🫀 Du Nevada à Düsseldorf
Une fois à bord de l'avion, je choisis un fauteuil situé à l'extrémité arrière de l'appareil. J'écoute l'hôtesse de l'air délivrer les consignes de sécurité avec un enthousiasme apparent, bien que cela ne m'intéresse pas. Tous les sièges sont vacants, à l'exception des deux places devant lesquelles je me tiens, occupées par les agents Ripper et Sharpe. Je secoue la tête avec agacement et attache ma ceinture.
L'inquiétude m'envahit, car les vols me terrifient. Mes mains pâles qui se crispent sur les accoudoirs trahissent ma nervosité. À travers le hublot, je contemple le paysage extérieur avec un mélange de stupéfaction et d'appréhension. Le ciel présente un bleu immaculé, parsemé de nuages, et le soleil, bien qu'éclatant, projette une ombre mélancolique. L'avion est sur le point de décoller, et j'ai déjà rangé mes affaires et éteint mon téléphone. Je tire rapidement le rideau de la peur autour de moi, espérant qu'il me procurera un semblant de réconfort. Je plisse les yeux pour tenter de maîtriser l'anxiété lorsque l'appareil subit quelques secousses.
— Ce n'est rien comparé à ce qui vous attend, rit Sharpe.
Nos regards se croisent. Une pulsion obscure me pousse à vouloir lui trancher la carotide, mais je réprime ces idées sombres.
— Pensez-vous que je ne connaisse rien de l'enfer ?
— Pas assez, sinon vous auriez préféré passer le reste de vos jours en prison.
Je soupire de mépris. En fin de compte, il n'a pas tout à fait tort. Je n'ai pas encore assez vécu pour expérimenter la réalité de côtoyer le diable. J'ai répondu spontanément, sans même étudier les conséquences. Je désire simplement continuer à respirer l'air, remplir mes poumons de multiples parfums qui aiment se mêler à l'atmosphère.
— Pourquoi avez-vous besoin de moi ? demandé-je. Vous disposez d'un grand nombre d'agents qui peuvent le faire, n'est-ce pas ?
— Parce que vous êtes la seule personne capable de le détruire et de démanteler l'organisation qu'il dirige depuis des années.
— Ne serait-ce pas plutôt un prétexte pour dissimuler votre crainte envers lui et ses acolytes ? répliqué-je, exaspérée. Je ne saisis pas la nature de votre entraînement, mais peut-être serait-il sage de considérer un changement de vocation.
Soudain, il se lève, puis enserre mes joues dans ses paumes charnues. Je tente vainement de me débattre, mais il extrait son arme de son étui pour placer le canon contre ma tempe. Des frissons glacés parcourent mon corps, mes lèvres tremblent. Malgré mes efforts pour conserver mon calme, la peur engloutit chaque parcelle de mon être. Ses yeux qui me scrutent avec intensité sont éclaircis par une lueur de fierté. Mes mains se crispent sur les accoudoirs avec férocité, mes ongles émettent un léger craquement. Mon cœur rate un battement.
— N'oubliez pas, Tessa, vous n'êtes rien, juste une marionnette. Arrêtez de faire la maligne, fermez votre gueule et suivez simplement les ordres qu'on vous donne, est-ce clair ? s'énerva Sharpe.
Les deux hommes échangent un regard complice. Un sourire se dessine aux coins de leurs bouches. Ma gorge se serre. J'acquiesce lentement de la tête, peinant à avaler ma salive. Sharpe se retire et retourne s'asseoir. Je clos les yeux un court instant, et l'image de ma mère se présente à moi comme un mirage. Pourtant, elle m'avait averti des conséquences de mes choix, mais je n'avais jamais pris ses paroles au sérieux. J'aurais dû écouter ses conseils, mais trop jeune pour comprendre la vérité qu'ils renfermaient. J'inspire profondément pour tenter de retrouver mon calme. J'ai toujours su trouver des solutions à mes problèmes, mais aujourd'hui, je me sens emprisonnée, telle une créature dans une cage.
L'agent Ripper se frotte les mains à plusieurs reprises et arrête l'hôtesse pour lui demander trois bouteilles d'eau. Elle répond d'une voix doucereuse, puis s'en va vers un petit compartiment. La sensation de sécheresse sur mes lèvres m'assaille, l'idée de boire me soulage.
— Comment avez-vous réussi à nous localiser ? questionné-je. Ma mère avait pris toutes les mesures nécessaires pour effacer notre passé.
