Chapitre 25 : Un meurtre prémédité


Dans la noirceur de son cauchemar et la moiteur du lit, Yuga gémit impuissant face à ces images qui l'assaillent de toute part. Chaque fois qu'il ressent du remord en regardant Takafumi dormir, la nuit qui suit devient un moment de douleur et de peine. Cette nuit encore, bercé par les bras protecteurs de son amant, il ne parvient pas à sortir de ce moment où il revit, impuissant, cette scène d'une rare violence. Amour, jalousie, peur, remord, il ne sait plus quel sentiment l'habite à chaque fois qu'il revit cette scène. Scène dont il est à la fois témoin, mais aussi acteur. Il se revoit, encore, et encore, planter ce couteau dans la chaire, sentir le sang chaud sur ses doigts, ses joues, ses pieds. Cette fureur qui l'habite, le guide dans ses mouvements, fut d'une telle violence qu'aujourd'hui encore il sent ce liquide pourpre s'échouer sur sa peau. En boucle inlassablement, les cris de terreur, les gémissements de douleur, et le dernier soupire de vie. 

Yuga n'est pas dans cette prison pour un délit mineur, et sa peine ne se verra jamais alléger. Comment peut-on alléger une peine capitale dont le coupable est accusé de meurtre avec préméditation et de tentative de meurtre ? Il passera sa vie entre ses murs, il ne verra jamais le monde évoluer, il ne pourra pas faire lire ses mémoires et devenir auteur à succès. Yuga a condamné son corps et son cœur par amour pour un homme. Il a prit la peine capitale, prenant toute la responsabilisé de son acte par amour. Et cet homme n'est autre que l'amant avec qui il dort depuis toutes ces années. 

Oh oui, l'humain peut être égoïste et foncièrement mauvais, mais il ne faut jamais sous-estimer un couple d'amant pris sur le fait. La mort de Madame Hishimoto a plus rapporté au défunt mari que le divorce ainsi que ce qui allait lui tomber sur le dos si la police venait à apprendre ce qu'il avait fait.  

Pour comprendre leur histoire, si tenté que cela puisse vous intéresser, il faut remonter quelques années en arrière, alors que les parents du jeune Yuga, ce dernier alors âgé de dix-sept ans à l'époque, avaient décidés de retourner au Japon après tant d'année passées dans la capitale de l'amour. À cette époque, très peu étaient au courant de l'homosexualité de Yuga. Ses parents avaient un certain doute, après tout des signes très voyants les laissaient quelques fois perplexes. Sa féminité, son extravagance et sa façon si atypique de parler, leur avaient mis la puce à l'oreille. Néanmoins, ils ne voulaient pas tomber dans les préjuger, avant de juger eux même. 

En tout cas, ce petit changement eut un effet désagréable pour le jeune français. Même si il était franco-japonais grâce à sa mère, il connaissait la culture et les mœurs du pays, et savait déjà à quelle sauce il serait mangé à l'école. Il ne pouvait affronter ses parents, et il ne fit que hocher la tête, vaincu. Ce déménagement eut néanmoins du bon, car à l'époque c'était difficile de se faire des amis sincères quand on est étrangers. Mais les parents du jeune blond, aux sourires éclatants de bienveillance, savaient se faire apprécier des voisins. C'est ainsi que la mère de Yuga et Yuki Hishimoto devinrent d'excellentes amies, obligeant presque leur mari à faire de même. C'était leur voisin les plus proches, et habitant un quartier résidentiel fortement inspiré du système américain, les rencontres se faisaient facilement. 

Heureusement pour lui, ils n'avaient pas d'enfant malgré leur âge, donc Yuga n'avait pas à se forcer d'être aimable, du moins en apparence. Il n'a jamais su comment l'expliquer, mais la première fois que ses yeux se sont posés sur Takafumi, cet homme mûr habillé d'un costume d'une classe folle, il a eu un coup de foudre à la française. Les papillons, les bouffées de chaleur, il est passé par toutes ces désagréables sensations. Il s'est tout de suite rassuré, se disant que ce n'était que ses hormones de gamins de dix-sept ans, rien de plus. 

Les mois se sont écoulés, il a alors terminé sa première année, et avait encore du mal avec le système japonais, notamment pour les vacances. Il venait à peine d'arriver qu'il se retrouvait en vacances sans savoir quoi faire puisqu'il n'avait toujours pas d'amis. De plus, pour pouvoir payer la maison, ses parents travaillaient d'arrache pied, alors ce n'était pas de tout repos d'être seul dans une ville inconnu, sans personne avec qui échanger. Bien sûr, il aurait dû le voir venir avec ses chaussures vernies, son attaché-case et ses cheveux bien coiffés. Takafumi avait traversé la route avec une prestance telle que Yuga s'était stoppé dans ses mouvements. 

