CHAPITRE 1
NOA
Boston, manoir principal, 20h00.
Étendue sur mon lit à fixer les fresques dessinées au plafond de ma chambre, je suis perdue dans mes pensées. J'écoute la musique si fort dans mes oreilles qu'elle a probablement affecté mon ouïe depuis le temps, mais ça me donne l'impression que je ne suis pas là, dans cette pièce. Dans ce manoir. Dans cette foutue vie de dingue. D'un certain côté, je ne peux pas me plaindre. Certaines personnes auraient probablement tout donné pour être là où je suis. On me nourrit, j'ai un toit et un lit pour dormir. Selon la raison, on prend bien soin de moi. La chambre qu'on m'a octroyé, il y a de cela cinq ans, est assez spacieuse et j'ai les commodités annexées. Dans un contexte normal, on pourrait dire que celle-ci est digne d'une princesse. Qui n'en rêverait pas. Une grande baie vitrée, un grand lit moelleux, des meubles à plusieurs milliers de dollars, un dressing digne d'une star américaine. C'est l'opulence même, mais la porte de cette chambre est constamment verrouillée de l'extérieur. Il ne faut surtout pas que j'aie accès de l'autre côté. Je suis retenue prisonnière. On me laisse sortir que pour les repas et pour mes activités obligatoires. Mes allés et venus dans le manoir sont contrôlés et ce depuis cinq ans.
Particulièrement aujourd'hui, le verrou de cette porte me dérange. Je vogue dans mon esprit en espérant pouvoir l'oublier. Cette fameuse date où tout a chaviré. Mes compteurs biologiques sonnent à l'intérieur de moi, signalant l'année de plus à ajouter. Je dois l'admettre, il avait bien choisi son moment pour continuer de me torturer l'esprit. Mon être souffle aujourd'hui 23 bougies et cinq ans que j'ai pris la pire décision de ma vie. Il n'y a aucun gâteau, aucune personne à qui je tiens et je suis prise dans une cage. À travers les paroles de Bad Dream de Ruelle qui défilent à présent à mes oreilles, je me remémore ces événements du passé. Ma vie est devenue un réel cauchemar qui me colle à la peau et dont j'ai l'impression que je ne pourrai jamais me réveiller. Ma vie d'enfer s'est étirée sur un an de plus en cette journée de fête.
Je repense à mes parents, mais la culpabilité me ronge à l'idée d'évoquer leurs souvenirs. J'aurais dû écouter mon père. J'avais un bel avenir devant moi et une belle vie. J'avais des amis sur qui je pouvais compter et qui me suivaient dans toutes mes histoires abracadabrantes. Il n'y avait aucune limite, je vivais ma vie à fond. J'enchaînais les courses et les fêtes comme si c'était chose du quotidien. Dieu sait comment je pouvais aimer faire la fête. J'appréciais la vie et ses petites choses. J'étais heureuse ... jusqu'à ce que je rencontre cet enfoiré, il y a cinq ans. Tout ça pour un bad boy.
Joyeux anniversaire Noa ! C'est tout ce que tu as toujours souhaité ... évidemment. Demain, tu seras peut-être à New-York ou San Francisco, qui sait ... Autant ne pas se faire de faux espoirs.
Du coin de l'oeil, je vois la porte de ma prison s'ouvrir, je n'ai pas plus de temps pour approfondir mes regrets. Je suis obligé de revenir à l'instant présent, chassant ainsi ces mauvais souvenirs de la main pour accorder mon attention à l'homme bedonnant qui passe le cadre de cette porte. Il arbore un visage aussi neutre qu'un chien à qui on vient de présenter un os. Il veut parler de la mission de ce soir. Je relève mon haut de corps et le toise.
Une femme d'un certain âge entre à son tour, elle s'approche doucement. J'observe avec méfiance celui qui se tient devant moi. Il a les cheveux grisonnants, ses traits sont tirés de par toutes les nuits à essayer de rester éveillé. Il est habillé d'un chic tel un vrai mafieux. James Goodman. Il n'y a pas même une petite particule de bonté dans cet homme, il ne faut certainement pas se fier à son nom de famille, ni à ce faciès digne d'un homme à qui on pourrait faire confiance.
