🫀 Réunion

Assises dans une immense salle avec Adéla, nous attendons que tous les autres nous rejoignent. Je tapote nerveusement mes ongles sur la table et remue de façon répétée ma jambe. L'anxiété commence à monter et ça m'effraie. Je dois avouer que je n'ai pas spécialement envie d'entendre ce qu'ils vont dire. Je soupire et parcours la pièce du regard, mais rien d'intéressant, susceptible de m'aider dans ma quête, ne capture mon attention. Juste de vieilles étagères poussiéreuses où des livres dont je n'arrive pas à lire le titre sommeillent dans l'attente d'être enfin réveillés.

Un immense tableau décore le mur beige en face de moi, le même qui ornait ma chambre lorsque j'étais encore une enfant. Il illustre la splendeur de l'océan et de la nature réunis en une seule peinture. Les chaises sont disposées en forme de U, une opportunité pour m'imprégner de chaque visage. Les fenêtres, un peu entrouvertes, laissent filtrer une brise légère qui vient caresser ma peau. Peut-être un moyen de m'évader d'ici. Je souris bêtement.

Le domaine est entouré de nombreuses caméras, vraisemblablement sous surveillance, tandis que la grande porte d'entrée est gardée par deux hommes armés jusqu'aux dents. Sans oublier le grillage électrique qui quadrille le périmètre. C'est une véritable forteresse, et je comprends maintenant pourquoi les forces de l'ordre ont du mal à les localiser. Cet endroit est isolé au cœur d'une forêt, loin des regards indiscrets, un lieu où le gang peut exercer ses activités sans craindre les conséquences.

J'avale avec difficulté ma salive et relève légèrement la tête quand des voix masculines résonnent dans le couloir. Ils arrivent. Je me frotte les mains à plusieurs reprises puis joue avec le bracelet autour de mon poignet, un moyen pour moi de faire descendre le stress qui s'intensifie chaque seconde écoulée. Les dizaines de personnes s'installent et l'un d'entre eux, qui arbore une barbe de trois jours, se glisse entre moi et Adéla. Il me sourit, ses deux fossettes apparaissent, puis remet ses lunettes qui ne cessent de déraper sur le bout de son nez.

— Moi, c'est Klemens, et toi, tu dois être Tessa. Adéla ne t'a pas trop fait chier, j'espère.

— C'est pour ça que tu m'aimes, arrête, souffle-t-elle.

— C'est juste toi qui m'as obligé, plaisante-t-il.

Adéla prend le visage de l'homme entre ses mains puis l'embrasse passionnément. Je lève les sourcils, surprise. Je ne suis pas habituée à assister à ce genre de scènes. Il retrousse ensuite les manches de sa chemise, où de nombreux dessins sur ses bras se dévoilent. D'un côté, des océans avec des vagues immenses, et de l'autre, une tête de diable entourée de flammes.

— Je vois qu'ici, tout le monde adore les tatouages, lancé-je spontanément.

— Nous disposons d'une salle spéciale dans nos locaux si tu souhaites, mais visiblement, ton corps est bien marqué aussi, s'amuse Klemens en repoussant sa mèche brune.

— De toute manière, après la réunion, Tessa viendra avec moi.

— De quoi parles-tu ? m'inquiété-je.

— Eh bien, du symbole de notre clan. Tu n'y échapperas pas, sourit-elle.

Mon souffle se retient, mes yeux s'écarquillent. Au début, je prends cela à la légère, mais il est évident que ce n'est pas une plaisanterie. Je refuse formellement de porter un dessin qui a provoqué la mort de ma mère, c'est hors de question. Je serre les dents et tente d'apaiser ma colère, mais elle m'envahit, incontrôlable. Juste au moment où je m'apprête à riposter, la porte claque brusquement, me faisant sursauter. Tobias se présente sur l'estrade, accompagné de Lucian. Il croise les bras sur sa poitrine, balayant la zone du regard avant de fixer ses yeux dans les miens. Je lui tiens tête, un défi muet entre nous. Un sourire se dessine à la commissure de ses lèvres, puis il laisse glisser sa main sur le couteau attaché à sa ceinture. Je lui adresse un doigt d'honneur jusqu'à ce que la porte s'ouvre à nouveau, dévoilant la silhouette d'un grand blond. Torse nu, son corps est couvert de tatouages, tout comme ses camarades. Ses cheveux ébouriffés dansent sur son visage à chaque mouvement de sa canette de bière qu'il lève. Je n'arrive pas à l'identifier parfaitement, mais une aura d'angoisse émane de lui.

— Qu'est-ce que tu fiches ici ? exige Tobias.

— Je n'allais tout de même pas manquer la réunion, intervient-il en faisant couler sa boisson sur sa barbe de quelques jours.

