🖤 Le pardon

Le vide, c'est l'unique émotion qui puisse décrire ma condition actuelle. La douleur demeure accablante, mais rien ne peut dissiper cette souffrance qui me ronge. La tête appuyée contre la fenêtre de la voiture, nous parcourons la route depuis une dizaine de minutes, plongés dans un silence pesant qui s'installe dans l'habitacle. Otto, à l'arrière, a tenté d'engager la conversation, mais seule la solitude lui a répondu. Quant à Lucian, il me jette parfois des regards, mais il reste sans écho de ma part. Une rancœur tenace envers lui m'habite. S'il l'avait renvoyée, rien de tout cela ne serait arrivé, mais il a préféré enfoncer le couteau plus profondément dans ma poitrine pour atteindre mes barricades. J'aimerais pleurer, mais même cette libération m'est désormais interdite. Je suis totalement désorientée, entravée par des chaînes où chaque mouvement engendre une douleur lancinante.

Le paysage défile sous mes yeux fatigués, les nuages s'amoncellent dans un ciel gris, quelques gouttes de pluie s'écrasent sur la voiture, et chaque bruit me transporte vers des souvenirs lointains. Les bourrasques agitent les arbres comme une mélodie tragique. Lucian tourne à droite sur un chemin boueux. Nous pénétrons dans la forêt, là où même les bêtes hésitent à s'aventurer. Après quelques minutes, il ralentit enfin et sort son bras par la fenêtre pour actionner le commutateur d'ouverture du portail, qui se soulève aussitôt dans un grand fracas métallique.

Je me redresse pour contempler l'immense demeure qui s'étale devant mes yeux. Des hommes armés veillent attentivement, instillant un sentiment de sécurité dans l'air. Ce lieu, encerclé par une multitude d'arbres, ressemble à un mariage harmonieux entre un chalet et un château, façonné dans la splendeur de la pierre ancienne. Le dernier étage, orné d'un balcon, surplombe plusieurs baies vitrées et un second en dessous, offrant la possibilité de profiter du coucher de soleil, une expérience qui réveille en moi les souvenirs enchantés de mon enfance.

Lucian stationne sa voiture à gauche, dans un garage indépendant qui abrite deux motos et deux autres véhicules. Descendant sans même prendre mes bagages, je m'aventure vers l'entrée, où une piscine s'étend, accompagnée d'un chemin de pierre pour préserver la verdure. Quatre transats blancs et des parasols rouges sont placés, mais compte tenu de la température, je choisirai simplement de m'envelopper dans un manteau et de savourer mon café.

Juste derrière moi, un escalier conduit à un petit étang entouré de buissons fleuris, créant une atmosphère idyllique. Je ne peux m'empêcher de reconnaître que Lucian a réalisé une judicieuse décision. Alors que je passe sous les poutres de fondations, où quelques fauteuils noirs et une table sont disposés, j'entre dans la maison, et à peine la porte s'entrouvre, nos regards se croisent.

— Tu es encore plus dégueulasse que dans mes souvenirs, sourit-elle.

Mon cœur fait une pause, un battement sautant, lorsque sa voix tant regrettée résonne à nouveau. Elle demeure inchangée, arborant toujours ses longs cheveux bruns et sa frange impeccable qui encadre son visage avec élégance. Adéla s'avance finalement vers moi, m'enveloppant de ses bras. Le manque de son amitié, de nos échanges, est palpable, et je suis convaincue qu'elle a beaucoup à me confier.

— J'espère que la baraque te plaît, parce qu'avec les hommes de main, nous y avons passés jour comme de nuit pour que tu te sentes à l'aise, reprend-elle.

— Tu restes ici ? lui demandé-je.

— Bien entendu ! Tu ne vas pas te débarrasser de moi aussi facilement, puis on doit se parler.

— Tu lui montres la maison, exige Lucian, je vais dans mon bureau.

— Tobias t'y attend déjà, confirme-t-elle.

Sa paume posée sur le bas de mon dos, Adéla m'invite à monter à l'étage. À peine ai-je eu le temps de souffler que je me trouve confronté à l'inévitable nécessité de m'expliquer une fois de plus sur mes actions. Je dois admettre que l'envie de le réaliser ne m'habite guère. J'ai déjà enduré bien trop de tourments pour revivre ces épreuves. J'aspire à accorder à mon cœur quelques semaines de quiétude.

