🖤 Opération défaillante
À la tombée de la nuit, alors que je suis assise sur le lit, son visage continue de hanter mes pensées. Beaucoup trop de questions envahissent mon esprit : pourquoi est-il là ? Comment a-t-il réussi à me localiser, à savoir précisément où je me trouvais ? N'a-t-il jamais quitté la Pologne depuis la cérémonie ? Est-il tapi dans l'ombre dans l'attente d'un moment propice pour transformer ma vie en un véritable cauchemar ? Malgré mes efforts pour réfléchir, aucune réponse ne se présente, laissant juste l'écho d'un cœur qui se fissure peu à peu.
La peur me saisit, terrifiée à l'idée d'entrer en contact avec lui, et je n'ose même pas en parler à mon père. Je ne souhaite pas qu'il se fasse du souci. Peut-être devrais-je partager mes pensées avec Lucian, mais il réagirait sans doute en affirmant que tout ce qui m'arrive est mérité. Si seulement il pouvait comprendre les souffrances que mon frère m'a infligées au fil des années. Cette douleur persiste à me tourmenter, rendant ma vie insupportable. J'ai toujours cru en ma force, prête à surmonter mes démons, mais c'est une façade fragile destinée à une simple chose : être détruite.
Je secoue la tête pour chasser ces sombres réflexions qui tentent de m'anéantir puis me dirige vers la coiffeuse. Je souffle un bon coup puis attache mes cheveux en queue de cheval. Je rajuste le col de ma chemise, spécialement choisie pour l'occasion. Même si l'idée peut paraître étrange, voire complètement puérile, voir Irina et Alek en froid me peine. En ce qui me concerne, je pense que ma relation avec Lucian n'est plus réparable. Comme un vase brisé recollé, elle ne pourra jamais retrouver son état initial. Si je ne suis plus heureuse et que mon âme semble barricadée contre le sentiment d'amour, j'espère que mon amie ne connaîtra pas cette douleur.
Je me redresse et croise le regard d'Irina, qui enfin prête, m'indique que Tobias s'est retiré pour la nuit, nous laissant libres de mettre en œuvre le plan élaboré. Un sourire complice éclaire mon visage alors que nous nous dirigeons vers sa chambre. Elle récupère une chaise dans la salle de réunion, puis la place devant la porte pour empêcher mon père de sortir. J'espère qu'il comprendra et ne m'en voudra pas excessivement.
Au rez-de-chaussée, nous remplissons nos sacs avec des sandwichs préparés par Arleta plus tôt dans la journée, accompagnés de deux bouteilles d'eau. En silence, nous avançons pour atteindre le garage. Grâce à l'esprit vif d'Irina et sa mémoire infaillible, elle compose le code 2165 sur le petit boîtier pour ouvrir l'armurerie. Un arsenal se découvre, mais nous nous orientons vers des revolvers, relativement faciles à manier, bien que je possède quelques notions avec ma mère. Nous prenons également un taser et une corde. En théorie, tout devrait faire l'affaire, du moins je l'espère.
— Il est impératif que nous trouvions une voiture automatique, déclare-t-elle. Tu n'as pas le droit de sortir d'ici, et si c'est moi qui conduis, je préfère choisir le plus simple.
— Il serait peut-être temps que tu passes ton permis, plaisanté-je.
— Tu penses ? répond-elle avec sarcasme. Donne-moi de l'argent et je le ferai avec plaisir.
— Demande à monsieur « je règle tout en éliminant tout le monde », je suis sûre qu'il ne refusera pas.
— Tu parles d'Alek ou de Lucian, parce que les deux se ressemblent tellement, sourit-elle.
Elle a raison. Ils se rapprochent en tous points, à une différence près : Alek n'aurait jamais blessé Irina, il l'aurait certainement comprise. Il n'aurait jamais osé tenir une arme contre sa tempe, à l'inverse de Lucian. J'aurais souhaité lui confier que sa gaieté éclaire ma vie, lui demander s'il croit toujours en nous. Mais ces pensées se sont évaporées. Garder de la force, redresser la tête, fermer mon esprit devient compliqué. Même s'il me méprise, j'espère qu'il remémore notre amour, qu'il médite sur ce que nous étions, car cela n'était pas une fiction. Je voulais rester à ses côtés, partager des heures enlacés, mais tout appartient désormais au passé. Perdue dans mes pensées, la voix d'Irina me ramène à la réalité.
— On peut mettre nos affaires dans celle-ci, clame-t-elle.
