🫀Vérité mise à nue

Au moment où le réveil retentit pour annoncer onze heures, je le projette d'un geste colérique et enfouis ma tête dans l'oreiller. Ma nuit s'est déroulée entre pleurs et mouvements incessants à la recherche d'une position où la douleur me serait épargnée, en vain. La souffrance s'est propagée dans tout mon corps et persévère encore malgré l'antalgique. Le visage de Lucian hante mes rêves, et son odeur persiste sur ma peau, ce qui me suscite des nausées. Je le déteste et souhaite lui faire payer la torture qu'il m'a infligée. Mais une part de moi se résigne, car il a raison : c'est moi la traîtresse, celle qui a vendu Conrad au FBI. J'aurais dû être plus attentive, plus minutieuse dans mes actions, mais ma bêtise m'a conduite à ce problème insurmontable. À présent, Jonas détient le téléphone où il peut savourer la destruction de chacun d'entre nous, et je suis contrainte d'accepter mon sort. Aucune porte de secours ne s'offre à moi. Je frappe le matelas avec force, étouffant mes cris dans les draps avant de me relever et de me diriger vers la salle de bain.

J'ôte mes vêtements et contemple mon corps marqué par la torture. Des ecchymoses parsèment mon torse, témoignage des coups reçus. Avancer reste difficile, mais je m'en sors mieux qu'hier. Je grimace en les effleurant du bout des doigts, soupirant de frustration avant d'entrer dans la douche. Tobias souhaite me parler, donc je me dépêche. Je passe rapidement le savon là où les mains de Jonas m'ont touchée pour éliminer son odeur répugnante, mais en vain. Son empreinte persiste, hantant mes pensées.

Je pose mes paumes sur le carrelage pour laisser toute ma douleur s'écouler. La réflexion m'échappe, et lever la tête semble impossible. J'aimerais parler à ma mère, recevoir ses conseils, mais je n'ai personne vers qui me tourner. Si je reste ici, mon âme risque de se dissoudre dans cet océan de torture que je lui inflige. J'inspire profondément, puis sors pour m'habiller rapidement. J'attache mes cheveux en queue de cheval et glisse à l'extérieur de la chambre.

Parcourant les couloirs, j'ai l'impression que tous les regards convergent vers moi. L'information a probablement fuité. Sont-ils convaincus de ma trahison ou ressentent-ils de la compassion ? Je n'en sais rien, mais mes pensées incessantes menacent de faire exploser mon être. Je baisse les yeux, serrant les poings. Je ne peux pas m'effondrer, je dois rester forte.

Je frappe à la porte de Tobias, qui m'ouvre immédiatement. Il porte son costume bleu, celui qu'il réservait aux conversations privées avec maman. J'incline la tête pour le saluer et m'assois sur le fauteuil. La discussion à venir me tourmente, tout comme les conséquences qui s'annoncent. Il n'y a plus de retour possible, les masques vont tomber.

— Je m'excuse, admet-il. Si je n'avais pas donné l'ordre à Lucian de débusquer la taupe, il ne t'aurait jamais infligé de telles atrocités. Je te promets qu'il endurera autant de souffrance que toi, tu as ma parole.

— C'est un gros connard, je ne cautionne pas ses actes, mais il a agi en accord avec ce qu'il croyait être juste, pour le gang.

Je serre la mâchoire et secoue la tête devant la réalité de mes aveux. Bien que l'idée de lui arracher quelques doigts aurait pu être tentante, je dois rester lucide et cesser de me voiler la face. Quant à mon père, il s'installe en face de moi et me scrute avec une intensité telle qu'elle parvient à me déconcentrer, à susciter l'angoisse en moi.

— As-tu une quelconque implication dans cette affaire ? me demande-t-il.

Quand j'étais enfant, Tobias avait l'habitude de disparaître sans se préoccuper de sa famille. Il n'y avait que Jonas, mon frère, qu'il adorait. Ils passaient du temps ensemble, partaient à la chasse le week-end, mais pour moi, il n'a jamais manifesté le moindre intérêt, ni posé les yeux sur moi.

Chaque matin, en me réveillant, et chaque soir, en m'endormant dans ma chambre, ses disputes avec maman résonnaient dans l'air. Même en plaçant mon coussin sur mes oreilles, leurs voix persistaient, pénétrant mon esprit et glaçant mon sang. Karine n'a jamais goûté au bonheur. Les pleurs étaient son lot quotidien, et malgré mes tentatives de réconfort, elle restait paralysée par la peur.

