🫀Nouveaux éléments 1/2

Assise devant mon bol dans la cuisine, je n'ai toujours pas ingéré de nourriture depuis trente minutes, durée écoulée depuis mon réveil. J'ignore si cela est dû à l'entretien que j'ai eu avec mon père, à la crainte d'une éventuelle révélation publique, ou encore à la manière dont Lucian a réagi après que j'aie partiellement avoué qu'il exerce sur moi une attraction plus prononcée que je ne l'avais imaginé. Je repousse mes céréales de côté, place mes mains sur mon visage afin de m'isoler dans l'obscurité.

La clarté de ma pensée s'amenuise, et je me trouve dans l'incapacité de poser correctement les questions pertinentes. L'objectif initial de ma mission semble s'estomper, et si je demeure dans cet endroit, c'est simplement parce que je ne dispose plus de raison valable de m'y retenir. Peut-être devrais-je envisager d'accepter cette proposition de séjour en Pologne, afin d'explorer d'autres horizons et de détourner mon esprit de ces préoccupations actuelles. Je pousse un soupir pour la énième fois et porte mon verre de jus à mes lèvres, lorsque mon moment de réflexion est interrompu par l'arrivée d'Adéla qui arbore un sourire rayonnant.

— Je suis consciente que tu ne souhaites pas bouger, mais tu veux m'accompagner jusqu'à l'entrepôt ? suggère-t-elle. Ensuite, nous pourrions prendre un café.

— Est-ce l'autre qui te l'a demandé ? répliqué-je sèchement.

— Non, je n'ai même pas idée de l'endroit où il se trouve.

Adéla hausse les épaules, tire une chaise pour s'asseoir à mes côtés puis pose ses paumes dans les miennes.

— Je tiens à te dire que je n'accepte pas ce qu'il t'a fait subir et si j'ai une mince opportunité de lui remettre les pendules à l'heure, compte sur moi, murmure-t-elle.

— Je ne souhaite en aucun cas que tu endures le moindre préjudice, Adéla, souris-je nerveusement. Je pense que tu as déjà bien assez de responsabilités sans devoir t'ajouter Lucian sur le dos.

— Écoute, ma poule, tu fais partie de la famille, alors personne ne peut te faire de mal, même ce connard qui s'imagine être au-dessus de tout le monde, rétorque-t-elle en roulant des yeux.

— Je ne te l'ai peut-être jamais dit, mais tu es quelqu'un de formidable.

Les larmes prêtes à jaillir, je m'efforce de les retenir, refusant de lui dévoiler ma vulnérabilité. J'aimerais pouvoir lui confier toute la vérité, espérer qu'elle me guide, qu'elle m'apporte des conseils pour ne pas perdre pied. Cependant, au fond de moi, je suis convaincue qu'Adéla serait parée à me condamner, voire à me supprimer, pour l'avoir trahie et pour avoir cherché à emprisonner les siens. Je me trouve dans une situation délicate, et l'impression de m'enfoncer davantage dans l'océan de mes démons s'intensifie à chaque pas que j'effectue.

Je me redresse, et Adéla fait de même. M'approchant doucement d'elle, je l'enlace. J'espère honnêtement qu'un jour elle reconnaîtra que, même à travers mes mensonges, une part de sincérité a toujours persisté.

— Je vais récupérer mon sac et je te rejoins, conclus-je.

Elle m'envoie un baiser avec sa main puis se dirige vers l'extérieur. Quant à moi, je prends une profonde inspiration avant de me rendre dans ma chambre. Je salue quelques hommes sur le chemin, affichant ce sourire qui dissimule mes peines, puis j'ouvre la porte. Je reste quelques instants à contempler la pièce, espérant chasser mes sombres pensées. Je lâche un soupir de frustration et me positionne au niveau de la fenêtre. Alors que j'observe les gouttes de pluie s'écraser sur la végétation, que les bourrasques font danser les branches dans une mélancolique mélodie, mes yeux se fixent sur lui. Mon cœur manque un battement, mes mains deviennent humides. J'ai du mal à respirer tandis qu'un rictus se dessine à la commissure de ses lèvres.

