24 - Déité
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Déité : divinité mythique et suprême, créatrice d'un monde.
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Tel une valse, Lee Chaewon tournoya sur elle-même avant de lacérer violemment la gorge d'un homme qui s'était approché d'elle. Athéna la guidait. Elle s'arrêta avant d'incliner son visage en hauteur pour planter son regard dans celui de sa sœur, à quelques mètres de là.
Le visage de Lee Sae Jin était toujours décoré de ce même sourire, mesquin et radieux à la fois. Comme si toutes les issues du combat avaient déjà été écrites, et qu'elle était la gagnante. Elle ne bougeait que rarement, limitant les efforts inutiles.
Il fallait dire que Némésis la protégeait. Son aura assombrissait considérablement l'arène et les environs, en dehors de l'endroit la brume stagnait à hauteur de tête et Lee Chaewon savait parfaitement que la Déesse surveillait le Royaume dans lequel elle se trouvait.
Lee Sae Jin était sans doute le réceptacle le plus puissant de cet univers, sa divinité n'en demeurait pas moins effroyable. Sa force s'émanait si loin, Némésis couvrait l'entièreté de plusieurs centaines de kilomètres jusqu'aux Royaumes voisins.
Et elle voyait tout. Elles voyaient tout.
Par ses yeux aux lueurs bleu foncé, la divinité de la vengeance se dissimulait au travers de la faune et la flore, au travers des loups et des chrysanthèmes qui peuplaient les régions de Némésia. Sae Jin pouvait ainsi tout voir, tout connaître sur des hectares entiers et dans les moindres recoins.
Elle avait déjà appris la venue de la Noblesse depuis longtemps déjà. Depuis trop longtemps, pour que personne ne puisse se douter de quelque chose. Elle connaissait tous les principes qui l'avaient amené jusqu'ici, jusqu'à devenir une femme, jusqu'à devenir une Reine, et jusqu'à prendre la place de la plus puissante guerrière divine.
Sa sœur savait qu'elle l'avait surpassé depuis une éternité. Sans doute parce que la Liberté n'abritait aucune règle, ou bien, était-ce peut-être tout l'inverse. Un monde dans lequel les humains vivaient harmonieusement, que les mœurs idiots que les dirigeants d'une société avaient créé, avaient à leur tour disparues.
— Parce qu'être humain n'est pas forcément être logique, Chaewon.
— Que dis-tu, Sae Jin ? Es-tu folle ?
— Non. Je pense qu'il est tout aussi important de vivre dans un monde où nos pensées ne sont pas ensevelies par d'autres principes. Après tout, si penser définit être humain, que deviendrons-nous si nous ne pouvons plus le faire ?
— Mère. Ma sœur Sae Jin devient étrange ! Pourquoi pense-t-elle ainsi ? N'étions-pas nous censés devenir comme vous, les adultes ?
— Il était temps de changer l'ordre des choses, Chaewon. Souffla Sae Jin en plaçant deux doigts sous son menton. De briser la malédiction de cette société ignoble dans laquelle vous vivez.
L'aura ténébreuse de Némésis causa la mort soudaine de tous ceux présents à ses côtés. Tous, sauf une personne. La femme dont les cheveux noirs virevoltaient sous le vent de la divinité leva la tête pour observer son environnement. Ses yeux qui avaient perdu la lueur d'espoir, la lueur de vie, se planta dans ceux de Lee Chaewon.
— Ji Yeong. Interpella Sae Jin en se tournant vers elle. Je te prie de rejoindre ton fils et Jungkook. Némésis va te tuer si tu restes ici.
— J-Je... Je ne p-peux pas. Je ne peux plus le regarder... Sa faible voix se fraya un chemin jusqu'à ses oreilles.
Lee Sae Jin avait calmement fermé les yeux.
— Il s'agit là de ta dernière chance. Profite de cet instant et cours les rejoindre.
A ce même moment, le sceptre se déplaça pour finir par tomber devant ses genoux. Les yeux de la mère se posèrent dessus. Ses larmes se mirent à rouler le long de ses joues tandis qu'elle enroula l'arme de ses dix doigts, l'apportant à son visage.