— Tiens, les deux bouffonnes de services, s'amuse Andréa. Vous comptez aller où ainsi ?
— En quoi ça te regarde ? répliqué-je.
— Vos mecs ils diront quoi s'ils l'apprennent ?
Irina me fixe intensément. Elle ne nous lâchera jamais, quoi que nous entreprenions. Elle s'immisce dans ma vie et exerce un contrôle absolu sur l'homme que j'aime, et en plus de cela, elle interfère dans nos plans. Bien que l'idée de lui arracher les cheveux traverse ma pensée, je secoue la tête. Je ne suis pas encline à agir ainsi, et je n'ai aucune intention de le devenir. Malgré la profonde aversion que j'éprouve envers Andréa, la violence ne constitue en aucun cas une solution.
— Que tu es une fille de joie ? pesté-je. Allez, remonte dans ta chambre et ne viens pas jouer dans la cour des grandes.
— Je pense plutôt que je vais utiliser le téléphone fixe, sourit Andréa.
— Sûrement pas ! hurle Irina.
Sans apercevoir le moindre indice de ce qui se tramait, Irina se jette sur Andréa qui, dans une tentative désespérée de fuite, bascule en avant. J'extirpe une petite barre de céréales de ma poche tout en observant la scène avec un rictus malicieux. Cette brune cache véritablement des talents insoupçonnés. Un éclat de rire me démange, mais je le refrène lorsque Andréa se relève, le nez en sang après avoir percuté violemment le béton. Une compassion feinte s'insinue en moi, bien que superficielle. Sans laisser à Andréa l'opportunité de se redresser, Irina la contraint, immobilisant ses bras dans le dos.
— Au lieu de manger, ne pourrais-tu pas m'amener une corde, Tessa.
— Elle est bonne en plus, rétorqué-je. Ce petit arrière-goût chocolaté, j'apprécie.
Tandis que je déguste ma collation, je m'avance vers l'armurerie pour prendre une ficelle que je tends à Irina. Dans mes pensées, je prévoyais à une soirée médiocre, mais cet inattendu dénouement parvient à effacer, ne serait-ce que provisoirement, les plaies fragiles de mon cœur. Un sourire léger flotte sur mes lèvres. Irina traîne notre prisonnière jusqu'à la salle de torture, où elle sera confinée. À mes côtés, une chaise récupérée sert de barricade à la poignée de la porte afin d'éviter toute possibilité d'évasion. Le temps est compté, chaque seconde critique, aucun délai n'est désormais tolérable.
— Monte dans le coffre, Tessa, exige-t-elle.
— Super, je vais m'amuser, ça va être génial, râlé-je.
— Tu as une meilleure idée ?
Je secoue la tête, soupire et m'installe dans l'automobile. Irina démarre le moteur, faisant rugir la voiture, mais nous avançons à peine à vingt kilomètres par heure. Cela me ramène à mes souvenirs de voyages avec mes grands-parents qui sillonnaient les routes campagnardes. Elle avait une telle peur qu'elle ralentissait le trajet par peur de faire un accident.
— Tu sais au moins la fonctionnalité des pédales, j'espère, ris-je.
— Il y en a que deux, ça devrait aller. Enfin... Je pense.
Alors que nous approchons du portail, où un gardien attend patiemment, je me recroqueville pour rester discrète. Être repérée pourrait m'entraîner dans un contexte délicat, et je ne tiens pas particulièrement à me retrouver en compagnie de Lucian et Alek. Éviter de devenir leur souffre-douleur serait préférable.
— Zawracanie, gronde-t-il.
— Je ne comprends pas, panique Irina. Je veux juste sortir.
— Zawracanie, répète-t-il plus fermement.
— Je fais quoi, Tessa ?
L'angoisse m'étreint, mes pensées s'embrouillent et je me masse les tempes. L'inaction pourrait nous plonger dans une situation périlleuse, et ce n'est pas le moment. Quand l'homme pointe son arme, je deviens pâle, au bord du malaise. Je ravale difficilement ma salive, puis je sors du véhicule en essayant de faire le moins de bruit possible. Alors qu'il ne m'aperçoit pas, agissant instinctivement, je lui assène un coup de crosse derrière la tête. À ma surprise, il ne réagit pas.
— Putain, j'ai vu ça plusieurs fois dans les films, mais là, ça fonctionne pas, angoissé-je.
