14 - Oraison
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Oraison : discours funèbre.
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Discours destiné à une divinité particulière qui nourrit l'espoir d'une réponse céleste.
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— Tu restes avec moi, tu ne dis rien et tu ne bouges pas. C'est bien compris ?
Mes yeux remontèrent timidement dans les siens.
— O-Oui.
Une lueur étincelante prit place dans son regard sombre.
— Bien. Allons-y.
[...]
— Jimin, attends.
Le jeune blondinet ne prit pas la peine d'écouter ce qu'allait lui dire son ami. Il continuait de faire son sac, à mettre des dizaines de boîtes de provisions dedans, les rangeant à la va-vite pour quitter le plus rapidement possible sa maison.
— Écoute-moi au moins !
— Si c'est pour me contredire, c'est non. Il répondit, le ton froid.
— Non, attends. Ce n'est pas ça.
Jimin remonta ses yeux vers la silhouette du brun, debout à côté de lui.
C'était la fin d'après-midi, déjà. Les lueurs orangées du soleil reflétaient sur les morceaux de vitres, qui recouvraient le sol de la cuisine, la maison vide et abîmée par la bataille.
— J'ai entendu des gardes parler tout à l'heure. Expliqua Namjoon.
— Tu leur as dit que je partais ?! Il s'exclama d'un coup.
— Non ! Mais écoute-moi, bon sang !
Un soupir.
— D'accord. Vas-y.
— Ils préparent une guerre !
Un silence, soudain.
Le blond avait écarquillé les yeux, face au visage on-ne-peut-plus sérieux de son ami. Namjoon se tenait droit, les poings serrés. Son regard brillait d'une inquiétude que son ami avait aperçue.
Il reprit un peu après, en voyant le blond s'agiter à nouveau pour reprendre ses affaires.
— Ils parlaient d'une guerre. J-Je sais pas si c'est vrai, mais le Royaume d'Aera va attaquer le Royaume de Némésia la semaine prochaine. Il continua.
— Némésia ? Mais ils devaient attaquer Arthémia, non ? Jimin rétorqua à son tour.
— C'est ce qu'ils ont dit. C'est Lee Chaewon qui aurait donné l'ordre, parce que Taehyung y serait.
Jimin arrêta ses gestes. Leurs yeux plantés les uns dans les autres, les deux jeunes hommes s'observaient, en se rendant à l'évidence, une nouvelle fois, que tout n'avait pas été dit. Que Ji Yeong cachait quelque chose d'encore plus grand.
— Je comprends plus rien ! Ji Yeong avait pourtant dit qu'il devait se trouver à Arthémia, non ?
— Ce n'est pas le plus bizarre, Jimin... Namjoon continua, la voix tremblante. Pourquoi ils attaqueraient Némésia à la place d'Arthémia, en sachant que ce n'est pas ce Royaume-là qui nous a attaqué ?
Jimin n'eut pas le temps de réfléchir, il avait déjà surenchéri.
— S'ils attaquent Némésia, c'est parce que Taehyung y est. Ça veut dire que Taehyung n'est pas celui qu'on pensait être...
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
Après un léger silence, Namjoon reprit.
— Ne me p-prends pas pour un fou, m-mais... Si le Royaume d'Aera a convoqué tous les guerriers les plus forts, ainsi que tous les autres Royaumes pour le récupérer, tu ne penses pas que Taehyung est quelqu'un d'important... ?
Le visage du blond se baissa légèrement, un voile sombre couvrit ses yeux.
— Cela n'aurait a-aucun sens ! Il s'énerva soudainement.
— Mais c'est ce qu'ils prévoient de faire !
Jimin serra les dents.
— Tu penses que Taehyung nous aurait menti ?!
— Non, pas forcément. Il n'aurait pas pu nous mentir.
Un silence, à nouveau.
— T-Taehyung est potentiellement quelqu'un de la Noblesse.
— C'est impossible !
— Mais ses cheveux... Namjoon lança.
— Arrête ! Ne dis pas ça. Taehyung n'est pas quelqu'un de la Noblesse. Il est à Arthémia, et j-je vais aller le retrouv-...
— Jimin, ne te voile pas la face, bon sang !
— Et comment est-ce que je pourrais te croire ?! Peut-être que tu mens juste pour que je n'aille pas à Arthémia !
— Parce que d'après toi je préfèrerais que tu ailles à Némésia ?! C'est pire ! C'est mille fois pire, putain !
Leurs respirations résonnaient à elles-seules dans la cuisine de la maison du blondinet ; ils s'observaient, les regards défiants, les regards apeurés, les cœurs criant d'amertume et de déni.
Jimin se retourna face à son sac, et reprit ses affaires, sous les yeux inquiets de Namjoon.
— Arrête Jimin.
