🖤 Une idée de génie...ou pas

Debout, les mains croisées sur la poitrine, je contemple le crépuscule, une scène où le soleil s'écarte paisiblement. Contrairement à moi, il se retire sans souci des inquiétudes du lendemain. Cette journée, marquée par une tension palpable, s'est avérée éprouvante tant sur le plan émotionnel que physique. Des tiraillements dans le bas-ventre me font grimacer. Il est impératif que je m'accorde du repos avant que mon corps ne cède sous le poids des charges accumulées. Inspirant profondément, je me dirige vers l'armoire et choisis l'un des pyjamas d'Irina. La durée de mon séjour ici demeure incertaine, mais je devrai me débrouiller avec les tenues à ma disposition.

Les yeux rivés vers le ciel, je m'empresse d'enfiler le vêtement avant de m'immerger dans des draps frais. Mon regard fixé sur le plafond, mes pensées s'égarent. Depuis la conversation avec Lucian, je me noie sans parvenir à émerger. Même en nageant pour rejoindre la surface, une pesanteur tenace me retient. Je ne sais pas s'il a compris, s'il m'a écouté, mais l'unique faute que je reconnais est de l'avoir aimé, car Lucian restera mon premier amour, et je devrai vivre avec cette souffrance pour l'éternité.

Soudain, je me redresse, saisis rapidement mon téléphone sur la table de chevet et compose le numéro d'Adéla. J'ai besoin de partager mes pensées, de m'ouvrir à elle. Je suis consciente qu'elle pourrait réagir avec colère, mais elle demeure la seule à pouvoir raisonner Lucian et me guider dans mes choix futurs.

— Tessa ? s'exclame-t-elle en décrochant. Tout va bien ? Tobias a laissé les rênes à Klemens, alors j'ai tenté d'appeler Lucian, mais ça sonnait dans le vide.

— Aurais-tu quelques instants à me consacrer ? J'ai quelque chose d'important à te confier.

— Le bébé se porte bien ? s'inquiète-t-elle.

— Je suis consciente que ce que je m'apprête à te révéler risque de changer la perception que tu as de moi, mais il est crucial que tu connaisses mon passé. Je t'en prie, retiens-toi de m'interrompre. Permets-moi simplement de t'expliquer. Si après ça, tu ressens le besoin de m'insulter, je respecterai ta réaction.

Je prends une grande inspiration, les mains tremblantes, mais il n'y a plus de retour en arrière possible. Adéla a été la première personne à m'aider, et je lui dois de tout lui dire. Sans qu'elle ne me coupe la parole, j'énumère tous les faits avec une certaine réticence. Les gémissements étouffés et les petits bruits qu'elle émet me parviennent, mais je persiste. Je parle de ma mère, de mon père, et même de Jonas. Puis, je passe aux agents. La douleur de lui avoir menti me tenaille, mais je n'avais pas vraiment le choix. Je retiens une larme qui menace de s'échapper de mes yeux, puis je lui explique que j'ai commis des erreurs que je regrette, mais que je n'ai jamais manipulé ses sentiments ni ceux de Lucian. Le monologue s'étire sur une dizaine de minutes avant qu'un silence pesant ne s'installe entre nous.

— Tu ne me sermonnes pas ?

— Je pense que tu es déjà assez mal en point, Tessa, soupire-t-elle. Bien sûr que je t'en veux. Si tu étais ici, je crois que je t'aurais claqué la gueule, mais même si je considère Lucian comme un frère, il est probable que j'aurais fait pareil que toi. Je suis juste déçue que tu ne sois pas venue me voir. J'aurais trouvé un moyen de te protéger, car au final, tu es dans une merde totale, et Lucian n'en restera pas là.

— Pardonne-moi, Adéla, je n'ai pas su maîtriser la situation. Je me suis retrouvée prise au piège de mes propres choix.

— Fais attention à toi. Si tu rencontres le moindre problème, n'hésite pas à me téléphoner. Je vais tenter de parler à Lucian en feignant de ne pas être au courant, mais je ne te promets rien.

