29. Prends mon collier, Juliette.

La porte s'était refermée derrière moi, me plongeant dans l'obscurité. Mais, pour une raison qui m'était inconnue, je n'avais pas peur. Certes, je sentais mon cœur battre avec force dans ma poitrine, mais ce n'était pas de peur.

Je tendis la main, et sentis sous mes doigts sur la pierre. Ce contact m'était étrangement familier. Comme si j'étais déjà venue là. Un rire nerveux m'échappa, et je ramenai vivement ma main vers moi. C'était stupide. Jamais je n'avais mis les pieds dans ces... Dans ces passages secrets.

Je savais que j'aurais dû rebrousser chemin, sortir de ce couloir noir, et retrouver Guillaume. Mais j'en étais incapable. C'était comme si quelque chose m'appelait au loin. J'étais attirée par ces dédales inconnus. Alors, je tendis de nouveau les bras, et fis quelques pas prudents en avant.

Avant que la porte ne se referme derrière moi et ne me plonger dans l'obscurité, j'avais vu que deux embranchements s'offraient à moi. Et après avoir hésité un court instant, je me dirigeai vers la droite. Seul le bruit de mes pas brisait le silence, ainsi que le bruissement de ma jupe. Et j'avais beau avancer les bras tendus, jamais je ne me heurtai à la pierre.

Soudain, sans que je ne le prémédite, je bifurquai à droite. C'était comme si mon corps agissait seul. Plusieurs fois, encore, je tournai, et jamais je ne heurtai les murs. Et je sentis soudain, sous mes doigts, une poignée. Le cœur battant, je l'abaissai, et poussai la porte.

En face de moi se trouvait un couloir sombre, seulement éclairé par la lumière qui filtrait au bas des portes. Il devait bien y avoir au moins six portes, dont l'une était entrouverte ? Les battements de mon cœur s'accélérèrent tandis que je m'avançais dans ce lieu inconnu. Le silence semblait peser comme une chape de plomb. Je fis quelques pas avant de froncer le nez en sentant l'odeur de poussière. Cet endroit semblait désert, inhabité depuis des années. Ma jupe entraînait avec elle la saleté du sol.

Avec l'horrible impression de profaner ce lieu, je m'approchai de l'une des portes, et la poussai. Elle s'ouvrit sur un cabinet de toilette, aux meubles salis de poussière. Je reculai, la gorge serrée d'un étrange sentiment. Cette endroit... Il m'était étrangement familier. Comme si j'étais déjà venue là. Je secouai aussitôt la tête. C'était ridicule.

Je fis volte-face, mais me figeai en apercevant, sur le sol près de la porte en face de moi, des traces sombres, couvertes par la poussière. Lentement, je m'accroupis devant, et les effleurai d'une main tremblante. Aussitôt, une violente sensation de détresse grimpa en moi. J'avais l'impression d'étouffer, de suffoquer. Instinctivement, je portai une main à mon collier pour en agripper le médaillon. Une voix fusa soudain dans mon esprit. Prends mon collier.

Je portai mes mains à mon crâne avec un hoquet de douleur. L'espace d'un instant, j'avais eu l'horrible sensation d'entendre des voix. Comme si j'étais devenue folle, folle comme ces hommes qui criaient dans la rue alors que j'y vivais encore. Mais ces voix avaient disparu, après avoir résonné dans mon esprit en un cœur indistinct. Je décrispai mes mains sur ma chevelure avec un gémissement plaintif. Je devais m'éloigner.

Je me relevai, les jambes tremblantes, et m'appuyai au mur pour tenir debout, mais eus un vif mouvement de recul en apercevant, tout près de ma main, d'autres taches sombres. Elles formaient une trainée presque rougeâtre qui se dirigeait vers la porte entrouverte. Le cœur battant à tout rompre, je poussai doucement le battant, et m'avançai dans la pièce.