Ce jour là, il l'a raccompagné chez lui et bizarrement, il se sentait bien à ses côtés. Ils parlaient de tout, de rien, de son travail à la prison, de ses études barbantes, de son mariage. Yuga avait toujours été plus mature que ceux de son âge, et avec Takafumi il s'était rendu compte qu'il appréciait discuter avec des hommes comme lui, la tête sur les épaules. Et puis, il fallait se le dire, il était vraiment très beau à regarder. Yuga le dévorait des yeux, dès qu'il en avait l'occasion. Il dinait souvent chez lui, avec ses parents et sa femme, mais dans ces moments là, il restait discret. 

Du moins, c'est ce qu'il pensait. Très vite, le directeur s'est rendu compte de Yuga et de ses sentiments. Qu'il aurait dû se sentir honteux de tomber en amour pour un si jeune garçon. Dix-sept ans, et toute la vie devant lui. Il serait brûlé en enfer et pendu haut et court si jamais la justice venait à le savoir. C'est à peine six mois après son emménagement que Takafumi vint à poser ses mains sur Yuga. Leur amour les avait submergé et ils avaient franchis la barre de non-retour. Rendez-vous à la maison ou en extérieur, baiser caché, coucherie tardive, Takafumi revivait sa jeunesse, et Yuga vivait pour la première fois le véritable amour. 

Ils savaient pourtant que leur idylle, aussi belle soit-elle, ne pouvait pas durer. Takafumi avait rompu les sages paroles, trompant sa femme avec le fils des voisins. Il se répétait sans cesse ces mots dans sa tête ou même à voix haute, et pourtant, rien n'y faisait. Takafumi aimait Yuga, bien plus qu'il aimait désormais sa femme. Cela faisait des années que Yuki et lui étaient littéralement devenu un vieux couple. Bien évidemment, c'est ce qui attend tout couple de marié avec les années, mais Takafumi commençait à avoir une lassitude par rapport à son quotidien monotone et sa femme de plus en plus aigrie. Il fallait se le dire, elle avait beau être belle pour son âge, elle n'était plus la jeune adolescente qu'il avait épousé. Peut-être que elle aussi pensait la même chose à son égard. C'est pourquoi le directeur prit un jour les devants. 

Il avait alors tout préparé pour faire digérer la pilule au mieux. Il allait demander le divorce ce soir même en rentrant du travail. Il n'avait pas besoin d'un long discours, ni même d'un beau discours. Il lui fallait simplement le courage nécessaire ainsi que les mots justes. Mais voilà, il ne faut jamais sous-estimer une femme et son intuition. Elle avait très bien compris ce qu'il se passait sous son nez, et dans son dos. Ce jeune garçon qu'elle avait accueilli à bras-ouverts chez elle, ce satané petit voleur de mari, avait osé lui voler son homme au nez et à la barbe de tous. Yuki avait un plan en tête, et pour une femme d'affaire, elle avait des idées bien sanglantes. Hors de question que ce soit un homme qui lui vole son Takafumi, encore plus si il était aussi jeune. 

Alors ce soir là, quand elle entendit son mari prononcer ces mots, son sang ne fit qu'un tour. Prêt à tout pour le garder auprès d'elle, elle ne se fit pas prier pour le menacer. Qu'il ose venir à la maison avec les papiers du divorce, et le voisinage tout entier connaitrait son petit secret. Que Hishimoto Takafumi a un penchant prononcé pour les jeunes garçons. Évidemment, il ne l'avait pas vu venir celle-là, il avait sans doute fait des erreurs de parcours pour qu'elle soit au courant, et il s'en voulait. Par son inadvertance, il était pris dans les griffes de la mante. Yuga et lui risquait gros, alors il fallait qu'il mette un terme à cette liaison. 

Yuga en eut le cœur brisé, car il n'avait jamais autant aimé un homme. Si seulement Takafumi n'était pas marié, si seulement elle n'était pas là pour tout gâcher. C'est en partant d'une hypothèse saugrenu, prononcée aux bords des larmes, qu'ils ont trouvés cette idée bien agréable à planifier. Oh oui, Yuga aussi était un homme à l'imagination débordante et son amour brûlant pour Takafumi lui donnait littéralement des ailes. Le directeur avait beau travailler dans une prison, il avait beau avoir étudié plus d'une centaine de dossier, diverses et variés, il n'eut aucun regret dans ses paroles ce soir là. 

L'amour rend fou, et rend aveugle, et c'est sans doute avec ce sentiment dans le cœur qu'ils ont trouvés le courage d'organiser un tel crime. 

Vous l'avez bien compris, ils avaient peurs que Yuki mette à exécution sa menace, détruisant leur avenir à tous les trois. Si seulement leur plan avait fonctionné correctement, ils auraient peut-être dû fuir ce jour là. 

