3. Fermez les yeux. Maintenant !

Dissimulé dans l'ombre d'une maison, je l'observai s'éloigner d'un pas léger. J'attendis qu'elle soit suffisamment loin de moi pour m'avancer, restant dans l'ombre. Il ne valait mieux pas qu'elle me voit, si je ne voulais pas perdre le peu de confiance qu'elle m'avait donné.

Elle se faufila soudain vers la gauche, vers le fleuve. En grognant doucement, je la suivis à une distance mesurée. Lorsque je débouchai enfin sur les quais, le cœur battant à l'idée de l'avoir perdue, je dus retenir un grondement furieux. Lili marchait sur le rebord du quai, les bras légèrement tendus sur les côtés de son corps. Mais elle voulait se tuer ou quoi ? J'étais à deux doigts de bondir sur elle pour la traîner dans un endroit sûr.

Mais alors que Lili rejetait la tête en arrière, sûrement pour admirer les étoiles, un cri strident retentit dans l'air. Je la vis trébucher sur sa jupe. Déjà, je m'élançai pour la rattraper, quand elle tituba et retomba sur la route.

Je les vis en même temps qu'elle, éclairés par la faible lumière des lampadaires. Un corps allongé, surplombé par une masse sombre qui brandissait une arme. Et alors que la masse, que je devinais être un homme, relevait le visage vers nous, j'avais déjà attrapé Lili. Une main plaquée sur sa bouche, je la tirai dans un renfoncement sombre, malgré ses efforts pour se débattre, ses mains agrippées aux miennes.

Comprenant soudain qu'elle devait croire que j'étais également un tueur, je lui murmurai à l'oreille :

« - Calmez-vous ! C'est moi, Guillaume ! »

Aussitôt, elle cessa de bouger, mais crispa ses doigts sur la main que je plaquai sur sa bouche.

Tous les deux silencieux, nous observâmes l'homme se relever lentement, une dague à la main. Et alors qu'il s'avançait de quelques pas, je pus observer son visage en pleine lumière. Je le reconnus aussitôt. C'était le tueur le plus recherché de la ville en ce moment. Il avait tué plus d'une vingtaine de femmes, toutes de la même façon. Il les poignardait en plein cœur, leur coupait un doigt et la tête, puis les jetait dans le fleuve.

Les agents royaux cherchaient à le capturer depuis qu'une femme lui avait échappé, et avait livré une description précise de l'homme qui avait tenté de la tuer. Il était reconnaissable aux cicatrices qui parcouraient son visage.

En le voyant, je sentis Lili avoir de violents tremblements contre moi. Elle était terrifiée. Ne sachant que faire, je lui murmurai dans le creux de l'oreille :

« - Restez calme... Je suis là... »

Doucement, j'osai caresser sa hanche. Je laissai mon pouce décrire de légers cercles sur sa jupe, dans un geste que j'espérais apaisant. Et, lentement, ses tremblements diminuèrent, mais ne cessèrent pas.

J'entendis soudain d'autres bruits de pas, alors resserrai mon étreinte autour de Lili, qui se crispa. Un homme s'approcha du tueur, et lui tapa l'épaule :

« - Faut pas traîner là. Découpe-la, et partons. »

Sous mes yeux, le tueur revint près du corps. Je le vis découper un doigt de la main gauche de la victime, avant qu'il n'empoigne ses cheveux. Aussitôt, je soufflai :

« - Fermez les yeux. Maintenant ! »

Je sentis Lili se presser contre moi, mais ne pouvais voir si elle m'avait obéi. Mais je l'espérais de tout cœur, car le tueur s'appliquait à trancher la tête de la jeune femme. Et ses commentaires nous parvenaient :

« - C'est toujours aussi dur de découper ça, bordel...

- Allez, dépêche-toi. Faudrait pas qu'on nous trouve ici, le houspilla l'autre homme.

- J'veux bien, mais sa tête veut pas se découper ! »

Contre moi, Lili eut un vif mouvement, que je reconnus comme un haut-le-cœur, tandis que je sentais des larmes rouler sur mes doigts. Combien elle devait être terrorisée... Je recommençai à caresser sa hanche en soufflant :

« - C'est bientôt fini... »

Je sentais tout son corps trembler contre le mien.

Et il eut soudain un horrible bruit de succion, accompagné de cris de victoire du tueur. L'autre homme eut un geste de la main :

« - Allez, balançons-la dans le fleuve. Et on s'en va ! »

A deux, ils soulevèrent le corps sans tête, et le jetèrent par-dessus le quai. Puis, ils s'enfuirent en courant.

Je restai immobile, ne sachant s'ils comptaient revenir ou non. Lentement, je comptais dans ma tête, jusqu'à atteindre deux cents. Alors, seulement, je desserrai mon étreinte autour de Lili, puis la lâchai.

Elle s'écroula aussitôt à genoux, et je l'entendis avoir un violent haut-le-cœur. Ses épaules étaient secouées de sanglots tandis qu'elle vomissait. Je m'accroupis à ses côtés, et lui caressai doucement le dos en lui murmurant des paroles apaisantes. Lili renifla, le corps secoué de violents tremblements.

Je ne pouvais supporter de la voir dans cet état. Doucement, je relevai son visage vers moi, et essuyai ses larmes :

« - C'est fini, Lili... Ils sont partis...

- Mais... Ils ont... Cette femme...

