🫀Tension palpable

Alors que je glisse le téléphone sous l'oreiller, la silhouette de Lucian se dessine devant moi. Il tire les rideaux et me scrute avec son arrogance coutumière. Ses paumes sont maculées de sang, tout comme le reste de son corps. À cet instant, j'ai l'impression qu'il veut me faire payer ma faiblesse, ce moment où mes émotions ont pris le dessus sur le travail que je devais accomplir. Il lève les yeux au ciel et se dirige vers la salle de bain. Un soupir d'apaisement m'échappe. Je suis légèrement soulagée d'être seule, sans avoir à me justifier en permanence pour mes actions. Ce n'est pas mon monde, ce n'est pas ce que je désire.

Rapidement, j'envoie un deuxième mail pour leur signifier que je préfère tout arrêter, que je souhaite simplement partir et oublier ces horreurs qui ne cessent de me hanter depuis que j'ai franchi les portes de l'enfer. Je veux qu'ils me libèrent de là, même si je dois périr entre les murs d'une cellule. Je range le téléphone dans la table de chevet et me lève. Devant la coiffeuse, j'efface avec la manche de mon vêtement les traces de maquillage qui ont coulé à cause de l'avalanche d'émotions que je subis. Je ne me supporte plus.

Après de longues minutes, Lucian finit par sortir et se dirige vers sa valise installée au pied du lit. Mes yeux restent fixés sur sa silhouette. Il porte seulement une serviette qui lui cache à peine l'intimité. L'eau ruisselle sur son torse. De nombreux tatouages ornent sa peau, mais mon attention se pose sur les cicatrices qui marquent le haut de sa poitrine. Ce sont probablement des brûlures de cigarettes, à en juger par les traces. Je peine à avaler ma salive lorsqu'il s'en rend compte.

— Tu envisages de me mater encore longtemps ? demande-t-il avec un sourire narquois.

— Je préférerais m'arracher les yeux plutôt, soufflé-je.

— Ne joue pas les prudes avec moi.

— Tu as l'air bien renseigné hors que tu ne m'as jamais baisé, rétorqué-je d'une façon provocante.

Sans que je m'y attende, il se jette sur moi et me plaque violemment contre les draps. Son regard intense me transperce. Je tente de me débattre, mais mes poignets sont pris au piège entre ses doigts puissants. Sa force qui me maintient captive crée un mélange de désir et de peur. Une tension palpable s'insinue entre nous. Nos corps sont si proches que je peux sentir la chaleur de sa peau à travers mes vêtements. Chaque contact, chaque effleurement enflamme mes sens.

Mon cœur bat la chamade, mon souffle se faisant irrégulier alors que l'électricité sexuelle entre nous devient insoutenable. Malgré ma volonté de le repousser, une part de moi est troublée par cette attirance, cette danse entre le désir et la répulsion. Ses lèvres frôlent mes joues rougies, puis caressent délicatement mon épiderme.

— Même si je souhaite ta mort, cela ne m'empêche pas de bander quand je te vois.

Sa voix, chaude et suave, résonne à mon oreille. Des frissons parcourent le long de ma colonne vertébrale.

— Va au diable, Schneider.

J'essaie en vain de dissimuler l'émotion vibrante dans mon timbre, mais mon être réagit d'une manière qui me perturbe. Sa proximité est oppressante, son parfum chatouille mes narines. La température monte aussitôt, le temps semble suspendu entre nous, nous isolant du monde extérieur. Malgré ma haine profonde envers lui, le contact de sa peau provoque des milliers de décharges électriques, éveillant une excitation qui me désoriente. Mon cerveau se déconnecte lentement, mon corps n'obéit plus à ma raison. L'envie qu'il me touche l'emporte sur toute logique. Ça ne me ressemble pas, ce n'est pas moi et pourtant je suis sur le point de franchir une limite. Toutefois, la sonnerie de son téléphone retentit, me ramenant brutalement à la réalité.

Je me redresse légèrement alors que Lucian se dégage en marmonnant des mots inintelligibles. Je serre la mâchoire, déçue d'avoir fléchi. Plaçant mes paumes contre mon visage, je m'enferme dans l'obscurité pour chercher à effacer ces images. Ça ne doit plus se reproduire, jamais.

***

À présent dehors, le soleil se mêle à l'azur du ciel. Les bras de l'air chaud m'enlacent pour m'inviter à rejoindre Klemens et Adéla qui se prélassent dans la piscine cristalline. Encadrée par quelques arbres, elle se découpe dans le paysage. Au loin, la forêt déploie sa canopée, où les feuilles se laissent emporter par les souffles légers du vent. Un chemin pavé de pierre mène à la grande baie vitrée qui reflète le miroitement de l'eau. Un sourire tendre se dessine sur mes lèvres lorsque je songe aux souvenirs où ma mère m'apprenait à nager avec les vagues. Je me dirige vers la terrasse, parée de petits canapés et de deux transats ombragés par des parasols et m'y abandonne.

