les autres. Jungkook était toujours assis sur son trône, en haut des marches de l'escalier, observant la scène.
Il s'était à nouveau évanoui. Une quatrième fois.
Le châtain était allongé sur le dos, la tête sur le côté. Son torse se relevait faiblement au rythme de ses respirations inconscientes, de la salive rougeâtre s'échappait de ses lèvres, coulant le long de sa joue droite jusqu'à s'échouer sur le tapis. Ses yeux étaient fermés, des tâches bleues et violettes décoraient tristement la peau de son visage, de ses mains, de ses pieds.
Partout sur son corps était marqué le talion.
Les gardes faisaient une pause, en attendant son prochain réveil, les chaussures couvertes de sang. Ils se trouvaient près du Prince, en hauteur. Ils discutaient entre eux, mais le regard du noiraud était rivé sur Taehyung. Il hochait la tête de temps en temps, sans pour autant couper ce contact visuel sur sa silhouette, un peu comme s'il le surveillait.
Comme s'il l'attendait.
Le regard apathique du Prince témoignait de sa nonchalance parfaite. En vérité, il fulminait de rage ; le jeune châtain n'avait toujours fourni aucune réponse. Cela faisait bientôt huit heures qu'il attendait sa vérité, sans compter les longues minutes d'attente où il était inconscient.
Jungkook lança un regard vers la fenêtre. Le soleil commençait déjà à se coucher ; les lueurs rouge orangé faisaient rayonner une aura ténébreuse dans la grande salle. Il devait certainement être aux alentours de 20 heures.
— Ils vont bientôt revenir. Confirma l'un des hommes.
— Vous avez des nouvelles de ce qu'ils ont trouvé ?
— Non, mon Prince. Répondit l'homme à gauche. Mais ils vont très certainement revenir avec.
— Combien de soldats les ont accompagnés ?
— Une cinquantaine, mon Prince. Les plus efficaces.
— Mh. Il laissa tomber, en observant la silhouette de Taehyung qui bougeait.
Le châtain essayait tant bien que mal de se mettre sur le côté, cependant tous ses membres tremblaient.
— Tu t'es assez reposé ?
Toussotements.
Accompagné d'un mouvement de tête, Jungkook reprit.
— Allez-y.
Les gardes s'exécutèrent et descendirent rapidement l'escalier pour venir retrouver le corps meurtri du prisonnier. Taehyung avait à peine eu le temps de relever la tête que le cuir de la chaussure du garde rencontra brutalement son ventre. Le sang avait jailli de sa bouche pendant que le Prince avait reposé calmement sa joue sur le dos de sa main.
La respiration erratique du garçon était coupée par le bruit des coups portés sur son corps. Les gardes étaient tout simplement odieux avec lui ; ils n'épargnaient aucun centimètre, frappaient le plus souvent son ventre et écrasaient ses chevilles.
Le Prince ne flanchait pas. Cela faisait bientôt une dizaine d'heures qu'il observait le spectacle morbide se dérouler sous ses yeux. Il ne s'était levé que trois fois, sans compter la pause qui lui avait été accordée.
Les grognements de Taehyung devinrent une nouvelle fois muets ; l'un des hommes continuait pourtant à le frapper lorsque le Prince reprit la parole en soupirant.
— Arrête.
Il continuait.
— Arrête !
Sous ses yeux énervés, il comprit que le garde ne l'entendait guère, sans doute enseveli par l'aura de la divinité. Le Libre se releva de son siège précieux, et descendit les marches de l'escalier pour venir jusqu'à eux. Il écarta le garde en tirant violemment sur son épaule, et aperçut Taehyung, la bouche entrouverte, complètement silencieux.
— Putain ! Il cria.
Jungkook s'empressa de s'agenouiller et d'attraper son visage entre ses deux mains, en essuyant les gouttes de sang sous ses paupières. Le regard noir du Prince se confronta à sa pupille droite dilatée, une vague de panique s'instaura dans son corps lorsqu'il se rendit compte qu'il ne respirait plus.
— Je ne t'ai pas demandé de le tuer ! Il hurla à l'homme concerné, qui se sentait honteux. Je vous avais dit d'y aller plus doucement !
Le visage du Prince se tourna une nouvelle fois face au garçon. Il observa son torse.
Il ne bougeait plus.
Une de ses mains quitta ses joues et se posa sur son cou, son teint devint livide. Les battements de son cœur n'étaient plus. Une vague de terreur : Artémis grandissait dans son esprit, il sentait ses sens se démultiplier, ses battements cardiaques s'accélérer et la pression divine fondre sur lui. Sous l'angoisse du Prince qui se faisait ressentir, un des hommes s'agenouilla à son tour.
