8 | Lahyani

Les quatre premières heures se firent dans le silence. J'observai le paysage défiler, crispée dans mon siège, et à l'intérieur, la guerre.

Chaque panneau, chaque kilomètre avalé me rapprochait de Naperville.

Me ramenait à Cleo.

Chaque heure qui passait m'éloignait d'Ash. Mais ça n'effaçait pas les mots, les cris. La douleur.

Je ne pouvais pas regretter.

Je ne pouvais pas faire machine arrière.

Ne le ferais pas. Même si cela voulait dire tout piétiner, tout détruire.

Annihiler toute chance d'inviter le bonheur.

Lorsque la voiture ralentit à l'approche d'une station, je compris que nous allions faire une pause. Nous étions au milieu de nulle part, il était tard et il faisait froid. J'étais épuisée. Lessivée.

Meurtrie.

Je ne pensais qu'à Cleo.

Qu'à ce qui m'attendait là-bas. Là où Ash ne pouvait me suivre. Parce que j'avais fait mon choix.

Cleo. Je choisissais mon passé au détriment de mon présent, de mon futur.

Je choisissais mes démons plutôt que la guérison.

Dehors, j'étirai mon corps courbaturé. Je me dirigeai vers les toilettes quand Reed parti chercher de quoi manger. Il n'avait pas vraiment réfléchi à deux fois. Comme il y avait six ans, lorsqu'il avait déboulé devant moi alors que j'attendais le premier bus pour partir.

Nous avions filé loin du MC, loin de nos familles. En pensant ne jamais y retourner. Mais il fallait croire qu'on revenait toujours à nos origines.

L'odeur des chiottes me donna envie de faire demi-tour. Le néon au-dessus de ma tête ne cessait de tressauter. Pas flippant du tout. Sur les murs, des inscriptions au marqueur. Des dessins, des mots, des numéros. Beaucoup de trucs obscènes. Je fus rapide et grognai devant l'absence de savon. La lumière tressauta une nouvelle fois, avant de se couper quelques secondes.

— Tu ne diras rien à personne, hein Lani ? Et si je te vois avec Dani, je vais te battre si fort que tu me hurleras d'arrêter.

Un instant, je crus voir Emerson à côté de moi, son reflet exact dans le miroir. Mes démons me rattrapaient. Ils étaient là, camouflés depuis des années. Mais maintenant que je retournai là où tout avait commencé, ils se pressaient contre moi.

Je fermai les yeux.

Essayai de me rappeler cette comptine que nous marmonnions avec Cleo, plus jeune.

1, 2, 3 nous irons au bois.

Est-ce que je pourrais dire que j'irais bien une fois de retour là-bas ?

Je pouvais encore faire demi-tour.

Je pouvais encore tout arrêter.

Comment dit-on au revoir, Lani ?

C'était ma dernière chance. De lui dire au revoir. De le faire pour elle.

J'avais toujours été forte pour deux. Je pouvais l'être encore un peu.

Pour Cleo.

Tant pis pour moi.

J'étais plus vieille.

J'avais pansé mes plaies.

Je pouvais le faire.

— Tu es à qui, Lani ? Cette petite chatte est à qui ?

Je paniquai lorsque je ne parvins pas à sortir de la pièce. La poignée bougeait dans le vide, la lumière n'arrêtait pas de s'allumer, s'éteindre, s'allumer, s'étein...

Je donnai un coup d'épaule et perdis l'équilibre lorsque la porte alla taper contre le mur. Se furent les mains de Reed qui me rattrapèrent.

— Hé. Lani.

J'hyperventilai. Je ne parvenais plus à respirer. Crise d'angoisse.

La peur. Les doutes. La tristesse. La peur, la peur, la peur.

Reed ne me toucha pas. Il resta devant moi, pas sûr de pouvoir faire un geste tant que je ne lui avais pas dit oui.

— Inspire par le nez, bébé. Et tu souffles par la bouche. Fais-le pour moi, vas-y.

Est-ce que j'étais prête pour ça ?

Pour retourner là-bas ?

Cleo m'attendait.

Prête ou pas, je le devais.

Mes mains autour des avant-bras de Reed.

— C'était ma meilleure amie, sanglotai-je.

— Je sais.

— C'est comme si on m'enterrait vivante, comme si... je ne veux pas y aller, Reed, mais... je suis obligée. Je suis... pour elle.

Pour Cleo.

Ma sœur.

Ma jumelle.

Ma meilleure amie.

C'était à mon tour d'être l'oiseau cloué au sol. D'être incapable de voler.

Je voulais me rouler en boule.

Je ne voulais pas y aller.

Mais je le devais.

