🫀Hésitation - LUCIAN
Alors que le soleil perce l'horizon, je reste planté là, café fort à la main et clope écrasée entre mes lèvres. On doit partir dans une heure, et mes affaires sont encore en vrac. J'ai lancé ce voyage pour que Tessa puisse oublier un peu, se ressourcer avec Irina, mais depuis la discussion d'hier, ma tête est un putain de bordel. J'ai l'impression qu'elle va exploser à tout moment.
J'ai commis des erreurs tout au long de ma vie, certaines que je ne regrette pas, mais celle-ci demeure la pire. Je ne comprends pas ce qui a pu me passer dans le crâne pour ordonner à mes hommes de la torturer. Depuis ce jour, mes pensées sont hantées par des cauchemars incessants.
Après avoir confessé, de manière indirecte, mes sentiments à Tessa, elle m'a repoussé. J'avoue que l'idée de lui régler son compte m'a traversé l'esprit, mais avec toute l'affaire de Jonas, c'est comme si ma boussole interne avait été complètement déglinguée. Je me retrouve dans un brouillard épais, sans savoir où poser le pied.
Je soupire bruyamment et balance ma tasse sur la terrasse. Les dents serrées, je me redresse, m'appuyant contre la rambarde. J'en suis arrivé à un point où même en luttant contre mes sentiments, ils parviennent toujours à me rendre fou. J'ai essayé de les repousser en fréquentant des clubs de strip-tease, en voyant des prostituées, mais je n'ai jamais pu aller jusqu'au bout. Pourquoi ? Parce que son foutu visage et son odeur hantent mes pensées à longueur de journée.
Je jette ma cigarette avant de me diriger vers l'armoire pour remplir mon sac. Il est temps d'aspirer l'air de la Pologne, de me ressourcer et de retrouver celui que j'étais. Car si ça continue, je risque de sombrer et de ne jamais pouvoir remonter à la surface.
***
Installé dans le jet privé, à côté d'Otto, l'hôtesse s'approche de moi avec un sourire qui étire ses lèvres. Ses longs cheveux noirs forment des vagues voluptueuses qui descendent sur son décolleté. Elle se penche vers moi, puis, de sa main, effleure ma cuisse.
— Que désirez-vous ? demande-t-elle d'une voix sensuelle.
— Un whisky, exigé-je.
Malgré la situation, mes yeux dévient immédiatement vers Tessa, assise à quelques mètres de là, seule. Elle me scrute avec intensité avant de lever son majeur, un geste de défi habituel. Un rire m'échappe. Au début, j'aurais presque voulu lui coller une balle, mais maintenant, je dois avouer que c'est plutôt amusant, presque comme sa marque de fabrique.
L'hôtesse, visiblement déterminée à me draguer, poursuit son numéro. Elle s'agenouille devant moi.
— Vous êtes sûr de ne pas avoir besoin d'autre chose ?
Tessa, de plus en plus agacée, se racle la gorge bruyamment, attirant mon attention. Un sourcil levé, elle me lance un regard glacial afin de rappeler notre cohabitation dans cet avion. Ma lèvre inférieure est prisonnière de mes dents alors que je lui adresse un petit clin d'œil.
— Le whisky fera l'affaire.
La brune ne semble pas saisir que je ne suis pas intéressé, poursuivant son jeu de séduction. Sa main monte progressivement, s'arrêtant finalement à mon entrejambe.
— Tu devrais faire attention, il va finir par t'arracher le cœur et le vendre au plus offrant.
Surpris, je me retourne vers Tessa, qui, sans que je m'en rende compte, s'est rapprochée de nous. Son visage a changé de teinte et ses poings sont refermés. La tension dans l'air devient presque palpable. L'hôtesse, déconcertée, se relève et s'éloigne discrètement. Quant à cette emmerdeuse, elle se place devant moi et me scrute dans les moindres détails.
— Tu veux vraiment jouer à ce jeu ? me demande-t-elle.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, soufflé-je.
— Arrête de me prendre pour une imbécile, s'énerve-t-elle.
— N'inverse pas les rôles, petite brebis.
— Je... Va au diable !