— M-Mon Princ-...
Soudain, il toussota.
Les yeux gris foncé de Jungkook fusèrent sur son visage. Ses paupières papillonnèrent quelques instants, avant que Taehyung ne mêle son regard avec le Prince. Ses pupilles étaient toujours dilatées. Le Libre replaça deux de ses doigts sur sa jugulaire, pour constater un rythme cardiaque faible qui était revenu.
Il lâcha un soupir discret de soulagement.
La peau froide de ses mains quitta la peau brûlante du châtain. Il se releva sur ses deux jambes en même temps que le garde en face de lui. Il se tourna vers l'homme qui avait presque eu la raison du châtain.
La pression dans la salle les obligea tous à s'agenouiller. Le Prince Jeon inclina son visage jusqu'à planter son regard d'un noir si intense, si puissant sur l'homme responsable. Les gardes avaient tous baissé la tête, mais ils percevaient la Déesse s'en émaner, dans leur esprit s'affichaient ses yeux colorés d'un gris aussi sombre que son euthymie.
— Tu as frôlé la torture jusqu'à ta pitoyable mort. Articula-t-elle. Estime-toi heureux qu'il respire encore. Je t'aurais arraché les membres, écrasé ton corps et transpercé tes yeux pitoyables.
Celui-ci avait baissé le regard, ses dents maltraitaient hargneusement ses lèvres. La pression était colossale, l'homme savait pertinemment que c'était à lui qu'Artémis s'adressait. Il pouvait sentir son regard Divin planté sur sa silhouette le transpercer de sa grandeur.
Le Prince se donna quelques secondes à observer silencieusement le jeune garçon à ses pieds ; il s'attarda sur sa poitrine qui se relevait légèrement. Il clôt un court instant ses paupières.
Fallait-il continuer ainsi, ou changer de méthode ? Jungkook était bel et bien conscient qu'il avait risqué la mort de peu malgré ses ordres, cependant la vérité n'avait toujours pas éclaté.
Que fallait-il faire ?
La pause effectuée n'avait strictement rien changé. Il avait pensé que le garçon ne voulait pas l'avouer à haute voix mais cette hypothèse n'avait mené à rien. Il avait aussi ordonné à ses gardes d'éviter de le frapper au visage pour lui laisser le temps de répondre.
Comment pouvait-il garder le silence ? Jungkook était sincèrement étonné de sa fidélité à garder son secret.
La salle de torture, peut-être ?
Lorsque Taehyung se tourna vivement sur le côté pour vomir. Jungkook s'était vivement reculé et ses yeux, levés vers la porte. Les bruits étouffés de sa gorge le firent souffler.
Il allait certainement entendre ses supplications et ses pleurs inutiles. Ce n'était pas la meilleure des idées, selon lui.
Sous les sons gutturaux qui s'envolaient, Jungkook pesta. La situation n'évoluait pas. Le Prince avait l'impression d'être totalement impuissant et il détestait cela. Ce n'était tout de même pas compliqué d'avouer ceci ? Pourtant Taehyung n'avait pas l'air de penser la même chose.
Il perdait du temps. Beaucoup de temps. Bien plus de temps qu'il en avait.
— Ramenez-le dans sa cellule. Jusqu'au prochain ordre. Prononça-t-il froidement.
— O-Oui, mon Prince.
Quelques dizaines de secondes plus tard, le Libre fût seul dans la salle. Artémis s'était calmée. Son regard s'en alla regarder le ciel, dehors. La lune n'était plus pleine désormais, l'un de ses côtés se remplissait d'ombre tandis que l'autre faisait vivre au travers de sa lumière grisâtre les rayons du soleil.
Il se perdit une nouvelle fois dans ses pensées : le Prince réfléchissait durement sur la situation. Les choses ne se passaient pas comme prévu. C'était vrai ; non seulement Taehyung n'avait rien dit, mais les Royaumes des Justes et des Nobles n'avaient toujours pas réagi. C'était bien trop étrange.
Enfin, Jungkook, très certainement le Roi et Yoongi, étaient sûrs que la personne dans la forêt s'agissait d'un garde, venu pour négocier ou pour déclarer la guerre. Cela paraissait tout de même incroyable qu'il était venu s'aventurer seul sur la terre des Libres.
Étaient-ils si inconscients, ou si désespérés ?