Alors, suis-je prête à lui révéler la vérité, à lui faire savoir toute la douleur qu'il m'a infligée pendant mon enfance, afin qu'il prenne enfin conscience que j'avais besoin de lui, mais qu'il n'a jamais été là pour essuyer mes larmes ?

— Oui, réponds-je avec fermeté.

Les yeux écarquillés, il me fixe. Je perçois une lueur menaçante dans son regard. Je ne suis pas certaine s'il va agir comme avec ma mère, me frapper jusqu'à ce que je sois au sol et en sang, mais il est crucial pour moi de lui dire tout. Ma salive semble difficile à avaler alors que Tobias se lève d'un coup sec, renversant sans ménagement tout ce qui se trouve sur son bureau. Submergée par des souvenirs douloureux, je me rappelle immédiatement comment je me cachais pour échapper au démon qui sommeillait en lui.

— Mais putain, qu'est-ce qui t'a pris ? hurle-t-il.

— Si tu avais assumé ton rôle de père, jamais je ne t'aurais trahi, Tobias ! Tu m'as détruite, tout comme tu l'as fait avec maman. Si tu m'avais montré ne serait-ce qu'une once d'amour, un câlin, un simple « je t'aime », peut-être que j'aurais agi différemment. C'est toi le responsable !

— Tu ne peux pas dire ça ! J'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour rendre ta vie merveilleuse. Tu as toujours eu ce que tu désirais.

— Bordel, qu'est-ce que j'en avais à foutre de ton matériel ! m'énervé-je. Je voulais seulement mon père, je demandais juste ça, mais je n'ai reçu que du mépris.

Tobias passe une main dans ses cheveux afin de refouler la rage qui le consume. Je sais pertinemment qu'il a envie de me faire subir le même sort que les autres, de me torturer pour avoir divulgué ces informations. Pourtant, j'ose espérer qu'il éprouve ce que je ressens et comprenne mes choix.

— Explique-moi tout depuis le début, et ensuite j'aviserai, exige-t-il.

— Tu vas me tuer ? rétorqué-je, fébrile.

— Réponds à ma question, Tatjana !

Je passe mes mains sur le visage et retiens les larmes qui se sont logées au coin de mes yeux.

— Alors que je venais d'enterrer maman, le FBI m'est tombé dessus. J'avais le choix entre purger trente ans de prison ou infiltrer ton organisation pour vous détruire de l'intérieur. Je ne voulais pas t'affronter, mais ils ne m'ont pas laissé d'autre option. Initialement, je devais leur offrir des renseignements chaque semaine sous peine de finir derrière les barreaux. Quand je suis partie en Pologne, j'ai réussi à obtenir un mobile et je les ai contactés, fournissant des données sur Conrad, et finalement sur tout ce dont vous aviez discuté lors de la réunion. J'ai ensuite continué avec Lucian, Adéla, Klemens.

Tobias se masse l'arête du nez et prend une profonde inspiration. Il lève les sourcils et se place devant la fenêtre.

— Je n'ai pas poursuivi parce que, malgré moi, j'ai développé des sentiments pour Lucian. Mais hier, Jonas, lorsqu'il a de nouveau tenté de me violer, m'a informée qu'il détenait le téléphone et qu'il comptait détruire Lucian, car c'était son unique objectif.

Je remarque nettement que son visage change de teinte et devient écarlate. Pour ma part, j'essaie d'arrêter ma jambe qui bouge sans cesse. Le stress monte en moi, et il m'est difficile de canaliser mes émotions.

— Aujourd'hui, la seule pensée qui me traverse, c'est de l'anéantir pour le mal qu'il représente. Tu l'as toujours idolâtré, mais il n'est pas ce qu'il veut te faire croire, vraiment.

— Putain de merde, soupire-t-il.

— Je désirais juste venger maman et me dire que si je pouvais vous détruire, ça apaiserait mes souffrances, mais je me suis trompée.

— Jonas... ce n'est pas la première fois, n'est-ce pas ?