La première chose que je vis fut le berceau, au linge blanc imprégné de taches brunâtres. Mon regard se porta ensuite sur l'autre lit, qui semblait avoir été conçu pour un petit enfant. Seul autre meuble de la pièce, une grande armoire, aux battants ouverts sur des robes d'enfant. Une petite fille... Je marchai d'un pas lent jusqu'à la penderie, et effleurai du doigt une robe rose. Le tissu était poussiéreux, sali et troué par les mites. Le sang sembla pulser dans mes veines à ce contact, et ce fut comme si, soudain, la robe m'avait brûlée. Je reculai avec un sursaut, la gorge nouée. Cette robe...

Un grincement me fit brusquement crier de peur. Je me retournai vivement, mais la pièce était vide. Il n'y avait que moi. Je m'empressai de sortir de la pièce, mal à l'aise. Les taches brunâtres sur les draps... Elles faisaient courir une sueur glacée sur mon échine. Je ne me sentais pas en sécurité.

De retour dans le couloir, je m'aperçus que l'une des portes s'était entrouverte, ce qui avait provoqué le grincement qui m'avait tant effrayée. Un rire nerveux m'échappa, mais je me tus bien vite. Tout bruit semblait malvenu dans ce lieu. Alors, silencieusement, je me dirigeai vers la porte entrouverte. Et tandis que je la poussais, une certitude s'inscrivit en moi. C'était une chambre. Dans un grincement qui me parut assourdissant, le battant s'ouvrit, dévoilant un grand lit, ainsi que deux petites tables de chevet et un secrétaire. Je sentis un vertige m'envahir. J'avais eu raison, c'était bien une chambre.

Avec l'impression que mon cœur allait bondir hors de ma poitrine, je fis quelques pas dans cette pièce. C'était étrange combien cette chambre... Elle m'était familière. Comme détachée de mon corps, je me sentis avancer davantage, jusqu'à me planter devant le grand lit. Les draps, d'un épais tissu bleu clair, étaient recouverts de poussière. Mais cela ne m'empêcha pas de l'effleurer du doigt. Et de nouveau, cet étrange sentiment grimpa en moi. Je ne pouvais le définir, mais il faisait pulser en moi une curieuse chaleur, qui semblait partir de ma poitrine pour se répandre dans tout mon corps.

Lentement, saisie d'une hésitation, je me rapprochai davantage du lit, laissant ma main courir sur le drap bleu. Et, sans réfléchir, je me laissai tomber sur la couche, avant de m'y recroqueviller. Là, blottie au milieu de ce grand lit poussiéreux et perdue au cœur du palais, je me sentais enfin à ma place, bien plus que dans les bras de Guillaume. C'était comme si j'étais enfin de retour chez moi. Je fermai les yeux, apaisée. Cette chambre, cet endroit... Il était rassurant. Je m'y sentais si bien ! Si j'avais cru aux esprits, j'aurais presque pu dire que je percevais une présence rassurante, tout près de moi. Et, loin de m'effrayer, cette sorte de présence apaisait mon cœur, comme aurait pu le faire l'étreinte d'un parent.

Un bruit me fit soudain sursauter. Je me redressai vivement, brutalement sortie de mon cocon de calme. Mais, encore une fois, j'étais seule dans la chambre. Lentement, je m'assis sur le lit, et laissai mon regard errer sur la pièce. Les rideaux tirés laissaient voir, à travers les fenêtres au verres sales, les jardins. Me passant une main dans les cheveux, je me relevai pour aller regarder par les fenêtres. Mais alors que je venais de dépasser le lit, une latte du plancher grinça sous mon pied. Je m'arrêtai aussitôt, et fis jouer la planche des orteils. Elle grinça de nouveau.

Aussitôt, je m'agenouillai, et passai mon doigt sur la latte. Je sentis un creux, alors y glissai mon index, et soulevai sans trop de difficultés la planche, que je déposai à mes côtés. Et je découvris une sorte de trappe, entièrement pleine de feuilles, toutes noircies. Les sourcils froncés, j'attrapai quelques feuillets, et compris immédiatement qu'ils étaient en fait des croquis. Il y avait un homme qui revenait souvent, ainsi qu'une petite fille et un petit garçon. Mais ce dernier n'était que très peu représenté.