Je subsiste silencieux, bien que l'idée de céder à mes pulsions les plus primitives, de la soulever ici et maintenant pour assouvir ce désir brûlant traverse mon esprit. Si j'avais envie de baiser, je l'aurais fait depuis bien longtemps, mais elle reste la seule femme pour laquelle j'éprouve une attirance aussi intense. Je crispe ma mâchoire, serre les accoudoirs du siège et lâche un soupir avant de fermer les yeux.
Une fois que l'avion a achevé son atterrissage, nous descendons les marches, et comme à son habitude, Julian nous accueille avec un sourire. Je le salue, pendant qu'Otto contribue à charger les bagages dans le coffre. Tessa, toujours en retrait derrière moi, s'approche de lui et tend ses doigts. Il semble qu'elle n'ait pas oublié son premier voyage ici. Julian lui passe le bandeau, et sans la moindre hésitation, l'ajuste sur ses yeux. Un soupir discret s'échappe d'elle quand que je lui viens en aide pour monter à l'arrière du véhicule.
Après de longues minutes dans un profond silence, Julian gare la voiture. Tessa retire le turban, puis me lance un regard assassin avant de s'éloigner pour contempler les arbres. Je hausse les épaules et me dirige vers les chiens pour les caresser.
— Moi aussi, je suis content de vous retrouver, souris-je.
— Bienvenue à la maison, Schneider.
Je me redresse et l'observe. Alek est vêtu d'une chemise noire, le pantalon assorti complétant l'ensemble. Il a retroussé les manches, ce qui ajoute une touche décontractée à son apparence. À ses côtés, Irina, habillée d'une robe d'été d'un blanc éclatant.
— Ça faisait longtemps, ris-je.
Alors qu'Otto serre la main de notre hôte, Tessa prend enfin la décision de se joindre à nous. Je roule des yeux avec une pointe d'impatience et m'avance dans la demeure. Cependant, la voix d'Irina s'élève.
— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? s'esclaffe-t-elle, choquée.
Je crispe la mâchoire, irrité, puisque je sais pertinemment à quoi Irina fait référence. Un léger malaise m'envahit, car je n'ai aucune envie de détailler ce sujet avec elle.
— C'est toi qui lui as fait ça ! insiste-t-elle.
Tout le monde s'arrête et mon regard s'ancre dans le sien.
— Je ne touche pas aux femmes alors évite d'insinuer de la merde, soupiré-je.
Mes yeux balayent l'horizon pour capter chaque expression. Je me sens connecté à leurs pensées, comme si un fil invisible tissait les liens complexes de nos esprits troublés. Soudain, Tessa avance avec une rapidité déconcertante, ses doigts s'abattent sur ma joue. La surprise me fait secouer la tête et je la dévisage avec intensité.
Une pulsion m'envahit, une envie incontrôlable de dégainer mon arme et de la presser contre sa tempe, de lui rappeler la fragilité de sa propre existence dans ce monde. Je serre les poings pour réprimer avec force cette envie qui s'insinue dans chaque parcelle de mon corps, une lutte intérieure émergeant alors que je tente de résister à cette sombre tentation prête à me submerger.
— Tu es vraiment le pire des ordures, cracha-t-elle. Tu mériterais de subir le même sort que tes victimes.
— Et tu voulais que je fasse quoi au juste, hein ? m'énervé-je. Rester les bras croisés en attendant que le sale fils de pute nous balance un par un ?
— Je t'ai supplié, Lucian, mais tu as laissé tes hommes me faire du mal.
Je n'ai pas le temps de répondre qu'elle s'éclipse des lieux. Alors que je m'apprête à la pourchasser, Alek s'approche de moi, m'invitant sans mot dire à le suivre dans son bureau. Elle a une sacrée chance que nous soyons ici, car sinon elle aurait passé un mauvais quart d'heure.
Arrivé, je lâche un soupir de frustration et m'assois sur la chaise. Alek se dirige vers le bar pour nous servir deux verres de whisky. Je lui adresse un signe de tête en signe de gratitude, puis il me tend son paquet de cigarettes. Je l'allume et laisse la fumée danser dans l'air. La nicotine, compagne fidèle des moments explosifs, envahit mes poumons afin d'apaiser ma haine.