Il se leva une fois fini, le sac à la main.
— Jimin, où est-ce que tu vas ? Le brun lança alors que son ami commença à partir.
— À Némésia.
— C'est pire !
Le blond se tourna face à lui, à nouveau, les yeux embrumés de larmes.
— Si c'est là où se trouve Taehyung, alors j'irai.
[...]
Tintements de verre qui s'entrechoquent, paroles filantes dans l'air et le son des violons. Cela faisait déjà une vingtaine de minutes que la fameuse « fête de retrouvailles » avait commencé, et j'étais toujours aussi perdu.
Habillé dans une tenue que je n'aurais jamais pu me payer, j'étais là, debout, aux côtés du Prince d'Arthémia, à tenter de me rendre encore plus petit que je pouvais être. Les gens parlaient de moi, d'un titre inconcevable qui faisait élever des prix terribles en échange de ma tête, dont l'homme à qui j'appartenais refusait, en prônant le fait que je lui avais promis ma vie.
C'était si embarrassant, la façon dont ils discutaient de ma personne alors que j'étais juste à côté. Ne me voyaient-ils pas, ou me considéraient-ils à ce point comme un animal ? C'était réellement troublant d'entendre des prix proposés, ainsi qu'une réponse toute aussi étrange.
« Il m'appartient. Ce sera à moi de le tuer. »
J'avais l'impression d'être une bête de foire. Tous les regards qui m'étaient adressés, je les voyais. Chaque personne ici m'observait du coin de l'œil, sans doute attendaient-ils une faille de la part du Prince pour m'emmener à part et me tuer en cachette.
Même si j'étais sur mes gardes, cela ne servait à rien. Les Libres étaient impitoyables, nombreux et forts. Moi, j'étais tout le contraire. Sans arme, seul, et je ne savais même pas me battre. Tous les cours que m'avait enseigné ma mère m'apparurent inutiles, sans doute des cours pour apprendre à se défendre auraient été primordiaux si j'avais su que j'allais me retrouver ici, dans le Royaume de Némésia, à fêter ma prochaine mort.
Comment, moi, Kim Taehyung, avait pu finir ici ?
Dans une immense pièce, sans doute la réception du Palais de Némésia, dont les fenêtres gigantesques sur le côté faisaient pénétrer les lueurs obscures de la diane grise. La hauteur sous plafond n'était pas moins étonnante : une vingtaine de mètre séparait les carreaux de marbre du sol des toiles des cieux, où les voutes accueillaient l'air chaud des souffles de la foule.
Les rideaux mauves, aux côtés des vitres, étaient attachés par des chrysanthèmes dorés. De ce que j'avais pu remarquer, les murs étaient de couleur gris foncé, ou peut-être brun. Je n'arrivais pas réellement à discerner les détails à cause de migraines : mes yeux me brûlaient, à cause de l'abstention de la prise de mes médicaments habituels que ma mère m'avait pourtant contraint.
La centaine de personnes ne se gênait pas de m'appeler par mon prénom bien que je ne les connaissais pas. Quelques fois, ils me pointaient du doigt mais leurs paroles ne m'atteignaient jamais ; seuls les sons de murmures s'élevaient subtilement.
Mes mains tremblaient, ma mâchoire était toujours serrée et l'arête de mon nez me piquait. J'étais mort de trouille. J'avais froid, faim, soif, et envie de dormir. Tout mon corps était si douloureux. Et puis, mes yeux me piquaient, c'était désagréable. Tout était désagréable.
Cette situation me tordait le ventre. Je me sentais mal. Cela aurait fait une semaine et quelques que je n'aurais pas mangé si Yoongi ne m'en avait pas donné, quand j'étais dans ses appartements.
Je lui en voulais un peu, de ne pas être venu. D'autant plus qu'il m'avait dit qu'il me rejoindrait plus tard, finalement, il ne m'avait pas même dit adieu.
Enfin, je ne l'avais pas dit à Hoseok non plus.
— Je ne le vends pas.
Encore une fois, quelqu'un avait proposé un prix.
— Oh, mon Prince, je vous propose toutes les femmes de mon Royaume. Comment pouvez-vous refuser ?
Ils étaient inhumains. La manière dont ils parlaient des femmes m'agaçait et me rendait triste à la fois. Ils les considéraient comme des objets, à parler d'elles comme des « choses » qui pouvaient s'échanger contre n'importe quoi, n'importe qui. Ils n'avaient pas la notion de la vie, et encore moins de l'égalité entre humains.
— J'ai deux filles qui sont bonnes à être mariées et à enfanter. Je vous les échange contre ce jeune homme.
