🫀 Adieu
26 mai 2022
Sous une pluie torrentielle, les cieux sombres sont obscurcis par d'épais nuages qui s'amoncellent dans l'atmosphère. Une puissante brise déchire mon visage, mes poils se hérissent sous l'emprise de ce froid sinistre. Les feuilles des arbres tombent et s'écrasent sur mon manteau, tout comme mon cœur se fragmente en petits morceaux.
J'écoute attentivement le prêtre prononcer l'éloge funèbre sur la femme que fut ma mère dans sa jeunesse. Je réprime mes larmes tout en reniflant, mais la simple pensée qu'elle repose à jamais à l'intérieur de ce cercueil me plonge dans un calvaire oppressant.
La respiration semble me faire défaut et malgré mes efforts pour contenir mon anxiété, je lutte pour retrouver mon calme. En ce jour, je me trouve totalement seule, compagnon solitaire de ma propre ombre. Je frotte mes yeux et tente de reprendre une profonde inspiration.
Après un court laps de temps, le prêtre referme son livre et patiente, attendant que chacun jette une fleur. Je me dirige en avant, précédant les autres, sous les regards empreints de tristesse. Mon cœur se serre et manque un battement. Jamais je n'aurais imaginé qu'elle partirait si soudainement, me laissant dans un monde où je risque de m'engloutir dans l'obscurité. Le regret m'étreint, la souffrance m'envahit et personne ne pourra combler ce vide béant. Un soupir de frustration m'échappe alors que je m'arrête devant le cercueil. Même si les larmes se mêlent à la pluie, chacun peut percevoir ma douleur déferlée telle une cascade. Distraitement, je secoue la tête et dépose ma rose.
Ta présence me manque profondément depuis ton départ. Ton sourire, ton rire, tout s'est évaporé, me laissant immergée dans un océan de chagrin. Je doute de ma capacité à survivre sans toi et je me demande si la vie mérite d'être vécue en ton absence. Tu n'as peut-être pas été une mère parfaite, mais ta tendresse du début à la fin imprègne mon âme d'une mélancolie pour toujours. J'aurais souhaité avoir le temps de te présenter mes excuses pour mes maladresses passées, mes sautes d'humeur, mais tu es partie bien trop tôt. J'espère que tu me pardonneras de là-haut et que les portes du paradis s'ouvriront pour toi. Je t'aime, maman et cet amour perdurera. Je suis désolée pour tout.
Les larmes coulent à flots et mes mains se posent sur mon visage. C'est bel et bien la fin, tout s'est dissipé en un instant. Nous nous rassemblons en cercle pour observer le cercueil s'enfoncer à jamais dans la terre, hors de notre vue. Une partie de moi aurait espéré que la réalité suive le scénario des films, où ma mère pourrait comme par enchantement revenir à la vie, où je pourrais la serrer à nouveau dans mes bras. Mais la cruauté de l'existence me rattrape brutalement, menaçant de me faire chuter au sol. Je m'effondre sur une chaise, mes yeux se perdent au loin. Ma vision se brouille sous l'effet de mon chagrin. Chaque seconde qui s'écoule sans elle est une épreuve.
Je me redresse et décide de partir marcher pour changer d'air. Rester ici représente un risque de sombrer dans des abîmes de douleur. Les mains enfoncées dans les poches, je contemple mes bottes, comme si la vie n'offrait plus aucun espoir. Toutefois, une voix rauque brise mon isolement. Je relève la tête et remarque deux hommes. Tous deux sont vêtus de costumes noirs, aussi sombres que la nuit qui s'annonce. Ils s'approchent de moi. Un frisson parcourt mon être. Je suis convaincue qu'ils ne sont pas les amis de ma mère.
L'un d'entre eux passe une main dans sa crinière ébène en bataille, esquissant lentement un sourire sur ses lèvres gercées. L'autre, plus imposant et massif, me détaille de la tête aux pieds. Ses cheveux blonds lui masquent légèrement la vue, mais je peux discerner dans ses yeux d'un bleu profond une lueur inquiétante.
— Tatjana Schnitzler ?
Je me braque immédiatement. Entendre mon prénom, après toutes ces années, me plonge dans un état de paralysie. Je mords ma lèvre inférieure pour tenter de réprimer les souvenirs qui s'efforcent de remonter à la surface malgré moi.
— Cette personne n'existe plus depuis longtemps, soufflé-je. Qui êtes-vous ?