Il me fait signe de retirer le son à mes oreilles. Je le fixe d'un regard sombre tout en inclinant la tête sur le côté, toujours assise sur mon lit. La femme ne démontre aucune émotion, un vrai bloc de glace. Elle a en main une seringue remplie d'un liquide vert qu'on dirait radioactif. Je peux lire sur le flacon le mot : Dementia. D'une main froide sur ma nuque, elle enfonça l'aiguille dans ma chair. Elle est en train de m'offrir mon seul cadeau d'anniversaire, celui que je reçois lorsqu'on a besoin de nos services. J'accueille cette came à chaque fois qu'elle se présente depuis maintenant quatre ans. Par contre, elle ne se manifeste que lorsqu'on a besoin de mes capacités, mais surtout des siennes. Mes yeux se mettent alors à scintiller de cette couleur vibrante au moment où la substance entre dans mes veines. Il est en train de se réveiller.
Cette sensation ... est si ... enivrante.
La musique me permet de me calmer, je recentre mes états d'âme et je me concentre à l'apaiser lors de son réveil. Malgré la vision d'horreur que j'ai devant les yeux.
Le quinquagénaire s'adosse au mur en face de moi, les bras croisés. C'est à chaque fois la même chose. Je le vois me foudroyer du regard à cause de l'attente. Je me fais un plaisir de le faire mijoter. La patience ne fait pas partie de son langage et j'adore jouer avec ses nerfs ... il le mérite. Il est responsable de ce que je vis depuis toutes ces années et il peut bien attendre que cette chanson, que je viens de choisir, se termine.
L'étirement de ce moment chargé de tension est aussi pour lui. Si je n'ai pas cette musique pour le détendre à son réveil, il va se faire un plaisir de sauter à la gorge du vieux pervers. À l'aide de mon corps, bien évidemment. L'être fané devant moi l'a expérimenté bien trop de fois déjà et c'est moi qui en paie le prix à tous les coups. Donc, la musique et un petit dialogue sont la recette parfaite pour éviter une nuit de torture, mais Goodman ne l'a toujours pas compris.
— Allez on se réveil Démon, dis-je à l'intérieur de moi-même, sans que mes lèvres ne bougent.
— On a besoin de moi pour quelle raison aujourd'hui ... Je me faisais un plaisir de roupiller, répond la deuxième voix dans mon esprit.
— Ce que tu peux être flemmard. Ça fait des jours que tu es dans le monde des songes, mets y un peu d'entrain ... Et tu pourrais aussi me souhaiter un joyeux anniversaire tant que t'y es, déclaré-je avec un peu d'amertume.
— Je ne sais même pas depuis combien de temps je dors. Comment veux-tu que je connaisse le jour qu'on est ?... Mais joyeux anniversaire quand même, riposte-t-il un peu sèchement.
— Oh ça va, ne t'offusque pas !
— Tu n'as qu'à me parler autrement !
— On est de mauvais poil, on dirait.
— Le jour où je ne le serai plus, sera celui où il ne sera plus devant nous ... Je rêve de l'écraser comme une petite mouche ! dit-il en prononçant ces derniers mots avec une petite voix aiguë.
— Tu ne sais pas à quel point j'en rêve aussi, réponds-je un rire dans la voix. Mais pour le moment, on ne doit pas encore s'attirer les foudres.
— Je sais ... Toujours la même chose.
Je finis par enlever le plaisir à mes oreilles pour finalement écouter cette voix exécrable que mes tympans ne peuvent plus supporter. Il fait signe à la femme de dégager afin de nous laisser seul. Il attend qu'elle ferme complètement la porte avant de briser le silence de la pièce.
— Evans, dit-il en s'approchant de quelques pas.
Je le regarde sans sourciller à mesure qu'il fait un pas dans ma direction. Je finis par me lever et m'adosser près de la grande fenêtre, à l'opposer de lui. Un réflexe que j'ai développé à force de subir ses imprévisibilités et ses perversités. Lorsque j'ai cette homme en face de moi, je tiens à maintenir une distance entre nous.
J'observe le paysage extérieur tout en maintenant mon attention sur le reflet de sa silhouette. Cela m'aide à contrôler ma rage, et la sienne. Le visage de mon maître se déforme de par la fureur qui est en train naître en lui. Ses mâchoires sont crispées. Il déteste ne pas pouvoir m'atteindre. Bien sûr, il peut m'approcher pour me toucher lorsqu'il met mon compagnon d'âme hors-service, mais il ne s'est jamais aventuré à le faire lorsqu'il venait de recevoir sa dose. Ce mafieux a bien beau dégager cette assurance et cette supériorité, mais la peur et la méfiance s'emparent de lui lorsque j'ai ce liquide dans mes veines. Bien trop de fois, l'un de ses hommes a fait l'erreur de nous provoquer dans cet état ... certains en ont même payé de leur vie.
