Lorsqu'il se releva, la douceur du chaton avait disparu, c'était autre chose qui me faisait face.

Je ne le vis pas arriver, il bougea de 2 mètres en un battement de cil, un temps record, un temps anormal. Mais lorsqu'il fut à mes côtés, si prêt que c'était comme si je pouvais plonger mon regard dans le sien, il se figea. Il ne recula, ni n'avança, et même si son visage exprimait le contraire, je sus qu'il voulait que je le regarde, que je l'observe. Pourquoi donc ? Sûrement pour me faire peur, pour me montrer qui était le plus puissant, ... Je ne laissa rien paraître et le détailla d'un air neutre, même s'il m'impressionnait déjà.

Il était très grand, bien plus que la normale, et même si je m'étais relevé sur mon lit en position de défense, il me dépassa encore d'une tête une fois prêt de moi. Son accoutrement semblait aberrant, comme venu d'une autre époque, d'un autre monde : il portait une sorte de smoking à dentelle, blanc cassé, surmonté d'une longue cape noire qui recouvrait la moitié de son corps y compris sa tête. Dans la lumière de ce pâle petit matin de printemps, la peau de ses mains semblait blanche, elle était sûrement très claire en temps normal. Son visage, comme ciselé dans la pierre, ne me transmettait aucune émotion, aucun indice sur sa personnalité. Effrayant ... La seule touche de couleur était ses yeux, d'un bleu électrique, qui me transpercèrent dès que je me décida à le regarder en face. Même ses cheveux, qui dépassaient en mèche de sous sa capuche sombre, étaient blanc, comme s'ils portaient le poids d'un lourd passé et que le temps ne pouvait s'exprimer autrement. 

Il est beau ...

- Tu as fini de me mater ? Sortit-il d'un ton amusé mais menaçant. Je n'ai pas que ça à faire.

... et bien trop dangereux ...

Se faire parler de la sorte par lui, aussi alarmant qu'un monstre sans chaînes, le contraste était étrange mais j'ignora sa remarque. Je mis quelques secondes à assimiler le fait que je parlais à une créature surnaturelle, qui, en plus, n'arrivait pas à m'approcher et ne le pouvait, ou ne le voulait, apparemment pas.

- Qui es-tu ?

La question partit de ma bouche comme de la sienne. Comme il garda le silence, je répondis la première.

- Je suis celle qui t'a invoqué grâce à une incantation. J'avais pour but de faire apparaître un esprit ...

- Je ne suis pas un esprit, me coupa-t-il brusquement. Et tu n'aurais pas pu m'invoquer normalement ... 

Ah bon ?

- Explique moi ce que tu as fait hier soir, dans tout les détails, ordonna-t-il d'un ton impérieux. Il a l'habitude de se faire obéir comme ça lui ?! Non mais il se prend pour qui ! ... Fin de toute façon, j'ai besoin de comprendre.

Je m'exécuta et lui répéta trait pour trait ma soirée.

- Humaine idiote ! Si tu ne respecte pas les conditions et les instructions à la lettre, c'est normal qu'il se passe ce genre de choses ! Cria-t-il en perdant son sang froid, puis continua-t-il en chuchotant si bas que je ne pu qu'interpréter les bribes de mots qui me parvinrent : Comment est-ce possible ? Quel sacrifice a été fait ?

- Tu n'es pas un esprit ?

- Non ! Mais j'ai été compté comme tel dans ton invocation. Tu es mon maître donc ... Je peux pas te manger alors ... Quel dommage.

Je frissonna légèrement mais attendis son explication, têtue, il ne pouvait pas me faire de mal apparemment, ça m'avantageait, il avait l'air cultivé. Il le vit et souffla d'un air exaspéré, comme si je lui avait demandé la lune.

- Un esprit est un être intangible mais rusé et malsain. Selon son âge, il peut même être si puissant qu'il peut pousser son utilisateur au suicide pour se libérer et aspirer sa vie. Enfin ... de toute façon, on ne le raconte pas partout, mais un esprit dévore son hôte petit à petit. La vitesse de ce processus dépend de la volonté et de la détermination du maître ... 

Il dit la dernière phrase plus pour lui-même que pour moi : "Mais un esprit peut être un bonus important à prendre en compte."

- Quel serait l'avantage d'avoir un esprit à ses côtés ? Demandais-je, passionné. Il a une voix de conteur en réalité.

- Un ... un esprit peut avantager son utilisateur, continua-t-il, surpris par mon intérêt. Il peut le faire jouir d'une rapidité exceptionnelle, d'une grande force, ... ce genre de choses. Mais aussi d'un point de vue magique, il peut lui accorder un pouvoir spécial, ou bien projeter lui-même des sorts.

- Co ... 

- Je n'en sais pas plus sur ce côté là, termina-t-il brusquement, m'empêchant de poser plus de questions. Malheureusement pour lui, j'en avais pas fini ...

- Tu as dit que tu n'étais pas un esprit. Alors qu'es-tu ? Et comment t'appelles-tu ? Demandais-je en soupçonnant la réponse tout de même. Il me semble avoir lu des choses à ce sujet, mais ça remonte à trop loin dans ma conscience, sûrement des souvenirs oubliés.

- Lord Aldéric, et je suis un vampire.

- Classe, fut mon seul commentaire. 

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire, dévoilant des crocs aiguisés, mais son regard était noir. Qu'est-ce que j'ai dis ? Je lui fis signe de continuer, mais c'est avec plus de reticance qu'Aldéric me parla des créatures comme lui.

