🫀Confidentialité 1/2 - LUCIAN

Assis dans le fauteuil, j'écrase mon mégot dans le cendrier posé sur le bureau. Rien n'a évolué ici depuis ma dernière visite. Son étagère est toujours remplie de documents et de livres recouverts d'une épaisse couche de poussière, inchangés depuis si belle lurette qu'ils semblent avoir été oubliés par le temps. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres alors que je bois une gorgée du whisky qu'Alek vient de me servir dans le petit bar derrière moi. Je le remercie d'un signe de tête avant de tourner mon regard vers le gigantesque tableau vide accroché au mur noir, là où étaient autrefois affichées les recherches sur Irina.

— Alors, tu as un deal plus alléchant à me proposer ? demandé-je.

— Exact. Que dirais-tu de passer d'un cœur à trois ?

Je hausse les sourcils, surpris. Je cache ma joie, mais l'idée est extrêmement intéressante.

— Vas-y, je t'écoute, répliqué-je, intrigué.

— J'ai deux filles qui ont fait vivre les pires misères à Irina et tu me connais assez pour savoir qu'on ne touche pas à elle sans en subir les conséquences.

— Ça peut être passionnant. Qu'est-ce que tu souhaites en retour ?

— Je veux des infos sur le fils de pute qui a orchestré l'assassinat d'Irina, fulmine Alek.

Il disperse plusieurs photographies sur son bureau. Je me redresse légèrement pour les analyser une par une. La première dévoile un visage entaillé par des éclats de verre, une vision assez appétissante. La deuxième révèle sans doute le tatouage de son gang : deux poignards qui se croisent. Bien que j'ai des contacts divers, cette marque ne m'évoque rien. Un soupir de frustration m'échappe avant que je ne passe à la troisième photo. Un sourire se dessine progressivement sur mes lèvres en découvrant son torse déchiqueté par d'innombrables coups de couteau, et même sa carotide est coupée. La dernière présente sa tenue : un ensemble de mercenaire, pantalon cargo noir, chaussures militaires.

— Comme tu peux le remarquer, ils ont un signe de gang que je n'ai jamais aperçu, confirme Alek. Toutefois, elle ressemble au symbole que l'on retrouve en Russie. La seule différence, c'est qu'il n'y a qu'un poignard accompagné d'une arme.

— Je vois qu'il a pris cher, ris-je.

— Pour une fois, je n'y suis pour rien, c'est Irina, répond-il d'un air satisfait.

Je penche légèrement la tête, étonné par cette révélation. Je ne l'imaginais pas du tout ainsi, pourtant, ça ne me surprend pas de lui. Il a toujours eu l'art de recruter des individus redoutables.

— Je vais confier ça à Klemens et je te tiendrai au courant de ses avancées. Mais j'ai besoin de tes contacts pour un petit service.

— Ce que tu désires, du moment que tu me déniches les informations pour les retrouver. De quelles relations as-tu envie ?

— Quelqu'un chez moi a foutu la merde. Ce salopard a gravé mon nom sur un corps que nous avions vidé. J'envisage de le trouver et l'éviscérer. Mais à part Klemens et Adéla, je n'ai confiance en personne.

Depuis cet appel, je sens que je perds le contrôle et si ça se produit, je risque d'exploser d'une manière que je ne souhaite plus revivre. Je bois une gorgée de whisky, l'unique chose qui peut apaiser les ténèbres qui m'envahissent. Je ne sais pas qui veut ma peau, mais quand je le trouverai, le seul truc dont il se souviendra, c'est de mon regard avant que sa cervelle ne décore les murs.

— J'ai un mec qui me doit un gros service, répond-il. Il y a cinq ans, j'ai explosé un entrepôt rempli de skinheads pour sauver son pote, à lui de me rendre la pareille.

Aleksander sort une clope et me tend son paquet. J'en prends une et l'allume, empoisonnant une fois de plus mes poumons. J'aspire la fumée et m'amuse à souffler des ronds dans l'air. Avoir ma dose de nicotine fait du bien.

— Je me posais une question à propos de ton emmerdeuse, tu l'as dégotée où ? m'interroge-t-il.

— Cette idiote n'a pas remarqué qu'un toxico avait glissé du GHB dans son verre, alors Adéla l'a récupérée, dis-je en roulant des yeux.

— Et tu as donc décidé de la ramener chez les tiens ?

— Malheureusement, soupiré-je. Il y a quelque chose qui cloche chez elle, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus.

J'ai croisé un grand nombre de nanas, mais Tessa... Son aura empeste le mensonge à des kilomètres à la ronde. Si elle pense pouvoir me berner, elle se trompe lourdement, car une fois que j'aurai percé son secret, elle périra aux côtés des autres cadavres.