- Je sais. »

De nouvelles larmes roulèrent sur ses joues, et je retins un soupir. Il était vrai que ce genre de scène ne me bouleversait plus. Mais c'était sans doute la première fois qu'elle était confrontée à une telle barbarie.

Sans réfléchir, je la soulevai dans mes bras. Lili s'accrocha à moi avec un hoquet surpris, et gigota aussitôt pour que je la lâche. Mais je la serrai contre moi en soupirant :

« - Arrêtez de bouger. Je vais vous ramener chez vous. »

Ses yeux verts agrandis par l'émotion croisèrent les miens, et elle bredouilla :

« - Vous ? Mais...

- Guidez-moi, s'il vous plaît. Il ne vaut mieux pas que vous restiez seule dans les rues. »

Lili cligna plusieurs fois des paupières, avant de se blottir contre moi en murmurant :

« - C'est d'accord. »

En suivant ses indications, je parvins finalement devant une grande bâtisse à l'aspect délabré. Je me plantai devant, et Lili bougea :

« - C'est bon, c'est là. Vous pouvez me lâcher. »

Lentement, je la laissai reposer les pieds au sol, tout en gardant par précaution un bras enroulé autour de sa taille. Mais elle leva un regard presque agacé vers moi :

« - Je peux marcher seule... »

Peu confiant, je relâchai lentement mon étreinte, avant de totalement retirer mon bras. Et aussitôt, les jambes de Lili se dérobèrent sous elle. Ayant prévu cette réaction, je la soulevai vivement dans mes bras :

« - Voilà qui règle la question. A quel étage vivez-vous ? »

Sous mon ton autoritaire, je la vis baisser la tête, et elle m'indiqua dans un murmure ténu :

« - Au troisième... »

Je pénétrai dans le bâtiment, et dus retenir un grondement en voyant l'état pitoyable des lieux. En soupirant de colère, je grimpai rapidement les escaliers, et débouchai au troisième étage sur un palier miséreux. Là, Lili releva son visage vers le mien, la mine honteuse :

« - Vous pouvez me lâcher, je...

- Quelle porte ? »

Ses joues rosirent, mais elle me pointa une porte :

« - Celle-ci... La clé est là. »

Elle fouilla dans une de ses poches, et me tendit une clé. Je déverrouillai la porte, et pénétrai dans l'unique pièce avant de refermer la porte d'un geste du pied.

Là, la pauvreté du lieu me serra le cœur. Une unique petite fenêtre occupait presqu'un mur. Une simple paillasse était posée au sol, en guise de lit. Des vêtements étaient éparpillés un peu partout dans la pièce, faute de rangement. Et dans un coin se trouvait une bouilloire, une petite cheminée et divers aliments.

Sous le choc de cette pauvreté, je restai un instant immobile. Doucement, je sentis Lili se dégager de mon étreinte, et tituber jusqu'à la paillasse, sur laquelle elle s'écroula. La tête baissée, elle se passa une main sur la nuque :

« - Je... Merci de m'avoir raccompagnée, et... Vous pouvez partir.

- Habitez-vous réellement ici ? »

Mon ton était stupéfait. Et Lili sembla se recroqueviller sur elle-même de gêne :

« - Oui, je... Vous savez, je n'ai pas beaucoup d'argent, et...

- Pardonnez-moi. Je ne voulais vous mettre mal à l'aise. »

Je me rapprochai d'elle, mais m'assis à même le sol à une distance respectable d'elle. Elle était suffisamment éprouvée pour ce soir.

Je vis Lili secouer la tête, avant qu'elle ne torde nerveusement ses mains en tournant la tête vers la fenêtre. Et sa voix paniquée me demanda :

« - Pensez-vous qu'ils nous aient vus ? Même si... »

Elle se tourna vers moi, ses magnifiques yeux verts plongés dans les miens :

« - Je ne vous remercierai jamais assez de m'avoir sauvé la vie... Sans vous, je... Je serais peut-être... »

Lili prit une grande inspiration, tandis qu'un grand froid se faisait en moi. Comment aurais-je réagi en apprenant qu'elle avait été retrouvée décapitée ? Je serrai les poings, avant d'articuler d'une voix qui se voulait normale :

« - Ce n'est rien. Mais vous devriez vous reposer.

- Et s'ils viennent ? »

Elle semblait soudain terrifiée. Saisi d'une impulsion, je me rapprochai rapidement d'elle et pris ses mains dans les miennes, le regard planté dans le sien :

« - Il ne vous arrivera rien. Vous êtes en sécurité ici. Je vous le promets. »

Elle inspira profondément, les mains tremblantes. Mais, lentement, elle finit par acquiescer :

« - Je... Je vous crois. »

Résistant à la forte envie d'embrasser ses doigts, je la lâchai à regret :

« - Je dois vous laisser. Dormez tranquille.

- Reviendrez-vous ? »

Stupéfait de sa question, je tentai de croiser son regard vert, mais Lili avait baissé la tête, comme honteuse. Décidant de ne pas la brusquer davantage, j'acquiesçai :

« - Oui, sûrement dans quelques jours, afin de voir si vous allez bien. »

Je vis sa petite gorge déglutir. Et l'envie de l'embrasser se fit soudain trop forte.

Alors je me levai brusquement, me dirigeai vers la porte, et murmurai avant de m'enfuir :

« - A bientôt, Lili... »


************

Hey !

Comme quoi, parfois, suivre une personne sans son consentement peut lui sauver la vie... xD

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top