🫀 Communication coupée
Les rayons dorés du soleil me tirent des bras de Morphée. J'entrouvre les paupières et me redresse avec peine. Une violente douleur tambourine à mes tempes, mes lèvres s'étirent dans une moue de souffrance. Tout mon corps semble endolori. Mon regard balaye frénétiquement l'environnement, un sentiment d'angoisse glacial me paralyse. Cet endroit m'est totalement inconnu, je ne saurais dire où je me trouve. Soudain, mon cœur s'emballe, martelant sa peur à un rythme effréné. Des perles de sueur sillonnent mes joues rougies par la chaleur oppressante de la pièce. Une multitude d'images vrillent dans mon âme, mais celle qui s'impose avec insistance est le visage de cet homme, celui du bar.
Ma bouche prend vie d'elle-même. D'une main tremblante, je repousse la couverture qui enveloppe mes jambes et un frisson me parcourt l'échine. Je découvre que je suis réduite à ma petite culotte. J'ai été déshabillée sans que mon esprit en conserve le moindre souvenir. Je serre les draps entre mes doigts, impuissante face à cette intrusion dans mon intimité. Un cri étouffé s'accroche à ma gorge, mais il ne trouve pas d'issue. Mes yeux se remplissent de larmes que je m'efforce de retenir, tout en sentant le danger imminent.
Soudain, un fracas assourdissant résonne. J'essaie de me lever pour atteindre l'armoire, mais mes jambes fléchissent, la tête me tourne à chaque pas hésitant. Je me cramponne au rebord du lit à baldaquin, la nausée me submerge. La porte s'ouvre brusquement, mais je n'ai qu'une fraction de seconde pour distinguer son visage : je m'effondre violemment sur le sol, prise de spasmes, et j'éjecte tout ce que mon estomac contient.
— Hilda ! crie-t-elle. Ramène-toi ici tout de suite et nettoie cette moquette. Je venais tout juste de la changer, bordel.
D'un geste du pied, elle pousse un seau vide jusqu'à moi. Je penche la tête. Ma crinière exhume l'odeur du vomi.
— Te sens-tu mieux ? me demande-t-elle finalement.
C'est elle. Adéla, debout devant moi, esquisse un sourire du coin des lèvres rosées. Ses longs cheveux bruns couvrent en partie son visage, mais je perçois son regard vert qui me scrute. Elle effleure à plusieurs reprises le collier qui orne son cou avant de s'approcher et de me relever doucement.
— Je ne te ferai aucun mal, précise-t-elle.
— Est-ce que... est-ce que j'ai...
Je ne parviens pas à achever ma phrase. Je m'effondre. Les larmes coulent à flots, irrépressibles. Je ferme les yeux dans une tentative vaine de les interrompre, mais même avec toute ma volonté, elles ne s'arrêtent pas.
— Non, répond-elle calmement. Du moins, je t'ai empêchée d'en arriver là. À l'avenir, évite de t'aventurer au Naseband's, il n'y a que des pervers qui mettent du GHB pour, fin, je ne te fais pas de dessins.
Un soupir de soulagement s'échappe de mes lèvres et apaise mon corps contracté. Peu à peu, la tension s'atténue. Nous traversons les couloirs jusqu'à atteindre une vaste salle de bain. Elle m'assoit sur une chaise, puis s'éloigne. Les mains posées sur mes jambes, je frissonne à cause du froid glacial qui me transperce. Je jette un bref regard au miroir pour y découvrir les cernes creusés autour de mes yeux. À cet instant, je ressens un profond dégoût envers moi-même. Mes ongles qui fouillent ma peau traduisent mon malaise.
— Je vais t'aider à te laver, déclare-t-elle doucement. J'ai pris des affaires pour toi. Vu ta taille, les miennes devraient t'aller parfaitement.
Je sursaute, n'ayant pas remarqué sa présence, ce qui la fait visiblement rire. Elle passe une main dans sa frange avant de s'approcher de moi.
— Ne t'inquiète pas, je ne te toucherai pas si c'est ce qui t'effraie. Je préfère largement les queues.
