3 | Lahyani

Je me glissai dans le gymnase réaménagé pour la soirée. Pas de rencontres sportives aujourd'hui ou d'entraînement, juste des gens qui avaient besoin de se retrouver pour s'épancher. Des groupes de discussion, il y en avait pour tous.

Pour la perte d'un enfant.

Pour la perte d'un parent.

Pour les addictions.

Pour les conjoints battus.

Comme ce soir. Ce n'était pas l'endroit le plus joyeux de la terre, mais ça avait l'avantage d'être cathartique, du moins en théorie. Parce que je sentais déjà la boule dans mon ventre, ma gorge qui se resserrait, preuve de mon état. Ma jambe ne cessait de monter et descendre et j'avais beau essayé de la retenir, ça ne changeait rien.

Simon, à deux chaises de moi me jeta un coup d'œil. Nous étions des habitués, des âmes en peine qui restaient dans le fond pour ne pas avoir à parler devant tout le monde quand, avouons-le, c'était le but.

Simon faisait partie des rares hommes à se montrer ici, à prouver que les femmes n'étaient pas les seules à supporter les coups d'un compagnon.

Je lui offris un sourire qui se voulait rassurant ; pour lui ou pour moi, aucune idée, mais il l'accepta. Nous ne parlions jamais, on se comprenait sans avoir besoin de mots. Je connaissais les prénoms de tout le monde ici, tout comme il connaissait le mien, mais on ne liait pas. On restait sur nos chaises quelques heures, on racontait nos peines et on rentrait chez nous.

Certains pour retrouver l'horreur.

D'autres pour continuer à s'en sortir.

Ne pas plonger tête la première dans l'oubli et finir dans un autre groupe de parole. Pour une tout autre raison.

Une jeune fille se leva et elle fut applaudie. Elle ne devait pas avoir plus de vingt ans, mais déjà sur son visage, on discernait les ombres d'une vie sans douceur, sans amour.

Je me perdis dans la contemplation de ses traits, y voyant peut-être un peu trop de moi. J'avais dix-neuf ans quand ça avait commencé.

Et qu'on ne soit pas d'accord ou non, mais à cet âge, on était encore une enfant. Et même si on avait conscience du Bien et du Mal, le dissocier n'était pas aussi aisé qu'on nous le répétait.

Je frottai mes paumes moites contre mon jean, glacée à l'intérieur soudain. Je ne voulais pas entendre ce qu'il lui était arrivé, ce qu'il lui arrivait encore. Pourtant, je ne bougeai pas de cette chaise qui me faisait mal au cul. Je ne bronchai pas, incapable de faire le moindre mouvement.

Si elle était là, c'est qu'elle en avait besoin. Alors il fallait l'écouter, lui montrer qu'elle n'était pas la seule. Même si c'était encore pire.

— ... au début, vous savez, je pensais que c'était... normal. Nous étions ensemble depuis bientôt huit mois et...

Je ne détournai pas les yeux.

Harponnai son regard et alors, elle ne me lâcha plus, comme si dans sa mer agitée, j'étais son unique bouée de sauvetage.

Risible quand je savais ne pas m'être sauvée moi-même. Sans Reed... où serais-je maintenant ?

Dans quel bus serais-je montée ?

Dans quelle affliction me serais-je perdue ?

Drogue ? Alcool ? Débauche ?

— J'en avais pas envie, mais lui oui alors... c'est arrivé. Une fois.

Puis deux.

Puis trois.

Jusqu'à la fois de trop.

Jusqu'à Reed.

Aujourd'hui, j'étais capable de dire que j'allais mieux.

Aujourd'hui, je pouvais me regarder dans un miroir.

Aujourd'hui, je pouvais accepter que deux hommes désirent mon corps sans me sentir sale. Sans avoir envie de gratter ma peau jusqu'au sang.

Je pouvais être intime avec Reed et Ash. Je pouvais m'aimer. Les aimer. Et ne plus me sentir coupable.

La réunion s'étira dans la soirée. Il y eut des larmes, des rires. Du soutien. Je restais sur ma chaise, jusqu'à ce que Jessica, celle qui gérait ce groupe ne vienne s'installer à côté de moi. Je l'observai venir.

— Ça faisait un moment qu'on ne t'avait pas vu, souffla-t-elle.

Une question en suspens. Est-ce que tout recommençait pour moi.

— Je suis... bien, dis-je.

Heureuse était un mot que je n'acceptais pas encore. Que je ne pouvais pas inviter sur le pas de ma porte de peur qu'il entre, qu'il se fasse une place avant de s'enfuir.

— J'avais juste... tu sais, besoin de revenir un peu.