— Qu'est-ce qui te fait douter à ce point-là ? demande Alek.

— Le Nausband's est un repaire fréquenté soit par des toxicomanes, soit par des prostituées. Franchement, elle ressemble à l'un de ces deux profils ? Non. Klemens a découvert des informations selon lesquelles elle était une orpheline, que ses parents adoptifs sont morts il y a quelques mois, et pourtant, une partie de son passé demeure un mystère.

— Je vois, prononce-t-il en fronçant les sourcils et portant ses doigts près de sa bouche, comme pour réfléchir. Je peux envoyer mes hommes faire des enquêtes là-dessus et te soulager de ce doute.

— Ouais, je veux bien. Et si tu cherches une boniche, je peux te la refourguer. Ça m'évitera d'avoir le désir de lui placer une cartouche à chaque fois qu'elle ouvre sa gueule, souris-je.

Aleksander se met à rire.

— Tu es sûr qu'il y a seulement la balle que tu souhaites lui fourrer ? réplique-t-il avec un rictus malicieux.

— Hé bien, je suis partagé entre l'envie de la tuer et celle de la baiser dans n'importe quel endroit où je la croise.

— Je te comprends, Lucian. Si tu savais tout ce que je rêve de faire à Irina depuis qu'elle vit ici. Un jour, je la prendrai sur ce bureau. Pour l'instant, je me contente de mes doigts, ricane-t-il.

Je lève les yeux au ciel et songe à toutes les positions où je pourrais posséder Tessa, où je pourrais la faire taire une bonne fois pour toutes. Un frisson parcourt mon échine, tandis que je secoue la tête pour chasser ces images qui défilent comme un film. Je dois cesser de penser à chaque courbe de son être qui se dessine devant moi, à cette façon qu'elle a de m'agacer, mais qui m'excite en même temps. Son corps, son odeur vanillée qui s'imprègne sur ma peau à chaque petit contact avec elle. Ses yeux bleus qui me scrutent. Si mon téléphone n'avait pas sonné, je suis sûr que la barrière aurait été brisée, que je l'aurais fait jouir. Pourtant, une part de moi refuse. Je ne peux pas, je ne veux pas. Une fois a été de trop. Je soupire et écrase mon mégot avant que Aleksander ne me donne un dossier confidentiel.

— Voici les fichiers de Célia, l'une des filles que je t'ai promises. Tu trouveras le nom de Cazal à l'intérieur. C'est la belle-mère de cette salope. Je veux que sa souffrance soit filmée et envoyée à cette femme. Un petit karma ne lui fera pas de mal.

Tandis que nous sortons du bureau pour rejoindre les autres, je me remémore quelques souvenirs. Adéla m'en avait parlé à l'époque : une avocate réputée pour relâcher des pédophiles moyennant une belle somme d'argent. J'aurais dû la tuer.

Arrivé au sous-sol, mon regard se pose aussitôt sur elle. Tessa s'arrête de discuter avec Irina, puis se recule. Je crispe la mâchoire, me dirige vers elle et l'attrape fermement par le bras. Mes doigts serrent sa peau avec une intensité mesurée.

— Je ne sais pas si tu essayes de lui retourner le cerveau, mais fais attention, grondé-je.

Ses yeux s'élargissent lentement, trahissant une pointe d'appréhension. Elle tente de se dégager, mais ma prise se rétrécit pour exprimer mon agacement.

— Oh, ça va, lâche-moi, soupire-t-elle d'un ton exaspéré.

— Ne commence pas à effectuer d'esclandre ici ! ordonné-je.

— Dis le mec qui laisse des femmes se faire droguer. Tu n'as vraiment aucune pudeur, pauvre type.

Ma patience atteint ses limites. Mon regard se durcit et je lui lance un avertissement glacial. Mes yeux brillent d'une lueur nocive. J'essaye de contenir la colère qui menace de s'échapper, mais avec cette blondasse, tout devient difficile, voire même dangereux, à chaque seconde passée près d'elle. Ce qui m'énerve le plus, c'est que Tessa tient tête malgré sa peur qui se reflète sur ses membres tremblants. Je sais qu'elle a la haine, je pense qu'elle me déteste, et même si une partie de moi n'en a rien à foutre, l'autre reste troublée. Sa ténacité m'exaspère autant qu'elle m'intrigue.

— Fais attention à tes paroles, Tessa. Ne teste pas ma patience, tu risquerais de le regretter.

— Va au diable, crache-t-elle avant de me pousser pour rejoindre Klemens.

