PROLOGUE
TW : suicide, mutilations, maladie mentale, sang.
Je me tenais dans l'embrasure de la porte, entre l'obscurité du couloir et la lumière projetée par la veilleuse.
Dans les ténèbres, quelque chose chuchotait.
Une voix, constante. Qui parfois se mêlait aux autres. Parce que j'étais folle.
J'étais folle.
Dans le clair-obscur de la chambre, l'apaisement. Je n'avais qu'un pas à faire pour imaginer aller mieux.
Imaginer que ça en valait la peine.
Dans le lit, le corps endormi de mon premier. Un petit garçon qui ne connaîtrait probablement jamais le bonheur. À cause de moi.
À cause de toi, à cause de toi, à cause de toi.
Je ne voulais pas que mon grand garçon porte plus sur ses épaules.
Je ne voulais pas qu'il soit obligé de s'occuper de moi.
Comme eux.
Je déglutis et mes pas me menèrent à la seconde chambre.
Je m'enfonçai dans l'obscurité ; ignorai la lumière. Il y aurait dû avoir un bébé ici, dans ce berceau, mais il n'y en avait pas. Parce que Griffin avait compris. Il avait vu dans mes yeux que c'était trop. Que je ne pourrais rien en faire.
Que je ne pourrais pas m'en sortir, parce que tu es un cas désespéré.
Que j'étais déjà détachée de tout ça, parce que tu es un monstre qui veut tuer ses bébés.
Que j'avais déjà perdu la lumière de vue, parce que tu veux faire du mal à tout le monde, toi y compris.
Que je ne retrouverais jamais le chemin que j'avais vu à une époque, parce qu'elle n'était plus là, celle qui avait été mon rocher, celle qui avait toujours su ramener le papillon de nuit que j'étais dans la chaleur.
Je savais que c'était la fin.
Je savais que je n'avais plus la force de me battre.
Je savais que Maverick reviendrait bientôt. Car il ne me laissait pas longtemps toute seule.
À croire qu'il savait.
Tu ne manqueras à personne de toute façon. Ils se gèrent très bien sans toi. Tu n'es qu'un poids. Inutile. Tu. Es. Inutile.
Je me laissai glisser contre le mur, ma tête émettant un bruit sourd quand je la cognais. Je voulais pleurer, hurler, mais ça ne faisait que réveiller le monstre à chaque fois.
Les voix faisaient de moi une autre personne.
Un être... étrange, qui oscillait entre la conscience du bien et du mal.
J'aimais faire du mal.
Je me détestais d'aimer ça, parce que ce n'était pas bien.
Pas bien. Pas bien. PAS BIEN ! Sale petite menteuse.
Un gloussement. Peut-être le mien, peut-être pas.
Je savais... je savais qu'au fond, ce n'était pas vrai. Ce n'était pas comme ça. C'était plus que ça. Qu'ils faisaient tout pour m'aider. Qu'ils faisaient peut-être même de leur mieux.
Mais ça ne suffisait pas.
Je ne supportais plus de voir la pitié dans les yeux de Dani.
Il ne te supporte plus, ne t'inquiète pas.
Je ne supportais plus de voir la tristesse dans les yeux de Griffin.
Il veut te sauver, mais tu es une cause perdue, hein ?
Je ne supportais plus de voir le désespoir dans les yeux de Maverick.
Laisse-lui les enfants, comme ça, il aura un morceau de toi.
C'était trop.
C'était trop pour moi.
Je n'arrivais plus à penser. Je n'arrivais plus à réfléchir.
Je n'arrivais plus à voir au-delà de tout ça.
Je n'y arrivais plus.
Je n'en VOULAIS PLUS.
Mais si tu arrêtes tout, il n'y aura plus de sang, il n'y aura plus de douleur et la douleur, tu aimes ça !
Je me remis sur mes pieds et retournai dans ma chambre. Cela faisait plusieurs mois que nous n'avions pas dormi à quatre ici. Et c'était ma faute.
Encore. Toujours ma faute.
Toujours à cause de moi... TOI !
Je rampai dans l'armoire et tirai plusieurs cartons avant de trouver celui que je cherchais. Il y avait des tas de journaux intimes, tous destinés à une personne qui n'était plus là depuis longtemps.
Et c'était mieux ainsi.
Parce qu'elle me sauvait à chaque fois.
Et ce soir, ce soir je ne voulais pas qu'on me sauve.
Je ne voulais pas qu'on me sauve.
Je voulais juste partir.
MENTEUSE !
Je secouai la tête. Les voix, c'était comme un insecte agaçant.
Elles soufflaient toujours tout l'inverse.
Elles soufflaient une vérité biaisée.
Je voulais dire au revoir.
Je voulais simplement lui dire au revoir.
Je voulais simplement leur dire au revoir.
Mais comment le disait-on ?
Avec du sang. Avec des cris. Fais-leur mal, Cleo. Fais qu'ils se souviennent tous de toi. Pour toujours, Cleo. Pour toujours !
Comment on expliquait à quelqu'un qui vous aimait profondément qu'on avait plus la force ?