— Tu peux m'expliquer ce qu'il se passe ? réclame-t-il. Et surtout, pourquoi Tessa a le corps rempli d'hématomes. Je sais que tu ne l'as pas fait de toi-même, mais j'espère que ton action en valait la peine.
— Tu te souviens de mon appel lorsque je t'ai demandé si je pouvais venir lui changer les idées ? Eh bien, quand Tobias m'a annoncé qu'on avait une taupe, j'ai directement songé à Tessa et j'ai ordonné à mes hommes de la torturer pour lui soutirer des informations.
— Qu'est-ce qui t'a fait imaginer cela ? As-tu posé la question avant d'agir, ou as-tu suivi ton protocole habituel ?
— À ton avis ? soufflé-je. Tu crois réellement que j'ai envie de reproduire la même erreur ? Putain, mais regarde avec Franzeska ! Elle aussi, je pensais que c'était quelqu'un de bien.
Tandis que mes muscles se contractent, j'avale une gorgée d'alcool. Je fais craquer légèrement ma nuque et plante mes yeux dans ceux d'Alek.
— Tu aurais dû m'appeler, j'aurais accéléré les recherches en cours. J'aurais pu te donner une réponse plus rapidement et te rassurer avant que tu merdes. Je comprends ce que tu ressens, je ne suis pas con pour l'ignorer, mais regardes où ça t'a mené de ne pas réfléchir et d'agir bêtement à cause d'une salope.
— Tu sais, malgré tout ça, je crois que je commence à tomber amoureux et ça me fait peur. Je n'ai pas envie de souffrir encore. J'en ai assez chié avec mes démons pour revenir à zéro.
— L'amour nous pousse de temps à autre à des actes stupides. Je n'ai jamais éprouvé d'émotions aussi fortes pour une autre femme, donc je ne peux pas vraiment juger ton niveau de méfiance. Mais il est parfois nécessaire de faire confiance à la personne en face de nous. Quant au dossier final sur Tessa, même si je ne peux garantir ce qu'il contient, si la première inspection n'a révélé aucune alerte majeure, je ne pense pas trouver quelque chose de préoccupant. Malgré toutes tes réserves, il est évident qu'elle a des sentiments pour toi, et je ne doute pas que la réciprocité existe.
— Tu veux rire ? Hier dans la voiture, j'ai osé franchir le pas et cette emmerdeuse m'a rembarré. J'ai atteint un point où je ne sais pas où cette situation va m'emmener. Une partie de moi désire lui mettre une balle dans la tête, mais l'autre souhaite juste se réveiller chaque matin en sa compagnie.
Je me redresse tout à coup. Je sens que je vais vriller, que je perds tout contrôle sur moi-même. D'un geste marqué de rage, je donne un coup de pied à la poubelle qui se trouve à côté du bureau et me dirige vers la fenêtre. J'ai besoin de reprendre mes esprits.
— Non, mais Alek, je deviens complètement fou et je m'égare de ma mission principale. Même avec l'autre, je n'ai jamais réagi ainsi.
— Qu'attendais-tu au juste ? Tu l'as soumise à travers tes hommes, tu l'as kidnappée en lui exposant ton enfer. Tu crois vraiment qu'une femme se remet de ça en un claquement de doigts ? Si je merde, je sais qu'Irina m'en fera payer le prix fort. Ni l'argent, ni le pouvoir, ni aucune autre connerie ne pourra jamais acheter une fille comme la nôtre. Ce dont tu as besoin, c'est de patience.
Mon ami se relève et pose sa main sur mon épaule.
— Permets-lui de s'extérioriser, reprend-il. Ne t'emporte pas, ne la brusque pas. Tessa n'est pas Franzeska et elle ne le sera jamais. Laisse-la venir vers toi. Si tes sentiments pour elle se développent vraiment, tu devras avoir la même patience eue avec la mienne pendant plusieurs mois. Je suis ton ami et sois assuré que je ne resterai pas les bras croisés à te voir tomber.