Je fus surpris lorsque deux doigts remontèrent soudainement mon visage, puis un claquement. Mes yeux se placèrent sur le visage du Prince, qui paraissait énervé et fatigué. Sa mâchoire était divinement bien tracée, ses pupilles plantées sur le type en face ne semblaient pas vouloir se détacher de lui.
C'était sa main qui avait claqué celle de l'homme ; ce dernier avait maladroitement souri face à ce regard que lui offrait le Prince Jeon. Il lâcha un rire grossier, mais rien ne semblait changer l'air irrité sur ces traits droits.
— Ne le touchez pas. Le noiraud lança d'un ton sec, la voix grave.
— E-Excusez-moi. Reprenons sur de bonnes bases. Il ricana.
Mes yeux s'étaient à nouveau baissés. J'observais d'un regard vide les chaussures de luxe que portaient les hommes et les femmes, ainsi que les quelques enfants présents. Tantôt, je le remontais pour observer les musiciens et la femme qui jouait du piano, vêtue d'une robe mauve échancrée au niveau de sa cuisse.
Les paupières fermées, elle laissait ses doigts fins jouer à sa place sur toutes les touches noires et blanches de l'instrument, les seules fois où elle les ouvrait était pour regarder le plafond, le lustre pendu au-dessus de la scène sur lesquels ils étaient installés.
Quelles émotions la traversaient, lorsqu'elle se rendait compte que la mélodie était créée par ses gestes gracieux ? La manière dont la pulpe de ses doigts frôlaient chaque touche, sa main gauche qui produisait des accords graves et sa main droite qui partait dans les aiguës.
Ses lèvres semblaient murmurer des paroles inaudibles, certainement voulues discrètes. Sans doute se laissait-elle porter par l'orchestre qui faisait aussi danser les quelques personnes devant la scène dans un slow majestueux, les femmes qui tournaient, dont le tissu de leur robe et leurs cheveux longs virevoltaient dans tous les sens.
La musique classique me rappelait d'une façon sournoise la musique traditionnelle du Royaume de Milya. Ils avaient attaqué le jour de la fête de la musique. Je revoyais encore les visages joyeux de mes amis, et celui de Hoseok en observant la femme qu'il adorait en bas, danser et chanter sur la balustrade.
J'espérais que Jimin et Namjoon allaient bien, que ma famille s'en était sortie. J'espérais aussi qu'ils ne s'en voulaient pas trop, mais surtout, qu'ils me pensaient mort. Je ne voulais pas qu'il croit encore en un avenir où je reviendrai à Milya sain et sauf, avec Hoseok.
Honnêtement, je voulais qu'ils pleurent ma mort, plutôt qu'ils ne décident de ne pas abandonner les recherches.
J'allais bientôt mourir, après tout.
Par les gestes de l'homme qui se tenait à ma gauche.
— Je vous ai dit qu'il n'était pas à vendre.
Et il continuait à leur répondre négativement. Depuis la seconde où l'on était entrés, des dizaines de personnes étaient venues nous voir pour lui proposer des sommes exorbitantes en échange de mon titre. Cela avait même eu cette tendance étrange de me plaire, la façon dont il me protégeait parfois, de leurs mains grasses et de leurs paroles douteuses.
— Kim Taehyung, voulez-vous un verre de vin ? Une femme proposa, à ma droite.
— Ne lui donnez pas d'alcool. Le Prince lança en plaçant une main devant mon corps.
— Des fourrés, alors ? Regardez-le, il a l'air affam-...
— Occupez-vous de vos affaires. Il siffla, en me tirant vers lui, la main sur ma nuque.
Ses doigts me provoquaient d'énormes frissons, qui descendaient jusqu'à mes pieds. Sa chaleur corporelle m'atteignit soudainement ; je n'avais jamais été aussi proche de lui. À quelques centimètres si ce n'était pas moins. Puis, sa main se posa soudainement sur le bas de mon dos, il m'avança lorsque quelqu'un arriva derrière nous, me mettant face à lui.
— Prince Jeon, je vous présente ma fille. Il continuait à parler.
Sa tenue était magnifique. J'avais seulement pu pleinement l'observer avant de venir ici, mais désormais, il était juste devant moi. Son vêtement noir transparent, où étaient brodées des fleurs royales qui montaient jusqu'à son cou était vraiment superbe. Il était néanmoins couvert par une veste légère sombre tout aussi jolie. Son pantalon ressemblait un peu au mien, fluide, mais de la couleur opposée.
J'étais le seul habillé en blanc, et le seul à avoir des cheveux clairs, ici. Tous les autres étaient vêtus d'habits sombres, pas forcément noirs, il y avait du bordeaux, du mauve, du rouge foncé et du bleu marine. Les robes des femmes étaient si belles, les habits des hommes étaient si beaux.
Tout sentait le luxe, ici.
Le luxe, et un désir fort de vengeance.
— Je vous l'échange contre ce jeune hom-...