Parvenue à la dernière marche, je parcours rapidement la pièce du regard. Divers tableaux de maîtres renommés comme Carl Spitzweg ou encore Franz Xaver Winterhalter ornent les murs blancs pour insuffler ainsi un sentiment d'allégresse dans l'ensemble du lieu. Mon avancée se suspend lorsque Adéla s'arrête. Un sourire éclaire son visage avant qu'elle n'entrouvre la porte.

La chambre dévoile une perspective captivante sur la forêt. Trônant au cœur de la pièce, une table abrite quelques ouvrages et une bougie, escortée par deux fauteuils en cuir beige. À ma droite se trouve un bureau qui offre l'occasion de renouer la rédaction là où elle avait été interrompue. Près de la baie vitrée, un escalier élève le lit, entouré d'une glace où une télévision est ancrée.

— Cette porte te mène dans la salle de bain, et celle de gauche, dans le dressing, déclare Adéla.

Alors que mes pas effleurent la moquette beige, je m'arrête devant la table de chevet et enserre dans mes mains le cadre. J'inspire profondément, caressant du bout des doigts le visage qui m'avait tant manqué. Sa beauté émane avec une éclatante nostalgie.

— Tobias m'a demandé de le lui ramener, avoue Adéla.

— J'aurais tellement souhaité qu'elle soit ici.

— Mais elle demeure là, dans ton cœur, et je suis persuadée que Karine veille sur toi.

Un léger rire s'échappe de mes lèvres avant que je ne repose la photo pour m'installer confortablement dans le fauteuil. Je prends une profonde inspiration, puis laisse mes yeux vagabonder sur les murs nacrés. L'incertitude quant à la pensée de rester ici m'envahit. Je me demande si rentrer au Nevada serait la meilleure option, et je suis dans l'incapacité de définir ma place dans ce monde. Trop d'interrogations tourbillonnent en moi, sans qu'une réponse ne se profile à l'horizon.

— Comment te sens-tu ? me questionne Adéla.

— Je n'en ai aucune idée, avoué-je. J'ai l'impression que je n'arriverais jamais à sortir la tête de l'eau. Tu connais cette sensation de se noyer, même en se débattant pour retrouver l'air ? C'est impossible.

— Tu vas réussir, Tessa. Ça va être difficile, je ne te le cache pas, mais je te promets de rester présente si tu trébuches. Je dois avouer, quand tu m'as révélé toute la vérité, j'avais envie de te buter. C'était ma seule pensée, mais après avoir discuté avec ton père, j'ai compris. Tu as mal commencé les choses, il faut le reconnaître, mais à présent, tu dois te reprendre en main. Ne te laisse pas abattre. Tu es une femme forte, alors oublies ton passé et traces ton futur.

— Je voudrais tant me recueillir sur la tombe de ma mère, mais même cela m'est interdit, car mon quotidien se résume à être une prisonnière, à fuir mes démons qui me tourmentent depuis bien trop longtemps. Tu sais, le seul individu qui parvenait à me faire sourire, c'était Lucian, mais aujourd'hui, j'ai l'impression d'atteindre un stade où même s'il y a de l'amour entre nous, cela ne sera plus jamais comme avant.

Adéla s'avance vers moi, s'accroupit, puis pose ses mains sur mes genoux.

— En réalité, continué-je, le plus difficile, c'est de se dire que tu as partagé tant d'années avec une personne. Elle maîtrisait tout de toi, savait quand tu étais heureuse, malheureuse. Elle connaissait précisément l'heure à laquelle tu préparais ton café, ou quand tu prenais ta douche. Et puis, en un claquement de doigts, il semble que toute cette passion se dissipe dans l'air, comme un mirage. Lorsque tu le touches, il ne reste plus qu'une empreinte de souffrance sur ta peau, laissée par la tristesse qui l'a précédemment imprégnée.

— Qu'est-ce que tu souhaites, Tessa ?

— Une partie de moi aspire à tout recommencer à zéro, comme si je ne l'avais jamais rencontré. Toutefois, l'autre est bien trop attachée à lui pour envisager de disparaître. Hier, nous avons couché ensemble, et l'espoir d'une évolution positive a brièvement scintillé. Cependant, tout s'est effondré à nouveau quand il a choisi de me faire du mal avec Andréa plutôt que de la renvoyer. Si elle était partie, rien de tout cela ne serait arrivé, et je lui en veux profondément pour cela.