***
Une heure plus tard, je me retrouve dans une salle en compagnie de Tessa, Alek, et Irina, cette dernière observant attentivement des dossiers posés sur le bureau. Affalé sur la chaise, les pieds sur la table, je me prépare mentalement pour la mission qui nous attend ici. Un retour à l'action, peut-être cela parviendra-t-il à effacer les pensées tourmentées qui rendent ma vie compliquée.
— Comme vous en doutez bien, commence Irina, nous allons vous offrir deux filles sur mes trois harceleuses et pour cela, il va falloir leur tendre un piège conçu dans ma tête.
— Et la troisième, que comptes-tu en faire ? demandé-je.
— L'une d'elles n'est qu'un pion au sein de ce groupe. Elle exécute ce qu'on lui dit, par crainte de connaître le même sort que moi. Elle ne vaut peut-être pas mieux qu'elles, mais je ne suis pas aussi monstrueuse que ces femmes. Je veux simplement qu'elle ait peur, qu'elle croie qu'à tout moment vous allez lui tomber dessus et la tuer. Elle va devenir paranoïaque à l'extrême.
— Penses-tu que ton plan marchera à coup sûr ? interroge Tessa.
Je me tourne vers elle et lui lance un regard froid. Elle ne peut décidément pas fermer sa gueule.
— J'ai traversé toutes ces épreuves durant mon enfance, répond Irina. J'ai développé la capacité de discerner chaque point faible de ces salopes. Elle se croit intouchable, invisible, un peu à l'image des hommes de main. Bien qu'ils soient dirigés, ils dégagent une certaine puissance. Cependant, il arrive un jour où ils succombent face à plusieurs. En équipe, nous sommes plus forts qu'individuellement, et cette jeune femme, Emeline, ne représente rien sans son groupe. Elle est sujette à la paranoïa facilement. Son esprit finira par craquer à force d'imaginer que sa vie est en danger.
— Et si elle en parle à ses parents ou aux flics ? questionne Alek en recrachant la fumée de sa cigarette.
— Et elle leur dirait quoi ? rétorque-t-elle. Qu'elle est poursuivie par des hommes qui n'existent pas ? Ses géniteurs se foutent d'elle, ils ne s'en préoccupent jamais.
Irina marque une pause puise se redresse. Elle a peur, ça se voit sur les traits qui se tortillent sur son visage.
— Elle passe toutes ses soirées dans une boite de nuit et nous irons lui rendre une petite visite là-bas. Évidemment, tenue très classe et sexy exigée, poursuit-elle.
— Et pour les deux autres ? ajoute Tessa.
— Tu comptes faire quoi de ces informations ? craché-je en le toisant.
— Eh bien, ainsi, je pourrai te torturer et vendre ton cœur, ricane-t-elle.
Les yeux écarquillés, je préfère ne pas répondre à sa remarque et me tourne vers Alek pour attraper une cigarette dans le paquet qu'il me tend. Je secoue la tête et esquisse un léger sourire. Si elle veut jouer à ce petit jeu, elle va perdre.
— Continue, moja słodka, affirme Alek.
— Christina est la plus intelligente, la plus cruelle, confirme Irina. Elle dirige tout le monde, y compris les garçons lorsqu'ils étaient encore vivants. Mais chez eux, on ne peut pas tous avoir le charme et de la jugeote. C'est évidemment le cas de Célia. Elle est seulement belle, mais très stupide chaque fois que ça concerne la manipulation. On va lui donner un faux espoir de rédemption. Elle piégera sa meilleure amie pour nous. Quand le plan se refermera sur elles, leurs existences seront scellées.
La réunion touche à sa fin et je me lève pour me diriger vers la sortie. Toutefois, j'attrape brusquement le bras de Tessa lorsqu'elle franchit la porte. L'atmosphère devient palpable, la tension électrique s'accroche à l'air. Elle me toise d'un regard presque glacial.
— Une interrogation me taraude depuis hier, déclaré-je. Tu connais Tobias avant même d'avoir passé notre QG ?
— Non, pourquoi cette question ? rétorque-t-elle, surprise.
— À titre d'information.
— Qu'est-ce qui se déroule avec lui ? demande-t-elle, curieuse.
— Son heure arrivera bientôt, conclus-je d'un ton sombre.
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