Les larmes prêtes à se déverser en cascade, je tremble et n'arrive plus à réfléchir correctement. Du bout de ses doigts, Jonas tapote la montre qu'il a autour de son poignet, comme pour m'avertir que prochainement il s'occuperait de mon cas. Je me précipite alors vers la sortie et me dirige d'un pas hâtif vers le garage où Adéla, adossée contre la Mercedes, me scrute avec un air interrogateur. Je me mords la lèvre inférieure et regarde par-dessus mon épaule, mais mon frère n'est pas là. Je passe mes mains à plusieurs reprises sur le visage. Ce n'était peut-être qu'une hallucination, simplement ça. Je m'arrête devant elle et tente de reprendre ma respiration.

— Tu as vu un fantôme ou quoi ? me demande-t-elle.

Si je te confiais que c'est celui qui hante mes pensées depuis de nombreuses années ? Celui qui m'a détruit, celui qui m'a volé mon enfance, me croirais-tu, Adéla ? Aurais-tu une once de peine envers moi ? Je n'en suis pas certaine.

Le pire dans toute cette situation réside dans le fait que, même si mon esprit souhaite lui avouer, cela m'est impossible. Je soupire puis lui adresse un signe de tête pour lui signifier que tout va bien, et je prends place du côté passager. Adéla ne formule aucun commentaire et se positionne devant le volant. Elle me tapote légèrement l'épaule en signe d'amitié puis fait vrombir le moteur.

Nous roulons depuis vingt minutes dans un silence oppressant. Le visage posé contre la fenêtre, j'observe le paysage avec une certaine mélancolie. Le plus difficile dans tout cela, c'est de se dire que j'ai trahi des personnes pour mon propre plaisir, sans même penser aux répercussions. Certes, leur organisation est l'une des plus puissantes qui puisse exister, mais qui suis-je pour les entraîner un par un en enfer ?

J'essaie d'imaginer si ma mère avait été présente, à mes côtés, et qu'aurait-elle pu me dire pour me conseiller, pour apaiser les pleurs de mon cœur, mais je ne trouve aucune réponse. La seule chose qu'elle souhaitait était d'avoir une famille unie, mais elle n'a connu que la souffrance. J'ai non seulement peur, mais je suis brisée.

Je soupire une nouvelle fois et observe les éclairs dominer le ciel pour exprimer leur haine. Les nuages ne forment plus qu'un amas de déception tandis que la pluie continue de déferler tel un ouragan. Adéla finit par se garer devant un énorme entrepôt et me fait signe de la suivre.

J'étire mes lèvres pour créer un sourire, tentant ainsi de dissimuler cette peine qui s'accroît à chaque seconde. Je traverse le terrain boueux, puis pénètre dans l'immense pièce. Mes yeux balayent frénétiquement la zone, et mon cœur rate un battement lorsqu'une odeur nauséabonde vient caresser ma peau. Je conclus rapidement que cette cache sert à stocker les organes avant qu'ils ne trouvent acquéreur. Je me frotte les mains et suis Adéla qui salue tout le monde.

— Comme tu peux t'en douter, commence-t-elle, ici, nous préservons dans une chambre froide les organes. Ils passent par Matz pour qu'il puisse vérifier si tout est en ordre, s'ils sont en bonne forme, puis nous les envoyons en livraison à ceux qui nous les achètent.

— Et lorsqu'un individu te paie, que fait-il ensuite ? demandé-je, intriguée.

— J'aimerais entendre ton avis, sourit-elle.

— Excellente question, réfléchis-je. Servent-ils à décorer leur maison ?

Adéla se met à rire à gorge déployée, s'approchant de moi.

— En aucune manière, rétorque-t-elle d'une voix grave. Nous prélevons aux riches pour donner aux plus démunis. Certes, une certaine somme d'argent est sollicitée, mais face à la perspective de secourir leur famille, les gens se montrent prêts à toutes les concessions. Le processus implique des acquéreurs qui entament des discussions directes avec les parties concernées.

Étonnée, je relève les sourcils.

— Mais vous tuez quand même des personnes innocentes pour vous enrichir, même si votre intention est de sauver d'autres, soufflé-je.