Je n'ai pas le temps de la remercier qu'elle raccroche. À travers sa voix, j'ai perçu sa colère, sa peine, et malheureusement, je ne peux rien faire pour revenir en arrière. Je me trouve simplement spectatrice de ma propre déchéance. Un soupir s'échappe de mes lèvres tandis que je m'enfonce dans la couverture. Alors que je laisse couler le chagrin une nouvelle fois, la porte s'ouvre et se referme. Je me redresse et aperçois le visage d'Irina. Tenant une bouteille d'alcool, je remarque ses yeux gonflés et injectés de sang. Elle renifle négligemment. Elle aussi, visiblement, a traversé des épreuves difficiles.

— J'ai besoin de toi, sanglote-t-on en simultané.

Aussitôt, nous éclatons de rire face à la situation, puis elle me rejoint dans le lit.

— Je sais que tu ne peux pas boire à ma place, mais soutiens-moi dans ma future gueule de bois.

— Vas-y, donne-moi un verre, réponds-je en me redressant.

Sous le regard marqué de curiosité de la belle brune, je me dirige vers la salle de bain pour faire couler l'eau fraîche du robinet, puis je reviens avec un léger sourire aux lèvres.

— Levons nos verres à cette épreuve merdique ! m'exprimé-je d'une voix chargée de tristesse.

— Que devons-nous entreprendre à présent ? Lucian est furieux contre toi, Alek me tient rigueur de façon déchirante. Chacune de nous a commis des erreurs à sa manière, et nous voilà maintenant face à une impasse.

— En même temps, quelle idée de t'être interposée ? rétorqué-je en secouant la tête.

— Tu aurais préféré qu'il te tue ou quoi ? s'exclame Irina en levant les bras en l'air.

— De ce point de vue là, pas spécialement, mais ça t'aurait évité une dispute avec Alek.

— Je ne regrette pas ce que j'ai fait. Je connais la vérité, et j'ai agi en tant que personne solidaire. Même après cette engueulade, si c'était à refaire, je le referais.

Je serre la mâchoire avec une certaine tension. Provoquer des conflits ne m'enthousiasme pas, surtout lorsqu'il se comporte des individus de mon entourage. Elle n'aurait jamais dû le confronter. Bien que son geste ait une incidence particulière sur moi, aujourd'hui elle se trouve dans une situation où ses larmes sont versées par ma faute. J'enveloppe mes bras autour de son buste pour lui témoigner ma reconnaissance.

— J'aurai une interrogation, Tessa. Qui est cette blonde qui a fait son entrée aux côtés de ton père ?

— Il s'agit d'Andréa, l'une des filles du gang. Elle a toujours désiré avoir des relations avec Lucian, mais il n'a jamais voulu. Je ne sais ce qu'elle fait ici, mais elle semble déterminée à le conquérir, et malheureusement, je ne peux pas intervenir.

Irina prend un second verre en soupirant, puis réplique :

— Une Viktoria numéro deux.

— Qui est-ce ? questionné-je, intriguée.

— La femme de Adam Lacosta, chef de la Bratva. Si jamais tu demandes, c'est la mafia russe. Elle a eu un passé avec Alek et même mariée, elle tente encore de mettre le grappin sur lui comme Andréa avec Lucian. Je la déteste tellement.

Alors qu'Irina continue à déguster sa boisson jusqu'à l'oubli, mes pensées dérivent. Et si les garçons se dirigeaient vers la Russie pour nous effacer et s'engager avec d'autres femmes ? À cette réflexion, une grimace de douleur me traverse le visage. Bien que je m'attendais à une certaine souffrance, j'espère de tout cœur que Lucian ne partagera pas son intimité avec la première venue, parce que cela serait une blessure dont je ne me relèverais pas. 

