🫀Amour, Alcool et Compagnie

Alors que le crépuscule s'annonce et que le ciel revêt une teinte orangée, les rafales sortent de leur sommeil pour caresser ma peau avec une ténacité renouvelée. Secouant légèrement la tête, toujours en tenant une bouteille, je chemine sur les carreaux de la piscine, un pied levé. De toute évidence, je constate que je sais encore distinguer la réalité de l'imaginaire. Je souris bêtement et poursuis ma déambulation en repensant à ma conversation avec Irina. Bien que je l'aie placée dans une situation délicate, je me réjouis de lui avoir confié une part significative de ma vie, celle qui m'a précipitée dans les flammes de l'enfer.

À présent, il va falloir que je redouble d'efforts pour m'assurer que Lucian ne mette jamais la main sur ce maudit dossier. J'ai envisagé plusieurs options... fuir loin de tout, mais j'ai décidé d'écarter cette idée, puisque je sais qu'il me retrouverait. Le pire scénario concerne mon père, mais connaissant son tempérament, il n'hésiterait pas à lui loger une balle dans la tête. Toutefois, comme l'a souligné Irina, lui révéler mes sentiments pourrait le dissuader. Mais suis-je capable de me détruire intérieurement, de briser mon cœur ?

De nombreux doutes m'assaillent et je peine à y voir clair. Je soupire profondément. Toutefois, alors que mon corps s'apprête à défaillir, une main m'intercepte in extremis. Cette armoire à glace me prend la bouteille, la dépose sur la table et me fait signe de m'asseoir à ses côtés. Je déglutis tant bien que mal, affiche un sourire sans conviction. Je dois avouer que la peur commence à s'insinuer en moi. Je ne suis pas préparée à me battre, encore moins dans cette condition.

— Toi, il semble que tu souhaites mourir, ricane-t-il.

Alors que le blond fait glisser ses doigts dans ses cheveux, son regard gris me détaille de la tête aux pieds, manifestement en attente d'une réponse de ma part.

— Pourquoi avances-tu ça ? m'inquiété-je.

— Vu ton état, je ne suis pas certain qu'Alek apprécie, surtout que nous devons aller dîner avec eux.

Les yeux largement ouverts, ma bouche entrebâillée a du mal à laisser échapper les mots qui demeurent prisonniers dans ma gorge. Je n'avais pas anticipé cette situation, trop absorbée par la lutte intérieure que je mène. À l'heure actuelle, déjà tendue, si je devais ridiculiser Lucian, je n'aurais plus qu'à creuser ma propre tombe et m'y installer directement. Je soupire et passe à plusieurs reprises mes mains sur mon visage.

— Si demain, je venais à disparaître, n'hésite pas à m'enterrer avec quelques bouteilles. Je ne voudrais pas que mon cadavre meure de soif, plaisanté-je.

— Vu tout ce que tu as ingéré, je ne m'inquiète pas pour toi, se moque-t-il. Mais tu ne devrais pas abuser de l'alcool.

— Je te jure que d'ordinaire, je ne bois pas. C'est simplement que je me suis laissée emporter, mais cela ne se reproduira plus.

— Ah, ça, c'est certain.

Il éclate d'un rire franc, puis se lève et me tend sa main.

— Allons-y, me propose-t-il. Tu pourrais dire que tu avais des choses à effectuer, ça passera mieux.

— Et qui es-tu, en réalité ? demandé-je, curieuse.

— Leonard, le cousin d'Aleksander, et toi, tu dois être l'emmerdeuse de Lucian.

Je hausse les sourcils et lâche un soupir de mépris, ce qui le fait immédiatement sourire. Au moins et de toute évidence, il ne paraît pas aussi dérangé que l'hôte de cette maison.

Aidée par cet homme, nous traversons les couloirs pour franchir les marches. Je m'arrête quelques secondes pour reprendre ma respiration, sentant un léger étourdissement qui engourdit mes sens. Les contours des escaliers semblent flous, une vision double accentuée par l'état alcoolique qui commence à me gagner. Chaque pas est comme un défi, un exercice d'équilibre dans lequel je m'engage avec doute.

À côté, j'entends son rire, une cacophonie un peu distordue. Il doit être certainement habitué à ce genre de situations, contrairement à moi. Dans ma tête, je me répète que tout va bien se dérouler, que tout ira bien, bien que la légère confusion colore mes pensées. Après tout, qu'est-ce qui pourrait m'arriver ?

Tandis que Leonard pénètre en premier, je passe une main dans mes cheveux pour apaiser la tempête qui gronde en moi et m'avance vers les autres, déjà attablés. Les yeux grand ouverts, je tente de m'orienter au mieux, mais plus les secondes s'écoulent, plus cela devient ardu. Ma tête vacille, l'envie de dormir m'appelle. Je souffle profondément et me dirige vers Irina. Cependant, ne faisant pas spécialement attention, je percute Lucian. Je réprime un rire et m'arrête devant lui :

— Désolée la chaise, je n'ai pas fait exprès.