Pour nous. Parce qu'elle avait été toute seule.

— Respire, Lani, s'il te plaît.

Respirer voulait dire vivre.

Je vivais quand Cleo...

Elle y était allée plus profondément cette fois.

Plus une tentative. Une réussite.

Je n'avais pas été là pour l'empêcher, pour la sauver. Cette fois, elle avait fait le grand saut.

Je me calmai. Inspiration après expiration.

Je m'apaisai.

Dans la voiture, je réussis à dormir quelques heures. Je me réveillai en sursaut, un cri coincé au fond de la gorge.

Je voyais le cadavre de Cleo dans une baignoire, Emerson à côté d'elle, qui m'attendait.

Reed ne dit rien. Il conduisait, connaissant le chemin par cœur malgré les années.

Nous nous approchions, chaque panneau devenant plus familier que les autres.

Je revenais là où j'avais grandi.

Là où j'avais tout connu.

Les joies et désillusions.

Les découvertes et les pertes.

Les premiers amours, les premiers cœurs brisés.

Tout. Parce que là où se trouvait les Sons of Sorrow, il n'y avait jamais rien de bon.

— Il faut que je me change, soufflai-je en avisant ma tenue.

J'ignorai à quelle heure était la cérémonie, mais me doutai que nous n'arrivions pas à l'heure. Ils seraient tous là-bas, n'est-ce pas ?

Tout le MC. Pour Cleo. Je devais être prête. Je devais me concentrer sur elle. Juste sur elle.

Reed nous arrêta dans une petite ville a à peine une heure de Naperville. Il me suivit dans une boutique où je trouvai une robe noire simple, ainsi qu'une paire de collants. Je passai le tout dans la cabine, nouai mes cheveux en en chignon haut. J'avais le teint d'un cadavre, le regard vide.

Cleo était morte. Et je rentrai chez moi.

Je frottai mes paumes contre le jupon.

J'avais envie de vomir, me sentais si mal. Comme si on m'avait vidée de tout. De mon essence, de mon courage. De mes forces. J'étais une poupée, un pantin.

Un cadavre qui fonctionnait en pilotage automatique.

Je repoussai le rideau, frottai mon poignet où les marques étaient cachées derrière des bijoux.

Chaque tentative de Cleo, sur ma peau.

Chaque sauvetage. Un rappel. Une réalité.

Tu n'étais pas là, Lani. Cette fois, tu n'étais pas là.

Reed paya, me ramena dans la voiture, mais ne démarra pas tout de suite. Il se tourna vers moi, l'expression plus sombre que jamais. Lui aussi revenait chez lui après tout.

— Cleo elle... elle a eu un autre gamin, me dit-il alors. Avec Griffin. Il y a huit mois.

Je le fixai. Ne trouvai rien à dire. Alors il démarra et cette fois, nous ne fîmes plus aucun arrêt jusqu'à Naperville. Reed roula, passa la délimitation qui indiquait que nous étions arrivés et ne s'arrêta qu'une fois au cimetière. Il y avait des voitures, mais beaucoup de motos aussi. Pas le gang au complet, mais quand même.

Une boule dans ma gorge.

Cleo avait eu deux enfants.

Mais le fait d'être mère ne l'avait pas sauvée. N'avait pas empêché les voix de gagner.

Elles me parlent, Lani. Parfois ça va et parfois... je n'entends qu'elles.

Qu'est-ce qu'elle avait éprouvée à la fin ?

Qu'est-ce qu'on ressentait quand on se sentait partir ?

Mes mains tremblaient. Doigts sur la poignée, Reed m'arrêta.

— Je ne comptais jamais te le dire, pas avant que tu ne sois guérie. J'aurais voulu que tu oublies Cleo, j'aurais voulu que..., il secoua la tête, j'attendis. Emerson est mort depuis plusieurs années, Lani. Il n'est plus ici.

Les mots.

Ces mots.

Emerson.

Mort.

Emerson, mon monstre, celui responsable de chaque marque sur mon corps. Mort. Mort. Mort.

J'ouvris la portière, me retrouvai dans l'air froid de ce mois de février. Il y avait des pierres tombales autour de moi, certaines fleuries, d'autres non.

Je vis du monde plus loin ; ils formaient un arc de cercle. La plupart portaient la veste du MC.

Cœur dans la gorge, j'avançai.

J'aurais bien le temps de penser à Emerson.

Là, tout de suite, il s'agissait de Cleo. De cette partie de moi qu'on s'apprêtait à mettre en terre.

À jamais. 

**

Il paraît que vendredi c'est le début du week-end 😎

Câlin à Lahyani ❤️

La bise 😘

Taki et Ada'

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