En fouillant davantage dans le tas de dessins, je remarquai un portrait de femme. Il n'y avait que son visage, son cou, et le haut de ses épaules. Mais en l'observant attentivement, je ressentis une émotion familière. Elle... Elle ressemblait, enfin, ses traits ressemblaient à ceux de la femme dans la crypte. Le nez plissé, je retournai le croquis, et aperçus des phrases de griffonnées. Je les déchiffrai dans un murmure presque religieux :

« - Portrait de Titania, ma fée... »

Instinctivement, j'agrippai mon pendentif, avant de regarder de nouveau le croquis. Cette femme, Titania... Elle était si jolie, et semblait si gentille... Etait-ce possible que me trouve dans ses appartements ? Mais alors, pourquoi n'avait-elle pas habité avec Côme, le prince ?

La tête emplie de questions, je pris un autre croquis, l'un de ceux qui représentaient la fillette. Le dessin était très précis. N'y comprenant rien, je m'apprêtais à reposer la feuille lorsque j'aperçus, dans le cou de l'enfant, ce qui devait sûrement représenter un grain de beauté. Lentement, je portai une main à mon cou. J'avais le même, exactement au même endroit. Un frisson courut le long de mon échine. C'était impossible. C'était simplement une... Une simple coïncidence !

Les mains tremblantes, je m'emparai d'un autre croquis de la fillette. Ses cheveux épais et bouclés, comme les miens, retombaient sur ses petites épaules. Mais ce qui me frappa le plus vivement, ce fut sa mine concentrée. Son nez était plissé. J'avais la même mimique lorsque je réfléchissais, Betty me l'avait bien assez fait remarquer. Et Guillaume disait adorer cette moue. Le cœur battant, je me passai un doigt tremblant sur le nez. Ce n'était pas possible... Je ne pouvais être cette enfant, je... Je divaguais ! Le souffle court, je retournai le feuillet, et aperçus un griffonnage d'enfant. En plissant les yeux, et réussis à déchiffrer un prénom :

« - Juliette... »

Ce prénom éveilla brusquement en moi une migraine. Je lâchai le croquis pour porter mes mains à mon crâne avec un gémissement de douleur. Ce mal de crâne s'amplifia, dans le même temps que le chœur de voix revenait. Mais là, je comprenais. Je les entendais distinctement. Elles me chantaient dans une harmonie parfaite :

« - Je t'aime ma Juliette... Souviens-toi de moi... Va te cacher... C'est très beau ma puce... Juliette... C'est un petit frère... »

Un cri de douleur m'échappa, tandis que j'agrippais mes cheveux. Je voulais que tout s'arrête, que les voix se taisent. Mais elles continuaient de chanter, devenant peu à peu plus indistinctes. Et mon crâne sembla soudain exploser, alors que des scènes s'imposaient devant mes yeux. J'en retins deux.

Je m'amusais à sautiller dans le sable, heureuse de sentir mes pieds s'enfoncer dans ce tapis jaune. J'adorais être là, au bord de la grande eau qui revenait toujours vers moi. Maman m'avait expliqué que c'était la mer. Mais c'était tout moche comme mot. Si c'était moi qui avait dû choisir, j'aurais appelé ça une grande baignoire.

J'entendis des pas derrière moi. Je m'arrêtai aussitôt de sautiller pour me retourner, penaude. Maman m'avait demandé de rester sage, et je n'avais pas obéi... Mais je ne vis pas maman, mais un homme. Il avait les cheveux plus longs que ceux de Bertrand, et une barbe. Mais je reconnus aussitôt ses yeux verts. Folle de joie, je m'écriai :

« - Papa ! »

Totalement terrifiée, je m'agenouillai près de maman. Ses mains étaient sur son ventre, et de l'eau rouge en coulait. Elle avait les yeux fermés. Ne sachant que faire, je posai mes petites mains tremblantes sur ses joues. Et maman ouvrit lentement les yeux, avant de rester immobile. Elle me faisait peur. Toute cette eau rouge me faisait peur. Mais soudain, maman leva sa main, et me caressa doucement la joue. Aussitôt, je me jetai dans ses bras en pleurant. Les monsieurs m'avaient fait si peur !

