2. Très bien. A vous.

Je poussai doucement la porte de la taverne, et pénétrai à l'intérieur avant de refermer doucement le battant.

« - Mais raconte-moi, j'te dis !

- Il n'y a rien de plus à dire, Betty... »

Je me glissai aussitôt dans l'ombre d'un pilier, le regard fixé sur les deux jeunes femmes perchées sur une table. J'avais déjà reconnu la douce voix de Lili, et celle de son amie.

La femme qui occupait toutes mes pensées était sur la pointe des pieds, le bras tendu pour épousseter avec un plumeau les faux lambris des murs. Et Betty ne cessait de la chatouiller avec son propre chiffon pour lui arracher des informations :

« - Mais si, dis-moi ! »

Lili abaissa un instant le bras, et tourna la tête vers son amie. Son profil était ravissant, tout en délicatesse. Elle secoua la tête :

« - Mais je n'ai rien à dire ! Il... Il a cru que j'étais guérisseuse, et moi j'ai cru qu'il était le frère d'André !

- Oui, c'est ça... Un beau brun à en tomber par terre t'abordes, et c'est tout ? »

Je remarquai que Lili se passait une main nerveuse sur la nuque. Elle haussa les épaules, et finit par murmurer :

« - Oui... C'est tout. »

Elle se remit à nettoyer. Et je vis Betty croiser les bras, visiblement peu convaincue.

Un sourire amusé aux lèvres, je sortis de mon recoin d'ombre, et me raclai la gorge. Aussitôt, les deux femmes se tournèrent vers moi. Lili s'empourpra joliment, tandis que Betty souriait avec malice. Les deux descendirent de la table, et ce fut la blonde qui s'exclama la première :

« - Mais voici notre bel inconnu ! »

J'acquiesçai en la saluant :

« - Ravi de vous revoir. Betty, c'est ça ?

- Oui ! »

Elle me tendit la main, et je la serrai, amusé par sa spontanéité. Et brusquement, elle se tourna pour planter un baiser sur la joue de Lili :

« - Allez, je dois rentrer, Raphaël m'attend ! A demain, sois à l'heure ! »

Elle lui fit un clin d'œil, pensant sûrement être discrète, puis attrapa une veste et sortit en fermant la porte.

Seul avec Lili, je la vis rougir avec force, et elle s'empressa de prendre un torchon pour nettoyer une table. Lentement, je m'approchai d'elle pour lui demander d'une voix douce :

« - Pourrais-je avoir à boire ? »

Elle sursauta, et se retourna vers moi, les yeux légèrement agrandis :

« - Oh, vous... Enfin, je... Oui, que voulez-vous ? »

Je semblais l'intimider. Je retins un grognement pour hausser les épaules :

« - Avez-vous de la bière ? »

Lili acquiesça, et se faufila derrière le comptoir pour me servir un verre. En l'observant, je m'assis à une table, retirant la veste de tissu noir. Par habitude, je me passai une main dans le cou, effleurant la fine cicatrice qui y courait.

Bien sûr que je l'intimidais ! Comment aurait-elle pu réagir alors qu'un homme imposant, aux yeux noirs et au corps plein de cicatrices l'avait abordée ? Un souffle rageur envers moi-même m'échappa. C'était la première fois que mon apparence effrayait tant une femme, et c'était la première fois que je m'en préoccupais.

Lili revint devant moi, et déposa le verre sur la table en évitant de croiser mon regard. Et je devais bien avouer que cela était pour moi extrêmement frustrant, car elle avait des yeux magnifiques. Alors, tandis qu'elle reprenait le chiffon pour astiquer les tables, je lui demandai :

« - Pourquoi ne pas vous asseoir un instant ? »

Je la vis se figer, et elle se tourna lentement vers moi. Ses grands et beaux yeux verts croisèrent les miens un court instant, juste avant qu'elle ne les baisse, semblant stupéfaite :

« - Moi ? Mais... Pourquoi ?

- Je ne sais pas, nous pourrions faire connaissance ? Et... Je voulais m'excuser si je vous ai fait peur lorsque je vous ai abordée. »

Lili tritura nerveusement le chiffon entre ses fines mains, et soudain, je n'y tins plus. Je m'emparai de ses mains pour les serrer doucement dans les miennes, et étirai un léger sourire :

« - Je vous en prie, je ne compte pas rester longtemps...

- C'est que... J'ai encore des tables à nettoyer, et...

- Et je vous aiderai. »

Ses mains frémirent dans les miennes, alors je les relâchai. Mais, alors que je pensais qu'elle allait s'éloigner, elle me demanda doucement :

« - Vous... Vous le feriez vraiment ?

- Bien sûr. »

Lili cligna des paupières, avant de s'asseoir doucement en face de moi, serrant son chiffon entre ses doigts fins.

Soulagé qu'elle ait accepté, je m'accoudai à la table pour me pencher légèrement vers elle :

« - Depuis combien de temps travaillez-vous ici ?