— Désirez-vous quelque chose à boire ?

La voix douce de Artela résonne. Ses gestes, précis, miment chaque mot avec une expression évidente, car elle pense que je ne comprends pas le français.

— Une vodka, s'il vous plaît, répondis-je.

— Pour elle, ce sera de l'eau, tranche Lucian d'un ton autoritaire.

— Bien, monsieur. Et pour vous, un whisky ?

Il acquiesce d'un mouvement de tête, puis s'installe à quelques pas de moi. Un échange muet de regards se produit. Je suis mal à l'aise.

— Vous ne voulez pas vous baigner ? s'enquit Adéla.

— Non, répond-il. Venez ici, j'ai à vous parler.

Ils émergent de l'eau où leurs corps humides scintillent sous la lumière du jour. Enveloppés dans des serviettes à proximité, ils se dirigent vers nous. Artela réapparaît, portant avec elle des verres qu'elle dépose sur la petite table noire. Mes lèvres effleurent à peine le liquide, qu'un sourire se dessine sur mon visage. Le regard de la servante rencontre le mien, où elle me lance un clin d'œil complice. Je lui adresse un remerciement distrait, puis laisse une gorgée d'alcool glisser le long de mon œsophage.

— Tout va bien ? s'inquiète Klemens.

— La situation est critique, déclare Lucian, sa mâchoire serrée par la colère.

— Pourquoi donc ?

— Parce que le boucher a commis une erreur monumentale. Ce fils de pute s'est débarrassé d'un cadavre sans même effacer les preuves de son identité, mais...

Sous l'emprise de la rage qui le consume, les poings de Lucian s'abattent violemment sur la table. Il se lève et trépigne sur place, ses membres tendus, tirant avidement sur sa cigarette.

— Braunstein m'a averti qu'ils avaient trouvé le corps d'une femme près de Wülfrath. Elle a été violée, et son abdomen scarifié.

— Attends, objecte Adéla, surprise. Il ne ferait jamais ça. Il a toujours bien travaillé.

— Tu te fous de ma gueule, Adéla ? s'emporte Lucian. Ce chien a gravé les putains de lettres de mon prénom sur son torse. Et toi, tu oses prétendre que ce n'est pas possible ?

— Depuis quand te préoccupes-tu des agissements de tes subalternes ? Je tiens à te rappeler que si je n'avais pas parlé, Tillman aurait violé Tessa, simplement parce que tu croyais que cela lui servirait de leçon.

Étonnée, je hausse les sourcils et le fixe avec amertume, enveloppée d'une rancœur qui ne fait que s'accroître au fil des secondes. À l'intérieur de moi, une colère bouillonnante prend le dessus face à cette confession. Choquée, révoltée, la déception balaye tout sur son passage. Ce sentiment de trahison s'accroche à chaque fibre de mon être. La haine surgit, alimentée par le désire que le broyer.

Lucian, la main posée sur l'étui où son arme est rangée, respire de façon saccadée, signe de la fureur qui brûle en lui. Son visage perd de sa couleur, laissant place à des teintes menaçantes. Son regard se fixe sur Adéla, prêt à lui faire payer son manque de respect. Son front plissé est perlé de sueur, l'atmosphère tendue devient de plus en plus oppressante. Toutefois, le bruit des chiens qui aboient vient briser ce moment étouffant. Ils accourent rapidement dans la maison pour offrir un instant de répit à cette tension insoutenable.

Aleksander et Irina descendent les quelques marches qui mènent à nous. Ils ne sont pas seuls. Une femme à la chevelure rousse, flamboyante comme un coucher de soleil, se tient à leurs côtés. Elle arbore un sourire enjoué et ses yeux gris pétillent. Lucian lui serre la main avant de se tourner vers un homme qui évoque, par certains aspects, le chef des lieux. Bien qu'un peu plus petit, cet homme émane une aura chaleureuse et amicale, en complète opposition avec l'impression glaciale que dégage Alek.

— Lucian !

Je pivote légèrement mon visage et mon regard croise le sien, d'un vert émeraude intense. Une femme aux cheveux d'or qui tombent en cascade jusqu'à ses épaules s'avance. Sa robe noire virevolte au gré du vent, mais elle ne semble pas se soucier le moins du monde de son habit. Dans ses mains, elle tient deux verres. Un sourire narquois flotte sur ses lèvres lorsqu'elle se rapproche de Lucian.

— Je t'ai apporté un whisky pour célébrer nos retrouvailles ! Ta sale gueule manquait un peu.

— Mais certainement pas toi, Anastasia, rétorque-t-il avec une pointe d'ironie dans le regard.

— Excusez-moi, j'ai une petite question qui me taraude l'esprit, c'est qui elle ? demande la rousse en me désignant du doigt.

— Une emmerdeuse de première, soupire Lucian.