Le Prince m'avait défendu une nouvelle fois, en agrippant sévèrement le poignet de l'homme qui s'apprêtait à poser ses doigts sur mon visage. Mais je ne pris pas la peine de regarder ses traits tendus sur son visage, simplement, mon attention était posée sur la jeune fille.
Elle ne devait qu'être âgée d'une dizaine d'années si ce n'était pas moins. Ses cheveux noir corbeau coiffés en tresse, elle m'observait d'un air plutôt intrigué. Ni méchant, ni méfiant, simplement curieux. Ses grands yeux sombres abritaient une lueur étonnante, mais je me fis la remarque qu'elle devait certainement être née après la guerre.
— Vous avez de beaux yeux. Avait-elle prononcé.
Mes joues s'empourprèrent, encore plus lorsque je me rendis compte que ses paroles avaient atteint celles des deux hommes à côté de nous, dont le Prince.
Elle reprit.
— Est-ce que vous pouvez vous baisser, s'il-vous-plaît... ? Elle murmura de sa voix enfantine.
Un peu surpris, je m'apprêtais à m'agenouiller lorsque le Prince Jeon attrapa mon bras d'une prise ferme, puis il me releva brusquement.
— Vous avez appris à vos enfants à soudoyer des Princes pour les tuer, Monsieur ? Il prononça. Votre fille est armée.
Un immense frisson me traversa.
— Je vois que vous n'avez pas perdu l'œil, mon Prince. L'homme ricana soudainement. Vous a-t-elle charmé ? Ce serait avec un immense plaisir que je l'échang-...
— Allez-vous en avant que je ne vous tue.
Son regard s'était métamorphosé en une cruauté inouïe. La petite fille m'observait avec des yeux noirs de colère, une haine si violente que tout mon corps en tremblait. Puis, elle me tourna le dos lorsque l'homme l'embarqua avec lui sous son léger rire.
Encore sous le choc, le Prince d'Arthémia ne se gêna pas à me tourner face à lui, il attrapa mon visage entre ses doigts pour me murmurer.
— Je t'avais pourtant bien dit de ne rien faire. Pourquoi est-ce que tu n'en fais qu'à ta tête ? Il m'observa de haut, le regard sévère.
Les larmes me montèrent soudainement aux yeux ; mes mains agrippèrent doucement son poignet. Il sembla se calmer un peu en observant mes traits, la prise de ses doigts sur mes joues s'était intiment adoucie.
— E-Excus-... J'avais tenté de bafouiller.
— On ne se trouve pas dans les autres Royaumes, ici, Némésis règne. Il me coupa en m'ignorant. Maintenant, tu as plutôt intérêt à écouter ce que je te dis, sinon, tu sais ce qui arrivera à ton ami.
J'avais bêtement hoché la tête, le cœur battant à s'en rompre. Le Prince m'avait lâché, et il s'inclina une nouvelle fois face aux personnes qui s'avançaient encore vers nous, tandis que j'essayais pour le mieux de reprendre mes esprits.
Elle ne devait qu'avoir dix ans.
Mais le Prince avait raison. Némésia n'était pas le Royaume le plus grand des Libres, mais s'il avait bien un titre, ce serait le Royaume le plus cruel. Le plus sombre, mortel. Très peu de gens s'aventuraient sur les terres qui regorgeaient de bandits et d'anciens prisonniers.
Une pensée traversa mon esprit.
Je n'avais pas revu la Reine depuis longtemps. Je ne savais pas si j'espérais la revoir ou non, mais je me doutais que l'homme à mes côtés ne le désirait aucunement. Certainement pas après ce qu'il s'était passé dans le carrosse, un peu plus tôt. Et puis, Lee Sae Jin m'avait fait une drôle d'impression en arrivant ici, j'avais supposé que le Prince Jeon aussi même s'il devait sûrement être venu ici plusieurs fois auparavant.
Elle n'était pas seule à gouverner, ici. Enfin, peut-être que si, peut-être que non. Mais ce qui était sûr, c'est qu'elle avait quelque chose de « plus » que le Prince d'Arthémia. L'approbation d'une divinité sans aucun doute, et très certainement celui de Némésis. Son âme lui appartenait. J'avais senti que le Prince Jeon n'en était pas ravi ; il paraissait même d'être sur ses gardes depuis qu'on était arrivés ici.
J'essayais pour le mieux de garder le silence et la tête baissée, ne laisser paraître aucune émotion, ne rien dire. C'était ce que m'avait enseigné Yoongi, bien que cela n'avait jamais bien fini. J'espérais aussi que les traitements que j'allais recevoir ici allaient être différents. Au moins que je puisse avoir à manger, et peut-être même un lit.