— Pars, Ji Yeong.
La Reine de Némésia s'inclina de nouveau face à sa sœur lorsqu'elle l'avait senti se relever lentement sur ses deux jambes. Lorsqu'elle ouvrit les paupières, Lee Chaewon avait senti au plus profond d'elle Athéna trembler. Elle grandissait, encore et encore, sous le feu de sa divinité.
Ses doigts se serrèrent autour de sa lance tandis qu'elle baissa légèrement le visage. Ses jambes s'étaient déplacées. Chaewon sentait son coeur taper hargneusement dans sa cage thoracique. Elle n'avait pas spécialement peur de mourir. Non, ce n'était pas ça qui l'effrayait.
C'était les autres.
La plupart des guerriers ne supportaient pas l'ardeur de Némésis. Leur corps s'enflammait brusquement de cette ombre noire qui les poussait à se tuer entre eux. Ils succombaient à ce désir de vengeance intense, à ce désir de tuer.
— Regarde-les, Chaewon. Murmura sa sœur. Regarde-les perdre espoir.
Elle gloussa.
— Bientôt tes yeux m'offriront ce même regard.
Sae Jin se tenait juste devant elle, son sabre parvint à toucher violemment son armure dorée. Chaewon n'eut le temps de se reprendre que la Reine de Némésia frôla sa cuisse de son aura noire, qui gangrena sa chair. Némésis pourrissait sa jambe, un gémissement s'esquissa de ses lèvres. La jeune femme aux cheveux dorés s'empressa de guérir sa plaie par l'aura d'Athéna.
— Supplie-moi, Chaewon.
Une autre blessure, sur son bras droit. Son bras gauche. Sa poitrine.
La jeune blonde ne pouvait rien y faire. Némésis était bien trop rapide pour pouvoir la contrer, elle sentait son euthymie trembler face à elle tant sa puissance était supérieure à la sienne. Par chance, par miracle, sa lance s'était placée devant son cœur qui la protégea du coup du sabre noirci.
Mais Sae Jin s'était mise à danser, à son tour, ses chaussures tapaient pour reproduire les mêmes sonorités qu'une valse endiablée. Ses cheveux virevoltant et ses yeux fermés, sa main se leva gracieusement en hauteur et Némésis la guida. L'arène devint bleu foncé un court instant et Chaewon avait fini à genoux.
— Je veux t'entendre me supplier de t'épargner.
Ses yeux se bloquèrent dans les siens. Un immense choc se produisit, Chaewon avait serré les dents en sentant son aura brûler sous l'ardeur de la divinité. Néanmoins Athéna la protégeait suffisamment pour qu'elle n'y succombe pas. Ses doigts serrés autour de sa lance, elle parvint à se relever difficilement à quelques mètres de sa sœur.
— J-Jamais tu n'entendras mes prières, Sae Jin.
— Tu as été régie trop longtemps par ce devoir de protéger la Noblesse. Un jour tu mourras pour cette cause vaine.
— Silence !
Ce fût au tour de sa sœur de s'enflammer.
— Ne dis plus un mot !
— Je te sens trembler. Serais-tu capable de douter de toi, ma chère sœur ?
— Jamais. La Noblesse nous guide vers l'idéal suprême, tu n'es qu'une lâche, Sae Jin ! Elle s'écria. Comment as-tu pu abandonner notre famille ? Nos parents ? Notre peuple ?!
Un rire dans un souffle.
— Abandonner ?
Elle clôt ses paupières.
— Abandonner, dis-tu ?
Elle les rouvrit.
— Comment pourrais-je abandonner ?
Chaewon se recula à temps. Elle était revenue en force jusqu'à elle, les yeux brillant de cette lueur bleu foncé. Elle esquiva à nouveau la pointe de son arme, puis l'autre.
— Je te tuerai pour te prouver ta faute. Souffla-t-elle.
Mais lorsque le sabre se présenta devant sa gorge, Sae Jin s'était brusquement arrêtée pour cracher du sang. Elle avait subitement lâché ses armes pour porter ses mains à sa gorge.
— T-Tu as beau être la guerrière la plus puissante, ton corps ne la supporteras guère longtemps. Sussura Chaewon.