— Bonjour, moi, c'est Tessa, ravie de te rencontrer, souris-je en lui serrant la main. Comme le stipule le connard juste à côté de moi, non je ne suis pas une emmerdeuse, c'est seulement lui qui me fait chier depuis qu'il m'a kidnappée.

Les sourcils de Lucian se soulèvent brusquement. Son visage est le théâtre d'un conflit entre la haine qui le consume et la surprise face à mon français contre toute attente fluide. Les dents serrées, mes yeux le défient ouvertement. Mais malgré la froideur de mon regard, il reste muet, incapable de trouver une réplique adéquate. À ses côtés, Adéla réprime un ricanement derrière sa main.

— J'ai l'impression qu'il y a une tension entre vous deux, je me trompe ? questionne Aleksander.

— Je ne la toucherais même pas avec un bâton, fulmine Lucian.

Mon majeur se lève dans sa direction et déclenche un rire moqueur de sa part. Mon front se plisse d'exaspération. Il a ce don de m'agacer au plus haut point, une capacité qui me rend folle de rage. Lucian allume une cigarette, puis s'éloigne avec Alek.

Quant à nous, Anastasia nous guide à l'intérieur de la maison. Nous descendons au sous-sol où elle ouvre une porte, révélant un immense couloir. Devant s'étend une pièce de détente, où trône une table de poker au centre, à côté d'un billard. Contre le mur orné de plusieurs tableaux de paysages, des rangées de petits canapés beiges sont alignées, rappelant l'ambiance d'une salle de cinéma. Klemens se précipite vers les deux distributeurs de boissons pour attraper une canette de soda.

Je me dirige vers les queues. Avec ma mère, ces parties étaient nos moments de complicité, même si elle remportait toujours la victoire. Mais l'éclat de son sourire suffisait à dissiper toute amertume face à la défaite.

— Une partie ? proposé-je à Irina.

Près d'une porte close, la jeune femme attire mon attention. Son expression paraît étrange, comme si elle explorait cet endroit pour la première fois, même dans sa propre maison.

— Allons-y ! s'exclame-t-elle. Mes compétences ne sont pas garanties par contre.

— Ce n'est pas grave, je ne suis pas non plus une experte.

Je passe délicatement la craie sur le procédé pour éviter de glisser sur la bille, puis m'abaisse légèrement. Quand je tire, la chance semble de mon côté, car du premier coup, je réussis à encaisser la première boule dans une poche. Irina m'adresse un sourire discret et se décale sur le côté pour me laisser la place.

— Alors, toi aussi, tu as été enlevée ? m'interroge-t-elle.

Je relève la tête et scrute son visage avec confusion.

— Comment ça ? répliqué-je.

— Je viens de Bordeaux, une ville en France. Un matin, je l'ai bousculé, le pauvre... J'ai renversé son café sur sa chemise hors de prix, plaisante-t-elle. Selon ce que j'ai compris, il a mis en place tout un plan pour me kidnapper et m'emmener dans une sorte de prison dorée. Depuis le tout premier jour de l'année, je partage ma vie avec eux.

— Hé bien, tu fais preuve de patience, répliqué-je. Ça fait bientôt une semaine, et je n'ai qu'une envie : retrouver mon chez-moi.

— Pourquoi ont-ils décidé de t'embarquer avec eux ? Je sais que lorsque j'ai essayé de rentrer, Alek a refusé que je lui échappe. Toutefois, il n'a jamais été aussi exécrable que cet homme avec toi.

Après qu'elle ait tiré et manqué son coup, je prends la relève avec une légère grimace. Irina semble si naturelle et simple ici. Elle paraît se complaire dans cet endroit, coupée de tout contact avec son passé.

— Lucian ? C'est un sacré trou du cul surtout, répondis-je. Lorsque mes parents sont morts, je pensais trouver un point d'ancrage, quelque chose qui pourrait me donner un peu d'optimisme, quelque chose pour garder l'espoir que ma vie ne soit pas médiocre. Mais ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais.

— Je compatis. Ma mère m'a abandonnée à l'âge de six ans. C'est à partir de ce moment-là que mon quotidien a sombré dans les abysses à cause de mon père. Mais c'est une autre histoire. Je ne saisis pas ce qui le pousse à te retenir avec lui, que ce soit obsession ou amour. Néanmoins, j'espère que tu parviendras à t'échapper d'ici, si tel est ton désir.

Je me mordille la lèvre inférieure, puis dépose la queue de billard. Apparemment, nous partageons un nouveau point commun : nos pères, tous deux aussi méprisables et odieux. D'un revers de la main, j'essaie de chasser les souvenirs qui affluent, provoquant des douleurs lancinantes à mes tempes. Malgré les années écoulées, ils continuent de me hanter. Un soupir de frustration m'échappe alors que je me rapproche à quelques centimètres de son visage.

— J'aimerais que tu m'aides à retrouver la liberté, Irina. 

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