Les paroles de la Reine me revinrent en tête. Elle avait dit qu'elle n'allait pas faire la même chose qu'à Arthémia, mais je ne savais pas si je pouvais réellement la croire.
— Et pour moi, alors. Vous n'avez toujours pas changé d'avis ?
Je fus surpris d'entendre sa voix, soudainement. Je tournai la tête à gauche, vers le Prince, pour apercevoir sa robe. Mon regard remonta jusqu'à se placer dans le sien tandis qu'elle fit quelques pas pour se mettre devant moi.
J'eus un sursaut lorsqu'elle plaça sa main gelée sur ma joue, et qu'elle caressa le dessous de mon œil de son pouce. Nos regards étaient mêlés, ses yeux sombres me transperçaient d'une douceur étonnante. Une lueur bienveillante était logée dans ses pupilles, qui avait aussi tracé un joli sourire sur ses lèvres teintes de mauve.
Elle avait changé de coiffure.
Ses longs cheveux noirs encadraient son visage jusqu'à glisser autour de sa poitrine, quelques mèches un peu plus courtes retombaient sur ses yeux, dont la continuité était marquée par un maquillage foncé. Ses longs cils étaient joliment courbés, sa peau éburnéenne était parfaite. Lee Sae Jin était vraiment une femme magnifique. Son corps l'était tout autant.
— Non, je m'en excuse sincèrement. Avait répondu le Prince.
Elle laissa un rire cristallin s'échapper de ses lèvres.
— Cela me touche profondément. N'avez-vous donc aucune honte à ne pas céder à la demande d'une femme ? Qui plus est, une Reine ?
La musique s'était intensifiée.
Elle avait déplacé son regard sur le Prince. Ses doigts avaient glissé pour finir sur mes clavicules couvertes par le vêtement, elle en avait profité pour coller sa poitrine contre mon torse. Mes bras étaient restés le long de mon corps, j'avais même levé mes yeux pour qu'ils se plantent dans ceux du Prince Jeon, qui me fixait déjà, l'air tendu.
— Je vous l'ai déjà dit, ma Reine. Taehyung m'appartient.
Elle ignora sa réponse, et murmura en ma direction.
— Peux-tu nous laisser quelques minutes, trésor ? J'aimerais lui parler. Elle s'approcha de mon oreille. En privé.
Lorsqu'elle se recula, elle n'attendit pas ma réponse pour prendre le Prince avec elle. Celui-ci me lança un regard mitigé, avant de partir un peu plus loin, sur le côté. Je les fixais s'éloigner de moi, perdu au milieu de l'immense salle, les dents serrées.
Jamais je n'aurais pensé que me retrouver sans le Prince d'Arthémia pouvait m'apporter autant d'angoisse. Les gens murmuraient et ricanaient entre eux. Des ombres s'échappaient de leur silhouette, mes yeux se focalisèrent sur leurs lèvres dont les mots prononcés semblaient soudainement prendre vie.
J'étais une nouvelle fois au milieu d'un cercle. Ayant pesé le pour et le contre assez vite, mes jambes s'apprêtèrent à me conduire vers le mur le plus proche pour enfin m'échapper du centre, lorsque la foule s'approcha vers moi, se bousculant les uns les autres.
— Kim Taehyung, restez donc avec moi. Ils prononcèrent tous.
Les regards pervers des hommes et leur sourire narcissique déformaient les traits de leur visage. C'était terrible. Le manque de sommeil me donnait l'impression de voir des monstres, des créatures cauchemardesques remplis de mauvaises intentions. Leur aura m'écrasait à chaque fois que mes yeux rencontraient les siens.
« Mais ils étaient des humains, aussi. » , ma mère disait souvent. Malgré les nombreuses paroles et contestations de ma mère qui réfutait tout le temps les méchancetés dites aux Libres, je n'arrivais pas à me faire la même idée qu'elle.
Tout en tentant désespérément de m'échapper de la foule, quelques excuses filèrent quand je me cognais contre les personnes bien que ce fût purement inutile ; leurs mains touchaient mes bras et certains voulaient même me garder auprès d'eux, mais je m'excusais, sans cesse, pour qu'ils me lâchent.
J'avais l'impression d'étouffer. Les larmes m'étaient rapidement montées aux yeux, j'étais tétanisé. Quand soudainement, la foule s'éloigna de moi. Je pris la peine de souffler avant de me tourner face aux nouveaux venus ; l'odeur soudaine de nourriture me fit relever la tête ; un couple âgé tenait entre leur main un plateau sur lequel était disposée de la nourriture.
Mon estomac se mit à grogner. L'odeur des plats cuisinés me tordait le ventre. Cela sentait la viande cuite, grillée, toutes les épices et garnitures qui allaient avec.