Un gloussement. Lee Sae Jin s'offra soudainement à un rire, son corps tremblait mais elle restait debout à ricaner malgré le sang coulant de ses lèvres. Les dessins des ronces s'ancrèrent le long de ses doigts, mains, bras, et grimpèrent jusqu'à ses épaules pour entourer son cou.
— Q-Que dis-tu ? Moi ? Un rire, plus fort. Ne pas supporter cette puissance que Némésis m'a offerte ?
Les échos de sa voix s'envolèrent plus loin encore.
— Qui penses-tu être pour tenir de tels propos, si ce n'est qu'une pauvre idiote ? Avait esquissé Sae Jin.
— Il y aura un jour où Némésis t'aura entièrement consumé. Parce que les ténèbres grandissent plus vite que tu ne penses, Sae Jin !
— Oui, oui... Qu'ils grandissent ! S'esclaffa-t-elle. Qu'ils prennent mon corps, tout ! Ils n'auront jamais ce désir de te tuer qui m'appartient, Chaew-
Elle se coupa une seconde fois. L'aura sombre de Némésis disparut aussitôt et la Reine s'effondra à genoux. Les marques noires des ronces disparurent petit à petit de son corps. Lee Chaewon l'observait de loin, puis s'élança vers elle. Sa lance brillait soudainement aux lueurs du ciel qui se dévoilaient de cette couche d'ombre, et la pointe trancha la tête de sa sœur.
Ses souffles saccadés résonnaient dans l'arène, son regard ne se détachait pas de son visage qui roulait sur la droite.
Non.
Lorsque sa tête s'arrêta de rouler, ses yeux se plantèrent dans les siens subitement. En tournant aisément son arme dans ses mains, la Reine d'Athénésis se redressa pour voir son corps s'écrouler au sol.
Quelque chose clochait.
Il s'embrasa d'un coup. Les flammes se rejoignirent pour se métamorphoser en loup.
— Qu'es-tu devenu, Sae Jin ?! S'exclama Chaewon en se tournant pour tenter de l'apercevoir à son tour.
Elle n'était pas ici.
— Ma chère sœur, cela fait si longtemps, n'est-ce-pas ? Je suis si heureuse de te revoir, Chaewon.
Ses yeux s'étaient écarquillés.
Elle était entourée de plusieurs Sae Jin. Les loups qui arrivaient jusqu'à l'arène prenaient sa forme, se métamorphosant d'une façon infâme pour reproduire sa silhouette fine. Elles n'étaient que de simples marionnettes de Némésis, et Chaewon l'avait compris trop tard. Elle s'était battue contre rien, si ce n'est que l'idéal de vengeance de sa divinité.
Lee Sae Jin n'était plus dans cette arène depuis longtemps.
Elle se tourna vers la forêt.
Kim Taehyung.
Les bruits de nos pas qui s'échouaient sur la terre, nos souffles saccadés.
Le Roi Jeon et moi courions dans l'immense forêt du Royaume de Némésia. Il surveillait sans cesse les alentours par son regard ainsi que celui d'Artémis que je pouvais discerner au-dessus de sa silhouette. Ses yeux sombres brillaient d'une lueur qui m'était inconnue, un mélange d'inquiétude et d'appréhension, comme s'il savait quelque part, que courir ne menait à rien.
Quelques fois il attrapait mon bras pour me guider dans d'autres directions. Il paraissait inquiet, plus inquiet qu'il ne l'avait jamais été auparavant. Je savais qu'il redoutait les héritiers divins certainement à notre recherche.
Une lueur.
La femme à la traînée d'or.
Sans doute elle.
Lorsqu'elle avait prononcé ses paroles j'avais senti, au plus profond de moi, mes pensées se bloquer. Comme si elle pouvait, par la force de ses mots, enchaîner notre âme et notre Dieu intérieur. J'avais comme oublié un instant, à l'instant de ces lettres, toute mon existence et les Dieux demeuraient impuissants face aux chaînes d'or de son esprit.