Il releva la tête, en balayant ses cheveux sombres dune main.
Le Prince était agacé, contraint par le temps. Par le retour du Roi, et par le manque de la réponse du châtain. Il était prévu de base que la réponse de Taehyung soit dite dès le départ, mais son silence compliquait les choses. C'était d'une part pour ce fait que le Roi était parti rencontrer la personne sur les terres, parce qu'il pensait que c'était un Noble, ou un Juste.
Peut-être même leur Roi, d'ailleurs.
La situation était trop calme. C'était impossible qu'ils se soient trompés sur la personne. Il ne manquait presque qu'une seule chose, elle-même contrainte par le temps ; des larmes qui allaient faire resplendirent le gris de la Noblesse. Mais il n'en avait pas assez.
Cela semblait aussi inconcevable que sa disparition restait muette.
Soudain, la porte s'ouvrit.
— Jungkook.
La voix du jeune médecin avait résonné dans la salle presque vide. Le Prince ne prit pas la peine de se retourner pour lui faire face.
— Qu'avez-vous trouvé dans la forêt ? Il lança à la place.
Un silence ; Jungkook avait simplement entendu Yoongi soupirer.
— Un jeune garçon. Il ne nous a pas révélé son nom. On lui a posé plusieurs questions, il n'a fait que garder le silence. On ne sait même pas ce qu'il faisait là, il semblait juste chercher quelqu'un. L'idée qu'il recherchait Taehyung nous a bien sûr traversé l'esprit, mais nous n'avons aucune preuve que ce soit réellement le cas.
Le noiraud inclina son corps sur le côté. Ils s'échangeaient un regard partagé.
— Tu plaisantes ?
Le médecin baissa légèrement la tête, pour venir observer calmement le trône, au loin. Le silence prit soudainement le dessus dans la pièce, avant que le Prince ne surenchérisse.
— Que vous lui avez-vous fait ?
— Nous n'avons rien pu faire, Jungkook. Tu sais très bien pourquoi. Les hommes l'ont simplement emmené avec nous. Il est resté avec mon Père dans une des salles réservées aux interrogatoires. Nous ne pouvons qu'attendre ses réponses.
Le noiraud resta silencieux.
— Taehyung a-t-il fourni une réponse ?
Un ricanement.
— Il est resté complètement silencieux. Il n'a rien dit !
— Et si ce n'était pas lui ?
— C'est forcément lui, Yoongi. Nous avons toutes les preuves nécessaires pour l'affirmer. Nous n'aurions très certainement pas pris cette décision si nous n'étions pas sûrs.
— Il n'a cependant pas l'air de savoir sa propre situation.
— N'instaure pas le doute dans nos pensées. C'est dangereux.
Les deux libres s'offrirent un duel de regard soudain, leurs yeux transpiraient d'une haine si grande qu'il était difficile de déchiffrer laquelle était la plus juste. Laquelle avait lieu d'être. Jungkook était un peu plus grand que Yoongi, mais cela n'empêchait pas que celui-ci pouvait lui tenir tête.
Leur dispute était assez fréquente. Tous deux n'étaient pas sur les mêmes longueurs d'ondes, après tout.
— Je sais ce que tu veux réellement. Tu cherches juste à associer cette injustice à une personne pour pouvoir te venger de ce qu'il s'est passé.
— Je veux rendre justice à mon peuple.
— Comme s'il savait déjà qui il était, c'est ridicule, Jungkook ! Tu vois bien qu'il ne sait rien de lui, qu'il ne sait rien de sa mère, de son père, et de sa situation ! Tu lui refoules tous les problèmes alors qu'il n'a rien fait !
Le Prince lâcha un rire jaune.
— C'est en prônant ta foutue empathie au-dessus de la vérité que tu as perdu ta place sur le trône. Il rétorqua, la mâchoire serrée.
— Rien ne justifie le fait de s'en prendre à ceux qui n'ont rien à voir avec ça. J'ai simplement décidé d'établir une vraie Justice. C'est ça notre différence.
— La Justice, hein.
Un silence, plus intense, plus froid.
— Je tuerai ton père lorsque j'en aurais l'occasion. Laisse-moi du temps.
— Et qu'est-ce que tu feras, ensuite ?!
Jungkook remonta ses yeux, descendants des ténèbres, à nouveau dans les siens.
— Je tuerai Taehyung.
Un silence, encore.
— Et la Liberté sera Reine.
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Nouveau personnage !
Qu'en pensez-vous, pour l'instant ?
Prenez soins de vous, à bientôt !
<3
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