— Servez-vous, mon Prince. Lança la vieille dame. Cela fait quelques minutes que je vous observe, vous avez l'air d'avoir si faim. Elle laissa un rire s'échapper d'entre ses lèvres.
Les regarder était pire. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas eu de repas, que je n'avais pas mangé de viande, de légumes, ni croqué dans un bout de pain. Ils étaient juste là, devant moi et ma faim était si grande, mais j'étais bien trop gêné pour me servir, pour déguster de la nourriture faite par les ennemis de l'humanité.
Mais la dame avait l'air si sincère, autant que l'homme à côté d'elle. Le temps d'une seconde, j'avais même oublié les paroles du Prince.
Celles de me méfier.
Je tendis alors la main vers un petit bout de cake, mes doigts l'attrapèrent timidement après avoir murmuré un « merci ». Alors que je m'apprêtais enfin à commencer à assouvir ma faim, quelque chose me parut étrange. La salle était devenue silencieuse. J'attendis quelques secondes, le regard rivé sur la nourriture, mais rien ne changeait.
Lentement, mon visage s'inclina sur le côté.
Que se passait-il ?
Pourquoi est-ce qu'ils me fixaient tous avec cet air-là ?
La vieille dame ne semblait pourtant pas inquiète.
Gêné d'être observé, je me tournai dans l'autre sens, un peu perplexe. Mais les effluves de la nourriture, cela sentait si bon, si bon. Ma main gauche s'était placée en dessous du bout de cake, mes lèvres s'entrouvrirent lorsqu'une voix prit la parole.
— Je vous conseillerais de ne pas le manger.
Mes yeux fusèrent vers la personne qui avait parlé.
Je fus surpris de reconnaître l'homme qui était aux côtés de Lee Sae Jin dans la salle du trône. Son visage neutre, ses épaules droites, il s'agissait de la même personne qui était avec nous dans le carrosse, qui n'avait prononcé aucun mot.
Ses yeux m'observaient d'une émotion qui m'apparut impossible à discerner, lorsque sa voix se hissa à nouveau.
— Il y a du poison, dedans.
Mes yeux s'écarquillèrent brusquement, par un réflexe soudain mes doigts avaient même lâché le morceau de nourriture qui tomba par terre. Mon corps avait basculé en arrière d'une manière totalement idiote, mais l'homme me rattrapa.
— Faites attention à ne pas tomber. Avait-il dit.
Je me séparai alors de lui, un peu effrayé.
— V-Vous-...
— Je me nomme Seokjin. Il me coupa.
Mes yeux se baissèrent pour remonter dans les siens, puis, mon visage s'inclina vers les deux personnes.
Elles avaient disparu.
Un silence.
Les sourcils arqués et une couche de sueur sur le front, l'homme attrapa mon bras pour me tirer hors du cercle d'attention, où une vingtaine de personnes nous observaient silencieusement, l'air déçu.
Seokjin m'emmena un peu plus loin en marchant à côté du mur une fois les buffets dépassés, sa main tenait fermement mon avant-bras. Nous arrivions devant une porte, celle tout à droite à côté de la scène, de l'autre côté de là où nous étions entrés, un peu plus tôt.
La musique classique devint un bruit de fond lorsque la porte se referma derrière lui. Il avait néanmoins jeté un œil pour vérifier que personne, ou du moins peu de personnes ne nous avaient remarqué.
Il s'inclina face à moi, le visage toujours aussi neutre.
— P-Pourquoi... Avais-je bafouillé.
— C'était pour vous tuer.
Mes lèvres s'entrouvrirent.
— M-Mais... Pourquoi me l'avoir d-dit ?
Il m'observa, un peu perplexe. Alors, calmement, je repris.
— V-Vous n'êtes pas... Enfin, vous n'êtes pas avec eux ?
— La Majesté Sae Jin m'a demandé de tisser un lien avec vous.
Un silence.
Cela ne m'étonna pas plus que cela, même si l'espoir que ce soit une autre raison restât toujours au coin de ma tête. Un espoir d'avoir pu rencontrer une personne à peu près normale, ici.
Je laissai passer un soupir entre mes lèvres, avant de reprendre.
— H-Hum... Un raclement de gorge. M-Merci.
— Je vous en prie.
Mes yeux revinrent se placer sur sa silhouette. Son regard était toujours posé sur moi, il m'observait d'une façon si vide que cela me perturbait.
Un peu perdu, je pris quelques secondes pour l'observer en retour. Il était habillé d'une tenue qui ressemblait à la fois au Prince et à la Reine. Une veste mauve couvrait ses épaules droites, son pantalon était noir, de la même couleur que ses chaussures cirées. Ses cheveux étaient aussi sombres, je remarquai par la même occasion qu'il avait la même coupe de cheveux que le Prince Jeon.
