18. Marguerite, j'ai besoin de toi...

Seule avec Guillaume dans ses appartements, je l'écoutais attentivement me présenter les différents couverts. Il avait fait dresser tout exprès pour moi une table, afin de m'apprendre les bonnes manières. Et même si cela me hérissait, je prenais sur moi pour lui faire plaisir. Mais je devais bien avouer que l'entendre me préciser l'usage de chaque couvert un par un m'ennuyait au plus haut point.

Bon Dieu, est-ce qu'il était nécessaire d'avoir un couteau à poisson, un à viande, un à beurre, et encore plus de fourchettes ? Je mangeais très bien avec deux couverts !

« - Eh, Lili ? »

Guillaume claque des doigts devant mes yeux, me faisant sursauter. Devant ses prunelles noires, je baissai les yeux, avant de murmurer :

« - J'écoute...

- Non, Lili. Tu n'écoutais pas. »

J'avais l'horrible impression de le décevoir. Je triturai nerveusement mes doigts, les yeux fixés sur mes ongles.

J'entendis Guillaume soupirer, et il enroula ses doigts autour de mon menton pour que je relève la tête vers lui :

« - Mon ange, je sais que ce n'est pas très amusant, mais... Tu dois t'habituer aux coutumes.

- Mais pourquoi est-ce que je ne peux pas utiliser seulement un couteau et une fourchette ? Tout serait plus simple ! »

Il eut un léger sourire, avant d'afficher une mine plus sévère :

« - Je t'ai déjà expliqué que c'est comme ça... Tu n'y peux rien. »

Je me mordis la lèvre pour retenir mon chagrin. Je ne pouvais rien faire à propos de rien. Je ne pouvais pas éviter de porter toutes ces lourdes robes qui m'empêchaient de bouger, je ne pouvais plus me coiffer simplement, je ne pouvais plus me laver moi-même, je ne pouvais plus dormir avec Guillaume... Je ne pouvais plus être moi-même. Et lui ne semblait pas voir tous les efforts que je faisais pour lui. Il ne voyait que mes impairs.

J'eus brusquement la sensation d'étouffer. Je devais prendre l'air. Alors je soufflai, et murmurai :

« - Je suis désolée, je... Je suis fatiguée...

- Bon, arrêtons là. Mais nous reprendrons quand tu auras un peu dormi. »

Ainsi, il ne voulait passer du temps avec moi que pour m'apprendre comment « bien » me comporter et me tenir ? Je retins difficilement mes larmes. Il ne voyait déjà plus en moi que mes défauts.

Je le laissai embrasser mon nez, et me forçai à étirer un sourire, avant de sortir de ses appartements. Et heureusement pour moi, à cette heure du repas, les couloirs étaient quasiment vides. Je m'empressai de rejoindre ma chambre, où je m'enfermai. Aussitôt, je m'écroulai sur mon lit, laissant le chagrin me submerger.

Combien je regrettais ma vie d'avant ! Certes, il y avait des jours où je ne mangeais pas, mais au moins, j'étais libre de faire ce que je voulais. Il n'y avait pas de courtisans pour me juger du regard à chaque fois qu'ils me voyaient, il n'y avait pas de couteaux et de fourchettes stupides, il n'y avait pas tant de protocole qui m'étouffait.

Et Betty me manquait horriblement. Depuis que j'avais mis les pieds dans ce palais, il y avait déjà six jours, je n'en étais pas ressortie. Guillaume trouvait toujours de nouveaux usages à m'entrer dans le crâne. C'était facile pour lui, il avait été élevé dans ce monde si hypocrite et compliqué ! Mais moi... J'avais grandi dans la pauvreté, là où je n'avais pas dix couverts différents.

J'étouffai un sanglot dans mon oreiller. Je devais sortir. Mais je ne pouvais sortir dans cette riche robe gris perle. Et je ne connaissais qu'une seule personne qui pouvait m'aider. Aussitôt, je me redressai, avant d'essuyer mes larmes. Je devais arrêter de me lamenter. Je me relevai, vérifiant que ma coiffure était intacte. Car si j'avais bien appris une chose ici, c'était que l'apparence était bien plus importante que le reste.

Le menton haut, je ressortis de mes appartements, et me dirigeai d'un pas que j'espérais digne vers les quartiers des domestiques. Ils étaient bien à l'écart, ce que je trouvais stupide, puisque cela les forçait à parcourir d'énormes distances tout au long de la journée, et ils n'étaient que peu, ou pas récompensés.

En me repérant avec quelques difficultés, je réussis à trouver le chemin de la blanchisserie. L'odeur du métal chaud et du linge humide fit remonter en moi de mauvais souvenirs, et je secouai la tête. Ce n'était pas le moment de penser à cela. Je pénétrai dans la pièce à la chaleur étouffante, et aussitôt, toutes les conversations se turent.

