30. Tu le savais !
Lentement, je clignai des yeux, la gorge asséchée par mes pleurs. Je ne savais combien de temps j'étais restée ainsi, prostrée sur le sol à pleurer. Avec des gestes mécaniques, je remis mon collier autour de mon cou, et tournai la tête pour regarder les croquis. Ma mère... Elle dessinait si bien... Combien je m'en voulais d'avoir eu des pensées méchantes envers elle ! J'avais cru que je n'étais pas assez bien pour qu'elle vienne me chercher, mais elle n'avait tout simplement pas pu.
J'essuyai une larme solitaire. Et j'entendis soudain une porte claquer. Aussitôt, je me raidis, et entendis :
« - Lili ? Mon ange, où es-tu ? »
C'était Guillaume. J'eus soudain envie de lui crier que je m'appelais Juliette, mais aucun son ne voulut sortir de ma gorge.
La porte de la chambre se rouvrit, et Guillaume apparut sur le seuil. Ses yeux s'agrandirent en me voyant ainsi, et il s'empressa de venir agripper mes épaules :
« - Lili... Seigneur, que t'es-tu arrivé ?
- Juliette... Je m'appelle Juliette. »
Enfin, je l'avais dit. Et en le disant, c'était comme si je me réappropriais mon identité longtemps oubliée.
Guillaume fronça les sourcils, avant que son regard ne tombe sur les croquis. Et une expression de tristesse déchira son visage. Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas sa réaction. Pourquoi n'était-il pas surpris ? Pourquoi ne m'avait-il pas interrogée ? Je crispai mes doigts sur mon cou, avant d'accrocher son regard. J'y lus une immense culpabilité.
Mais pourquoi ? Pourquoi se sentait-il coupable alors que... Mes yeux s'écarquillèrent. Plusieurs fois, alors que je pensais qu'il délirait, il avait dit que je « lui » ressemblais. Et, dans la crypte, il s'était immobilisé en me voyant devant le monument funéraire de... De mes parents.
Je me dégageai brutalement de son étreinte pour me relever, le cœur battant :
« - Tu... Tu le savais ! »
Sans répondre, Guillaume se leva à son tour, la tête basse :
« - Lili...
- Juliette ! rectifiai-je, furieuse. Ne me dis pas que... Que tu savais qui j'étais ?! »
Il resta silencieux, mais son expression coupable le trahissait.
J'eus l'impression que l'on me déchirait le cœur. Je chancelai en arrière, et soufflai :
« - Ce n'est pas possible... Comment as-tu pu me le cacher ?! »
Rapidement, la colère sembla me fouetter les sangs. Je me précipitai vers lui pour le souffleter en hurlant :
« - Comment as-tu pu me cacher qui j'étais ?! Tu le savais, espèce de... De monstre ! Tu savais qui étaient mes parents, tu le savais ! »
J'avais tellement envie de le frapper jusqu'à ce qu'il s'effondre au sol, qu'il me supplie d'arrêter ! Un cri de rage m'échappa, et je le giflai encore :
« - Comment as-tu pu ?!
- Parce que j'aurais dû t'avouer que c'était mon père qui avait tué tes parents ! »
Il l'avait crié, comme pour enfin se débarrasser de cet aveu. Stupéfaite, je reculai d'un pas, le souffle court. Que... Quoi ? Avais-je bien entendu ? Je portai une main tremblante à ma bouche, n'osant bouger.
Guillaume se passa une main sur le visage, avant de lever un regard suppliant vers moi :
« - Il travaillait pour Edmond, il... Il a été payé pour tuer ta mère, ton frère, et... Et toi, normalement. Je... Je l'ai découvert après la mort d'Edmond. Il avait gardé des papiers où... Où il parlait de toi. Comme quoi, tu étais encore vivante, et... »
Mes yeux s'agrandirent lorsque je compris enfin ce qu'il me disait. C'était à cause de son père. Tout était à cause de son père. Et la dernière phrase me fit tiquer. « Encore vivante » ? Mais...
Soudain, tout s'assembla dans mon esprit. Ma première rencontre avec Guillaume, son explication maladroite sur ma prétendue profession de guérisseuse, le corps de la jeune femme retrouvé noyé, la réaction d'Edmond lorsqu'il m'avait vue... J'eus un brusque mouvement de recul, terrifiée à l'idée d'avoir compris :
« - Tu... C'est pour ça que tu es venu ! Tu devais me... Me tuer ! Et terminer le travail de ton père ! »
Guillaume ne tenta même pas de nier. Et mon cœur se brisa. Toute notre relation était basée sur des mensonges. Il m'avait menti dès le début. Il devait me tuer ! Je portai une main à mon cou, avant de lui demander d'une voix brisée :
« - Pourquoi ne l'as-tu pas fait ?