Son visage était très attirant, bien que son air neutre me laissait toujours autant perplexe. Ses yeux sombres paraissaient moins obscurs que les dirigeants que j'avais pu croiser, je me fis l'hypothèse qu'il devait sans doute ne pas être d'ici.
Sous le silence qui régnait entre nous, mes yeux n'arrêtaient pas de jongler entre les siens et les décorations du couloir dans lequel nous nous trouvions. Dans le même thème que la pièce principale dans laquelle j'étais il y a quelques instants, des toiles étaient peintes sur le plafond qui devait cependant n'être qu'à quelques mètres de hauteur. Mon regard se focalisa sur les fleurs, encore des chrysanthèmes, mises dans un pot lui-même posé sur un meuble. Leur couleur rouge-orangée ressortait des murs ternes, ainsi que du sol blanc marbré.
Je replaçai alors mes yeux sur Seokjin, qui n'avait pas bougé d'un millimètre.
— H-Hum... Vous v-vouliez me dire quelque chose ? Je tentai.
— Non.
Un silence, à nouveau.
— J-Je vais retourner avec le Prince d'Arthémia. Je bafouillai, de plus en plus mal à l'aise. M-Merci de m'avoir... E-Enfin, merci de m'avoir sauvé.
— Sa Majesté la Reine m'a demandé de rester avec vous le temps de leur discussion. Reprit-il en se reculant vers la porte, toujours face à moi. Je n'ai pas le droit de vous laisser retourner dans la salle.
Après une légère exclamation de ma part, un léger sourire maladroit pris place sur mes lèvres.
— D-D'accord.
À nouveau, le silence reprit le dessus.
— Vous êtes le servant de la Reine ? Je demandai, curieux.
— Oui. Je suis son serviteur.
— Cela fait longtemps que vous êtes ici ?
— Oui. Répondit-il.
Intrigué par son air toujours aussi neutre, je me fis la réflexion qu'il était simplement très franc. Cet homme paraissait très sûr de lui, autant de sa personne que de ses réponses.
Il était donc le serviteur de la Reine. C'était sans doute pour cela qu'il était présent dans la salle du trône, ainsi que dans le carrosse. Sans doute lui avait-il promis de la servir corps et âme jusqu'à sa mort. Son histoire ressemblait presque à la mienne, alors doucement, mon corps commença à se détendre.
Mes mains se desserrèrent, je laissai un soupir s'échapper de ma bouche discrètement.
— V-Vous savez de quoi est-ce qu'ils seraient en train de parler ? Je relançai alors la conversation, comme pour faire passer le temps.
Il hocha la tête.
— Ils parlent de votre mort prochaine.
Mon torse s'était soudainement relevé. Mon visage se baissa légèrement à la suite.
— Je vais bientôt me faire tuer...
— En effet, cela ne saurait tarder.
Ma lèvre se fit pincer par mes propres dents. J'avalai alors difficilement ma salive, mes doigts jouaient entre eux, se tordaient dans un sens, puis dans un autre. J'étais gêné. Par cette situation étrange dont il m'avait expliqué tous les secrets, comme du fait que mon ventre continuait à grogner puisque je n'avais rien mangé.
Je me surpris même, à nouveau, à espérer que le Prince Jeon allait vite revenir. Il n'était pourtant pas la meilleure personne que j'avais pu rencontrer durant ma vie, mais comme je lui avais promis la mienne, j'avais l'impression d'être sous sa protection. Je n'allais mourir qu'avec ses gestes.
Une pensée soudaine.
Je lui avais promis ma vie, mais j'avais risqué la mort il y a de ça quelques minutes.
Mon torse s'était subitement relevé.
J'avais failli tuer Hoseok juste en voulant manger quelque chose.
Une pression soudaine s'était abattue sur mes épaules. Mon corps fût pris de sueurs froides en me rendant compte de ce qu'il s'était passé, mais surtout de la facilité d'une mort inattendue. Je n'avais pas percuté l'ampleur de ce qu'il venait, ni de ce qu'il s'était passé, réellement.
Deux fois, la mort avait été évitée de justesse. Je l'avais frôlé de très peu.
Si je m'étais baissé, et si j'avais croqué dans ce bout de nourriture...
L'idée soudaine d'avoir été aussi proche de la mort me mit dans une angoisse brusque. Comment pouvais-je parler de ma mort d'une façon aussi sereine ? J'étais mort de trouille, au fond. Non, je ne voulais pas mourir. J'étais trop jeune, je voulais revoir mes amis, ma mère.
Mon rythme cardiaque s'était autant accéléré que mes respirations.
J'allais mourir. J'allais bientôt mourir. Comment en étais-je arrivé au point de considérer cela normal ? On était dans le Royaume de Némésia, ici. Un Royaume plus cruel encore que le Royaume d'Arthémia. Et on était venu ici, pour célébrer ma mort.
