23. Oh, Guillaume !

Lorsque la couronne fut solennellement posée sur la tête d'Armand, je pris une profonde inspiration. J'avais la fabuleuse impression de vivre un instant magique, hors du temps. Le sacre d'un nouveau roi. Je sentis Guillaume agripper ma main, et pressai ses doigts en silence. Lui aussi était ému, je le sentais à sa posture crispée, raide.

Le menton haut, Armand se leva du trône de cérémonie. Il avait été parfait lors du sacre, il n'avait pas cillé, et avait même souri en croisant mon regard. Les yeux fixés sur le sol, je n'écoutai pas les paroles du représentant du pape, préférant me concentrer sur les doigts qui caressaient lentement ma peau. Je tournai brièvement, et plongeai dans les yeux noirs de Guillaume, qui brillaient de tendresse. Je me sentis rougir, et baissai de nouveau les yeux.

Soudain, j'entendis Guillaume me murmurer à l'oreille :

« - Viens, mon ange. La cérémonie est terminée. Il est temps d'aller se restaurer. »

En relevant vivement les yeux, je m'aperçus qu'en effet, la grande église se vidait. Je tournai la tête vers Guillaume, qui embrassa tendrement ma main :

« - Tu t'en es très bien sortie. »

Je laissai échapper un soupir. Saluer toutes ces personnes qui me regardaient de haut uniquement parce que c'était moi que Guillaume tenait par la main avait été éprouvant. Jamais je ne m'étais sentie aussi misérable.

Une caresse sur ma joue me fit revenir au présent. Guillaume eut pour moi un doux sourire :

« - N'y repense pas, Lili. Ils ne te connaissent pas, ils jugent sans te connaître. Et ils se trompent. »

Je sentis mes lèvres s'étirer en un sourire, et murmurai :

« - Tu me dis tout le temps ça...

- Et c'est vrai. »

Il se pencha pour embrasser mon nez, avant de me tirer vers la sortie :

« - Allez, viens. Il faut que tu manges. »

Je le suivis, essayant de garder le menton haut. Mais c'était difficile, surtout quand je croisais le regard méprisant de toutes ces femmes, qui étaient bien plus belles que moi. Je crispai mes doigts sur ceux de Guillaume, priant pour ne pas faire d'impairs lors de la soirée. Sinon, je ne pourrais supporter davantage de mépris.

En pénétrant dans l'une des salles de cérémonies, j'aperçus une immense table dressée, qui faisait presque toute la longueur de la salle. Plusieurs convives y étaient déjà installés. En me guidant vers le bout de table, Guillaume me murmura à l'oreille :

« - J'ai fait en sorte d'être à côté de toi. »

Je sentais mon cœur battre dans mes tempes. Je n'allais jamais survivre à ce dîner ! La respiration saccadée, je laissai Guillaume m'aider à m'asseoir, et l'observai prendre place à ma gauche, juste à côté de la place attribuée à Armand, en bout de table.

Un bruit de fond emplissait mes oreilles. Les yeux écarquillés, je gardai le regard fixé sur les assiettes blanches posées devant moi. Elles étaient entourées de multiples couverts, et de plusieurs verres. Un instant, j'essayai de me rappeler l'usage des différents couteaux et fourchettes, mais... Mon esprit était vide. Totalement et terriblement vide.

Mon souffle s'étrangla dans ma gorge. Mais aussitôt, je sentis la main de Guillaume se poser sur ma cuisse gauche, et faire des gestes circulaires du pouce sur ma robe. Je crispai ma main sur la sienne, me concentrant sur nos deux peaux qui se touchaient pour tenter de me calmer. Il entremêla nos doigts, avant de tourner sa tête vers moi, un sourire de façade aux lèvres. Je le vis me murmurer, comme s'il me parlait du beau temps :

« - Respire, ma Lili. Je suis là. »

Sans réfléchir, je crispai un sourire, et acquiesçai. Guillaume avait raison. Il était là, à mes côtés, et il allait m'aider. Alors, lentement, je m'efforçai de me détendre.

Je sursautai en entendant du mouvement juste à côté de moi, et tournai la tête pour voir une femme qui prenait place à mes côtés. Un instant, je restai bouche bée devant sa beauté. Elle avait une magnifique chevelure blonde remontée en une coiffure sophistiquée, agrémentée de pierreries de toutes les couleurs. Sa robe, d'un rouge sombre et brodée d'argent, accentuait la pâleur diaphane de sa peau. Et lorsqu'elle tourna son visage vers moi, je vis deux superbes yeux bleus.