Je suis épuisée de verser des larmes, lassée de lutter contre le monde qui m'entoure. Alors que j'essaie de sourire en surface, à l'intérieur de moi, je m'éteins lentement, et personne ne semble s'en apercevoir. Au final, maman avait raison en disant de ne pas craindre les démons sous le lit, car parfois, nous sommes les monstres. J'inspire, puis plonge mes yeux dans les siens, comme un appel silencieux à l'aide.

— Tessa, la seule certitude que j'ai, c'est que Lucian t'aime et t'aimera jusqu'à la fin de ses jours. C'est toi qu'il a choisie, pas une autre. Personne n'est parfait, lui encore moins. Il a des défauts, comme tout être humain, mais il serait prêt à décrocher la lune pour toi, à arracher des cœurs juste pour écouter le tien battre à nouveau pour lui. Nous faisons tous des démarches regrettables dans la vie, et tu le sais mieux que quiconque. Mais j'ai entendu dire qu'une seconde chance est méritée par chaque individu, car qui sommes-nous pour condamner et jeter quelqu'un au bûcher ? Alors, je vais simplement te poser une question : tu aimes Lucian ?

Mes lèvres subsistent scellées alors que la porte s'entrouvre, révélant le concerner. Son visage impassible, les manches de sa chemise retroussées, il effectue un signe de tête à Adéla pour l'inviter à sortir de la pièce. Un soupir m'échappe et mes épaules se soulèvent légèrement. M'immergeant davantage dans le fauteuil, je laisse mon esprit s'abandonner à l'incertitude, car en fin de compte, c'est tout ce qui lui reste avant de sombrer dans une extinction totale.

***

Alors que mes paupières s'ouvrent doucement, je remarque que la nuit a déjà enveloppé le monde. J'ai dû somnoler un moment. Je me redresse lentement, étirant mes bras, avant de réaliser que mon corps est emmitouflé par une couverture. Aucun bruit ne m'a indiqué quand cette personne me l'a déposée. Je me lève et descends pour rejoindre les autres dont les voix résonnent dans la discussion.

En pénétrant dans la salle à manger, mes yeux demeurent émerveillés. Ils constatent rapidement que rien n'a été laissé au hasard. L'endroit respire la splendeur. Un imposant lustre, avec ses vingt bras, illumine la pièce. Sur une grande table en marbre noir, Adela entretient une conversation avec Lucian, tandis que Tobias savoure un cocktail derrière eux, installé au bar. Un immense tapis gris, déployé sous le meuble, s'accorde parfaitement avec les fauteuils qui l'entourent.

Mes pas me conduisent vers un gigantesque tableau accroché au mur et représentant le symbole du gang : un cœur percé d'un couteau. Je secoue la tête en fronçant les sourcils, puis me dirige vers la cuisine ouverte, qui n'est que légèrement surélevée. Je retrouve la touche Lucian : des mobiliers foncés s'étendent jusqu'à un îlot au centre de la pièce. Même le réfrigérateur adopte cette teinte, mais l'éclairage tamisé apporte heureusement une lueur réconfortante. Je me rends à l'évier pour prendre un verre d'eau, moment interrompu par un coup de coude d'Otto.

— J'ai acheté des pizzas, en réservant une pour toi, annonce-t-il.

Je me tourne vers lui, le scrutant.

— Depuis quand fais-tu preuve de gentillesse ? Cela ne te ressemble pas, m'inquiété-je.

— Compte tenu de la situation actuelle, il est évident qu'il vaut mieux hisser le drapeau blanc pour un moment.

— Mais tu sais, cela ne fera jamais revenir ton doigt, rétorqué-je en réprimant un léger rire.

Otto se racle la gorge et fixe son regard dans le mien, comme s'il allait me dévorer, mais j'apprécie son geste, surtout venant de lui. Malgré le frisson qu'il peut provoquer, je reste consciente que derrière sa carapace se cache un homme bon. Il est temps que j'incorpore l'idée d'accorder une seconde chance aux individus dans un coin de ma tête. Je me tourne en direction de Lucian, dont le visage impassible observe la scène.

— Tu aurais pu tout bonnement le réprimander, déclaré-je. Otto a simplement écouté. Il n'avait pas à subir mes agissements.

— Va écrire tes livres et laisse-moi gérer mes affaires, sois mignonne, réagit Lucian.

— Tu es vraiment perturbé, m'indigné-je. Quand est-ce que tu mettras fin à ce comportement lamentable ?