— Tu veux que je m'en occupe ? demande Lucian.

— Oh, le toutou obéit à son maître et montre les crocs, ricane le blond. T'es vraiment un sac à foutre.

Lucian dégaine son arme trop rapidement pour que je le remarque. Il est prêt à tirer, mais Tobias s'interpose.

— Tu ferais mieux de retourner à tes hobbys avant que je ne perde patience, Jonas, déclare-t-il d'un ton autoritaire.

À cet instant, un voile sombre s'étend sur mon visage et m'entoure de sa noirceur. Les mains crispées sur le rebord de la table, je serre les doigts jusqu'à ressentir une détresse. Un sentiment se propage à une vitesse fulgurante dans chaque parcelle de mon être, où les larmes me montent aux yeux. Les souvenirs de notre temps passé ensemble affluent dans mon esprit, bien que leur nombre soit limité. Je me rappelle de chaque moment où je pleurais et qu'il venait dans ma chambre pour me lire une histoire afin d'apaiser ma douleur, de chaque fois où je faisais une bêtise et qu'il prenait la faute à ma place. Mais surtout de ce moment où tout a basculé.

Je tremble, ma respiration devient laborieuse. J'ai besoin d'air. Soudain, je me redresse brusquement. La chaise tombe, tous les regards se tournent vers moi, mais je les ignore. Dans un élan d'émotion, je me mets à courir aussi vite que je peux. Les autres crient derrière moi, mais je n'entends rien. Je me précipite vers la sortie. Une brûlure envahit mes poumons, mes jambes peinent à suivre le rythme, mais la pression dans ma poitrine est sur le point de me submerger. Je pousse violemment la grande porte d'entrée, descends les escaliers et m'arrête près de l'immense fontaine. Un hurlement de douleur s'échappe de mes lèvres alors que je m'effondre parmi les feuilles marron qui jonchent la terre.

Mes poings frappent le sol à plusieurs reprises. Je perds le contrôle. Mon regard se brouille sous l'effet des larmes. Mon cœur bat la chamade, ma respiration saccadée me rappelle ma fragilité mentale. Ma tête tourne, des sueurs froides me parcourent. Il faut que je me calme, sinon je pourrais compromettre sérieusement ma couverture. Alors que je dérive dans des cauchemars sombres, je sens des mains se poser sur moi. Je sursaute et me retourne pour lui faire face. Lucian s'agenouille près de moi et plonge ses yeux dans les miens, comme s'il cherchait à percer mes secrets les plus intimes.

— Si tu restes sous ce froid, tu risques d'attraper la crève, me lance-t-il.

— Depuis quand te soucies-tu de ma santé ? répliqué-je avec ironie.

— Je n'en ai strictement rien à foutre, je veux juste que tes organes demeurent intact. Ils vont me rapporter un sacré pactole, alors essaie d'en prendre soin.

Il éclate de rire puis enlève sa veste noire pour la poser sur mes épaules.

— Je ne sais pas si je dois te remercier ou t'envoyer balader, me moqué-je.

— À ta place, je choisirais la première option, réplique-t-il d'un ton provocateur.

Lucian me relève doucement puis allume une cigarette.

— Essuie tes larmes, lance-t-il. Ne montre jamais à autrui que tu es faible, sinon, c'en est fini pour toi.

— Ça s'appelle avoir un cœur, être humain quoi. Visiblement, tu ne connais pas ce sentiment.

Il se positionne devant moi puis crache toute sa fumée en plein visage. Je crispe la mâchoire. Son arrogance m'horripile. Je méprise les individus qui se croient supérieurs aux autres, et lui encore plus.

— Mais c'est grâce à ça que je ne me fais pas dévorer, alors prends-en de la graine, petite brebis.

— Je n'ai pas envie d'être comme toi. Je suis très bien telle que je suis, m'énervé-je, les poings serrés.

— J'ai rarement vu quelqu'un se jeter par terre et crier comme un con pour le simple plaisir.

— C'est pour me détendre, c'est une technique utilisée dans plusieurs pays.

— Tu te fous de ma gueule, là ? s'exclame en écrasant avec violence son mégot.

J'esquisse un sourire, puis avance vers l'entrée. Je peux l'entendre jurer derrière moi, mais je n'y prête pas attention. Devant la salle de réunion, j'essuie mes larmes avec la manche de la veste puis prends une grande inspiration. Je dois rester forte. Cette phrase qui tourne en boucle dans ma tête, j'espère en imprégner le sens pour ne pas le perdre dans les tourments qui me guettent.