J'avais entendu parler d'elle. Je savais qu'elle était l'une des héritières divines de Thémis, la Déesse de la Justice. Ma mère m'avait fait part de ses exploits en tant que redoutable guerrière de la cité des Justes, Thémia. Lee Chaewon et Chun Hee faisaient régner l'ordre de la Noblesse.
Je n'étais pas dupe. Je savais que tous les gens venus ici, à Némésia, étaient à ma recherche. Je savais parfaitement que j'étais responsable de leur arrivée et des conséquences que la guerre allait engendrer. J'étais le centre de leur attention.
Le centre de ce monde.
Le Roi Jeon me tira brusquement sur la droite. Je manquais de tomber de justesse lorsqu'une branche se présenta devant mes pieds.
— Majesté... Me plaignis-je discrètement.
Il n'en tint pas compte. Il ne m'avait ni même jeté un seul regard. A la place, sa prise sur mon bras s'était renforcée.
Qu'allait-il faire si on les croisait ?
Qu'allait-on faire ?
C'était étrange. Ma persuasion avait évolué. Je ressentais toutes ses émotions ainsi que toutes les présences divines, et savoir que Artémis n'était pas la seule présente ici m'angoissait au plus profond de mon être.
Je savais déjà que Némésis contrôlait son Royaume entier et que chaque élément était une partie d'elle. Les fleurs, les plantes, les arbres, les animaux sauvages, elle avait, non, elles avaient construit à elles seules un palais et des kilomètres entiers de nature. Un véritable monde.
Lee Sae Jin était la déité de cet univers.
— Taehyung. Il appela.
Je remontais mon regard vers lui.
— Ils arrivent.
Le stress me monta à la gorge.
— Majesté, q-qui ?
Il ralentit le pas pour finalement s'arrêter. Je fis de même avant de poser mes paumes sur mes genoux, le souffle court. Mon corps était en ébullition.
— Tous les héritiers divins.
Une lueur, un choc.
Une seconde fois, mes yeux vinrent trouver les siens.
— T-Tous...? Même Lee Chaewon ?
Il hocha la tête en guise de réponse. Ma gorge se bloqua.
— Mais la Reine Lee Sae Jin n'était pas-...
— Elle n'était qu'une marionnette. Je l'ai compris bien trop tard. Sans aucun doute sa sœur l'a su seulement maintenant.
— U-Une marionnette...? Mais elle-
Un choc, à nouveau, suivi d'un immense frisson.
Ils arrivaient. Je les sentais.
Si nombreux.
Si forts.
Le Roi Jeon s'était tourné de profil, les sourcils froncés d'appréhension face au déroulement de notre situation. Sa poitrine se soulevait vite.
— Majesté, qu'allons-nous faire ? J-Je ne peux-
— On va se battre. Répondit-il.
Il planta ses yeux sombres dans les miens.
— Ensemble. Il ajouta, la voix on-ne-peut-plus sérieuse.
— E-Ensemble...? Répétai-je dans l'incompréhension.
— Oui. Il affirma. Souviens-toi des combats avec Zeng. Tu as vu sa silhouette se déplacer, ses pieds s'ancrer dans le sol et son arme te toucher. Tu n'as qu'à m'imaginer à la place. Cette fois, de ton côté.
Imaginer le Roi Jeon à sa place ?
Un silence, concentration.
Mes paupières s'étaient closes. Les limbes de mes souvenirs m'emmenèrent dans la grange, avec Zeng et le Roi Jeon.
Zeng et le Roi Jeon.
Oui, c'était cela.
Ses bras, ses mains, ses jambes, ses pieds, tout son corps qui répétait la danse macabre d'un combat victorieux, son visage qui reflétait l'impassibilité célèbre des plus grands guerriers, son souffle maîtrisé par la force de son esprit. La grâce des gestes, la fluidité des mouvements, les sons itératifs de ses pieds tapant le sol.
L'arrêt sec de ses membres, le tournoiement de son corps et l'ondulation de ses mains.
Concentre-toi, Taehyung.
Ses bras, ses mains, ses jambes, ses pieds. Son corps.
Dans ma tête jouaient les images des combats, vivaient les futilités des techniques et dansaient avec grâce leurs mouvements sinistres. Comme les couleurs d'un papillon, les ailes d'un cygne, les brames des cerfs. Tout s'accordait.