Le pire démon que le diable est créé et nous sommes deux.
— Joyeux anniversaire ! reprend l'aîné.
— Mon cul ouais ! s'exclame la voix grave dans ma tête.
Je me retourne pour le regarder, un sourire narquois dessiné sur ma figure. Je ne sais si ce sourire est dû au commentaire de mon démon, mais je l'assume pleinement.
— C'est tout ce que tu trouves à me dire James, réponds-je.
Il me fixe de ses yeux bruns les plus meurtriers. Il déteste quand on ne l'appelle pas Monsieur Goodman, mais je n'ai aucun respect pour lui. À quoi bon me forcer d'appliquer ces marques de politesse. D'ailleurs, je remercie intérieurement ce démon de m'avoir délié la langue. La barrière des politesses est devenue très fine, lorsqu'on me provoque.
— N'oublies pas ce privilège que je peux te retirer, dit-il d'une voix remplie de menaces.
— Lequel ? ... À ce que je vois, on ne profite de rien ici, rétorque le démon, comme s'il faisait partie de la conversation.
— Bien sûr James, réponds-je d'une voix blasée.
— Alors ... Comment as-tu profité de cette journée de fête ? continue-t-il en affichant soudainement un sourire victorieux sur ses lèvres, en sachant très bien que je n'ai pas bougé de cette putain de chambre.
— Oh, tu sais comme chaque année, depuis quatre ans ... Un avant-midi au spa et une virée shopping ... Oh et désolé, j'ai peut-être un peu abusé sur la carte de crédit, répliqué-je sur le même ton pour entrer dans son petit jeu de merde et lui prouver qu'il ne m'atteint pas.
L'homme aux cheveux gris rit d'un rire franc, comme je déteste l'entendre.
— Je vois que tu ne perds pas ce sens de l'humour ! Je me dis souvent que tous les démons devraient te ressembler. Tu es l'une de mes plus grandes réussites...
— Bien sûr, une réussite que tu es prêt à vendre au prix fort si quelqu'un ose payer ce prix, le coupé-je avec un faux sourire.
— Tu parles d'une réussite, il n'a même pas bouger le petit doigt ... Laisses-moi sortir Noa que j'aille le cogner, dit mon démon d'une voix rempli de rage.
— Tu te calmes ... sinon il te retournera au pays des rêves aussi vite que tu t'es réveillé, ordonné-je à la voix dans ma tête.
Ce que le vieux peut m'exaspérer lorsqu'il ramène ce sujet sur le tapis. Lui qui se prend pour mon maître adore prendre le crédit pour les choses dont on lui rapporte seulement le fruit du dur labeur exécuté par un autre.
C'était mon combat que j'avais gagné contre cet être fourbe qui torture, encore aujourd'hui, mon esprit. Ce n'était certainement pas sa réussite. Trois semaines plongée dans l'inconscience à négocier le prix de ma vie, c'était ce que j'avais enduré. Des jours entiers que nous avions pris pour marchander le prix de mon âme, à défaut qu'il prenne possession de mon être. Je me souviens de cet esprit rempli de malice à l'intérieur de moi qui était prêt à tout pour m'écraser sur son passage afin d'arriver à ses fins. Un combat difficile dont j'avais failli plusieurs fois y laisser ma vie, mais j'avais résisté. Je n'étais pas prête à mourir de peur et je ne le suis toujours pas. Lors du rite d'intégration, j'ai conclu un pacte avec celui qui tentait de me posséder, comme je l'aurais fait avec le Diable. Ma vie en échange de mon aide, c'est ce que nous avons traité. Je me suis engagée à l'accompagner dans sa quête, dont le Diable en personne lui en a donné l'ordre. Je devrai respecter cet engagement, que je ne connais toujours pas, au moment venu et je ne pourrai me défiler. Même si j'ai cette crainte de mourir lorsque le temps se présentera, je préfère profiter des jours de plus qui me sont donnés, malgré le fait que je dois les vivre dans l'enfer de ce manoir.