— Tessa, Tatjana, peu importe, on s'en fout. Nous sommes les agents Ripper et Sharpe, et nous voulons vous poser quelques questions au poste.
Un petit rire nerveux s'échappe spontanément de ma bouche. Je fais quelques pas en arrière. Pourquoi souhaitent-ils me voir ? Qu'ai-je pu faire ? Ces interrogations virevoltent dans ma tête et me provoquent une montée d'anxiété. Soudain, le blond sort une carte d'identité. Mes yeux s'écarquillent. Ils sont affiliés au FBI.
— Est-ce vraiment le moment approprié ? N'apercevez-vous pas que je suis en train d'enterrer ma mère récemment décédée ? m'écrié-je.
— Souhaitez-vous que nous vous menottions, ou préférez-vous nous suivre de votre propre chef ?
Je pressens que cela ne présage rien de positif, mais je suis résolue à ne pas causer d'incident lors des funérailles. J'acquiesce d'un signe de tête et les suis. Les regards des invités semblent peser sur moi, mais je dois garder ma force, en son honneur.
***
Assise, les pieds posés sur le bureau, j'attends depuis au moins deux longues heures, en solitaire. La raison de ma présence ici m'échappe totalement. Ils ont gardé le silence à ce sujet. Mes ongles tapotent nerveusement sur le meuble qui porte les cicatrices du temps avec des marques de griffures et même quelques taches de sang séché. Le son strident de l'horloge en face de moi me procure de frissons. Les murs d'un blanc immaculé me rappellent ceux de l'hôpital où ma mère gisait en coma, n'ayant jamais retrouvé la conscience, malgré mes espoirs.
La fatigue commence à m'envahir, mes paupières luttent pour rester éveillées, mais le sommeil me guette. D'un seul coup, la porte d'entrée s'ouvre brusquement puis se referme aussitôt. Les deux hommes que j'avais rencontrés auparavant font leur apparition. Ripper, le brun, me propose un café ou une petite collation, mais je décline d'un simple signe de tête. Je suis parfaitement consciente de leur objectif.
— Vos chaussures. Ce n'est pas un salon de thé, s'exclame Sharpe, visiblement agacé.
— Ah mince, j'en étais persuadée, répliqué-je, nerveusement.
— Préférez-vous vous divertir dans une cellule où les rayons du soleil vous seront étrangers ?
Je me racle la gorge et le fixe avec un regard sévère. J'obtempère en retirant mes pieds et m'installe plus confortablement. Les deux inspecteurs se penchent sur un dossier volumineux. Je distingue seulement plusieurs feuilles et de nombreuses photographies.
— Alors, commence l'agent Ripper, êtes-vous bien Tatjana Schnitzler, née à Düsseldorf, âgée de vingt-deux ans, fille de Karine Miller et Tobias Schnitzler ?
— Tessa Back, rétorqué-je en roulant des yeux. Comptez-vous narrer toute ma vie, ou pourriez-vous aller directement au sujet qui vous préoccupe ? Il me semble que j'ai une connaissance suffisante de mon identité.
Soudain, Sharpe frappe sans ménagement la table en métal de ses deux poings et me provoque un sursaut. Ses sourcils se froncent, créant une ligne de tension sur son front. Son agacement devient de plus en plus palpable et il me le fait clairement ressentir.
— Si vous vous trouvez ici, c'est que nous disposons d'assez d'éléments pour vous accuser de complicité de meurtre, reprend Ripper.
— Pardon ? rétorqué-je, surprise. Je crois que vous faites erreur.
Un rire éclate de ma part. C'est impossible, ça doit être une mauvaise plaisanterie. Je n'ai jamais été impliquée dans une telle affaire. Je suis convaincue qu'il s'agit d'un piège. Ça ne peut en aucun cas être lié à un crime que je n'ai jamais commis. Mon irritation grandit. Je serre les dents et me mords légèrement la lèvre inférieure.
— Il y a cinq jours, nous avons découvert le corps d'une jeune femme, annonce Sharpe. Elle portait de nombreuses marques de plaies et d'hématomes, suggérant qu'elle avait été torturée pendant une période prolongée, mais également violée.
— En quoi cela me concerne-t-il ? Pensez-vous réellement que je puisse commettre de tels actes ?
— Les analyses ont révélé la présence de chloroforme. De plus, nous avons constaté que ses reins avaient été prélevés, puis son torse refermé par des points de suture. Le plus troublant est la marque entaillée sur sa poitrine : Un cœur transpercé par une lame.