Alors que j'entends son soupir, je m'installe à ma place et tâche de dissimuler l'effet de l'alcool ingurgité. Mais au vu des regards qui se posent sur moi, même si je feins, cela se remarque à l'œil nu.

— Excusez-moi pour mon retard, mais j'avais quelques petites choses à effectuer avant, souris-je.

Je me tourne vers Leonard, qui m'adresse un clin d'œil complice, puis fixe mes yeux sur Lucian. Son visage s'empourpre, sa mâchoire se crispe soudainement. Mes lèvres s'étirent joyeusement. Cela lui servira de leçon pour ne pas jouer les abrutis avec l'hôtesse de l'air. Peut-être pourra-t-il à présent réfléchir sur ses agissements qui laissent à désirer.

Tandis que chacun entame son repas et s'engage dans des conversations discrètes, le parfum délicieux de la viande grillée se fond avec la fumée encore tiède. Je m'humecte les lèvres et commence ma dégustation, cela ne peut que me faire du bien.

— As-tu déjà eu l'occasion de visiter la France ? murmure Irina.

— Oui, répliqué-je. Lorsque j'avais une dizaine d'années, avec ma mère, nous avons séjourné là-bas pendant quelques mois, chez mes grands-parents.

Je m'efforce de contenir la larme qui menace de perler sur ma joue, cette douleur demeurant constante. Je ne les ai connus que très brièvement, car à cette époque, Karine s'était de plein gré éloignée de sa famille en raison de Tobias. Mais alors qu'elle était sur le point de mettre fin à ses jours, elle a décidé que nous devions émigrer chez eux, dans le but de permettre à son être de se reconstruire, de retrouver la force qui avait toujours caractérisé sa personnalité. Au début, la cohabitation s'avérait laborieuse, mais à mesure que le temps s'écoulait, je m'ouvrais à leur découverte et ressentais de l'affection à leur égard. Pourtant, du jour au lendemain, ma mère a abruptement rompu tout lien avec eux et nous avons pris la direction du Nevada. Depuis lors, je n'ai plus jamais eu de leurs nouvelles, ignorant même s'ils sont toujours en vie.

— Ah oui, dans quelle région ? répond-elle.

— En Bretagne, un endroit perdu, mais renommé pour ses délicieuses crêpes, souris-je.

— En effet, d'autant plus que c'est leur spécialité, rit-elle. Je n'ai jamais eu l'opportunité de m'y rendre, mais j'aimerais pouvoir le faire à l'occasion.

Distraitement, je porte mon regard vers Lucian pour vérifier s'il écoute, mais mon cœur est soulagé puisqu'il est en pleine discussion avec Leonard et Otto.

— Si je ne suis pas décédée avant, je pourrais te la faire découvrir, plaisanté-je. Et toi, à part Bordeaux, as-tu vagabondé ailleurs ?

— J'ai passé quelques jours sur la Côte d'Azur et à Paris également. À part cela, j'ai voyagé dans certains pays avec Alek.

Le repas se déroule dans une ambiance agréable. Avec Irina, nous échangeons sur divers sujets. Nous apprenons à nous connaître, et je dois avouer que cela me fait plaisir de discuter avec une personne partageant les mêmes centres d'intérêt que moi. Cependant, notre dialogue est interrompu lorsqu'Arleta, la servante, s'entretient avec Alek.

— Wziąć urlop na nasz koszt. zasługujesz na nie, affirme l'hôte.

Les yeux plissés pour tenter de les distinguer correctement, ma tête commence à tourner, et il m'est difficile de comprendre l'intégralité de leur conversation.

— C'est quoi comme langue ? questionné-je.

— Du polonais, ça semble logique ne penses-tu pas ?

— Bah si je te le demande, à ton avis ?

Aussitôt, son visage change de teinte, adoptant une couleur bien plus pâle que d'habitude. J'essaie de continuer de sourire, car à part plusieurs étoiles qui survolent ma vision, c'est tout ce que je parviens à percevoir.

— Dans notre pays, nous parlons notre langue natale, voire l'anglais parfois, clarifie Alek. Mais tu sembles déjà savoir que cela n'en est pas. Si jamais la traduction t'intéresse, Tessa, j'octroie des vacances à Arleta à nos frais. Elle le mérite pour son travail fourni.

— Oui, ce n'est pas le cas de mon père, ris-je. Pourtant il aurait pu m'offrir le monde entier s'il l'avait voulu.