Un sourire s'esquisse sur ses lèvres, puis elle soulève mes bras pour retirer le dernier vêtement qui recouvre ma poitrine. Un frisson parcourt mon cœur. J'ai une aversion profonde pour tout contact physique. Les séquelles dues à mon vécu demeurent ancrées dans ma mémoire. Adéla prend ma main et nous pénétrons dans la grande douche en face de nous. Elle verse une noisette de shampoing et commence à frotter chaque parcelle de mon corps, jusqu'à s'arrêter sur mon dos.
— Qui t'a fait ça ? me questionne-t-elle doucement.
— Le passé, murmuré-je.
Je sens qu'elle s'apprête à répliquer, mais elle retient ses mots dans un lourd silence. Je n'ai aucune envie de partager ma vie avec elle, surtout dans le contexte qui nous lie. Je ravale difficilement ma salive jusqu'à ce qu'elle termine. Je soupire de soulagement et sors, m'enveloppant dans la serviette qu'elle me tend. Je m'essuie rapidement avant d'enfiler le jean noir et le t-shirt orné d'une tête de mort.
— Je me suis dit qu'avec tes tatouages, tu aimerais ce genre de motifs, affirme-t-elle en prenant une brosse.
— Tu as bien vu, souris-je timidement.
Adéla me place face au miroir et commence à coiffer mes cheveux. La dernière personne qui s'est occupée de moi ainsi était ma mère. Une émotion étrange se fraie un chemin dans mon cœur. Je lutte pour ne pas m'effondrer sous le poids du chagrin, mais la tâche parait difficile. Trop de souvenirs douloureux me hantent, trop de démons continuent de me rendre la vie insupportable. Adéla achève la tresse et arbore un sourire angélique.
— Voilà, au moins tu as une tronche plus présentable, plaisante-t-elle. Viens avec moi, ma servante a préparé des crêpes. J'espère que tu aimes, car c'est tout ce que j'ai à te proposer.
Je hoche la tête par l'affirmative et la suis à pas feutrés. Nous aboutissons finalement dans un vaste salon. La décoration de la pièce reflète son apparence : sombre et élégante. Les murs gris, ornés de nombreuses toiles, représentent chaque partie du corps humain. Je ravale ma salive, puis essaie de ne pas laisser transparaître mon trouble face à son affiliation aux Herzdiebe. Deux larges canapés, recouverts d'une housse orange, évoquent la célébration de la fête des Morts. À côté, une petite table supporte deux chandeliers surplombant des bougies noircies. Je m'approche de la cheminée et contemple les rares chrysanthèmes qui semblent tenter de verdir cet endroit empreint de ténèbres.
Je me retourne puis rejoins Adéla. Plusieurs bouteilles de jus sont disposées, accompagnées de divers pots de confitures pour les crêpes, où la vapeur s'échappe encore. Je m'installe et incline légèrement la tête en signe de reconnaissance envers la servante qui disparaît aussitôt de mon champ de vision.
— Alors, commence Adéla, qu'est-ce qui t'a poussée à te rendre dans ce bar ?
Surprise, je repose délicatement mon verre, le contenu destiné à rassasier ma soif et l'observe attentivement. La peur de dire quelque chose qui pourrait être utilisé contre moi m'envahit. Choisir mes mots avec précaution devient impératif, car un faux pas pourrait me conduire droit vers une sombre cellule.
— Je m'efforçais à apaiser mon chagrin, donc je me suis arrêtée dans le premier établissement venu, répondis-je.
Elle me fixe avec perplexité, cherchant à percer le fond de ma pensée. Distraitement, je déglutis.
— Mes parents adoptifs sont décédés il y a trois mois, victimes d'un chauffard ivre, poursuis-je. Je n'ai pas eu l'opportunité de leur dire au revoir, de leur confier à quel point je les aimais. Je croyais que cette solution pourrait étouffer les sanglots de mon cœur.
— Ce n'est pas toujours facile, je te l'accorde, mais avec le temps, on s'adapte, répond-elle avec empathie.
— Toi aussi ils ne sont plus de ce monde ?
— Pas vraiment, enfin je l'espère, ricane-t-elle nerveusement. Ce sont des connards qui préféraient s'abandonner à la drogue plutôt que de s'occuper de moi.
— Comment as-tu réussi à ne pas sombrer ? J'aurais besoin de conseils, avoué-je, ma vie est actuellement plongée dans le chaos.