Je sens mon poing se serrer inconsciemment. Ma volonté de la faire taire, de lui montrer qui est le patron ici, grandit en moi. Pourtant, je recule, puis laisse échapper un soupir pour tenter de réprimer cette colère.

Après que l'employée de la maison nous informe que le repas est servi, nous montons tous au premier étage. Les assiettes blanches sont dressées, les plats installés diffusent non seulement une épaisse fumée, mais aussi une odeur qui réveille mes papilles gustatives. Sur la grande table, je m'assois face à Alek, suivi de Klemens et Adéla qui se placent à ma droite, et Tessa à ma gauche. La domestique, une petite brune aux cheveux attachés en un chignon bien serré, s'empresse de nous offrir du vin rouge.

— Je vois que tu as sorti le Beaumes de Venise, souris-je en portant mes lèvres au verre. Tu ne me déçois jamais.

— Tu penses que mon frère va te faire picoler de la pisse ? ricane Daniel. Il veut le meilleur pour ses alliés.

Cette attitude ne me surprend pas. Les Kowinski ont toujours su accueillir avec respect. Klemens lève sa rasade, puis s'exclame sur la délicieuse boisson qui arrache des rires à chacun. Nous dînons dans une ambiance chaleureuse et festive. Je suis d'autant plus ravi par le repas qui, une nouvelle fois, vient de chez nous : des knödels. C'est une spécialité que ma mère préparait, des boulettes de pommes de terre entourées de mie de pain, accompagnées de bœuf.

Alors que j'absorbe une gorgée de vin, un frémissement parcourt mon téléphone. C'est un message de Aleksander. Ses mots s'affichent devant mes yeux. Un sourire se dessine sur mes lèvres tandis que je découvre son contenu. Cyril et Julian, ses hommes de confiance, ont mis à jour des informations sur Tessa. Pourtant, l'intégralité du dossier, élaboré dans les moindres détails, ne sera entre ses mains que demain. J'espère qu'ils ont déniché quelques éléments cruciaux qui appliqueront un terme à ce jeu dans lequel nous sommes engagés. Alors que mon regard se fond dans le sien, Tessa se lève.

— Veuillez m'excuser, murmure-t-elle. Je ne me sens pas très bien. Je vais aller dans la chambre.

Je me racle la gorge et l'observe attentivement lorsqu'elle traverse la salle. Rien de bon n'émane d'elle. Je la fréquente suffisamment pour comprendre que tout ce qu'elle dit n'est que fumé. Ma mâchoire se crispe et je serre les poings.

À mesure que les minutes s'écoulent, il devient de plus en plus difficile pour moi de rester assis. Je tapote mes ongles sur la table, me mords la lèvre inférieure. Cependant, mon sang bouillonne quand Irina se lève également. Un soupir m'échappe alors qu'Aleksander tourne son regard vers moi.

— Rien de grave, elle est seulement partie s'assurer que la tienne allait bien, affirme-t-il.

J'espère que cette petite idiote a pris mes menaces au sérieux et qu'elle n'a pas réussi à influencer Irina. Je hausse les épaules et lui montre le paquet de clopes, signifiant que nous devrions sortir, rien que tous les deux. Il acquiesce d'un signe de tête, puis se lève et nous dirigeons vers le balcon.

— Tu as apprécié le repas qu'Arleta vous a concocté ? me demande Aleksander.

— C'est toujours un plaisir de déguster les plats typiques de la maison.

J'allume ma cigarette et contemple l'horizon. Je suis trop absorbé par mes pensées, trop accablé par le doute qui s'installe en moi.

— Tu me sembles soucieux, Lucian. C'est ta dulcinée qui te met dans cet état ?

— Je me demande si cette nana ne va pas retourner le cerveau de ta femme, soupiré-je.

— Irina n'est pas si faible qu'elle n'y parait. Elle a rapidement compris que même ses plus proches amis pouvaient la trahir. Ne t'en fais pas pour elle.

La possibilité que Tessa puisse manipuler l'esprit de Irina me remplit d'indignation et d'inquiétude. Je secoue la tête afin de chasser les pensées sombres qui débitent à une vitesse fulgurante. Je prends une profonde inspiration et empoisonne une fois de plus mes poumons. C'est la dixième fois aujourd'hui que je succombe à ce vice. Cette habitude de fumer va devenir un exutoire pour ma colère.

— Sinon, concernant ton problème de vol, j'aurais besoin du dossier de tes employés, déclaré-je.

— Ils te seront parvenus par mail dès ton atterrissage. Je vais ordonner à George et Maggie de préparer ça ce soir.

— Dès que je serai de retour à Düsseldorf, je m'occuperai de ça avec Klemens. 

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