Je regagne ma place sous les regards scrutateurs des autres. Des murmures me parviennent, mais je leur réponds par un sourire feint, ce sourire que j'affiche habituellement quand tout va mal. Adéla et Klemens me dévisagent, l'air interrogateur, mais je garde le silence. Mes yeux se posent sur Lucian, en pleine discussion à voix basse avec Tobias, probablement à mon sujet. Une pointe de nervosité me transperce le cœur. J'espère que cette petite escapade ne me trahira pas. À l'avenir, je devrai trouver un équilibre entre l'infiltration et mes sentiments.

— Adéla, peux-tu me faire un bilan de cette semaine ? demande Tobias.

— La somme de la marchandise vendue s'élève à deux cent mille euros, annonce-t-elle. Nous avons conclu un contrat avec les großenRat, tout s'est déroulé correctement. Une livraison est prévue demain aux alentours de huit heures. Je serai présente pour réceptionner la cargaison.

— C'est bien faible par rapport au mois dernier, soupire le chef.

— Conrad a eu du mal à trouver des patients respectant les normes requises.

Je tapote doucement l'épaule de Klemens, qui semble pendu à chaque mot prononcé par mon père.

— Qui est Conrad ? osé-je demander, curieuse.

— Il travaille dans un hôpital. C'est grâce à lui que nous obtenons des personnes en bonne santé, des athlètes de haut niveau notamment. Il a accès à tout, en plus, il nous procure suffisamment de matériel médical pour que nous puissions opérer sans mettre en péril notre marchandise.

— Et comment faites-vous pour les attirer à vous ? Enfin, je veux dire, c'est quand même risqué de kidnapper des gens comme ça, dans les rues ?

Klemens esquisse un sourire avant de répondre d'une voix douce :

— Écoute le boss, je t'expliquerai ça plus tard, tu comprendras mieux.

Je subsiste figée. Mon cœur bat la chamade, les mots restent coincés dans ma gorge. C'est bien plus qu'un vulgaire gang de bas étage, c'est tout en réseau qui s'étend sur tout le pays et peut-être à l'extérieur des frontières. Perdue dans mes pensées, la voix rauque de Tobias me rappelle brutalement à la réalité.

— Hé bien, tu vas lui transmettre un message et lui dire qu'il se magne, sinon j'enverrai sa tête à sa femme, s'énerve-t-il. Nous avons un quota à respecter, et ça ne semble pas le cas. Ça ne me convient pas du tout. Je ne vous ai pas recrutés pour effectuer un travail de merde.

Il frappe violemment la table et remonte les manches de sa chemise. Je découvre rapidement qu'Adéla pâlit. Elle se ronge la peau de ses ongles, signe de sa peur ou de son stress. Klemens pose une main réconfortante sur son épaule.

— Pour la fête qui doit se dérouler dans deux semaines, reprend Tobias, avez-vous fait le nécessaire ?

— Oui, commente un brun que je n'ai pas remarqué auparavant. Hauke et Jan seront présents pour effectuer des repérages.

— N'oublions pas non plus la soirée organisée ce soir avec les KillerSpinne à Dortmund, pour de potentiels achats, ajoute un homme aux cheveux blonds, rasés sur les côtés.

— Parfait, répond Tobias avec un sourire ironique. Adéla, tu te déplaceras à l'entrepôt avec Matz pour vérifier que tout se passe bien. Tu examineras également les commandes et tu me feras un compte rendu. Lucian, tu iras là-bas avec Klemens et notre nouvelle recrue. Voyons de quoi elle est capable. Si le contrat n'est pas signé, tu sais quoi faire, ajoute-t-il d'un ton menaçant.

Aussitôt, nos regards se croisent. Un sourire narquois s'étire aux coins de ses lèvres. L'angoisse me submerge pour m'emprisonner dans mes propres terreurs.

— Nous devons pouvoir fournir quatre fois plus qu'en avril. Si ce n'est pas le cas, les prédateurs deviendront les proies, est-ce clair ? conclut Tobias.

Un silence pesant règne dans la pièce. Personne ne dit un mot, mais tous hochent la tête positivement. Alors, chaque mois, ils s'efforcent de respecter leur quota afin de vendre des organes de personnes démunies, au plus offrant. Je frotte mes yeux à plusieurs reprises et inspire pour tenter de calmer ma respiration erratique.

Bordel, dans quel bourbier me suis-je enlisée ? J'avais de vagues idées de ce qu'ils réalisaient, mais je n'avais jamais entendu mon père le formuler ainsi et je dois dire que ça me glace le sang. Comment ma mère a-t-elle pu cautionner de telles atrocités ? Pourquoi n'est-elle pas partie avant ? Toutes ces questions fusent dans ma tête et me provoquent une douleur que je ne peux pas apaiser.  

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