L'arrêt sec de ses membres, le tournoiement de son corps et l'ondulation de ses mains.
Je fus surpris de voir le Roi Jeon à sa place, son buste se soulever, ses jambes se déplacer et ses doigts effectuer les mêmes gestes qu'un danseur. La courbure parfaite de ses bras suivie par ses pas rythmés.
Oui, c'était ça.
— Taehyung.
J'ouvris les yeux.
Un peu désorienté, mon regard retrouva celui du Roi, qui descendit sur ses deux mains. Sa main droite qui tenait la dague était tournée vers la gauche, j'avais par la même occasion aperçu qu'il saignait du pouce.
Tandis que je m'apprêtais à prendre la parole, il leva sa main blessée devant mon visage.
— Bois.
Ma bouche s'entrouvrit sous le coup de la surprise.
— V-Votre sang...?
— Oui. Tu auras une partie d'Artémis en toi.
Je me reculai légèrement du Roi, perdu. Son visage impassible me retourna le ventre.
— P-Pourquoi ? Pour m-me battre ? Ou pour-
— Pour que l'Aura de Némésis ne te brûle pas lorsque je me battrai avec elle.
Mes yeux se focalisèrent sur la petite goutte rouge qui grandissait sur son pouce.
— Et pour que je puisse contrôler ton corps et Héra si les choses dérapent.
— Contrôler... mon corps ?
J'avais senti mes membres se tendre.
— Mais c-comm-
— Dépêche-toi. Nous n'avons pas de temps.
Après un léger silence, les souvenirs prirent le dessus.
Ma mère m'a dit de lui faire confiance. Je n'ai pas le choix et puis, j'ai à nouveau promis ma vie. Je me dois de la lui accorder.
Timidement, mes mains agrippèrent son poignet en même temps que ma bouche s'entrouvrit. Sous son regard intense que j'essayais pour le mieux d'ignorer, je clos mes lèvres et ma langue vint lécher le haut de son pouce. Mes joues me brûlaient tandis que je suçais son doigt, et savoir que le Roi Jeon m'observait m'embarassait encore plus.
Ma bouche s'imprégna du goût métallique du sang, puis soudainement, c'était autre chose. Mes yeux s'étaient écarquillés et mes jambes m'avaient lâchées au même moment. Mon corps s'effondra dans les bras du Roi, ma gorge me démangeait et me brûlait à la fois. Je toussais, une toux grasse et douloureuse.
Mon esprit s'était assombri, j'avais senti la même chose qu'avec Némésis, mais intimement différent. Puis, tout s'éclaircit. Je sentais Héra revenir en moi, et la présence d'Artémis, plus petite mais pourtant si féroce. Cruelle. Acharnée.
Je la ressentais, des images sombres, des yeux gris foncé défilaient dans ma tête si vite, tellement vite que toutes leurs émotions me frappaient en plein cœur. Elles m'imprégnaient d'un désir que j'avais fini par côtoyer, trop longtemps pour pouvoir m'en défaire.
Le désir de guerre.
Lorsque je revins dans mon corps, j'étais contre celui du Roi Jeon qui me tenait fermement. Ma respiration prit quelques longues secondes pour se calmer.
— Tu t'en es bien sorti.
Je me redressai lentement avec les mains du Roi.
— M-Majesté... Bafouillai-je.
Il glissa sa main sur mon cou pour remonter mon visage face au sien. Il était si proche. Les coins de ses lèvres étaient imperceptiblement levés, ses yeux plissés étaient sibyllins, mystérieux de leur obscurité, perçant de leur intérêt porté sur les miens. Ses doigts remontèrent jusqu'à coincer mes joues entre son index et son pouce, qu'il frôla sur mes lèvres.
Son aura s'était renforcée. Je pouvais la voir d'ici, brûler indolemment et gracieusement les épaules du Roi, danser sous un rythme néanmoins effréné.
Danser. C'était ça.
— C'est bien, Taehyung. Susurra-t-il sur mes lèvres. C'est très bien.