Alors, lorsque James Goodman parle de ma valeur et de sa réussite, je n'entends qu'à lui rire au visage. Évidemment que je suis un putain de trophée en or massif sur le marché. Je le suis devenue lorsque je suis ressortie vainqueur d'un combat dont la finalité devait être ma mort. Quand il a découvert mon talent pour contrôler les prises de possession de mon corps par l'entité à l'intérieur de moi, il était en extase. Je me rappelle des signes de dollar qui s'affichait à la place de ses iris. Son avidité avait grimpé au point de vouloir tout savoir sur l'humain que j'étais devenue à cet instant. Il désirait, plus que tout, connaître l'identité de celui qui s'était établi dans mon être pour peut-être empocher encore plus. Alors que je m'étais jurée de lui cacher, il m'avait provoqué au point de lui dévoiler. Torturer à coup de fouet, c'est comme ça qu'il aime procéder et c'était de cette façon qu'il s'y était pris. Tout ça pour faire de moi, l'une des personnes rares que les gangs s'arrachent. Toutefois, le prix de mon corps est devenue tel qu'il est probablement hors de prix pour plusieurs.
Le mafieux m'observe d'un drôle d'air. Je peux lire dans ses yeux l'indécision sur lequel de nous deux a pris le contrôle de mes paroles. Ce qu'il ignore, puisque j'ai constamment un être grossier qui pollue mon esprit, c'est que mon insolence et mon répondant ont monté d'un cran avec les années. Après tout ce temps, il devrait bien l'avoir compris ... mais non. Il préfère garder de moi l'image de celle que j'étais lors de ma première année à son service. La petite fille innocente qui ne savait pas se défendre.
— Dis-moi à qui je parle, ordonne-t-il d'un ton glacial.
Je n'ai aucune envie de répondre à cette question, mais je me dois de le faire. J'ai fait l'erreur, une fois, de ne pas y répondre, et James a donné l'ordre ferme de m'électrocuter jusqu'à ce que je divulgue l'identité de celui qui endossait les paroles. J'avais bien cru que mon coeur aurait lâché cette fois-là.
— À Noa, évidemment, rétorqué-je exaspérée.
Un sourire mesquin s'étire sur ses lèvres. Preuve qu'il jubile puisque je viens de lui obéir. Il pense encore qu'il a une poigne ferme sur notre contrôle. Toutefois, il peut bien se la mettre où je pense.
Lorsqu'il a apprit qui se cachait à l'intérieur de moi, l'être fané pensait qu'il aurait les reines de notre existence. Cependant, savoir son nom n'a pas fait de lui le maître de la deuxième voix dans ma tête. James semble avoir oublié ce petit détail lors des supplices qu'il m'a fait subir ce jour-là. Ce doit être le démon qui dévoile son identité, pas son hôte. Résultat : pas de contrôle pour le vieux pervers, malgré ses nombreux essais. À croire qu'il est vraiment connaisseur sur le sujet.
Un démon n'est censé obéir qu'aux ordres de son maître ... mais pas moi. Mon démon m'a fait allégeance, autant que je lui ai juré fidélité et j'obéirai seulement au Diable en personne.
Le sourire du vieux aux cheveux gris s'efface au bout de quelques secondes, aussi rapidement qu'il est apparu. Il me regarde d'un air suspicieux. Qu'est-ce qu'il va me faire encore ? Lorsqu'il se met à avancer dans ma direction, je détourne légèrement mon regard afin de regarder mon reflet dans le miroir à l'opposer de la pièce. Je constate sans surprise que mes prunelles émanent toujours cette lueur d'un violet étincelant. Ceci indique que le démon est en éveil, mais, dans mon cas, cela ne veut pas nécessairement dire qu'il a pris les commandes. D'un clignement des yeux, je fais disparaître cette lueur pour chasser les doutes de l'homme. Il se stoppa net à dix pas devant moi. Ouf, il s'en est fallu de peu. Je n'ai certainement pas envie de me battre contre ses tortures ce soir, encore moins avant d'avoir eu droit à ma sortie.
— Tu es prête pour ce soir, me reprend-t-il de son ton sérieux.
— Comme toujours !
— Allez ! Laisse-nous sortir enfoiré, s'exclame la voix du spectre maléfique remplie de hâte.
— Il sera plus costaud cette fois ... mais s'il-te-plaît ne le tue pas. Trois meurtres involontaires cette semaine a été le comble. L'assommer suffira amplement pour récupérer le colis.
— Merci de préciser ! réponds-je un peu joyeuse de ce que mon démon et moi avions semé comme chaos dans la vie de ce « pauvre » vieil homme.