Oh, bon sang.
J'étais leur ennemi. Et j'étais seul.
— J-Je... J-Je ne veux pas mourir. Avais-je bafouillé.
Seokjin inclina la tête sur le côté.
— Chacun d'entre nous vit pour mourir. Personne ne peut empêcher cela.
— J-Je...
Quelque chose semblait se planter progressivement dans mon cœur. La bouche entrouverte, je laissai passer des soupirs de plus en plus rapprochés, de mes yeux s'échappaient déjà des larmes de panique.
Il paraissait avoir du bruit en dehors, certainement dans la salle. Des acclamations et des applaudissements. D'ici, je pouvais sentir que la musique s'était arrêtée. Il n'y avait plus les vibrations faites par les touches du piano, ni les sons aigus des violons.
— Prince Kim. Il reprit. Le Roi d'Arthémia avait prévu une oraison. Nous devons nous y rendre.
Mes yeux remontèrent se placer sur le visage de l'homme.
— Q-Quoi ?
[...]
— Que dis-tu ? Je refuse.
— Penses-tu être en mesure de refuser, Jungkook ?
— Tu ne me l'as pas dit, Sae Jin.
La jeune femme avait souri, son visage s'abaissa à la suite d'un léger rire. Lorsqu'elle remonta son regard dans celui du Prince, il aperçut cette lueur qu'elle avait l'habitude d'avoir. Lueur espiègle, maline.
— Le Roi n'a nullement besoin de toi pour prendre des décisions.
— Cette décision-là n'était pas à prendre à la légère.
La Reine soupira en haussant les épaules.
— Peu importe. Son discours va bientôt commencer. Allons-y.
La femme n'attendit pas plus pour passer à sa gauche, tout en faisant glisser ses doigts sur l'épaule du noiraud. Ses talons retentissaient sur le sol, jusqu'à ce que des gardes n'ouvrissent la porte un peu plus loin, faisant soudainement pénétrer les acclamations du public. Sae Jin lui avait jeté un dernier regard amusé, avant de quitter le couloir.
Quant au Prince, il fulminait de rage. Le Roi ne l'avait pas prévenu de ce qui allait être annoncé. La mâchoire et les poings serrés, il se tourna dans l'autre sens pour partir dans la même direction que la Reine. Il passa les portes à son tour, et aperçut le Roi se tenir sur la même scène où se trouvaient les musiciens, un peu plus tôt.
Un verre de vin à la main, le Roi semblait ravi, lorsque les yeux du Prince se déplacèrent sur le jeune garçon habillé de blanc qui se faisait amener par des hommes à sa gauche. Taehyung avait ce même air angoissé sur son visage, Jungkook pouvait même voir d'ici qu'il tremblait.
— Bien, bien, bien. Il lança d'une voix grasse.
Le vieil homme tendit alors son verre à la jeune femme qui se courba devant lui.
— Mes amis, ce soir, je tenais à vous remercier. La Reine Lee Sae Jin évidemment, ainsi que vous, peuple du Royaume voisin.
La Reine avait imperceptiblement souri, les yeux plissés.
— Comme vous avez certainement pu le comprendre, le jeune garçon à mes côtés est l'héritier du Royaume d'Aera. Une huée soudaine. Oui, oui. Je vous comprends, tous. L'envie de le voir mort vous ensevelit d'une émotion forte. Plus forte, plus forte que n'importe quel autre sentiment.
La foule l'acclama.
— La haine.
Le Prince ne put que serrer les dents face à ce discours. À ces mots prononcés qui ne l'enchantaient guère, au contraire, qui le mettait dans une hâte soudaine, celle de devoir le tuer avant qu'il ne soit trop tard.
— J'ai, par conséquent, décidé d'assouvir votre haine.
Acclamations.
— Dans trois jours, je tuerai Kim Taehyung, sur la place du Royaume.
Des applaudissements et des cris, à nouveau, tandis que le châtain avait vivement relevé la tête.
— Qu'Artémis et Némésis guident nos âmes vers la quiétude suprême !
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Bonjour, bonsoir!
J'espère que ce chapitre vous a plu! Il s'agit, comme vous avez sans doute pu le remarquer, du chapitre annonciateur des problèmes qui arrivent à grands pas.
Que pensez-vous de cette première fois avec le point de vue de Taehyung ? J'ai surtout voulu montrer l'importance de ses émotions en tant que futur condamné, la vision de la mort en même temps que son déni vis-à-vis de son destin.
Et l'entrée de Seokjin!
N'hésitez pas à faire part de vos hypothèses sur la suite, ou des questions ! J'y répondrai avec grand plaisir.
Je vous dis à Samedi pour la suite, prenez soin de vous !
<3
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