Abattue, je ne trouve pas la force d'affronter la réalité, car il représentait le premier homme à qui je me suis entièrement offerte, et maintenant, je suis convaincue que pour lui, cela n'est plus qu'un souvenir éphémère, une brise qui s'estompe. Malgré tout, une idée traverse mon esprit. Peut-être pourrions-nous réfléchir à un moyen d'apaiser les tensions qui règnent dans la villa.

— J'ai peut-être une proposition pour nous faire pardonner, murmuré-je.

Irina dirige son attention vers moi.

— Et si nous sortions discrètement pour dérober quelques cœurs ? Ainsi, nous pourrions essayer de les revendre afin qu'ils puissent gagner un peu d'argent.

— Au collège, j'étais incapable de disséquer une grenouille. Crois-tu vraiment que je serais d'une grande aide sur un humain ?

Irina soupire en se laissant tomber sur le matelas.

— J'ai probablement une idée moins horrible en tête, rétorque-t-elle.

— Je ne vois pas trop ce qui pourrait être moins terrible que ce à quoi nous sommes habituées avec eux.

— Il y a un chauffeur d'Alek qui lui a volé de la drogue, commence-t-elle à confier, et il n'a pas encore été appréhendé. J'ignore pourquoi, mais le connaissant, il doit avoir toutes les informations sur lui. Si l'on parvient à le retrouver pour eux, on arrivera peut-être à se racheter.

Je passe une main dans mes cheveux, puis plonge mes yeux dans les siens.

— C'est probablement une idée risquée, souffle-t-elle, en baissant la tête.

— Écoute, dans la situation actuelle, je te suis, déclaré-je.

Pendant plus d'une heure, nous élaborons en détail le début du plan : organiser une évasion où elle détient le code de l'armurerie, puis demain, nous nous infiltrerons dans le bureau d'Alek pour subtiliser les informations nécessaires. En cas de difficultés, nous envisagerons d'amadouer Julian. 

Le sourire aux lèvres et les larmes séchées sur mes joues, je finis par me lever et suggère à Irina de descendre avec moi. Mon ventre émet un gargouillis sonore, signe de ma faim. Elle hoche la tête puis se redresse. Alors que le couloir est plongé dans la pénombre, une conversation inaudible parvient jusqu'à nos tympans. Nous nous approchons à pas feutrés de la chambre d'amis.

— C'est là que... Lucian dort dedans, j-je crois, bafouille Irina, en chuchotant.

D'un simple échange de regards, Irina et moi nous comprenons mutuellement. Nous plaquons nos oreilles dans le but d'écouter attentivement.

—...coucher avec moi, prononce Lucian.

— J'ai envie de toi, râle Andréa.

D'après les apparences, tous les moyens sont bons pour être qualifiée de connasse. Alors que je fronce les sourcils, la porte s'ouvre tout à coup, nous faisant chuter au pied de Lucian qui nous scrute d'un air sévère. Un rictus se dessine sur mon visage tandis que j'aide Irina, visiblement désorientée, à se relever. Mon regard se porte immédiatement sur Andréa, vêtue d'une nuisette violette, qui se lève du lit pour se placer à côté de lui. Du bout de ses doigts, elle caresse son bras, puis parcourt son torse dénudé. Aucun mot ne peut décrire ce que je ressens, mais la haine m'envahit. Je serre les poings et crispe les dents, entendant le bruit de celles-ci s'entrechoquer. Malgré le sentiment de frustration qui me pèse dans la poitrine, je réprime mes larmes.

— Qu'est-ce que vous foutez là ? gronde Lucian.

— Visiblement, tu passes à autre chose assez vite, fulminé-je.

— Tu vois bien qu'elle te surveille, réplique Andréa, d'un ton supérieur. Elle pense encore avoir le monopole sur toi.

— Toi, je te conseille de fermer ta bouche avant que j'explose ta tête, suis-je assez claire ?

— Oh, la pauvre petite, tu es triste ? Il aurait fallu y réfléchir avant de devenir une pute déloyale. Maintenant, tu peux aller pleurer dans les jupes de ta soi-disant copine et arrêter de nous espionner, ça ne sert à rien.

