39. Je suis ravi d'avoir fait votre connaissance, Juliette.
Je n'eus pas le temps de souffler que déjà, la porte devant moi s'ouvrit. Je pénétrai dans le parloir, les jambes tremblantes, et m'empressai de m'asseoir sur la chaise. J'avais l'impression de revivre l'instant où j'avais revu Guillaume. A la seule différence que là, il y avait un homme de l'autre côté de la grille.
Je pris une profonde inspiration, triturant nerveusement mes doigts. Et j'osai enfin lever les yeux vers cet homme. Je me retins de les écarquiller devant la beauté timide qui émanait de ce jeune homme, qui ne semblait pas plus vieux que moi. J'apercevais ses cheveux blonds, ses yeux bleus qui n'osaient pas non plus croiser les miens, et son visage aux traits doux.
Nerveusement, je me raclai la gorge, ce qui sembla le sortir de sa torpeur. Il se recoiffa avec des gestes hésitants, avant de me demander :
« - Quel est votre nom, mademoiselle ? »
Il avait une voix fort douce, apaisante. Je me détendis légèrement devant sa politesse, et répondis en tentant de maîtriser ma nervosité :
« - Juliette...
- Oh, c'est un charmant prénom. Aimez-vous Shakespeare ? »
Je le vis sourire, ce qui le rendit subitement plein de charme. Si je n'avais pas connu Guillaume, j'aurais sûrement trouvé cet homme très beau. Mais il lui manquait les quelques imperfections qui rendaient Guillaume beau. Néanmoins, je devais remercier Mère Louise de m'avoir trouvé ce jeune homme.
Je pris soudain conscience que, perdue dans mes pensées, je ne lui avais pas répondu. Je me sentis rougir, et me frottai la nuque de gêne :
« - Oh, je... Je n'ai pas eu l'occasion de le lire, et... Je ne lis pas très bien, donc... »
Je me mordis brusquement la lèvre. Qu'espérais-je, en lui avouant directement mes lacunes ? Mais, contre toute attente, il eut un sourire amusé :
« - Vous savez, cela peut se corriger, il suffit juste d'un peu d'entraînement. »
Soudain, il se tortilla sur sa chaise, comme mal à l'aise :
« - Je ne me suis pas présenté, pardonnez-moi... Je me nomme Pierre-Henri de Brouvin. »
Pierre-Henri ? Ce prénom me semblait trop pompeux pour le jeune homme timide qu'il semblait être. Mais j'acquiesçai tout de même, étirant un sourire gêné lorsqu'il croisa enfin mon regard.
Il resta un instant immobile, ses yeux fixés sur mon visage, avant de subitement baisser la tête :
« - Et... Qu'aimez-vous faire, Juliette ? »
Les conseils donnés par la sœur chargé du parloir me revinrent aussitôt en mémoire : paraître pieuse, effacée, sans avis bien tranché. Mais je n'avais jamais réussi à mentir, et si cet homme s'en apercevait... Alors, après avoir respiré profondément, je répondis en hésitant :
« - Eh bien, je... J'aime bien tenter de lire, et... Et aussi être dehors...
- Je vous remercie de votre sincérité, Juliette. »
Il me semblait lui aussi sincère. Lentement, je relevai les yeux vers lui, pour voir qu'il me regardait avec un sourire :
« - Vous savez, je n'ai pas envie d'épouser une femme qui soit trop effacée, je préfère la sincérité. »
Il se pencha vers moi, me permettant de mieux l'apercevoir à travers la grille du parloir :
« - Désirez-vous des enfants ? »
Aussitôt, je crispai mes mains sur mon ventre. J'avais réfléchi toute la nuit, et... Mère Louise avait forcément raison. J'étais enceinte. Enceinte d'un menteur, du fils de celui qui avait tué ma mère, mon frère, et qui avait provoqué la mort de mon père. J'étais enceinte du fils de celui qui avait détruit ma famille.
Je serrai les dents pour retenir mes larmes et, au prix d'un effort qui me parut immense, acquiesçai. Pierre-Henri se redressa sur son siège, croisant les mains pour me sourire de nouveau :
« - Vous savez, je n'attends pas de vous que vous me donniez une dizaine d'enfants. Mais nous pourrons en reparler plus tard. »
Je pris une profonde inspiration pour tenter de chasser ma tristesse, avant de tiquer. En reparler plus tard ? Comptait-il revenir ?