D'un seul coup, j'explose en sanglots. Je ne peux plus contenir mes larmes, elles s'écoulent rapidement. J'ai du mal à respirer. La douleur dans mon cœur est si intense que j'ai l'impression d'être poignardée à plusieurs reprises. Mon corps se décompose, et sans m'en rendre compte, mon père me rattrape alors que je m'apprête à m'effondrer. Je sens ses mains se poser sur moi, apportant une touche de réconfort. J'enfouis ma tête dans son torse pour y déverser toute cette souffrance que j'ai tenté de garder. Je ne peux plus endurer tout ça, pas seule. Je ne sais pas s'il va me croire, s'il va m'aider à me relever, mais j'ai besoin de lui, parce que je suis à deux doigts de me mettre une balle.

— Je suis profondément désolé, ma fille, avoue-t-il. J'aurais dû être plus attentif, j'aurais pu percevoir ton mal-être, mais la colère m'a aveuglé. Je te promets que plus personne ne te touchera ni ne te fera de mal.

Il glisse une main dans mes cheveux pour me réconforter, et je peine à me libérer de son étreinte. Le tourment qu'il a infligé à ma mère n'est pas effacé de ma mémoire, mais selon ses enseignements, chaque individu mérite une seconde chance, et une lueur de bonté persiste en lui. Maman n'a jamais oublié cela ; au contraire, elle a toujours porté sa bague de mariage. Les motivations derrière ce geste deviennent plus claires pour moi maintenant.

— Je vais rectifier le tir en informant Lucian que Kai, l'un de nos hommes, a orchestré toute cette idée. L'affaire sera bouclée, et tu ne seras plus en danger. Ensuite, je le convoquerai et le préviendrai que c'est la dernière fois qu'il concocte ce genre de chose, du moins vis-à-vis de toi. Et pour terminer, je vais retrouver Jonas, et je te fais la promesse qu'il sera torturé jusqu'à son ultime souffle.

— Je suis contre vos actions et méprise le fait que vous abattiez des innocents pour vous enrichir, mais je ne souhaite pas être celle qui vous enverra en prison. Si ça doit arriver, je veux que mes mains restent propres.

— Oui, et bien, à l'avenir, évite de t'attirer des ennuis et viens directement m'en parler, soupire-t-il. J'aurais préféré que tu me l'avoues et l'on aurait trouvé une solution ensemble.

— Tu m'aurais tuée, arrêtes, rétorqué-je, exaspérée.

Tobias esquisse un sourire avant de se relever.

— Certainement, répond-il.

Je me redresse et prends une grande inspiration. La matinée a débuté dans la difficulté, mais une charge émotionnelle se dissipe de ma tête. L'allègement n'est pas total, mais mes pensées commencent à récupérer un semblant d'ordre, procurant un bienfait. Alors que je m'apprête à sortir de la pièce, la voix de Tobias m'interpelle.

— J'aimerais savoir si elle parlait de moi.

— Je ne vais pas te mentir, réponds-je en lui faisant face. Lorsqu'elle a quitté l'Allemagne, maman a changé nos identités pour t'empêcher de nous retrouver. Malgré tout, chaque soir, j'entendais ses pleurs, et à chaque fois que je venais la consoler, elle me demandait de ne pas vouer de haine envers toi. Même si tu étais la source de sa souffrance, elle percevait en toi une part de bonté. À un stade avancé de sa maladie, elle m'a fait promettre de ne jamais te chercher. Malheureusement, je n'ai pas respecté cette promesse. Néanmoins, je suis convaincue que maman serait fière de nous voir réunis, car elle ne t'a jamais effacé de ses pensées.

— Karine était une femme extraordinaire, mais je l'ai compris quand je l'ai perdue définitivement. Tu sais, je n'ai jamais retrouvé l'amour après son départ. J'ai même toujours son alliance à mon doigt, car cela symboliserait la fin des nombreuses années que nous avons passées ensemble.

— Nous aurions pu être heureux si tu n'avais pas fait passer ton gang avant nous, mais tu as opté pour la voie de la criminalité. C'est impossible de remporter chaque bataille, tu devrais le comprendre, soupiré-je.

— Évoquer ça de la part de quelqu'un travaillant pour le FBI est ironique.

Tobias arque un sourcil, puis se sert un verre de whisky.

— Oh, ça va ! m'emporté-je. C'est eux qui sont venus à moi et non le contraire. D'ailleurs, je ne sais toujours pas comment ils ont réussi à me repérer. Ça reste assez flou.

— Tu penses que quelqu'un était au courant pour toi et ta mère ? demande-t-il, surpris.