Prise de panique devant la situation, Irina, désemparée, ouvre la portière brusquement, frappant l'homme qui chute et heurte son crâne. Il reste immobile, sans opposition.
— Merde ! Je l'ai tué ? crie-t-elle en sortant de la voiture.
Avec précaution, j'essaie de le faire bouger en utilisant mon pied, et calmée, je constate qu'il gémit.
— Non, il est juste sonné, confirmé-je. Prends place du côté passager. Je vais conduire.
Alors qu'elle lâche un souffle de soulagement, Irina se dirige vers la cabine pour actionner le bouton et permettre aux portes de s'ouvrir. Je m'installe au volant et me frotte plusieurs fois le visage. Mes efforts pour éviter les ennuis semblent avoir lamentablement échoué. Les représailles qui s'annoncent risquent d'être dangereuses, mais il est trop tard pour revenir en arrière. Consciente que des remontrances m'attendent, je soupire, observant Irina s'asseoir à mes côtés et prendre une gorgée d'eau. Je pivote la tête vers la caméra de surveillance et lui adresse un doigt d'honneur.
Le pied sur l'accélérateur, nous roulons depuis une vingtaine de minutes. La musique à fond, j'étudie le paysage. Même dans cette nuit sombre, les étoiles brillent de mille éclats. Un léger sourire se dessine sur mon visage. Mes pensées dérivent vers des moments avec ma mère, où seul son rire parvenait à m'apaiser. J'aimais particulièrement sortir avec elle le soir, déambuler et contempler les merveilles que le monde nous offrait. J'aurais tant voulu partager ces instants avec Lucian, lui montrer que derrière son tempérament dur, l'existence vaut la peine d'être vécue. Des regrets m'envahissent, car je n'ai pas pu choisir la bonne voie, et je sais pertinemment qu'il en souffre. Bien que je me répète que tout est terminé, je refuse de l'accepter. Certes, ce genre de bêtises ne résoudra rien, mais si je peux lui prouver que je suis de son côté, peut-être parviendra-t-il à me pardonner et à me donner une seconde chance. Une main dans mes cheveux, je jette un regard furtif à Irina qui semble perturbée, son visage pâlissant.
— Tout va bien ? demandé-je, perplexe.
— Je crois que le stress me rend malade. J'ai des douleurs au ventre.
— Nous pouvons toujours faire demi-tour si tu le souhaites.
D'un signe de tête, elle m'intime de poursuivre. Je hausse les épaules puis reprends la route, plongée dans mes pensées. Cependant, la voix d'Irina résonne dans l'habitacle.
— Arrête-toi tout de suite ! s'écrie-t-elle.
Je freine immédiatement et immobilise la voiture sur le bord. Irina ouvre précipitamment la portière et évacue tout ce qu'elle a ingurgité. Je détourne les yeux, me murmurant une légère mélodie pour échapper à cette scène pour ne pas la suivre. Après quelques minutes, mon amie se redresse, fouille dans la boîte à gants, puis s'essuie avec le mouchoir qu'elle y trouve.
— Tu es certaine de vouloir continuer ? m'inquiété-je.
— Avec ce qu'on a commis à la maison, je me vois mal rentrer là-bas.
Elle a raison, mais nous ne pouvons pas mettre nos vies en danger pour obtenir le pardon. Je ne désire nullement l'exposer aux représailles, et encore moins celle de l'enfant que je porte. Nous avons fait des erreurs, entrepris des actions parfois périlleuses, mais maintenant, il est temps d'y appliquer une pause. Je ferme les paupières quelques instants et inspire profondément. La lourdeur du passé pèse sur nous, créant un fardeau difficile.
— On pourrait aller prendre un verre, si cela te convient, suggéré-je.
— Pourquoi pas, tout dépend de l'heure.
Je me retourne sur la banquette arrière et récupère mon téléphone laissé dans la petite poche extérieure. Depuis ce matin, je n'y avais même pas jeté un coup d'œil, de toute manière, ce n'est pas comme si quelqu'un s'inquiétait pour moi. Je fronce les sourcils, étonnée de voir son nom apparaître. J'ouvre son message, et soudain, mon cœur manque un battement, mes mains tremblent au point où j'ai du mal à tenir le portable dans mes doigts.