— Quand les gens arrêteront de me prendre pour un con. Entre toi qui dissimules ton identité et l'autre qui cache sa sexualité, ça va cinq minutes. Ah ! Sans oublier que je suis obligé de cohabiter avec le mec qui a flingué ma sœur, c'est génial, je n'ai pas rêvé mieux.

J'étire légèrement mes lèvres pour contenir un rire naissant. Le regard d'Otto se tourne vers moi, semblant me questionner sur une possible tromperie de ma part. Je fais un mouvement négatif de tête accompagné d'un haussement d'épaules pour signifier mon innocence. Je ne sais pas comment il a eu vent de la situation, mais jamais je ne l'aurais trahi, d'autant plus que sa relation ne me concerne en rien. Quant à Tobias, absorbé dans son verre, il se lève brusquement et s'approche de lui. Je pressens que cette soirée sera comme les autres : vouée à être une parodie de ce qu'est la bonne compagnie.

— Bien, pourquoi ne retournerais-tu pas en Allemagne, là où tu as ta place ? demande mon père.

— J'ai acheté de la pizza au saumon, je sais que tu aimes ça, murmure Otto.

Je lui adresse un sourire timide et me dirige vers le meuble où est posé le carton. J'en prends une part que je porte à ma bouche pour y croquer un morceau.

— J'effectue ce que tu n'as jamais réussi : protéger Tessa. Si tu veux, je pourrais t'apprendre comment on fait, souffle Lucian.

— Vu comment tu l'as détruite, va falloir que tu reconsidères tes priorités.

Rapidement, Lucian se lève et se place à quelques centimètres du visage de Tobias. La mâchoire crispée, les mains serrées en poing, une tension palpable s'immisce dans l'air. Adéla, assise, nous observe brièvement et secoue la tête, tout aussi indignée que nous.

— La faute à qui ? s'énerve-t-il. Si tu avais agi comme un vrai père, jamais elle n'aurait quitté le territoire avec Karine. Ta famille serait toujours soudée, et ton rejeton serait mort. Mais tu n'as pas réussi à voir les choses et à comprendre que ta fille était malheureuse, qu'elle subissait les pires sévices. Donc bon, à ta place, je fermerais ma gueule. Le seul truc qui m'empêche de te buter, c'est parce que Tessa tient à toi. D'ailleurs, je ne sais pas pourquoi, car tu es un vrai fils de pute. Mais si elle n'était pas là, crois-moi, tu serais déjà au fond d'un trou avec les merdes de ton genre.

— Pour l'instant, je reste le leader des Herzdiebe, que cela te convienne ou non. Tu es toujours sous ma direction, et si tu ne souhaites pas que ma tolérance atteigne ses limites, je te recommande de modérer le ton que tu utilises envers moi. Prends donc l'air à l'extérieur afin de remettre de l'ordre dans tes pensées égarées, cela te sera bénéfique.

Chaque craquement des phalanges de Lucian résonne en moi comme une manifestation de mon impuissance. Pourtant, il finit par s'éloigner, balançant le vase posé sur le meuble du couloir. Quant à Tobias, son visage demeure impassible, mais je sens que les blessures de son passé s'ouvrent à nouveau, provoquant une douleur longuement oubliée.

— Tu ne devrais pas entrer dans son jeu, confessé-je. Je vais aller lui parler.

— Ça ne servira à rien, tu le sais très bien. Il ne changera jamais. Je devrais le renvoyer, qu'il se trouve un autre boulot, parce que ça ne peut pas durer ainsi. Je suis patient jusqu'au jour où tout basculera. Je tâche de réaliser des efforts pour toi, mais je ne suis pas sûr de supporter de nouveau son manque de respect.

— Tu as quand même abattu sa sœur, souffle Adéla. Essaie de te mettre à sa place. Si c'était Tessa qu'il avait tuée, aurais-tu eu le courage de partager ta maison avec lui ?

Tobias passe une main dans ses cheveux avant de s'asseoir sur le tabouret du bar.

— Lucian serait déjà mort, avoue-t-il. Mais comme je l'ai répété à ma fille, je n'ai pas le pouvoir de changer le passé, néanmoins, je peux agir sur le présent pour construire un futur acceptable.

Le pardon est une entreprise ardue qui oscille entre la volonté et la faiblesse. Si nous n'accordons pas notre clémence, que reste-t-il de notre âme finalement ? Est-ce que notre cœur aspire constamment à souffrir sans connaître le répit, sans avoir ne serait-ce qu'un moment pour essuyer ses larmes et esquisser un sourire ? Les jours qui s'écoulent rendent tout de plus en plus difficile, comme si la mort elle-même guettait le moindre faux pas pour nous voler la vie.