— Comment possédaient-ils les informations où nous habitions ou même qui nous étions réellement ? C'est impossible. Si toi tu n'as pas eu ces capacités-là, alors pourquoi eux ?

— Attends, rassure-moi, tu as vu leur plaque ? s'énerve-t-il.

— Bon, je ne suis pas stupide ! C'est la première chose que j'ai vérifiée.

Je soupire avec dédain et roule des yeux. Je ne suis pas sûre de comprendre où il veut en venir, mais une montée d'angoisse s'insinue dans chaque parcelle de mon corps. J'avale difficilement ma salive tout en le scrutant de la tête aux pieds. Ses joues deviennent rouge, certainement par la colère, son regard, aussi sombre que la nuit, n'arrête pas de me lancer des éclairs.

— Les noms ! ordonne-t-il.

— Si je me souviens bien, il s'agit de Ripper et Sharpe. J'ai mémorisé leur numéro de téléphone et même l'adresse e-mail si tu veux. Je sais également qu'ils te recherchent depuis longtemps et qu'ils ont constitué un dossier considérable sur moi, mais encore sur Adéla, qu'ils observaient depuis un bon moment.

— On va les appeler et l'on verra bien, affirme-t-il en prenant place dans son fauteuil.

Tandis que je lui énonce chaque chiffre, Tobias rapproche ensuite le combiné de son oreille. Mais la tonalité qu'il perçoit paraît similaire à celle que j'avais moi-même rencontrée lors de mes précédentes tentatives de les joindre. Quelque chose ne semble pas en ordre, et j'aurais dû m'en rendre compte bien avant. Mon père émet un soupir empreint de mépris, mais ce moment de silence est rompu quand Lucian fait irruption dans la pièce. Nos regards se croisent, et une intense aversion m'envahit. À cet instant précis, l'envie de me jeter sur lui pour me venger des torts qu'il m'a infligés surgit en moi. Je réprime cependant cette pensée et détourne mes yeux ailleurs.

— Conduis-la jusqu'à sa chambre, exige Tobias. Par la suite, reviens ici. J'ai besoin de parler avec toi.

Avec nonchalance, je me lève, suivie de près par cet individu dépourvu de scrupules. Je ne lui adresse pas un mot et me dirige vers la pièce. Une fois arrivée, je retire mes chaussures et commence à ôter le reste de mes affaires pour prendre une douche. Cependant, Lucian saisit mon poignet et plonge ses yeux dans les miens.

— Prépare tes valises, dans deux jours nous partons en Pologne.

Un rire léger m'échappe et mes sourcils se froncent.

— Tu te moques de moi, j'espère ? m'irrité-je. As-tu oublié ce que tu viens de me faire subir ?

— Je n'avais pas d'autres choix, affirme-t-il.

— Arrête, Lucian. En fait, tu voulais juste me voir souffrir. C'était ton plan depuis le début, et tu as trouvé une occasion pour l'appliquer.

Sa mâchoire se crispe tandis que son visage se rapproche du mien. Je sens son souffle sur ma peau, mais je ne bouge pas. Malgré l'angoisse qui monte en moi et cette peur qui s'accroit, j'essaie de ne rien laisser transparaître.

— Ne dis pas n'importe quoi ! s'emporte-t-il.

— Tu sais quel est ton foutu problème ? C'est que tu passes ton temps à brutaliser les gens sans songer aux conséquences. Je pensais que tu avais un cœur, que je pourrais réussir à te changer, mais je me suis trompée. Tu resteras toujours l'être abominable que tu es.

Sans réfléchir, j'enlève mon haut. Je ne peux décrire le sentiment qui imprègne chaque fibre de mon être, mais à cet instant précis, j'ai mal.

— Regarde ce que tu m'as fait ! m'écrié-je. Putain, je commençais à t'ai... T'apprécier ! J'avais peu à peu brisé ma foutue carapace, mais tu as tout gâché. Tu es comme les autres, alors maintenant, quitte ma chambre, je ne veux plus te voir !

Ses lèvres restent scellées, et tandis que ses mains se serrent, il frappe le mur, ce qui me fait sursauter. J'avale difficilement ma salive et recule légèrement. Malgré mes efforts pour retenir les larmes qui se pressent derrière mes paupières, elles finissent par couler le long de mes joues. Lucian claque la porte, me laissant seule, en proie à mes propres démons.

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