Ma tête retomba dans le creux de sa paume. Je ne savais pas ce qu'il m'arrivait. Je me sentais une nouvelle fois étrange. Si étrange. J'avais chaud et froid à la fois. Mes entrailles bouillonnaient et mon esprit n'était pas clair.
Mon front s'échoua contre ses clavicules. Il me garda contre lui, une de ses mains sur ma nuque et l'autre au bas de mon dos.
— Maintenant, on va se battre, mh ?
Oh, c'était tellement étrange. J'avais l'impression de lui appartenir entièrement, que mes gestes devaient effectuer ses ordres. Sa voix suave me provoquait d'immenses frissons dans l'entièreté de mon corps.
Que m'arrivait-il ?
— M-Majesté...
— Tu t'en sors bien. Artémis te possède petit à petit. Ton corps réagit bien, Héra l'accueille. Ce n'était pas le cas avec Némésis, tu te souviens ? Questionna-t-il. Il avait mal réagi.
J'avais l'impression qu'il me parlait pour que je ne m'évanouisse pas.
— Oui.
— Tout va bien. Inspire, expire.
Mes yeux se refermèrent, tout mon corps reposait contre le sien. J'avais l'impression que la chaleur de nos corps se mélangeait. J'entendais son cœur battre, ses respirations élever sa poitrine et ses souffles. Son odeur de cèdre enivrait mes narines et mon cerveau, je soupirais contre lui.
Puis, tout s'arrêta. Mes joues s'empourprèrent soudainement, mes sourcils se froncèrent et je me débattais dans ses bras.
— Reste calme. Reprit-il.
— P-Pardonnez-moi mais je-
— Reste calme. Il répéta.
Mon corps se mit à trembler. J'avais froid, soudainement. Non. J'étais gelé. Je sentais le sang dans mes veines se glacer progressivement de mes doigts jusqu'à mes épaules. Mes mains attrapèrent alors fermement les vêtements du Roi en recherche de chaleur. J'avais l'impression de mourir de froid. Mon visage se cala dans son cou et j'enfouissais mon nez au creux de ses clavicules.
— J-J'ai froid...
— Je sais.
Ses deux bras m'encerclaient. Il me tenait contre lui. Les paupières closes, je sentais Héra m'embaumer de sa force, de sa douceur, de sa chaleur. Je soufflai contre lui.
— Ils arrivent. Ils sont bientôt là. Lança-t-il.
Contraint à quitter la faible chaleur de son corps, je m'éloignai doucement du Roi Jeon. J'évitais son regard, encore un peu chamboulé de ce qu'il venait de se passer.
J'avais une partie d'Artémis en moi.
J'avais une partie de lui.
Je remontais mes mains tremblantes à la vue de mes yeux. Je discernais l'aura de Héra ainsi que celle d'Artémis, l'or et le gris foncé briller sur le contour de mes doigts, bien que la couleur sombre était plus petite. Mais pas moins indifférente.
Mon poing se serra.
Cette fois-ci, mon regard vint chercher le sien.
— Majesté. Je-
— Mets-toi derrière moi. Il me coupa la parole. Ils sont nombreux.
— Attendez... O-On peut encore partir, j-
— On ne pourra jamais fuir éternellement, Taehyung. Souffla-t-il.
L'aura d'Artémis enveloppa son corps soudainement. Puis, un choc : il était entouré d'une ombre gris foncé, des yeux apparurent au-dessus de sa tête. Un autre, à nouveau. Cette fois, son aura m'avait touchée aussi. J'étais dans l'ombre d'Artémis, aux côtés du Roi Jeon. Je sentais une force démesurée faire trembler mes membres, mon corps, et mon esprit. Héra se mêlait à son euthymie.
— Ils sont là. Prévint-il.
Mon visage s'inclina sur la gauche.
Oui, je les sentais aussi.
Ils étaient plusieurs dizaines. Plusieurs centaines. Des guerriers couraient vers nous. Je ressentais aussi Athéna et Thémis. J'en tremblais tant leur force surpassait la nôtre. Les nôtres, certainement.
Du coin de l'œil, j'avais aperçu l'ombre d'Artémis s'armer de son arc, brûlant de colère. Dans les mains du Roi Jeon, un katana noir se matérialisa, peu à peu. Je clos mes paupières. Mon esprit s'en alla dans cette salle blanche quelques secondes, pendant lesquelles Héra et Artémis se tenaient droites, comme prêtes à l'attaque.