— Tu m'as bien compris Noa ? insiste l'homme avec des yeux menaçants qui me montraient à l'avance ce qui allait m'arriver.
Je lève les yeux au ciel d'exaspération.
— Bien sûr James. Tu sais, ce n'est pas toujours de notre faute si on en arrive là, répliqué-je en montrant une moue désolée pour camoufler mon mensonge.
— Ce sont eux qui nous provoques en premier..., affirme le démon.
— Même si la plupart du temps c'est toi qui les pousse à attaquer, tu veux dire, lui réponds-je dans ma tête.
— Tu sais ce qui t'arriveras si tu n'obéis pas. Donc, j'attends de toi que tu réussisses cette mission ... et qu'il reste en vie cette fois-ci, Noa.
Bien sûr, je connais la chanson. Depuis que j'ai le deuxième être dans mon corps, le mafieux me rabat sans cesse les oreilles que si je n'obéis pas, il va me vendre ou encore me faire subir l'Extraction. « Je préfèrerais m'occuper de millions que de tes conneries », bougonne-t-il à chaque fois que je n'exécute pas exactement ce qu'il dit une fois que l'autre est endormi, mais je me fais une joie de me rebeller. Nous adorons semer le chaos, si petit soit-il. Immanquablement, cela vient toujours avec quelques sévices sur mon corps. Même si je suis ce trophée qu'il aime tant exposé, il n'hésite pas à y laisser quelques égratignures pour obtenir ce qu'il veut, mais je ne regrette rien de ces minuscules rebellions. Si l'on peut appeler cela de cette façon. J'ai l'impression de revivre dans mon corps que je pensais mort. Par contre, ce sentiment est bien trop éphémère et mon être en redemande toujours plus.
J'en suis à menacer constamment la mort de mon être, mais on dirait que le diable préfère le travail que je fais sur cette terre. Je me dis qu'un jour, Goodman va peut-être nous abandonner histoire qu'on se foute la paix mutuellement, mais je lui rapporte beaucoup trop. Malheureusement pour moi, malheureusement pour nous. Je ne crains pas d'être tuée de la main du vieux grisonnant. Son amour pour l'argent est bien plus grand que celui du meurtre et je sais que je lui ferai empocher un gros paquet d'argent si jamais la transaction de mon corps a lieu. Toutefois, je rêve du jour où il nous laissera l'opportunité de nous enfuir, même si ce n'est jamais arrivé en quatre ans.
J'attends aussi le fou qui posera sur sa table la somme extravagante qu'il demande. Oui, ce sera manifestement un fou, puisqu'il ne saura, jusqu'au moment où il signera ce fameux contrat, de quoi constitue son investissement. James garde le secret de celui qui partage mes pensées enfermé à double tours dans son esprit, mais cela ne l'empêche pas de se pavaner, fier comme un paon.
D'ici là, autant s'amuser un peu au dépend de celui qui me torture.
— Comme si je n'étais pas capable de nous contrôler, soupiré-je comme s'il m'a blessé alors que ses propos traduise clairement qu'il n'a pas confiance en moi.
— Cette fois-ci, je serai bien prêt à te tuer ou te faire subir l'Extraction.
Je déglutis difficilement, tout en évitant de le faire paraître au vieux pervers. Ce ton qu'il vient d'emprunter me fait froid dans le dos. Je sais pourtant qu'il ne mettra jamais à exécution cette menace. Ses millions sont bien trop importants. Cependant, je ne peux m'empêcher de penser qu'un jour, il posera peut-être ce geste irréparable. J'ai beau me sentir plus en confiance avec le démon à l'intérieur de mon corps, je n'en suis pas pour autant invincible. Il faut donc que je mesures l'étendue des gestes que nous allons porter cette nuit, car je veux à tout pris m'éviter la potence ou les supplices reliés à l'Extraction.
— Il faudra qu'il me passe sur le corps, s'il veut te tuer, déclare le démon, ce qui me fait sortir de mon effroi.
— Comme si tu en avais un, lui réponds-je avec amusement.
— Je réitère, s'il veut te tuer, il faudra qu'il te passe sur le corps dont j'aurai préalablement pris le contrôle.