- Oh... Environ... Deux ans, je crois... »

Elle avait le nez plissé de concentration, et finit par hausser une épaule :

« - Oui, deux ans.

- C'est là que vous avez connu Betty ? »

A la mention du nom de son amie, Lili eut un grand sourire :

« - Oh non, nous nous connaissons depuis bien plus longtemps... Depuis que nous sommes toutes petites. Mais c'est Betty qui m'a trouvé ce travail.

- Où travailliez-vous avant ? »

Son sourire se fana tandis qu'elle baissait la tête. Et elle me répondit en détournant le visage :

« - J'étais blanchisseuse. Dans une famille de bourgeois. »

Je vis un éclair de douleur traverser son regard. Aussitôt, je pris ses mains dans les miennes pour les presser doucement :

« - Que s'est-il passé ?

- Rien, rien... »

Elle secoua la tête, et je compris que pour l'instant, elle ne me dirait rien. Alors j'eus un sourire pour elle :

« - Très bien. A vous. »

Ses yeux verts surpris croisèrent les miens :

« - A moi ?

- Oui, posez-moi une question.

- Oh... »

Lili rougit, mais me demanda tout de même d'une voix douce :

« - Et vous... Travaillez-vous ? »

Je remarquai qu'elle avait toujours ses mains dans les miennes. En réprimant un sourire satisfait, je réfléchis rapidement pour lui trouver un mensonge crédible, avant de répondre :

« - Je suis artisan au château royal.

- Oh, vraiment ? Alors... Vous avez déjà vu le roi ? »

Je retins un soupir pour secouer la tête :

« - Non. Ni le roi, ni le prince. »

C'était l'occasion rêvée pour en apprendre plus. Alors, je lui demandai en fronçant les sourcils :

« - Que pensez-vous d'eux ? »

Lili leva ses beaux yeux vers moi, le nez plissé :

« - Du roi et du prince ?

- Oui. »

Elle sembla réfléchir un moment, puis haussa les épaules :

« - Je n'en sais rien. Mais de toute façon, peu importe qui règnera, les personnes riches s'enrichiront encore plus, tandis que nous... Nous resterons pauvres. »

Stupéfait par sa réponse, je restai un instant silencieux. Il était vrai qu'étant devenu prince adoptif, je n'avais plus ce souci d'argent. Je ne devais plus vivre au jour le jour, m'inquiétant sans cesse d'avoir suffisamment de sous pour manger le lendemain. Mais Lili, elle, vivait dans ce monde. Elle n'était pas riche, et devait travailler pour espérer vivre.

Ne sachant que dire, je me contentai d'acquiescer en silence. Et brusquement, Lili se releva, les joues rouges :

« - Je vais vous laisser boire. »

Elle se détourna pour astiquer la surface du bar, évitant mon regard. Je retins un soupir déçu, préférant terminer rapidement mon verre. La bière était trop amère, piquant presque mon palais et ma langue. Malgré tout, je bus tout, et retins une grimace. Je préférai la bière du cuisinier royal.

Lili revint soudain devant moi, et pris mon verre :

« - Cela vous fera cinq sous. »

Sans me regarder, elle s'éloigna de nouveau. Un grondement manqua m'échapper tandis que je sortais de l'argent de ma poche. Je laissai dix sous sur la table. Lili pouvait garder la différence, elle en avait sûrement plus besoin que moi.

Lentement, je me relevai. Je vis les gestes de Lili devenir plus hésitants, et elle finit enfin par se retourner vers moi. Aussitôt, je lui proposai sans réfléchir :

« - Acceptez-vous que je vous raccompagne ? »

Elle recula d'un pas, ses yeux verts agrandis par la panique :

« - Mais... Je... Je ne vous connais pas ! »

Lili semblait réellement terrifiée. Et, dans un sens, je la comprenais. Après tout, je n'étais pour elle qu'un homme qui l'avait abordée plusieurs fois, dont elle ne connaissait absolument rien. J'aurais pu être un dangereux tueur.

Alors, je reculai d'un pas :

« - C'est vrai... Vous avez raison. Je n'aurais pas dû proposer cela. »

J'avais l'impression de m'arracher les mots de la bouche. Mais j'aurais dû me douter que jamais elle n'aurait accepté. J'avais été trop impatient.

Lili se frotta la nuque, n'osant plus regarder vers moi, et murmura :

« - Je... Je ferai mieux de partir.

- Très bien. J'espère vous revoir. »

Je la vis rougir, mais elle ne répondit pas. Lili s'esquiva un instant pour passer un long manteau légèrement rapiécé, avant de revenir vers moi :

« - Sans vouloir vous mettre dehors, je... Je dois fermer...

- Bien sûr. »

Je me dirigeai vers la porte, une pensée en tête. Et alors que je sortais de la taverne, je me tournai une dernière fois vers elle pour lui sourire, savourant la vue de ses magnifiques yeux verts plongés dans les miens :

« - Gardez toutes les pièces. »



***********

Hey !

Premier rapprochement héhé !


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