Et pendant lesquelles le sceptre se forma dans ma main. Je sentais l'or s'installer contre ma paume et mes doigts. Il était chaud, agréable, avant de s'enflammer d'une aura obscure. J'avais geins en ressentant la froideur de l'arme couvrir sa précédente chaleur.
Elles se mélangeaient. Le Roi avait raison. Héra ne repoussait pas Artémis comme elle l'avait fait pour Némésis. Elle l'accueillait petit à petit en s'imprégnant d'une partie de son idéologie parfaite. Néanmoins, elle était moins puissante que celle de la Reine. Douce. Envieuse. Semblable à un poison.
J'ouvris les yeux. Le Roi avait adopté cette posture que j'avais apprise : les genoux légèrement plissés, les bras sur les côtés et la tête baissée.
Je fis de même, le sceptre derrière mon corps, l'autre bras en diagonale devant ma poitrine.
— Les voilà. Murmura-t-il à mon encontre.
Une seconde plus tard, mon arme contra violemment l'arme d'un guerrier. J'étais sous le choc face à la force de celui-ci, et ses yeux me paralysaient sur place. Ils n'abritaient plus cette lueur d'angoisse que j'avais conçue dans le Royaume, elle avait été remplacée par du dédain.
Ils voulaient ma mort, désormais.
Ma fuite avait changé le cours du destin.
J'étais parmi les Libres.
Le Roi Jeon planta son katana en plein dans son cœur. Pendant une courte seconde, ses yeux s'étaient plantés dans les miens.
Bats-toi, Taehyung.
Un silence.
Tue-les, Taehyung.
Un bruit d'acier, à nouveau. L'épée contre le sceptre.
L'arrêt sec de ses membres, le tournoiement de son corps et l'ondulation de ses mains.
Je m'étais dégagé plus facilement que je n'avais imaginé. La pointe de l'arme frôla son ventre, et je me tournai rapidement sur le côté pour contrer un troisième guerrier, qui fût plus fort, me poussant à reculer.
Mon dos rencontra celui du Roi. Ils nous encerclaient. Mes yeux jonglaient sur plusieurs silhouettes en même temps que mes doigts se resserraient autour de l'arme.
— Prince Kim. Interpella un homme. Face à votre trahison envers la Noblesse, nous sommes contraints de vous tuer.
Je serrai les dents.
— Je suis désolé.
[...]
— Si Kim Taehyung ne coopère pas, il sera tué.
— Vous n'aurez jamais la Déesse de mon fils ! S'exclama Ji Yeong. Il est enfin temps pour vous de comprendre votre erreur qu'a été le rejet de mon peuple. Vous êtes les fautifs, pas nous.
— Taisez-vou-
— Parce que la Déesse des Dieux a pris conscience du changement de votre suprématie Noble. Parce que la Déesse des Dieux savait que l'existence de notre peuple en était la preuve.
Un silence.
— Parce que Héra a discerné notre humanité et votre monstruosité. Nous sommes humains. et vous n'êtes qu'un ramassis de monstres.
— Silenc-
— Parce que la Liberté définit l'humanité !
[...]
Artémis tua l'homme devant Taehyung. J'en profitai pour regarder les alentours avec ses yeux, remarquant l'immensité de la foule de guerriers. Les héritiers divins s'étaient faufilés à travers pour que l'on ne puisse les discerner avec nos Dieux.
Ils étaient intelligents, je le concevais.
Mais pas assez forts pour le reprendre de mes bras.
Le sang gicla sur mon visage en tranchant la gorge d'un combattant. Comme dans mes attentes, Taehyung ne faisait que les repousser. J'avais su qu'il ne voulait pas tuer malgré Artémis coulant dans ses veines, sans doute ne voulait-il guère avoir les mains tachées de sang.
Ma main se resserra autour du manche tandis que je plissais les yeux, à l'affût. Je me fichais éperdument qu'ils me touchent ou qu'ils me poignardent, puisqu'Artémis me protégeait de leur arme.