Je tournai aussitôt la tête vers mon assiette, avant de m'affaisser légèrement sur ma chaise. Seigneur, mais que me trouvait Guillaume ? Cette femme était tout simplement magnifique ! A côté... Combien je devais paraître empruntée, peu à l'aise ! Je l'entendis soudain avoir un rire de gorge, et la regardai de nouveau.

Mais elle eut pour moi un regard empli de haine, avant que ses prunelles ne se fassent plus brillantes tandis qu'elle avait un ravissant sourire pour ma gauche :

« - Oh, Guillaume ! Comment vous portez-vous ? »

Sa voix chaude hérissa mes poils. Et je compris au regard qu'elle avait pour Guillaume qu'elle avait été sa maîtresse. Je me tournai vers lui, et vis qu'il avait lui aussi un sourire aux lèvres en lui répondant :

« - Bien, et vous, Adeline ?

- Oh, vous savez, je me porte bien. Le sacre était grandiose, n'est-ce pas ? »

Coincée entre eux deux, j'eus soudain l'impression d'être en trop. Ils se parlaient comme deux amis en m'ignorant, alors que j'était au milieu. Et pire, Guillaume rit plusieurs fois aux traits d'esprit de « Adeline ». Quant à elle, elle avait d'élégants gestes de mains, se penchait pour mettre en valeur sa poitrine décolletée, et ne cessait de le considérer d'un regard brûlant.

Une violente peine grimpa dans ma gorge. J'avais envie de me lever, de gifler cette femme, puis de gifler Guillaume et de m'enfuir. De partir loin d'Adeline qui minaudait, loin de Guillaume qui m'ignorait, et loin des quelques regards satisfaits que je croisais. C'était comme si tous étaient ravis de me voir délaissée. Mais alors même que je réfléchissais à comment me lever, le silence tomba dans la pièce. Et Armand fit son apparition.

Il se tenait bien droit, bien majestueux dans sa tenue royale. Et même s'il venait tout juste d'être sacré roi, je ne pouvais m'empêcher de le voir autrement que comme un jeune homme souriant, aux yeux pétillants de malice, et à la sympathie sans égale. Il se plaça devant son siège, et s'assit avec des gestes précis. En croisant mon regard, il eut un discret clin d'œil, avant de prendre son verre pour le lever :

« - Je vous remercie d'être ici, mes chers sujets. Mais ne perdons pas de temps. Mangeons ! »

Sa simplicité me fit sourire un instant. Mais mon sourire se fana lorsque des domestiques arrivèrent avec plusieurs plats. Aussitôt, la peur de commettre des impairs me reprit de plus belle. Et Guillaume était occupé à parler avec Armand, me laissant seule avec les couverts.

L'un des serviteurs me servit un bol de potage, puis s'éclipsa. J'eus un discret regard pour Guillaume, mais il ne mangeait pas. Quant à ma voisine, elle était occupée à le regarder, un sourire de circonstances aux lèvres, attendant qu'il se tourne de nouveau vers elle. Je me mordis la lèvre, avant de laisser errer mon regard sur les autres convives. Et j'aperçus enfin un homme s'emparer de la plus grosse cuillère.

En réprimant un soupir de soulagement, je m'emparai du même couvert, et calquai mon attitude sur lui afin de paraître plus distinguée que je ne l'étais réellement. Et, malgré mes mains qui tremblaient et malgré le fait que Guillaume ne me regardait plus du tout, je réussis à me débrouiller pour finir le potage.

Malheureusement pour moi, tout le repas se fit dans cette atmosphère. Les plats étaient servis alors que Guillaume parlait, soit avec Armand, Adeline, ou d'autres convives. Et j'en était réduite à observer les autres pour tenter de me sortir de ce repas infernal. Plus les minutes passaient, plus j'avais envie de pleurer. J'étais totalement ignorée, méprisée, voire détestée par Adeline.

Soudain, alors qu'un domestique déposait devant moi un autre bol de potage, un mouvement d'Adeline lui fit renverser son plateau. Sur moi. Une exclamation de douleur m'échappa lorsque le liquide me brûla les mains, et le corps à travers le tissu. Le silence s'abattit sur la table, alors que tous me regardaient. Et Adeline eut un rire faussement désolé :

« - Oh Seigneur, pardonnez-moi, je suis si maladroite ! »

Mais je lisais dans son regard toute la satisfaction que lui avait rapportée son geste. C'en était trop.

Sans un regard pour personne, je me levai brusquement, les yeux humides. Mais il était hors de question que je pleure devant eux. Résistant à la très forte envie de jeter le contenu de mon verre à la figure de cette vipère, je me contentai de sortir de table, et de m'enfuir le plus vite possible de cette pièce.


*********

Hey !

Le repas aurait pu bien se passer, s'il n'y avait eu que Lili et sa bonne volonté...

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