Juste à côté, je discerne qu'Irina s'étouffe presque avec l'eau qu'elle boit. Je hausse les épaules, car je ne saisis pas sa réaction. Je poursuis mon repas, mais rapidement, je sens le regard de Lucian se poser sur moi. Il m'examine avec ses yeux sombres, d'une intensité telle qu'il me fait presque peur.

— Je vais aller lui donner une bonne douche froide. Il faut qu'elle décuve un petit peu, sinon elle va nous inventer une vie complètement loufoque, déclare-t-elle.

Alors que je soupire, déçue de ne pas avoir pu savourer en entier cette exquise bouchée de viande, Irina saisit mon bras pour m'aider à me lever et me conduire dans la chambre. Ma tête vacille et mes jambes semblent peiner à soutenir mon poids. Une fois dans la pièce, elle m'installe avec précaution dans la baignoire, et rapidement, fait couler de l'eau froide sur mon visage. Je grimace, submergée par une sensation d'inconfort et de malaise. Mon corps reflète clairement que je ne me sens pas bien, mais je préfère sceller mes lèvres dans un profond silence.

— Il est grand temps de décuver, Tessa, sourit-elle.

— La prochaine fois, je pense m'orienter vers du soft, ricané-je.

Alors que je m'efforce de reprendre mes esprits, Irina se rend vers le lavabo. La lumière tamisée de la chambre accentue les traits de son visage, marqué par une expression soucieuse. Remplissant un verre, elle laisse l'écoulement briser le silence pesant. Je le bois d'un trait pendant qu'elle m'extirpe de la baignoire. Elle retire la couche de linges qui me recouvre, puis me sèche à l'aide d'une serviette. Je ravale avec peine ma salive, n'étant pas particulièrement encline à dévoiler les blessures de mon corps, même si elles sont habilement dissimulées par mes nombreux tatouages. Irina dépose ensuite mes sous-vêtements et une robe de chambre sur le rebord de l'évier, avant de quitter la pièce pour me laisser l'intimité nécessaire pour m'habiller.

— Heureusement que j'étais là, sinon tu aurais déballé toute ta vie sur un plateau d'argent, rétorque-t-elle.

Tandis qu'elle se tient devant la fenêtre, j'entreprends de la rejoindre, ignorant la présence d'eau au sol. Mon pied dérape, provoquant ma chute, mes bras s'agitent et mes fesses se retrouvent partiellement dénudées. J'entends le ricanement étouffé d'Irina avant qu'elle ne vienne à mon secours.

— Je n'ai rien énoncé d'extraordinaire, soupiré-je.

— Il ne faut pas oublier que ton père était censé être un agriculteur accablé de dettes, je te le rappelle.

— Eh bien, je peux dire qu'il a gagné au loto.

Un rire m'échappe et se transforme en éclats. Pendant qu'Irina me dépose sur le lit, je fixe mes yeux dans les siens.

— Ne boude pas, Irina. Sache que je ne te trahirai jamais de toute ma vie, déclaré-je, complètement éméchée par l'alcool.

Malgré son désir de maintenir une attitude rationnelle, je perçois clairement le petit sourire qui se dessine à la commissure de ses lèvres.

— Non, sérieusement, je te le garantis sur mon honneur, tu peux avoir confiance en moi. Et rappelle-toi que j'ai même torturé un homme pour toi, donc nous sommes liés, en fait, tu n'as pas le choix, ris-je.

— D'accord, je veux bien te croire, mais ce secret, nous l'emporterons dans la tombe, exige-t-elle.

— Ainsi soit-il, je te le jure sur celle qui fut la plus chère à mes yeux, ma mère.

Irina passe une main dans sa chevelure, puis s'avance légèrement. Elle me tend son doigt. Surprise, je la fixe un moment avant de percevoir ses pensées. À mon tour, je lui offre le mien pour ainsi sceller notre engagement. Aucun ne devra jamais en être informé. Elle m'a accordé sa protection, et en retour, je veillerai sur elle comme une amie. J'ai peut-être trahi certaines personnes, mais j'aspire à emprunter le chemin de la rédemption, ne serait-ce qu'une fois dans ma vie.

— Penses-tu que ton compagnon me tuera pour cela ? Car j'aimerais partager un moment avec Lucian avant de recevoir une balle dans la tête.

La belle brune éclate de rire, puis exprime d'une voix douce :

— Je te trouve très drôle quand tu es bourrée, ça te va bien.

Un soupir m'échappe, suivi d'un geste du majeur, avant que je m'étale sur le lit. Le besoin de dormir s'empare de moi, de calmer mon esprit qui semble dans un état second. Je mise sur un lendemain meilleur, où je nourris l'espoir que la journée à venir apportera une nette amélioration à mon cœur fragilisé. 

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