Mais lui.
Je poussai brusquement Taehyung à ma droite pour enfoncer mon arme dans le corps d'un homme. Une flèche se planta dans la gorge d'un autre qui s'écroula au sol. Peu de temps après, dans un autre. Le fil du combat se déroulait bien, mais j'étais certain que cela n'allait pas durer une éternité.
Alors, mes paupières se refermèrent. Je ressentais Artémis dans son corps, qui m'amenait jusqu'à sa tête, jusqu'à son esprit et je trouvais Héra. Elle ouvrit les yeux en m'apercevant dans cet endroit étonnamment lilial.
Non, ce n'était pas ça.
Héra n'avait pas accueilli Artémis.
Un immense frisson me traversa face à l'image qui se tenait devant moi.
Héra l'avait absorbé.
La Déesse des Dieux avait fusionné avec Artémis. Taehyung était devenu le réceptacle de l'immensité divin. Il détenait le pouvoir infini des euthymies.
Il pouvait les contrôler, toutes. Absolument toutes, même s'il n'était que Prince.
Celle d'Athéna, de Thémis, ainsi que de tous les Dieux présents.
Et la mienne.
Alors, je reculai soudainement. Ma main agrippa à nouveau son bras et je le tournai face à moi. Ses grands yeux gris se plantèrent dans les miens sous les hurlements des guerriers venus nous tuer. Un voile de peur grisaillait son regard plus qu'il ne l'était déjà.
— M-Majes-
Et il se tût. Ses pupilles s'étaient dilatées avant de rouler en arrière, son visage se cogna contre ma poitrine avant qu'il ne s'effondre au sol.
Le temps d'une seule seconde, j'avais senti le monde des Dieux s'initier dans mes veines et mon esprit. Je sentais toutes les forces des Dieux dans mon corps, je sentais toutes les euthymies se bousculer dans mon crâne, les images des divinités défilaient dans mon esprit.
Un bruit sourd.
Artémis prenait le dessus. Je dus poser une main sur mon cœur, le nez plissé. Un gémissement rauque. Elle avait pris le contrôle d'Héra. Je sentais tout mon corps trembler sous la force de la divinité.
— Artémis. Prononçai-je. Je demande l'Eunoia.
J'avais senti Athéna et Thémis tomber à genoux.
Oui, c'était ça.
Plus complexe que ce que je pensais.
Héra les contrôlait. La Déesse des Dieux avait la main sur la Noblesse et la Justice à elle seule. Elle n'avait tout simplement rejeté ni Artémis ni Némésis parce qu'elle ne pouvait pas. La notion de Liberté était née en dehors de ses capacités divines.
Mais, avec Artémis coulant désormais dans les veines de Taehyung, elle s'était créé, à elle seule, une nouvelle déesse. Comme Némésis, elle était démiurge. C'était sans doute pour cela qu'elle l'avait rejeté.
Plus complexe que ce que j'avais imaginé.
Taehyung était la déité de la Noblesse et la Justice.
Et désormais, avec la présence d'Artémis, Héra contrôlait une partie de la Liberté.
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Bonsoir !
Voici la suite, j'espère qu'elle vous aura plu !
Pour ma part j'ai surtout adoré décrire les scènes entre Sae Jin et Chaewon, et la toute dernière, avec l'immensité Divin. J'espère que vous avez compris que lorsque Sae Jin est tombée à genoux et que les marques de ronces se sont effacées, il s'agit du même moment quand Jungkook et elle se rencontre dans leur euthymie (quand il lui demande de l'épouser en échange de la vie de Taehyung).
Et non, comme vous avez pu le constater, Sae Jin n'est pas morte ! Sa sœur se battait contre l'idée de vengeance extrême, qui a partiellement disparue grâce à Jungkook.
De plus, Taehyung qui détient le pouvoir de tous les Dieux présents ? Reste à savoir ce qu'il se passera après...
Je vous remercie d'avoir lu ce chapitre, et vous souhaite de belles fêtes de fin d'années !
Pour vous prévenir, la suite sortira dimanche à 18h et non samedi en raison de la nouvelle année.
Prenez soin de vous et à très vite !
<3
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