Je m'affaisse dans le fauteuil, un regard aussi sombre que mes pensées qui perturbent mon esprit. Comment peut-il me faire subir des douleurs délibérément ? Comment peut-il se permettre de briser les sentiments que j'ai à son égard ? Je ressens une colère profonde, mais également une tristesse lancinante. Le voir en compagnie d'une femme à moitié nue me met hors de moi. S'il était en face de moi, il aurait passé un mauvais quart d'heure, mais Lucian est en Russie, et je ne peux être qu'une simple spectatrice de la chute de mon couple.
— Mais quel connard ! m'énervé-je.
Irina éclate de rire, cependant, son visage perd soudain sa splendeur, ses lèvres s'affaissent légèrement lorsqu'elle remarque Alek en arrière-plan.
— J'ai une idée, annonce-t-elle. Regarde sur internet les clubs de strip-tease dans lesquels on trouve des hommes.
***
Arrivées, nous avançons vers le carré VIP. La lumière tamisée baigne la pièce dans des teintes chaudes. Les murs sont ornés de rideaux de velours violets et de miroirs tactiquement placés pour refléter la passion des lieux. Une piste centrale occupe le cœur du club, éclairée par des projecteurs dirigés pour mettre en valeur les mouvements gracieux des hommes qui dansent. Des sièges confortables en cuir, disposés en demi-cercle autour des barres de pôle-danse, offrent aux habituées une vue sur le spectacle en cours. Des tables basses, parées de bougies, ajoutent une touche d'intimité à l'expérience. Des serveurs habillés avec classe se déplacent discrètement, prêts à satisfaire les demandes des clients. La musique, choisie avec soin, crée une bande-son sensuelle.
Alors que nous commandons nos boissons, deux hommes, l'un brun et l'autre blond, s'approchent de nous. Les yeux écarquillés, je suis perplexe quant à leurs intentions. À vrai dire, ce n'est pas le genre d'endroit que je fréquente habituellement. Je me sens quelque peu mal à l'aise, mais je préfère garder le silence. Je ravale avec difficulté ma salive en les observant effectuer leur danse suggestive devant nous. Bien qu'ils soient musclés et très beaux, malheureusement, mes pensées vont vers un autre individu. Je secoue la tête, lassée.
— Donne-moi ton téléphone, me demande Irina. On va leur faire une jolie photo, nous aussi.
— Je ne sais pas pour toi, mais je crois qu'on adore se mettre dans des situations compliquées, ris-je.
Irina esquisse un sourire puis capture l'instant avec l'homme qui continue de se trémousser autour de moi. Je lève les yeux au ciel, espérant ne pas m'enfoncer davantage dans les ennuis. Irina me rend le téléphone, et à mon tour, j'ordonne au brun de se déhancher près d'elle. Mais avant que je ne puisse appuyer sur le bouton, un léger raclement de gorge retentit à ma gauche. Les paupières grandes ouvertes, j'observe Irina. Une sensation étrange m'envahit, et immédiatement, mon pouls s'accélère.
— On vous dérange peut-être ? nous interpelle Alek d'un ton ferme.
— Un peu, s'exclame Irina. Viktoria et tes pimbêches à moitié nues n'ont pas réussi à te satisfaire ?
Prête à avaler mon coca fraîchement apporté, je manque de m'étouffer. Relevant la tête, je remarque les deux garçons qui ne semblent pas heureux. Le visage fermé, les bras croisés sur leur poitrine, ils nous toisent comme s'ils allaient nous tuer.
— Tu crois que c'est un endroit pour une femme enceinte ? La grossesse te rend aussi conne que ça ? fulmine Lucian.
— Tiens, tu te préoccupes de moi, à présent ? J'en suis ravie, souris-je avec ironie.
Fou de rage, il me saisit fermement le bras pour m'obliger à sortir.
— Attends ! hurlé-je. J'ai oublié de lui placer de l'argent dans son string léopard.
— Si tu ne portais pas mon enfant, je te jure que je t'aurais mis une balle entre les deux yeux ! vocifère-t-il. Maintenant ta gueule et avance avant que je pète les plombs pour de bon.
Juste à côté, je remarque qu'Alek fait de même. Cependant, pour compliquer la situation déjà désastreuse, Irina glisse un billet vers l'homme en s'excusant de partir immédiatement. Je ris, mais les doigts de Lucian se resserrent. Visiblement, il n'apprécie pas que je puisse effectuer les mêmes choses que lui. Je pivote la tête puis nous sortons pour avancer vers la voiture.
— Alek, emmène-la dans ta caisse avant que je ne la flingue, ordonne Lucian.