— Moins vous en saurez, mieux c'est, réplique Ripper. Soyez assurée, tout se déroulera comme prévu.
— Avez-vous oublié qu'en raison de vos....
— Vol à l'étalage, bagarres dans des bars avec consommation de stupéfiants, plusieurs arrestations pour entrave à des officiers, s'agace Sharpe en me coupant la parole. Voulez-vous que nous continuions à énumérer vos activités ?
Je m'enfonce davantage dans mon siège. La tension se reflète sur mon visage par une grimace. Peut-être ai-je fait des choix discutables dans ma vie, mais sans eux, je n'aurais jamais pu couvrir les frais médicaux de ma mère. Les coûts astronomiques et dans l'incapacité de travailler, c'était la seule façon de garantir qu'elle ne partirait pas trop tôt. Ce souvenir me tire une expression de douleur, alors que Ripper sort quelques documents de sa serviette.
— Adéla Blake, m'informe-t-il.
Face à moi, plusieurs portraits d'une femme sont méticuleusement étalés sur la table. Que ce soit dans un restaurant gastronomique, un bar huppé ou même dans un club de strip-tease, ils l'ont traquée sans relâche. Je réprime un frisson et hausse un sourcil dans l'attente du déroulement avec grande curiosité.
— C'est grâce à elle que vous pourrez intégrer les Herzdiebe, poursuit Ripper d'un ton grave. À la suite de l'abandon de ses parents alors qu'elle n'avait que huit ans, Adéla a été placée dans un foyer pour enfants à Caritas St Raphael Haus. À sa sortie, elle s'adonnait à la prostitution et à la drogue pour survivre dans un monde qui ne lui montrait aucune compassion jusqu'à ce qu'elle croise le chemin de ce gang.
— Avant que nous nous fassions repérer, reprit Sharpe, Adéla avait l'habitude de fréquenter le Naseband's. Demain, vers vingt et une heures, faites en sorte de la retrouver, car sans elle, la mission est vouée à l'échec. Nous n'avons aucun visage à associer à cette organisation, à part le sien et du chef.
— Lorsque vous établirez un premier contact, soyez sur vos gardes. Adéla est très méfiante. Parlez-lui de vous et de votre passé. Utilisez votre charme naturel pour forger une alliance, conclut l'agent Ripper.
Les yeux écarquillés, j'ai du mal à assimiler toutes les informations qui viennent de m'être révélées. Une main parcourt machinalement mes longs cheveux blonds tandis que je m'affaisse dans le fauteuil. Je saisis la bouteille devant moi et laisse l'eau s'écouler dans ma gorge assoiffée. Mon esprit virevolte, j'ai la sensation de manquer d'air. Malgré la périlleuse nature de cette mission, la curiosité qui me ronge depuis tant d'années me pousse à l'action, à percer les mystères qui se cachent au cœur du repaire du diable. Que sont-ils devenus ? M'ont-ils oubliée ? Trop de questions me tourmentent.
— À l'atterrissage, nous vous fournirons quelques notes pour vous orienter correctement et vous empêcher de vous jeter bêtement dans la gueule du loup, sourit Ripper.
Un rire nerveux s'échappe de mes lèvres.
— Vous êtes conscient que si jamais il découvre mon identité et ma collaboration avec vous, ma tête finira en décoration dans son salon et mon cœur sera vendu sur le marché, soupiré-je. Vous me conduisez vers un lieu où même la mort ne voudrait pas reposer. Peut-être que, finalement, trente ans de prison paraissent tout aussi séduisants.
— Karine serait-elle heureuse de vous savoir derrière les barreaux ? interroge-t-il.
Entendre son nom éveille en moi un profond sentiment de tristesse, transformé en larmes silencieuses. Mes yeux embués révèlent ma douleur intérieure. Ma jambe, agitée sans répit, trahit mon anxiété. Malgré ma volonté farouche de tout maîtriser, je me trouve impuissante. Je souffre tellement. Sa présence me manque cruellement. J'aurais tant aimé reposer ma tête sur son épaule, sentir ses doigts doux caresser mes cheveux pour me réconforter, mais seule la froideur de la mort vient toucher ma peau livide.
Peut-être un moyen de la rejoindre plus tôt.
— Comment puis-je dissimuler ma véritable identité ? interrogé-je. Ils savent tout, ils ont accès à toutes les informations. Il sera difficile de les tromper.