Tue-les. Ce sont eux le problème, pas toi. Jamais toi.
Qu'on avait utilisé toute la force que l'on pouvait ? Qu'il n'y avait plus d'espoir ? Qu'on ne trouverait rien d'autre que du vide, du noir.
Tu es faible. Inutile. Faible, faible, faible !
Quelque chose qui s'amassait en moi depuis toutes ces années sans que je puisse le contrôler.
Ça revenait par vague, encore et encore.
Depuis qu'elle était partie.
Peut-être qu'elle aurait réussi.
À les faire taire.
Menteuse.
Je gribouillai mes pensées, mes mots.
J'étais concentrée, chirurgicale.
Qu'elle les lise ou non, ça importait peu.
Car elle ne serait pas là pour me sauver.
Tant mieux.
Je ne voulais pas qu'elle me sauve.
Tu ne vaux rien, Cleo. Ils ne t'aiment pas. Tes enfants ne t'aiment pas.
Je refermai le carnet et le déposai dans le carton. Je le cachai de nouveau et me levai.
Je retournai dans le couloir. Retournai jusqu'à la chambre d'Archie.
Petit, tout petit Archie.
Il grandirait sans mes cris, sans mes pleurs, sans mes humeurs.
Maman est folle, maman est folle, MAMAN EST FOLLE !
Il irait mieux sans moi. On prendrait soin de lui.
Et pas de moi. PAS DE TOI !
Je dévalai les escaliers de la maison où j'avais vécu plusieurs années. Je ne voulais pas faire ça ici. C'était idiot. Mais je voulais être sûre.
Je ne voulais pas rater ma chance.
Je ne voulais pas qu'ils me trouvent.
Je ne voulais pas que les voix me fassent changer d'avis et que je m'en prenne à Archie. Encore.
C'est parce que tu es un monstre. Un monstre, un monstre. Une mère monstrueuse !
Je devais réussir cette fois.
Car je ne supporterais pas leur regard après ça.
Je ne supporterais pas.
Je n'y survivrais pas.
C'est le but, n'est-ce pas ? De ne pas survivre !
Je gloussai. Ou alors c'était la voix. Celle qui parfois résonnait plus fort que les autres.
Je trouvai les clés de la voiture de Dani. Il ne l'utilisait jamais. C'était pour « les enfants ». Alors il ne l'utilisait pas. Il conduisait sa moto et c'était tout ce qu'il faisait.
Tout ce qu'il faisait. Sans les enfants.
Sans moi.
Parce qu'il ne t'aime pas, Dani.
Je poussai la porte et entrai dans le garage. Quelques minutes plus tard, je me retrouvai sur une longue route. Je connaissais un vieux motel, à plusieurs kilomètres. Un vieux motel auquel j'avais déjà pensé ?
Peut-être.
Je regardai sur le siège passager. La trousse de toilette de Maverick. Je déglutis.
L'odeur de la voiture était presque écœurante.
L'odeur était celle des enfants.
1, 2, 3 nous irons au bois.
Mon souffle commença à devenir erratique.
— Pourquoi ? Pourquoi tu ne peux pas être heureuse ? dis-je à mon reflet dans le rétroviseur.
Un instant, je me vis sourire. Une grimace.
Tu es folle, Cleo.
Je frappai le volant, une fois, deux fois. Je faillis sortir de la route et me concentrai quand une voiture me fit des appels de phares.
4, 5, 6 avec les enfants.
Le motel.
Il fallait que j'aille jusqu'au motel. Il fallait que je le fasse.
Je ne pouvais plus continuer comme ça.
Ils ne perdront rien. Tu n'es rien sans eux. Mais eux sont quelque chose, même sans toi.
Je serrai le volant et mes jointures blanchirent. Je trouvais enfin le motel. Une place sur le parking.
Je pris les affaires de Maverick et mon sac. Je patientai à l'accueil parce qu'une dame était là avant moi. Je comptais dans ma tête à l'envers. En partant de mille. Parfois, ça fonctionnait. Parfois, ça empirait les voix.
Ça empirait cette partie de moi.
Qui était prête à tout.
Prête à tout pour que ça s'arrête.
Tout.
Tout.
7, 8, 9 sans le dire à personne.
L'homme me donna les clés de la chambre après avoir accepté les billets. Il me dévisagea, comme s'il me reconnaissait, mais il ne pouvait pas. Il n'était pas à la botte du club.
Je grimpai les quelques marches qui menaient à l'étage et trouvai enfin la chambre. Ça puait la cigarette. Une odeur qui rassura l'enfant traumatisée en moi. Qui me rappela la voix de ma mère. Ses coups sur mon pauvre corps.
Mérités. Ils étaient mérités.
Je vidai le contenu de la trousse de toilette de Maverick et trouvai ce que je cherchais.
Je me rappelai de la conversation qu'elle avait eue avec l'infirmier.
Pas assez profond. Pas assez profond.
Pas assez profond.
Je déposai les lames de rasoir sur le bord de l'évier. Je poussai l'eau chaude et attendis que la baignoire se remplisse.