Je crispe la mâchoire en observant son véhicule qui n'a que deux places. Un soupir de frustration m'échappe. J'aurais préféré marcher ou prendre un taxi, mais certainement pas me retrouver avec lui.
Nous suivons de près les autres. Un silence morbide emplit l'habitacle, mais je n'ai pas envie de parler et encore moins d'expliquer le pourquoi de notre présence ici. Je fronce les sourcils et pose ma tête contre la fenêtre. Néanmoins, Alek ralentit lorsque la voiture de Lucian s'arrête en plein milieu de la route. Je me redresse légèrement et adresse un geste de salut à Irina qui semble traverser un instant difficile.
— Tu penses que c'est le moment de plaisanter, après la soirée qui vient de se dérouler ? s'agace Alek.
Je déglutis péniblement lorsque son regard sombre se pose sur moi. Je ne sais pas où me mettre, avouons-le, il m'effraie grandement. Je passe une main dans mes cheveux puis saisis la bouteille d'eau dans mon sac pour apaiser ma gorge desséchée.
— Tu aurais pu participer et faire une chorégraphie à Irina, je suis certaine qu'elle aurait adoré, réponds-je en haussant les épaules.
Il soupire comme à son habitude.
— Pourquoi vous êtes allés là-bas ? Ça ne lui ressemble absolument pas.
— Je voulais tout bonnement effacer cette image sombre de Lucian en train de batifoler avec une gogo danseuse. J'ai donc suggéré à Irina de m'accompagner pour ne pas être seule.
Je préfère lui dire que c'est moi qui ai eu l'idée. Irina a déjà assez de problèmes sans en rajouter. Quant à moi, au bord du gouffre, je n'ai rien à perdre.
— Il ne s'est rien passé de plus qu'une simple photo, Tessa. Même s'il est en colère, nous savons très bien tous les deux qu'il ne passera jamais à autre chose face à votre relation amoureuse.
— Tes souvenirs se sont dissipés ? l'interrogé-je. Je te signale qu'il était à deux doigts de m'envoyer six pieds sous terre.
— Si tu penses qu'il en aurait été capable, c'est que tu es vraiment stupide.
— Et toi, tu es un connard, je ne me plains pas, soupiré-je.
— Tu devrais changer de refrain, Tessa. Je le connais par cœur. Maintenant, ferme-la un peu et profite de la balade.
Je fronce les sourcils et crispe la mâchoire. Même s'il m'énerve, Alek a raison. Ai-je été bête de croire que Lucian aurait pu appuyer sur la détente ? Il l'a bien fait avec Franzeska, sans le moindre remords. Je suis perdue, incapable de savoir où j'en suis, noyée dans les ténèbres de mes propres démons qui n'attendent qu'une chose : me consumer jusqu'à mon dernier souffle.
La tête posée contre la vitre, la musique à fond, j'observe le paysage défiler à une vitesse ahurissante. J'aimerais pouvoir dormir, me reposer, passer une nuit où je pourrais échapper à mon destin, mais c'est impossible. Depuis quelques minutes déjà, des douleurs lancinantes me tiraillent le bas du ventre. J'essaie de respirer un grand coup, d'ouvrir légèrement la fenêtre pour que l'air frôle mon visage, mais j'ai mal. Je jette un d'œil rapide à Alek, ne souhaitant pas le déranger dans ses réflexions, je scelle mes lèvres. Peut-être est-ce simplement normal en début de grossesse, je ne sais pas.
Arrivés à la maison, nous quittons le véhicule. Les mains posées sur mes genoux, je tente pendant quelques instants de détourner mes pensées, mais les douleurs s'intensifient. La respiration devient difficile, des sueurs froides parcourent mon corps. Je serre les dents si fort que le son de leur entrechoquement me parvient. Je souffle, suivant Irina qui me regarde perplexe, mais je ne veux pas l'inquiéter. À peine avons-nous franchi la porte que Tobias se tient devant nous, le visage fermé. Ses yeux se fixent sur moi et je saisis rapidement qu'il est en colère. À ses côtés, Andréa, les bras sur les hanches.
— Irina, m'exprimé-je difficilement, ça ne va pas.
Mes jambes peinent à soutenir le poids de mon être. Ma tête vacille. Je ne sais pas ce qui m'arrive, mais la douleur est telle que mes paroles se heurtent à un mur invisible.
— Tessa, qu'est-ce qu'il t'arri...
Mais je n'ai pas le temps de lui répondre. Mes yeux se ferment, mon corps cède, m'abandonnant à l'obscurité.
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