— Et c'est là où tu te trompes, sourit Adéla. Certes, nous prenons généralement de grands sportifs, puisqu'avant que Conrad se fasse embarquer, il nous procurait des dossiers avec l'état de santé des patients. Mais nous avons aussi des contacts chez les forces de l'ordre qui nous fournissent la liste de toutes les fautes qu'ils ont commises. Ça va du braquage au vol, de la torture au viol. Soi-disant, tous se sont repentis, mais nous savons que les gens ne changent pas.

— Pourquoi ne pas les faire incarcérer ? m'indigné-je. Je ne comprends pas cette méthode de résoudre les problèmes par la violence. Enfin, ce que je veux dire, c'est qu'en aucun cas, nous ne sommes habilités à prendre de telles décisions.

— C'est une manière de voir les choses, je te l'accorde, répond Adéla en haussant les épaules, mais quand tu constates que la justice de ce monde reste inactive, alors nous ne pouvons pas demeurer les bras croisés en étant de simples spectateurs. Mon violeur n'a jamais été emprisonné, il s'en est toujours sorti. Même avec plusieurs plaintes, les femmes comme moi, personne ne veut les écouter.

Les jambes chancelantes, je m'assois sur la chaise en fer, disposée à côté d'une porte de bureau où je peux observer un homme assez large tapoter sur un ordinateur. Je passe mes mains dans mes cheveux et plonge mes yeux dans ceux d'Adéla. La lueur qui en émane témoigne de la haine qui grandit en elle, mais surtout de cette tristesse qu'elle peine à dissimuler. J'aimerais lui confier que je connais ce sentiment, que je ressens ce qu'elle a vécu, mais mes lèvres demeurent scellées dans un profond silence.

— Je vais voir Matz, tu peux rester ici si tu veux, je n'en ai pas pour longtemps, confirme-t-elle.

J'acquiesce d'un léger mouvement de tête et ferme les yeux dans l'espoir de détourner mes pensées. Autour de moi, deux individus échangent des anecdotes sur leurs escapades de la nuit précédente. Les rafales résonnent contre les fenêtres, l'eau coule du robinet sans relâche. Haussant les épaules, je décide de me relever pour prendre l'air.

J'observe attentivement chaque détail de la pièce. De nombreuses tables blanches sont couvertes de draps. Plusieurs gardes se tiennent adossés contre les murs gris, tandis que les néons fixés au plafond vacillent de plus en plus. Je déglutis péniblement et m'arrête devant une porte d'où s'échappe de la fumée. La main sur la poignée, je suis sur le point d'entrer lorsque des doigts se posent sur mon épaule. Surprise, je sursaute et me retourne vers un homme dont l'apparence m'est inconnue.

— Qui es-tu, charmante demoiselle ?

Alors qu'un sourire s'esquisse sur ses lèvres, ses yeux marron se plantent dans les miens comme s'il cherchait à percer mes secrets les plus enfouis.

— Si je te révélais la vérité, ta tête ornerait le hall pour accueillir nos convives, riposté-je.

Il approche son visage du mien et hume mon parfum à plusieurs reprises. Je serre les poings tandis qu'il secoue sa chevelure brune, où l'une de ses mèches grasses frôle ma joue. Les sourcils froncés, je le repousse légèrement.

— Tu sembles particulièrement bandante quand même, rit-il. Ça tombe bien, j'ai besoin de me vider.

— Je te conseillerais de ne pas t'engager dans ce jeu-là, l'avertis-je. Maintenant, j'aimerais retrouver mon amie, donc je te prierais d'aller voir ailleurs.

Je hoche la tête avec une exaspération, lassée de ces comportements répugnants. J'ai croisé bon nombre d'individus odieux par le passé, mais celui-ci atteint des sommets dans la médiocrité. Il serait grand temps que Tobias révise sérieusement ses critères de recrutement, la situation devient tout simplement désespérante.

Tandis que je m'apprête à poursuivre mon chemin, une main s'empare soudain de ma chevelure pour me tirer violemment vers le sol. Un gémissement de douleur s'échappe de mes lèvres alors qu'il prend position sur mon corps et parcourt mon visage de sa langue. Mais avant que je puisse réagir, le son assourdissant d'une détonation déchire mes tympans. Mon regard, empli d'horreur, se fige sur mon agresseur dont le crâne explose en une gerbe de sang, me recouvrant entièrement. 

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