Mais, trop vite, maman m'écarta d'elle, et je l'entendis murmurer :

« - Juliette, écoute-moi... Va te cacher... Tout de suite.

- Mais... Maman... »

Je ne voulais pas la laisser là ! Peut-être qu'elle était malade ! Je ne pus m'empêcher de pleurer, même si je détestais qu'on me prenne pour une petite fille. Maman me caressa encore la joue :

« - Juliette. Va te cacher dans l'armoire, et... N'en sors pas avant que quelqu'un ne te trouve. Tu m'entends ? »

Je la vis avoir une grimace, mais maman continua à parler :

« - Même si tu entends des voix que tu connais... Même si tu entends papa, Séraphine, Léandre... Ne sors pas. Tu as compris ? »

Je sentais à sa voix qu'elle était très sérieuse. Alors, impressionnée par son ton grave, j'acquiesçai, avant de sangloter. Je n'aimais pas la voir comme ça.

Soudain, son regard sembla s'éclairer, et elle murmura :

« - Prends mon collier, Juliette. »

Le collier de maman ? Mais... Ce n'était pas mon anniversaire, alors pourquoi voulait-elle me le donner ? Un instant, je voulus secouer la tête, mais maman eut un soupir. Alors, je glissai mes mains dans son cou pour détacher son collier. Je crus que je n'allais jamais y arriver, à cause de mes mains qui tremblaient.

Maman leva soudain les bras pour m'attacher la chaîne autour du cou, avant de retomber au sol. Elle me souffla, les yeux brillants de larmes :

« - Je t'aime ma Juliette... Souviens-toi de moi. »

Haletante, je clignai plusieurs fois des paupières. Des larmes brouillaient ma vision, alors je frottai mes yeux d'une main tremblante. Mais je m'aperçus rapidement que je ne pouvais pas m'arrêter de pleurer. Effondrée à genoux au milieu de la pièce, je pleurais. Pourquoi mes larmes coulaient-elles ? A cause de mes souvenirs ? Du fait que mes parents soient morts ? De cette rage qui grandissait en moi ?

Un cri s'étrangla dans ma gorge. Un cri de colère, de douleur ? Je ne savais pas. Mais j'avais l'impression d'étouffer. C'était comme si ma poitrine était comprimée. Je crispai ma main sur mon corsage, et sentis sous mes doigts la chaîne de mon collier. Sans réfléchir, je tirai dessus. Le médaillon resta dans ma paume. J'inclinai ma main pour que la lumière éclaire la fée gravée dans l'or. Le collier de ma mère... Un sanglot m'échappa alors que la voix de ma mère résonnait encore dans ma tête. Souviens-toi de moi. De nouveaux pleurs me secouèrent, et je bredouillai :

« - Je m'en souviens, maintenant... »

J'enfouis mon visage dans mes mains en sanglotant. Voilà pourquoi personne n'était jamais venu me chercher. Toute ma famille était morte.

Je me relevai brusquement, des larmes roulant sur mes joues. J'avais envie de fuir, de fuir ce passé trop lourd et trop sombre. Comment aurais-je seulement pu douter être la fille d'un prince ? Et mes parents avaient été tués. Ma mère, du moins. Je l'avais vue. Repenser à cette vision fit tourner ma tête, et je chancelai un instant. On l'avait tuée. Une personne m'avait ôté ma mère. Un cri de rage résonna soudain, et je compris avec un temps de retard qu'il provenait de moi.

J'étais un mélange entre la peine la plus profonde et la rage la plus vive. Toute ma vie, j'avais cru n'être que Lili. Et si je n'avais jamais découvert ces dessins, je serais restée toute ma vie Lili ! Ce fut la peine qui me submergea. Je m'effondrai en sanglotant.

**************

Hey !

Oui, ce chapitre était très long, mais... Il est essentiel ! Enfin, nous retrouvons notre Juliette !

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