Je me recule brusquement sur ma chaise, mon cœur s'emballe. Mes mains tremblent et peinent à se calmer. Mon souffle devient difficile, mes lèvres demeurent scellées, incapables de former une réponse. Les mots restent prisonniers dans ma gorge. Une avalanche de souvenirs déferle rapidement dans mon esprit.
— Nous pouvons vous condamner à trente ans derrière les barreaux. Là, vous pourrez poser vos chaussures dégoûtantes, où bon vous semble et respirer l'air nauséabond d'une cellule qui suinte la misère, à moins que vous ne décidiez de nous aider. Le choix vous appartient, affirme Sharpe.
Je crispe mes poings jusqu'à sentir mes ongles s'enfoncer dans ma peau. La colère s'infiltre petit à petit en moi. Je ferme les yeux pendant quelques instants et inspire profondément. Je comprends tout à fait de quoi ils parlent, je perçois leur intention, mais je refuse de leur prêter main-forte. Je résiste à l'idée de me plonger dans ce monde où mon âme risquerait de se perdre définitivement. Mon cœur est sur le point de céder sous cette pression accablante.
— Pensez-vous sincèrement que je vais le contacter pour vous faire plaisir ? m'écrié-je, exaspérée.
— Pas du tout, réplique Sharpe avec un sourire ironique. Vous vous méprenez complètement.
— Vous devez infiltrer les Herzdiebe. Nous souhaitons recueillir un maximum d'informations pour le faire tomber et démanteler cette organisation.
Les yeux écarquillés, je le toise, incapable de prononcer un mot tant le choc m'enveloppe. Rapidement, dans un élan, je me redresse pour fuir. Le contrôle de mes pensées m'échappe totalement, l'émotion déborde. Alors que je me dirige vers la sortie, Sharpe se rapproche de moi et me plaque contre le mur. Son haleine chargée de tabac m'envahit. Je tente de détourner le regard, mais il saisit le creux de mes joues.
— Croyez-vous sincèrement pouvoir quitter cet endroit sans être remarquée ? s'indigna-t-il.
Je ressens ses doigts immondes effleurer mon visage. Je lutte pour contenir les larmes qui menacent de couler, mais la tâche s'avère ardue.
— Ces individus opèrent depuis de nombreuses années sans être inquiétés, intervint Ripper. Leurs activités criminelles ne cessent de prospérer et les cadavres s'accumulent. Chaque semaine, nous sommes contraints d'annoncer à des familles que leurs fils, fille, épouse ou mari ont été tués et pourtant, nous n'avons toujours pas réussi à mettre la main sur eux. Vous êtes la seule personne qui puisse agir.
Ma mère m'avait épargné cette vie, cette existence de supplice. Mais aujourd'hui, me voici plongée de nouveau dans les ténèbres. Je refuse d'y croire, je ne peux simplement pas accepter. Je veux que les spectres de mon passé restent cachés, tels qu'ils l'avaient été pendant ces longues années. Mon monde se brise. Je peux percevoir les flammes de l'enfer se rapprocher pour m'envelopper de leur chaleur infernale.
— Si vous réussissez, nous effacerons toutes les preuves vous concernant. Si vous échouez, nos visites mensuelles à la prison d'État d'Ely deviendront votre réalité, confirme Ripper.
— Mais ce sont de fausses accusations, putain ! m'égosillé-je.
— Pensez-vous sincèrement que quelqu'un vous croira ? C'est notre parole contre la vôtre, Tessa.
— Vous êtes...
Je me retiens. Je réprime l'envie de les anéantir sur-le-champ. Un besoin de hurler la douleur qui envahit chaque fibre de mon corps me submerge. Je suis au bord du gouffre, perdue dans les méandres de ma propre destinée. Je souhaite simplement effacer ce passé qui m'a torturée, mais ces individus m'ont bloquée. Je désire que ma mère soit là, pour me guider, pour m'orienter, mais son âme a disparu, me laissant seule face à mes démons.
— L'opportunité ne sera valable que quelques minutes, alors hâtez-vous de prendre une décision, lance l'agent Sharpe d'un sourire sarcastique.
— Allez vous faire foutre, soupiré-je.
— Nous étions convaincus que vous accepteriez. Willkommen in der Hölle¹, conclut-il.
¹ : Bienvenue en enfer.
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