Je le vis se troubler, et il se gratta le crâne :
« - Enfin, je ne voulais pas...
- Monsieur de Brouvin ? »
Je reconnus la voix de Mère Louise, qui était entrée derrière lui. Il se retourna, les sourcils froncés, et la vieille sœur lui demanda :
« - Pourrais-je vous parler ?
- Oh... Oui, bien sûr. »
Il se tourna vers moi pour incliner la tête :
« - Je suis ravi d'avoir fait votre connaissance, Juliette.
- Retournez avec les autres, mon enfant. Elles sont dehors. »
Lentement, je me relevai, alors qu'elle entraînait Pierre-Henri dehors.
Restée seule dans le parloir, je m'empressai de sortir, et rejoignis les jardins, l'esprit embrumé de contradictions. J'aperçus aussitôt Amélie, qui était assise dans l'herbe, seule. Je vins m'asseoir à ses côtés, et elle prit immédiatement mes mains dans les siennes :
« - Alors ? Comment était-il ? »
Je n'avais osé lui avouer ma grossesse, incertaine de sa réaction. Je baissai les yeux, essayant de mettre de l'ordre dans mes pensées :
« - Eh bien, il est... Gentil, et...
- Et beau ? »
Je ne pus m'empêcher de sourire devant sa question, et lui répondis :
« - Oui, il est... Enfin, non pas beau, mais... Il a... Du charme, et... Il est vraiment très gentil.
- Oh, je suis si soulagée pour toi ! »
Elle me prit spontanément dans ses bras pour me serrer contre elle :
« - Si tu n'as rien à me dire de négatif sur lui, c'est qu'il est bien ! »
Je me mordis la lèvre, avant de lui souffler à l'oreille :
« - Amélie, je... Je suis enceinte. »
Je la sentis se raidir contre moi. Lentement, elle se replaça face à moi, les yeux écarquillés :
« - Qu'est-ce... Ai-je bien entendu ? »
Trop nerveuse pour le répéter, je me contentai d'acquiescer. La bouche entrouverte, Amélie laissa échapper un sifflement stupéfait :
« - Oh, eh bien... C'est... Une nouvelle... Bouleversante, hein, et... Bon Dieu depuis combien de temps ?! »
Elle s'empressa de me prendre par les épaules pour me secouer doucement :
« - C'est quand tu as... Enfin... Avec lui, hein ? Et... Et je suis la première à l'apprendre ?
- Non, c'est... Hier, je suis allée voir Mère Louise pour avoir des conseils, et... C'est elle qui l'a découvert. »
Amélie me lâcha pour se passer une main sur le visage :
« - Oh, je... Je vois... Mais... C'est une fabuleuse nouvelle ! »
Elle se jeta de nouveau sur moi pour me prendre dans ses bras :
« - Tu seras une mère formidable, je le sais ! Et... Oh, Seigneur, je vais me mettre à pleurer... »
Elle renifla contre moi, avant de me relâcher pour s'essuyer le visage. Et je sentis l'émotion m'étreindre le cœur, à mon tour. Je baissai les yeux, mais les relevai vivement quand elle parla :
« - Oh... Mais du coup... Tu vas te marier en étant enceinte... »
J'écarquillai les yeux, avant d'enfouir mon visage dans mes mains, découragée. Comment avais-je pu ne pas y penser ? Quel homme voudrait épouser une femme qui portait l'enfant d'un autre ? Un souffle tremblant m'échappa, et aussitôt, Amélie me prit dans ses bras :
« - Non, je ne voulais pas te rendre triste... Tu trouveras bien un homme qui sera si fou de toi qu'il s'en fichera !
- Mais qui, Amélie ? Qui voudra de moi ? Pour eux, je... Je ne serais qu'une femme sans vertu, qui a un enfant sans avoir de mari, et... Oh, Seigneur... »
J'éclatai en sanglots dans les bras de mon amie. J'aurais tant voulu blâmer cet enfant, mais... Ce n'était pas sa faute. Tout était à cause de moi. C'est moi qui avait décidé de m'offrir à Guillaume sans attendre le mariage. Tout était ma faute.
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