Je cherchai Marguerite du regard, avant de lui faire un discret signe du menton. Elle se leva rapidement avec des gestes révérencieux :

« - Vous avez besoin de moi, mademoiselle ?

- Oui, venez. »

J'avais employé mon ton le plus digne, espérant que personne ne rapporterait que j'étais venue là.

Marguerite m'accompagna dehors, avant de refermer la porte et de pouffer de rire :

« - Eh bien, si je vous connaissais pas, je vous aurais prise pour une vraie aristocrate !

- Marguerite, j'ai besoin de toi... »

Elle me jaugea attentivement, avant d'acquiescer :

« - Bien. Venez. Cela vous dérange-t-il si on va dans ma chambre ?

- Non, c'est parfait. »

Je la suivis dans un dédale de couloir, avant qu'elle ne s'arrête devant une porte. Elle actionna la poignée, et s'effaça dans un murmure :

« - Ne faîtes pas attention au désordre, mademoiselle. »

Lorsque je pénétrai dans la pièce, je fus frappée de l'étroitesse du lieu. Dans peu de place s'entassaient trois misérables couches, ainsi que des tenues empilées sur un pauvre clou fixé au mur.

La porte se referma, et Marguerite revint à mes côtés :

« - Que voulez-vous, mademoiselle ?

- J'ai besoin d'une tenue. Je dois sortir. »

Ses yeux s'écarquillèrent, avant qu'elle ne secoue la tête :

« - Oh non, vous êtes bien ici !

- Je dois prendre l'air, Marguerite. Et j'ai besoin que tu me prêtes une tenue, pour que je puisse sortir du palais. »

Elle se mordit la lèvre d'hésitation, alors je pris ses mains dans les miennes pour les serrer :

« - Je t'en prie, je... Je n'en peux plus de ce palais, de ces courtisans et de tout ce protocole stupide. Et je dois revoir une amie très chère. »

Marguerite soupira, mais leva un regard incertain vers moi :

« - Vous... Vous me promettez qu'il ne vous arrivera rien ? Et vous reviendrez rapidement ? »

A la vérité, je ne savais combien de temps j'allais rester dehors. Sans doute quelques jours. De toute façon, Guillaume avait déjà suffisamment de choses à me reprocher, alors une de plus ou de moins...

J'acquiesçai :

« - Je te le promets.

- Bon... C'est d'accord. Allez, déshabillez-vous. »

Pendant que je délaçais mon corsage et cet instrument de pure torture qu'était le corset, puis que j'enlevais toutes mes couches de vêtements, Marguerite fouillait parmi les robes suspendues au clou. Et elle finit par se retourner vers moi, une robe marron dans les bras :

« - Elle devrait vous aller. C'est ma robe du dimanche. Je vais vous aider à la mettre. »

Elle laça les liens dans mon dos, avant de repousser les couches de mon ancienne tenue du pied. Et un ravissant sourire éclaira son visage lorsque je me retournai vers elle :

« - Vous êtes bien mieux comme ça, mademoiselle.

- Je t'en prie, appelle-moi Lili lorsque nous sommes seules. J'ai été à ta place moi aussi, et je ne veux pas de tout ce respect. »

Devant mon air suppliant, Marguerite ne put qu'acquiescer :

« - Bien... Lili. Mais si vous voulez sortir, il faut que je rectifie votre coiffure.

- Oh non, je le ferai seule. »

J'ôtai toutes ces pinces qui maintenaient ma chevelure en une coiffure bien trop sophistiquée pour moi, avant de la natter simplement. Là, je me sentais de nouveau moi-même.

Je tournai sur moi-même en riant, avant de serrer Marguerite dans mes bras :

« - Merci Marguerite ! Tu ne sais pas à quel point tu me rends service !

- J'en suis ravie. Mais vous ne devriez pas rester là. »

Je me souvins aussitôt que je l'avais tirée de son travail. Aussitôt, je pris sa main dans la mienne et sortis de la pièce. Je pris soin de garder le visage baissé pour que personne ne me reconnaisse, et lâchai mon amie lorsque nos chemins durent se séparer. Elle me salua du bout des doigts, avant de s'empresser de rejoindre la blanchisserie.

De mon côté, j'empruntais la direction opposée sur ses conseils. Et en suivant ses conseils, j'arrivais devant la sortie des domestiques. Il n'y avait personne. Le cœur battant de joie, je poussai la porte, et sortis du palais.


**********

Hey !

Évidemment que Lili allait finit par étouffer dans ce monde d'hypocrites qu'est la Cour... Je n'aurais pas tenu longtemps non plus xD Pensez-vous que ce soit une bonne idée pour elle de sortir ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top