- Parce que j'en étais incapable ! Dès que je t'ai vue, je... »
Il fit un pas devant moi, mais s'arrêta lorsque je reculai d'un pas. Son expression se fit déchirée :
« - Je t'ai trouvé si belle, si... Si innocente, je n'ai pas pu te tuer ! J'ai eu envie de te connaître, de... Je n'ai pas menti lorsque j'ai dit que je voulais t'embrasser dès l'instant où je t'ai vue, Lili...
- Mais tu m'as menti sur tout le reste... »
Je ne pus retenir mes larmes. Tout ce que je savais de lui était un mensonge. Ses motivations premières, son passé... Tout.
En me voyant ainsi, Guillaume tenta encore une fois d'avancer, mais je reculai en m'écriant :
« - Ne m'approche pas ! Comment... Tu n'as jamais eu de remords à me mentir ? Tu... Tu n'as fait que ça ! Et moi, je te faisais confiance, je t'ai même donné ma virginité ! Mais tu n'es qu'un monstre ! »
Je me précipitai vers lui pour marteler son torse de mes poings, sentant des larmes rouler sur mes joues :
« - Tu as été pire que tous ces hommes ! Pire que Jean, pire que Louis-Antoine, pire que tous ! Et même pire que ton père ! Tu... Tu n'as fait que me mentir, alors moi... Moi je t'aimais tellement !
- Mais je t'aime ! »
A ces mots, je sentis mon cœur exploser de rage. Je lui hurlai :
« - Tu m'aimes ?! Alors que tu m'as caché mon passé ?! Tu m'as caché qui j'étais, tu as caché mon identité ! Comment peux-tu seulement dire ça ?! »
J'étouffais. Je devais fuir.
Je l'esquivai brusquement, me précipitant vers la porte. Mais Guillaume attrapa mon bras, essayant de me maintenir contre lui :
« - Lili, je t'en prie, écoute-moi...
- Lâche-moi ! »
En me débattant, je levai mon genou, qui le frappa à l'entrejambe. Aussitôt, Guillaume me lâcha pour s'effondrer au sol, gémissant de douleur.
Aussitôt, je me précipitai hors de la pièce. Je courus jusqu'aux couloirs, et sans réfléchir, bifurquai à gauche, dans la direction opposée d'où je venais. Je courais à en perdre haleine, mes jupes relevées, cherchant seulement à fuir. Fuir Guillaume, fuir tous ces mensonges.
Je tendis instinctivement les mains, et poussai une porte. Le soleil m'éblouit, et je m'aperçus rapidement que j'étais dans les écuries. En sentant encore des larmes s'échapper de mes yeux, je me ruai vers le premier cheval que je vis. Sans me préoccuper de ma tenue, je l'enfourchai sous les protestations du palefrenier, et le talonnai vivement. Aussitôt, ma nouvelle monture partit au trot, avant d'accélérer.
Je n'avais aucune idée d'où aller. Je ne voulais pas aller chez Betty, Guillaume irait sûrement m'y chercher. Je ne voulais plus le revoir. Je dirigeai ma monture au hasard, et traversai une sorte de petit bois. Ma vision se brouillait lentement sous les larmes que je tentais de retenir. Et soudain, alors que j'avais pour projet de trouver un lac pour m'y laisser tomber, j'aperçus un imposant bâtiment se dresser peu à peu au bord d'un chemin. Il ressemblait à un couvent.
Et jamais Guillaume ne viendrait m'y chercher. Personne ne me connaissait. Je pourrais m'y reconstruire. Sans réfléchir, je tirai sur les rênes pour arrêter ma monture. Totalement perdue, je mis pied-à-terre, avant de laisser partir le cheval. Et, soudainement terrifiée à l'idée qu'une personne m'ait suivie, je me précipitai vers la porte pour y toquer. En attendant désespérément qu'une personne m'ouvre, je piétinai, aux aguets. Si jamais Guillaume débouchait du bois, et qu'il me trouvait... Je ne voulais pas y retourner !
Enfin, la porte s'ouvrit, et je découvris une jeune sœur. Celle-ci eut un regard surpris pour moi, mais je ne lui laissai pas le temps de parler et m'écriai :
« - Aidez-moi, je vous en prie... Je... Je n'ai nulle part où aller ! »
Elle jaugea ma tenue du regard, et son regard s'arrêta sur ma main gauche. En baissant les yeux, j'aperçus la bague offerte par Guillaume. Un sanglot s'étrangla dans ma gorge.
Et, sans doute attendrie par ma détresse, la sœur s'écarta pour me laisser entrer. Elle referma la porte derrière moi. Je vis que nous étions dans une sorte d'entredeux, entre la porte de dehors et la véritable porte du bâtiment. Elle la poussa, et m'encouragea à entrer d'une voix douce. En essuyant mes joues, je pénétrai dans ce qui se révéla ne pas être un couvent.
Nous étions dans un grand couloir, aux murs ornés de dessins, de tableaux, et de broderies encadrées. D'une voix toujours douce, la sœur eut pour moi un petit sourire :
« - Bienvenue dans notre Institution, mademoiselle. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top