— Alors, toi, commence à répondre Irina, ne me cherche pas, parce que...

La brune n'a pas le temps de conclure sa phrase que ma main s'abat avec vigueur sur la joue d'Andréa. La colère m'inonde, cette rage bouillonnante. J'aurais aimé lui arracher la langue pour les paroles qu'elle a proférées, souhaitant qu'elle ressente la haine qui m'enveloppe en cet instant. Lucian intervient en empoignant son poignet pour ne laisser aucune possibilité de répliquer.

— Si tu oses la toucher, c'est mon enfant que tu blesseras également. Je te conseille donc de ne pas franchir cette limite, si tu ne veux pas te retrouver dans la fosse au fond des bois.

Les prunelles d'Andréa s'élargissent pendant que je prends une profonde inspiration. La cohabitation avec lui devient de plus en plus ardue et je doute de ma capacité à tenir le coup.

— Fou le camp d'ici, crache Lucian. Toi aussi, Irina.

Alors que je me dirige vers la porte, je lui adresse un dernier regard.

— Tu sais, le plus douloureux dans toute cette situation, c'est que tu n'as même pas l'initiative de me défendre lorsque de tels propos sont proférés à mon encontre. J'ai certes commis des erreurs, mais je n'aurais jamais permis à quiconque de t'insulter de la sorte. Tu valais bien plus qu'un simple joyau à mes yeux, tu étais celui qui m'était destiné, conclus-je.

C'est avec le cœur lourd que je me tiens aux côtés d'Irina pour aller dans la cuisine. La douleur qui m'étreint, je souhaiterais la dissoudre, la reléguer dans l'oubli, mais mes efforts, même les plus assidus, restent vains. Ses bras qui m'enlacent, son parfum qui me berce, ses caresses qui se sont évanouies, tous ces vestiges d'un passé révolu s'effacent devant une amertume qui s'implante entre nous.

Alors que je déverse ma colère envers Andréa, Irina extrait une galette à la frangipane du réfrigérateur tout en marquant son soutien par des inclinaisons de tête. Installées à la table, nous partageons notre repas dans un silence dense, chacune de nous absorbée par ses pensées intimes. Au moment où je me prépare à me lever pour prendre un verre d'eau, un torrent de larmes submerge soudainement mon amie.

— Que se passe-t-il ? m'inquiété-je.

— Je ne me suis jamais engueulée avec lui ainsi. J'ai peur qu'il ne m'aime plus ou pire, je redoute son départ pour la Russie.

Après un moment de réflexion, je saisis sa main et l'invite à m'accompagner.

— Viens avec moi, Irina.

— Où m'emmènes-tu ?

— On va essayer d'apaiser les choses. Je déteste t'apercevoir dans cet état, surtout en sachant que cela est entièrement de ma faute. Je vais donc présenter mes excuses à Alek et nous verrons bien.

Du bout de mes doigts, je chasse les larmes qui sillonnent ses joues rougies. Nous entamons ensuite l'ascension des marches. Bien que mon cœur éprouve une certaine réticence, il m'intime de ne pas la laisser ainsi. Alors que je m'apprête à frapper à sa porte, la voix rauque d'Alek résonne déjà dans sa chambre.

— Je ne sais vraiment pas quoi faire d'elle.

— Connard, lancé-je.

— Merci de ton intervention, Tessa. Tu peux aller te recoucher maintenant, répond-il.

Nous échangeons un regard complice avec Irina et réprimons un rire. Je dois admettre que parfois, monsieur « qui tue tout le monde » a un sens de l'humour, même dans cette situation déprimante.

— On devrait aller dormir. Tu... Tu veux bien partager ton lit avec moi ? J-J'me sens pas de passer la nuit avec, surtout dans mon état, murmure-t-elle.

— Après tout, c'est moi qui m'incruste chez toi, ris-je.

Nous regagnons notre chambre. J'espère que fermer les yeux pourra apaiser mes douleurs et pansera les blessures de mon cœur.

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