— Nous avons pris les mesures nécessaires, répondit Ripper. Votre dossier a été effacé de toutes les bases de données. Vous êtes simplement Tessa Back, une citoyenne de Düsseldorf. Vous n'avez jamais connu vos parents biologiques. Vous avez résidé deux ans au foyer pour enfants avant d'être adoptée par une famille. Malheureusement, il y a trois mois, ces personnes ont perdu la vie dans un accident de voiture. Un camion les a percutés de plein fouet, les tuant sur le coup.
— Utilisez cette tragédie pour gagner la compassion d'Adéla, intervint Sharpe. Vous séjournerez à l'hôtel Innside by Meliá Düsseldorf Hafen. Prétendez que vous y résidez depuis le décès de vos parents, car en ce moment, vous essayez de faire votre deuil, donc chercher une maison n'est pas dans vos projets.
L'agent Ripper me tend une feuille et esquisse un sourire.
— Ceci renferme tous les renseignements vous concernant. Assimilez-les méticuleusement.
— Vous trouverez également un numéro et une adresse mail pour nous contacter et nous informer de chaque action commise par les Herzdiebe, surenchérit Sharpe. Nous exigeons de vous un rapport hebdomadaire. En cas de manquement, vous vous retrouverez derrière les barreaux, sans espoir d'échapper à votre destin. Est-ce suffisamment clair ?
Je crispe ma mâchoire et serre les dents avec une telle intensité que j'entends un grincement sous la pression de ma colère. Je prends une grande inspiration, me frotte le visage à plusieurs reprises pour tenter de me réveiller de ce cauchemar, mais la réalité persiste, me pénétrant comme une dague glacée dans chaque fibre de mon corps. Ai-je la force nécessaire pour assumer ce rôle ? Je n'y crois pas.
— Que dois-je faire s'ils mettent la main sur mon téléphone, ce qui risque fort d'arriver ?
— Voici un nouvel appareil, affirme Ripper d'un ton rassurant en me tendant un mobile flambant neuf. Tout a été arrangé de manière à ce qu'il ne subsiste aucune trace de votre passé.
— Et si par malheur quelque chose venait à se produire, ou s'ils commencent à soupçonner quelque chose, nous avons transféré vos conversations avec Dylan, surenchérit Sharpe. Ils n'y verront que du feu.
Mes sourcils se haussent d'étonnement au moment où ce prénom résonne en moi. Moi qui m'efforce depuis plusieurs mois de l'effacer de ma mémoire, me voilà contrainte d'y faire référence, mes doigts tremblant légèrement alors que je tiens le nouveau téléphone. Leurs gestes assurés témoignent de leur confiance en la réussite de leur plan, mais ils ne connaissent pas Tobias.
Alors que je m'apprête à somnoler, mes paupières se ferment progressivement, l'hôtesse s'approche pour nous informer que l'avion va bientôt atterrir. Je serre mes mains sur ma ceinture. Le souffle coupé, j'observe à travers le hublot. Les roues se déploient, les ailes se mouvent. Ce paysage ne me manquait pas, mais je ne peux plus faire marche arrière. J'avais pourtant promis à ma mère que je ne remettrais jamais les pieds dans cette ville, et voilà que je me retrouve aujourd'hui contrainte de le faire. J'espère qu'elle veillera sur moi, qu'elle me protégera. Lorsque l'avion atterrit sur la piste, mon cœur s'emballe.
C'est le moment d'affronter un passé que j'avais aspiré à oublier. Je me redresse, récupère ma valise placée sous le siège, puis me dirige vers la sortie. La jeune femme de l'équipage nous sourit et nous souhaite un bon séjour. Je lève les yeux au ciel puis descends les escaliers. La sueur perle sur mon front.
— Voici une carte bancaire et la clé de votre chambre d'hôtel, m'annonce Ripper. Songez que tant que nous sommes présents, vous ne courrez aucun danger. Restez simplement fidèle à vous-même et surtout, gardez votre calme.
Je réprime un rire nerveux. Se moque-t-il de moi ? Est-ce lui qui va affronter la menace à ma place ? Je secoue la tête. Je pense qu'il dit cela pour m'aider à ne pas sombrer dans la folie, mais il ne sait pas, il ne connait rien. À côté d'eux, l'enfer ressemble à un paradis, car ce à quoi je m'apprête à faire me brûlera les ailes.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top