Aux propos plus agressif de mon démon, je constate que la Dementia se fait plus présente dans mes veines. Elle s'ancre lentement aux cellules de mon corps pour atteindre les capacités de mon démon. Goodman recule de deux pas à la vue de mes iris illuminés de nouveau que j'ai maintenant plus de mal à conserver à leur état naturel. La conversation va devoir s'abréger, sinon je ne pourrai plus garantir la sécurité absolue de James.
— Si je t'apporte ce que tu désires, j'aurai droit à une vraie sortie, lancé-je froidement au mafieux.
— Commences par m'apporter mon colis, sans tuer celui qui le porte et on verra après, ordonne-t-il en tournant les talons avant de me lancer un dernier regard assassin au dessus de son épaule pour finalement sortir de la pièce.
La porte de ma chambre à nouveau verrouillée, je me retourne soulagée vers la fenêtre pour admirer la noirceur de la nuit qui progresse à travers les derniers rayons du soleil, me plongeant ainsi dans mes réflexions les plus profondes. Le verre reflète la lueur violette qui n'a pas quitté mes iris. J'en oublie presque le démon qui se nourrit doucement de la substance qu'on a introduite dans mon corps. Il est silencieux, appréciant chacune de ses gorgées. Je remets mes écouteurs à mes oreilles, me préparant aux prochaines minutes. Je songe aux trois derniers mots du quinquagénaire, « on verra après ». C'est d'une évidence, pour moi, que je ne tuerai pas cette nuit. Je désire cette sortie plus que tout. Le vieux pervers ne laisse jamais planer une once d'espoir quant à m'accorder un petit moment pour redevenir humaine, mais aujourd'hui, il a laissé sous-entendre qu'il y réfléchirait. J'ai donc la ferme intention de saisir cette opportunité.
Et qui sait peut-être m'enfuir.
Même si je représente une menace pour eux, Goodman sait très bien que je suis capable de me contrôler. J'ai maîtrisé la capacité de dominer totalement mon démon, contre toute attente. Mes écarts de conduites ne sont pas une perte de contrôle vis-à-vis mon emprise sur le démon. Elles se traduisent plutôt par l'évacuation de la haine que j'ai envers cet homme qui me fait vivre un enfer lorsque l'autre est dans son repos imposé. C'est un lâché prise de ma part alors que le démon prend le contrôle de mon être afin de pouvoir assouvir sa faim de destruction. Nous sommes tous deux rongés par l'animosité et les blessures profondes qui nous habitent et je nous donne le droit de l'évacuer. Malheureusement, celui qui m'habite a une préférence pour le meurtre.
En un instant, je ferme les yeux, ma pensée ne peut soudainement plus réfléchir. J'espère qu'il n'y aura personne qui passera le cadre de cette porte pendant ce moment, au risque d'en perdre la vie. Le démon a englouti la substance et libère maintenant ses pouvoirs à l'intérieur de moi. Je n'ai pas le choix, je dois m'abandonner à cette perte de contrôle temporaire afin de pouvoir accueillir la puissance paranormale de ce spectre maléfique. Les effets de cette drogue me gagnent. La musique à mes oreilles, je déguste chaque sensation. Je sens une force indescriptible s'enracinée dans chacun de mes muscles. Mon acuité visuel gagne en précision et mon ouïe peut à présent entendre chaque son à peine perceptible par l'oreille humaine normal. Un frisson des plus satisfaisants envahit soudainement mon corps. L'énergie de cette puissance et l'euphorie monte en flèche dans mon être qui paraît fragile pour certains, mais c'est tout autre lorsqu'il reçoit sa dose. Je retiens un cri de satisfaction qui peut s'apparenter à un orgasme. Mes mains empoignent le rebords de la fenêtre. Mes ongles ont presque incrusté le bois.
J'ai appris à me retenir pour ne pas faire paraître que j'apprécie au plus haut point cet effet sur mon corps. Bien que le processus soit éprouvant, je retrouve ce sentiment d'invincibilité qui circule dans mes veines et dont je ne peux plus me passer depuis que j'y ai gouté il y a quatre ans. J'expire profondément lorsque je sens les iris de mes yeux s'illuminer de plus bel. J'entends le démon hurler sa férocité dans ma tête, il a retrouvé sa forme.
_________________________
Hello ! Le premier chapitre enfin !
Un démon un peu colérique tout de même ! Et ce James Goodman, qu'en pensez-vous ?
Qu'est-ce qui les attends réellement ? Noa et son démon, seront-ils capables de se maîtriser pour éviter de tuer ?
À bientôt !
Raven 💛
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