Adéla avale au plus vite une bouchée de sa crêpe, vide son verre et se lève.
— Viens avec moi, nous allons sortir. Tu comprendras rapidement, conclut-elle en enfouissant son corps dans sa veste.
***
Dehors, nous marchons sous une pluie torrentielle. C'est un contraste étonnant par rapport à la journée ensoleillée d'hier, où l'astre doré rayonnait de mille feux. Aujourd'hui, les nuages couvrent une partie du ciel et les gouttes d'eau s'écrasent avec fracas contre les voitures stationnées le long des allées. Les passants se précipitent dans toutes les directions, cherchant désespérément un abri, tandis que nous, nous restons là, protégées par un parapluie couleur sang. L'écoute de cette pluie colérique qui martèle la ville apporte un moment de calme à mon âme tourmentée. Avec ma mère, nous aimions nous installer dans la véranda et contempler ce temps sombre. Nous buvions notre chocolat chaud, où la fumée s'élevait, reflétant un espoir et une chaleur dans nos cœurs. Un soupir de frustration s'échappe de moi en pensant que tous ces moments sont maintenant ensevelis au plus profond de la terre.
Après quelques minutes, nous entrons dans un café. Adéla lève la main pour saluer le serveur et nous dirige vers l'arrière, là où les regards curieux ne peuvent pas pénétrer, car un long rideau opaque dissimule la table ronde et ses quatre chaises. Tout respire le charme ici. Bien que je ne connaisse pas cet endroit, je suis convaincue que ma mère aurait adoré cette ambiance chaleureuse et familiale. La décoration en brique confère une sensation d'accueil à l'établissement : les lustres projettent une lumière tamisée, et même la musique rock en fond sonore est suffisamment discrète pour ne pas déranger les clients. Un sourire béat se dessine sur mon visage tandis que je m'assois.
— Tout va bien ? demande-t-elle.
— Pourquoi m'as-tu aidée ?
Adéla se racle la gorge et me fixe quelques secondes avant de rétorquer :
— Je ne peux pas rester les bras croisés, explique-t-elle. Ça ferait de moi une sacrée salope.
— Adéla ! Je ne m'attendais pas à t'apercevoir ici !
La soudaine apparition de la femme la fige sur place. Elle semble avoir la vingtaine, pas plus. Ses cheveux courts et blonds dissimulent en partie son visage, mais pas assez pour masquer la longue cicatrice qui s'étend de son œil jusqu'à sa bouche. Adéla se lève brusquement, lançant son téléphone vers la fille avant de se précipiter pour lui asséner des coups. Les clients autour de nous poussent des cris de terreur, se recroquevillant sur eux-mêmes. Les gémissements douloureux de la femme résonnent dans mes oreilles, puis m'emplissent d'une profonde compassion.
Mes doigts se crispent spontanément sur le rebord de la table tandis que je reste figée, observant la scène. Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine, mais je me force à garder mon calme. Une idée germe dans mon esprit. Si Adéla est occupée, c'est peut-être ma chance de m'échapper. Mes pensées se dirigent vers la cabine que j'avais aperçue avant d'entrer, et un plan se forme dans ma tête. Sans perdre un instant, je me lève. je profite de la scène pour me glisser discrètement vers la sortie.
Je cours aussi vite que possible, mes poumons brûlent, mes pieds peinent à supporter cette course effrénée, mon cœur bat à tout rompre, mais je dois m'éloigner. À bout de souffle, je m'arrête devant le téléphone. Les mains sur les genoux, je tente de reprendre ma respiration tant bien que mal.
Quel enfer !
Je compose le numéro retenu, mais il tombe directement sur la messagerie. Un cri de frustration s'échappe de mes lèvres. Je réessaie une deuxième fois, mais c'est toujours la même chose. Incapable d'arrêter mon père, incapable de décrocher. Des incompétents, tous autant qu'ils sont. Je serre les dents et me retourne pour sortir, mais c'est à ce moment que nos regards se croisent.
— J'étais certain que Adéla ferait de la merde.
— Qui es-tu, bordel ? m'écrié-je, mais je n'ai pas le temps d'en savoir plus qu'il me pique avec une seringue. Mes yeux se ferment d'emblée. C'est le trou noir.
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