- Au contraire des esprits, nous sommes tangibles et nous n'avons pas de maître, habituellement, dit-il en crachant ce dernier mot. Tu m'a invoqué en tant qu'esprit, je ne sais quelle partie de moi a donc changé, s'il y en a une. Mais un vampire est une créature de l'ombre qui voit ses forces décuplées par la nuit, même si pendant le jour, il est beaucoup plus puissant qu'un humain. Un vampire est plus rapide, plus fort, plus discret, plus souple, plus .... beaucoup de choses qu'un humain. Il tire beaucoup du félin en fait. En contrepartie de ce surplus d'énergie, il a besoin de se nourrir de la force vitale des autres ...

- Le sang ?

- Oui et non, ça dépend. Comme j'ai étais invoqué en tant qu'esprit, je pense que je dois absorber la force vitale de mon maître pour me maintenir en vie. Dans ce cas présent, je suppose que ce sera ton énergie spirituelle, qui découle elle-même de ta détermination et de ta volonté. 

- Je vois ... Je vais mourir ?

- Je vais faire attention que non, je n'ai aucunement envie que mon maître meurt, notre lien ne me le permet pas. Je pense quand même que, pour invoquer une créature tangible, tu a pas mal d'énergie spirituelle en réserve.

- Mmmmm continue.

- Et ?

- S'il te plait, mon incroyable vampire adoré ?

- Les plus simples des vampires n'ont aucun pouvoir magique et sont plus proche d'un humain fort physiquement qu'autre chose, affirma-t-il en se dirigeant vers la table basse où se trouvait le parchemin, comme s'il parlait d'expérience. Plus le vampire devient ancien et puissant, plus ses capacités sont développées. C'est tout ce que je te dirais sur le sujet, même si j'en ai déjà dit beaucoup. Il ne veux pas dire beaucoup de choses sur lui-même ? Il a peur de dévoiler ses faiblesses ?

Je lui répéta la même question qui me passait par la tête et il ne répondit pas, se concentrant sur l'incantation qui devait, de base, invoquer un esprit et non un vampire. Je suppose que oui ...

- Et toi tu te situes où sur cette échelle de puissance "vampirique" ? 

- Je ne répondrais pas à cette question non plus, dit-il d'un ton aussi froid que la glace et aussi tranchant qu'une lame de couteau. Au moins, il me confirmait qu'il m'avait entendu tout à l'heure.

Autant passer à autre chose ... Ah c'est vrai, je me demandais ...

- Quel est ce lien entre maître et ...

- serviteur ? Demanda Aldéric en me tournant de temps en temps le dos, observant d'un œil attentif les alentours, y compris mon propre comportement.

- Oui.

- Ce lien est exclusivement réservé aux démons, esprits, ... tout ce qui peut s'apparenter à un pacte entre une créature de base immatérielle qui n'est pas de votre monde et un humain. Il est indestructible tant que l'un des deux ne meurt pas. Je préfère ne pas parler des conséquences ...

- Pourquoi ? Demandais-je, lui coupant une nouvelle fois la parole. Oups, il va se mettre en colère ?

Il se retourna et voulu m'attraper par le cou violemment mais son geste s'arrêta à quelque centimètre de ma gorge. Ah, apparemment, oui ... Aldéric ne respira, ni ne cligna des yeux pendant les secondes qui suivirent, comme si cela ne le dérangeait pas. En même temps, c'est pas un humain ... flippant !

- Couper la parole pour chaque chose est une de tes qualités ?! Et la politesse humaine ?!

- Arrête de m'appeler comme ça Aldéric!

- Lord Aldéric, grogna-t-il entre ses crocs. C'est quoi ton nom alors, humaine ?

Je fus gêné sur le moment par cette question, le vampire le remarqua et haussa un sourcil interrogateur.

- J'en ai pas, avouais-je, je ne m'en rappelle pas, Miss Brit m'appelle "numéro 13".

- Je ne perdrais pas de temps à te demander qui est-elle, mais franchement, elle a bien trouvé ton surnom ... 13, quel malheur, dit-il en jetant un regard amusé sur son nouveau maître.

- Oh oui, j'ai eu le malheur de tomber sur toi, tu es vraiment horrible.

- Ah là là, tu as plutôt eu de la chance de tomber sur moi, je suis sûrement plus gentil que n'importe quel esprit, se vanta Aldéric en me faisant la révérence. Bon, on va te trouver un nom alors ... que dirais-tu de Saru ?

- Pas mal, j'aime bien. Ça vient d'où ?

- C'est tiré de ma langue d'origine, l'Akkadien. C'est proche de ce qu'on pourrait appeler dans votre parlé d'aujourd'hui : maître.

- Tu me reconnais donc comme tel ?

- Je suis obligé, je ne sais quelles conditions ont été remplis autres que celles que tu m'a décrites, mais tu m'a invoqué, je suis donc lié à toi. 

- Autres ?

- Celles que tu as là, sur ce parchemin, ne suffirait même pas à invoquer un esprit, ils ont du préparer le terrain tes chers scientifiques.

- Mmmm, je vois ... Aller, ne fais pas cette tête d'enterrement ! Je suis sûre qu'on va bien s'entendre tout les deux ! Dis-je avec ironie en voyant toute la misère du monde se peindre sur le beau visage du vampire.

- Je n'agis que dans mon propre intérêt en attendant de savoir comment me débarrasser de toi, et même pouvoir te manger dans la même occasion. Tu es comme un chien que je dois traîner. Tu vas en baver, je te préviens.

Mon prochain colocataire promettait pour la suite ...