10, 11, 12 et nous reviendrons, recouvert de sang.
Je sentis quand mon cerveau souhaita me protéger de ce que j'allais faire.
Mais les voix gagnaient toujours.
Je ne me vis pas retirer mes vêtements.
Je ne me vis pas me glisser dans l'eau brûlante.
Je ne me vis pas recommencer à pleurer.
Je ne ressentis rien quand l'eau s'agrippa à ma peau. À mes muscles. Brûlante.
Vint ce moment.
Ce moment où vous ne ressentiez absolument rien.
Pas d'espoir pour l'avenir.
Pas de regrets du passé.
Juste un néant profond qui vous grignotait.
Pas assez profond.
Je regardai les marques sur mes poignets.
Plus profond cette fois-ci.
Ce n'était plus le moment d'appeler à l'aide. Je n'avais plus envie de demander de l'aide. Je n'avais plus la force.
Je n'attendais plus rien.
De personne.
Même pas de moi.
Alors je devais le faire. Je devais le faire.
Pour éviter d'être un poids.
Pour éviter de souffrir autant.
Pour éviter de réfléchir à ce que ça ferait d'étouffer le bébé.
Pour éviter de réfléchir à ce que ça ferait de laisser Archie dans la forêt.
Pour éviter de réfléchir à ce que ça ferait de...
Tu aimes ça, Cleo. Souviens-toi. Tu aimes être une horrible maman.
La douleur éclata dans mon poignet quand la lame trancha la peau, puis le muscle.
Il y eut du sang.
Mais pas beaucoup. Pas encore.
Pas assez profond.
Pas assez profond.
Un cri m'échappa quand la lame s'enfonça. Des larmes sur mes joues. La douleur vicieuse. Mes doigts engourdis immédiatement.
Ne perds pas la lame.
Ne perds pas la lame.
Je devais rester concentrée.
Je devais réussir.
Je ne pouvais pas encore échouer.
Mais je ne devais pas aller trop profondément. Pas encore. Sinon, sinon... je ne pourrais pas me trancher les veines de l'autre bras.
Tout était une question de minutie.
J'y avais pensé.
Encore, encore. Comme une idée fixe.
Le matin au réveil.
Pendant le déjeuner d'Archie. Alors que Mave me faisait l'amour.
J'y avais pensé alors que Dani me regardait droit dans les yeux.
Couper. Couper. Couper.
Parce que le sang, c'était beau.
Je soufflai, de la sueur dans les yeux, un spasme au creux de moi. La lutte inutile d'un corps qui perdait une bataille. Mes doigts étaient engourdis, mais je réussis à changer ma prise. La douleur était supportable.
1, 2, 3... où irons-nous, Cleo ?
— Au bois.
La douleur n'était rien comparé à ce que j'avais déjà vécu.
La douleur n'était qu'un autre moyen de savoir que j'étais encore vivante.
Et je ne voulais plus l'être.
Je dus m'arrêter un instant avant de m'attaquer à l'autre poignet.
Les minutes passaient, me rapprochais du moment où ils sauraient.
Mais il n'y avait qu'elle qui aurait pu me sauver, qui aurait pu savoir.
4, 5, 6... avec qui irons-nous au bois, Cleo ?
— Les enfants.
Le deuxième poignet fut compliqué. Il fallait trancher.
Pas un coup sec. Non, il fallait y aller couche par couche. Profondément. Trancher dans le vif.
Trancher les nerfs.
7, 8, 9... est-ce que nous le dirons à quelqu'un, Cleo ?
— À personne.
Peut-être que j'aurais dû prendre le flingue de Dani. Plus rapide. Plus efficace.
Mais je voulais la douleur.
Je l'attendais, je l'accueillais. Parce que c'était bon, si bon.
Ne perds pas la lame.
Comment dire au revoir ?
Ne perds pas la lame.
Ne perds pas la lame.
La lame m'échappa. Je ne sentais plus rien.
Plus de nerfs.
10, 11, 12... pourquoi on reviendra couvert de sang, Cleo ?
Ma langue colla mon palais.
Assez profond.
Assez profond.
J'avais la tête qui tournait.
Entre la chaleur et le sang.
Entre la chaleur et la solitude.
Entre la chaleur et la mort.
Je voulus parler, répondre.
La comptine tournoyait.
Le sang. Qui glissait dans l'eau. C'était si... si...
Si quoi ?
Si... quoi ?
J'observai les entailles.
La chair. Ma chair. Mon œuvre.
Du sang.
De la peau déchirée.
Du sang.
C'est bête, Cleo. De mourir comme ça.
Non, ça ne l'était pas. Pour une fois, c'était ma décision.
Ma...
Comment dire au revoir ?
Je l'avais fait avec Lani.
Ne perds pas la lame.
Trop tard.
Assez profond.
Cette fois, oui.
Pas assez profond.
Des essais.
Ne perds pas la lame.
Elle était au fond de l'eau.
Comment ?
Lani, savait, elle.
Comment dire au revoir ?
**
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