Alors que mon père porte son verre de whisky à ses lèvres, je m'échappe vers l'extérieur. Près d'un buisson floral, Lucian, une main dans les poches et une cigarette allumée dans l'autre, semble ailleurs, comme s'il avait perdu tout espoir de goûter au bonheur.

— Quand cesseras-tu ? le questionné-je en m'approchant de lui. N'en as-tu pas assez de semer la souffrance autour de toi, de détruire le peu de bien qui subsiste en toi ?

— J'ai tenté, mais je ne peux rester dans la même pièce que ce connard. Quand comprendras-tu enfin que ton père a buté ma sœur pour que tu survives ? s'énerve-t-il.

— Tu as gardé Andréa chez nous, une femme qui a fini par m'empoisonner, m'arrachant la seule chose qui nous unissait entièrement. Je doute que tu sois le mieux placé pour parler de cela.

Aussitôt, il se retourne, approchant son visage à quelques centimètres du mien. Je déglutis difficilement. Ses yeux sombres me scrutent avec une intensité terrifiante. Je ferme légèrement les mains, mais je ne peux me détacher de lui, comme si un fil invisible nous liait.

— Prends garde à tes paroles, Tessa, car je risque de perdre patience, et tu ne voudrais pas voir cette facette de moi, fulmine-t-il.

— Que comptes-tu effectuer ? Me torturer ? M'arracher le cœur ? Mais tu m'as tout enlevé. Je suis vide de l'intérieur, il ne reste rien.

— Je t'interdis de dire ça ! hurle-t-il. Tu ne peux pas tout me rejeter dessus parce que tu endures un calvaire ! Tu crois que je ne souffre pas ? Tu penses que cette putain de situation me plaît ? Alors, tu te trompes lourdement, car j'ai tout autant mal.

— Donc, pourquoi agis-tu comme si tu n'avais aucun sentiment, comme si ton âme était gelée ? m'écrié-je.

En l'espace de quelques secondes, tout s'est évaporé, comme une feuille emportée par la brise qui cherche son chemin et qui finit par tomber au sol sans jamais atteindre sa destination. Je reste semblable à elle, tout aussi égarée.

— Pourquoi es-tu devenu méprisant envers l'univers qui t'entoure ? ajouté-je, pourquoi ?

— Parce que j'ai perdu la seule personne qui représentait mon monde, rétorque-t-il d'une voix autoritaire.

Les larmes au bord des yeux, même si elles tentent de retourner dans le sommeil, ne peuvent s'y résoudre. Sans même m'en rendre compte, elles coulent librement tandis que les pansements de mon être se détachent peu à peu.

— Mais bordel, Lucian, te rends-tu compte du mal que tu m'infliges ? sangloté-je. Au moment où j'avais le plus besoin de toi, tu n'étais pas là pour m'aider à me relever. Tu étais la seule personne dont j'avais nécessité, car même si je souriais, à l'intérieur, j'étais détruite. Ta froideur m'a anéantie. J'ai toujours été présente, dans n'importe quelle situation, et toi, tu m'as laissée tomber, tu m'as abandonnée en négligeant ta promesse. Je te déteste tellement, pour tout, pour Andréa, pour ton comportement, mais surtout parce que je n'arrive pas à t'oublier.

Alors que je termine à peine ma phrase, Lucian presse brusquement ses lèvres chaudes contre les miennes. Ses mains entourent mon visage, m'empêchant de fuir, une perspective qui ne me traverse pas l'esprit. Son baiser est à la fois puissant, tendre, empreint d'une colère profonde. Il me transporte loin d'ici, à grande distance de nos préoccupations mutuelles. Mes doigts se crispent sur sa chemise, comme pour l'inciter à ne jamais s'arrêter. Même à travers la haine qui paraît nous lier, je le désire d'une manière que je n'ai jamais ressentie pour un homme. Et bien qu'il détache bientôt sa bouche de la mienne, le goût de ses lèvres restera gravé en moi. Mon corps réclame chaque contact de sa langue entrelacée avec la mienne. Le temps semble suspendu, le froid automnal disparaît. Alors que je commence à perdre pied, il se retire brusquement, me laissant hors d'haleine. Sans un mot, je le regarde s'éloigner, m'abandonnant à ce sentiment d'euphorie que cet instant éphémère vient de me procurer.

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