Ce soir-là, elle est rentré comme tous les soirs. La fatigue dans les muscles, le sourire dans le cœur à l'idée de retrouver son mari. Quand elle a pénétré dans le salon, son sac au bout des doigts, elle a immédiatement vu rouge en découvrant Yuga près de Takafumi, les deux semblant l'attendre de pied ferme. Une nouvelle fois prise d'une rage folle, elle a laissé son corps agir pour elle, se ruant sur l'adolescent, prête à le blesser si nécessaire. Elle n'ai pourtant pas allé bien loin, car à peine elle fut en face de lui, qu'elle senti le métal chaud transpercé son ventre. Elle baissa les yeux, regardant ce couteau de cuisine qui lui appartient. Déposant ses yeux sur l'homme de sa vie, elle n'obtient qu'un regard vide. Elle sourit tristement, mais semble avoir encore des forces en elle. Elle agrippe la gorge de Yuga, prêt à l'emmener avec elle dans la mort. C'est sans compter sur la détermination du blond qui, le visage déformé par la haine, lui assène plusieurs coups de couteau. 

Cette nuit, tout ne s'est pas passé comme prévu. Ils souhaitaient faire passer cela pour un cambriolage qui aurait mal tourné, puisqu'en effet, ces derniers temps une vague de cambriolage faisait rage à quelques rues d'ici. Mais ils n'ont même pas eu le temps d'organiser la scène de crime que les parents de Yuga sont entrés dans la maison, comme ils avaient l'habitude de le faire depuis ces derniers mois. Yuki, malgré sa fatigue, était passé chez les voisins pour leur proposer un dîner, cette dernière avait en effet dans l'idée d'enterrer la hache de guerre puisque pour elle, l'aventure qu'avait eut son mari n'était qu'une passade, une erreur. En aucun cas les deux amants avaient prévus de se retrouver nez à nez avec les parents de Yuga. 

En un seul regard, Takafumi a compris ce que Yuga comptait faire, et il aurait sans doute dû l'arrêter. Sans réfléchir le blond s'est jeté sur Takafumi, le blessant à l'épaule très brièvement. Le père du jeune homme s'est alors précipité pour l'immobiliser, sa mère appelant les secours. Tout s'est très vite passé et cette nuit fut gravé dans les mémoires. Yuga a endossé la peine, et cette nuit là il perdit sa brillance caractérielle pour une poudre plus obscure. Jamais il n'en a voulu à Takafumi, car c'était leur plan à tous les deux, jamais il n'a dénoncé son amant, et jamais Takafumi n'abandonnera Yuga. Ce n'est sans doute pas l'avenir qu'ils voulaient, mais c'est ainsi que cela s'est passé. 

Pour en revenir au présent, cette histoire a fait le tour du Japon, et beaucoup sont au courant dans la prison et dans le monde, mais aucun ne savent le vrai mot de l'histoire, à l'exception de Shoto qui, allait savoir pourquoi, n'a jamais dénoncé le directeur. Mais ça, c'est une autre histoire. 

- Tu n'arrives pas à dormir, n'est-ce pas ? Se retournant pour faire face aux yeux perçants de Takafumi, Yuga sourit dans la pénombre en caressant sa barbe. 

- On ne peut pas dire que tu y es allé de main morte. Rigolant tous deux, le plus vieux passe ses mains dans le dos du blond pour y caresser ses fesses endoloris. 

- Pardonne-moi. Dit-il d'un ton triste.

- Pourquoi tu t'excuse ? J'ai connu des moments bien pires. Voyant ses yeux se voiler de tristesse, Yuga comprend que ce n'est pas pour ça qu'il s'excuse. 

- C'est notre anniversaire aujourd'hui et... Pardonne-moi. Yuga le laisse enfoncer sa tête dans sa nuque et le sert fort contre lui. 

Aujourd'hui, jour pour jour, cela fait sept ans que Yuga est admis dans le Phoenix et huit ans qu'il est avec Takafumi. Sa vision des choses, notamment du monde, a bien changé et il sait que sa situation n'a rien de normale, mais dans une prison, où est la place pour la logique ? Lui aussi il aimerait s'habiller autrement, emmener son homme au restaurant, aller au cinéma, marcher main dans la main dans un parc avant de l'emmener dans un prestigieux hôtel pour finir la soirée dignement. Mais non, il est dans les bras de son amant, dans une chambre d'appoint avec un lit qui grince et des mites au plafond. Oui il n'aura jamais de famille, d'avenir, de belle vie, mais il a tout ce qu'il a toujours voulu. Au fond de lui, il a perdu énormément, mais il s'est trouvé. Il a un métier qui lui convient, des amis, une famille et de l'amour. Vous ne pouvez pas comprendre à quel point Yuga a les mains sales, le cerveau en vrac mais le cœur en fête. 

Il ne craquera pas tout de suite, et c'est bien l'amour qui le fait tenir debout. 

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L'inspiration m'est revenu notamment parce que j'écris sur Yuga alors c'est facile puisque je l'adore ! Alors, choqué ? Vous avez aimé ? Dites-moi tout ! ^^

D'ailleurs, juste pour vous dire que j'ai fini mes trames et que l'histoire se termine en 33 chapitres plus un épilogue ! J'espère que vous aimerez la fin ;)


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