Elle hocha la tête, ne releva pas le fait que j'allais juste « bien ». C'était déjà énorme comparé à d'autres. Pas à pas, nous trouvions tous notre rythme. Il le fallait bien.

Jusqu'à pouvoir dire : je vais mieux, je vais bien.

— Je pense que ça ferait du bien aux autres d'entendre ton... histoire, Lani. Tu voudras bien essayer ?

Je haussai les épaules.

Raconter mon histoire.

Je ne l'avais fait qu'avec Cleo et Reed. Ash savait tout, mais pas de ma bouche.

— D'accord, dis-je, mais ce n'était qu'une façon de lui dire que j'avais entendu sa demande.

Elle pressa mon genou avant de rejoindre les autres. Je remis mon manteau sur mes épaules et sur le départ, je fus interceptée par la jeune femme qui avait pris la parole juste avant la sortie.

— Hey...

Elle regardait ses pieds, peu certaine dans sa démarche. Je saluai son courage, n'avais aucune envie de l'envoyer bouler. J'avais bien trop conscience que tout le monde n'avait pas le chance d'avoir un Reed dans sa vie, quand bien même il était loin d'être parfait.

Il m'avait sauvée. Elle aussi il fallait quelqu'un pour l'aider.

— Lani.

Je lui offris ma main.

— Devyn. Je... je me demandais si tu... serais d'accord pour...

— Prendre un café ? Un chocolat chaud ? Un thé ?

Un vrai sourire sur son visage. Immense, candide. Qui me tordit les boyaux.

— Avec plaisir.

Je fouillai mon sac pour en sortir l'une des cartes du garage de Reed.

— Appelle ce numéro et... s'il arrivait quoi que ce soit, tu peux te rendre à cette adresse, à toute heure du jour ou de la nuit, d'accord ?

Elle accepta la carte, la regarda de longues secondes. Je savais qu'elle avait des questions, qu'elle avait besoin d'entendre qu'elle pouvait aller mieux, s'en sortir. Qu'elle avait besoin de quelqu'un.

— Tu es encore avec lui ? murmurai-je.

— C'est... compliqué.

Compliqué.

Compliqué.

Compliqué.

— Je sais.

J'oubliai presque de quoi on parla avant que je ne parte pour de bon. Un unique lampadaire en fin de vie illuminait le trottoir. Mon souffle forma de la buée et mes yeux me piquèrent.

Pas à cause du froid.

À cause de cette phrase idiote. C'est compliqué.

Avoir un petit-ami violent.

Accepter les coups.

C'était pas compliqué, putain, c'était une lente agonie.

Je relevai la tête de mes pieds pour découvrir une ombre appuyée contre la portière d'une magnifique voiture que je connaissais dans ces moindres courbes.

Reed portait sa veste en cuir qui avait bien vécu déjà et qui craquait selon ses mouvements. Il avait les cheveux en bataille et sûrement encore un peu de cambouis sur les doigts.

Le poids qui me lestait de l'intérieur s'effaça à sa vision. Je ne lui avais pas dit où j'étais ce soir, mais Reed avait toujours eu un sixième sens en ce qui me concernait. Il me connaissait depuis toute ma vie, sans abus de ma part. Il m'avait vu en couche-culotte, avec mes premiers boutons et il avait été dans le coin lors de ma première peine de cœur. Qui concernait directement son petit-frère.

Reed savait tout.

Tout ce qui cachait derrière mes silences, mes hauts et mes bas. Tout ce qui restait au fond de moi. Voilà pourquoi il pouvait me pousser à m'ouvrir, parce qu'il connaissait mes limites mieux que moi-même.

Ma relation avec lui n'était pas la même qu'avec Ash. Nous avions un équilibre tous les trois, basés sur mes réactions, des doutes, mes peurs, mes besoins.

Sans un mot, Reed m'ouvrit la portière pour que je me glisse dans l'habitacle encore tiède. Il ne tarda pas à me rejoindre à l'intérieur et le moteur ronronna. J'adorais sa Corvette, le moteur était une délicieuse musique à mes oreilles.

— J'ai rencontré une fille là-bas ce soir, finis-je par dire après plusieurs minutes de silence.

Pas celui qui pesait ou dérangeait.

— Elle m'a rappelé un peu de moi.

Reed retira l'une de ses mains du volant pour m'offrir sa paume.

— Quand je me suis réveillée ce matin, j'ai eu envie de parler à Cleo. Ça faisait des années que ce n'était pas arrivé. Et puis je me suis rappelé que je n'avais plus son numéro.

— Tu lui aurais dit quoi ?

— Que je ne sais pas si se sentir bien suffit. Est-ce que c'est assez ?

Je n'étais pas... malade comme Cleo l'avait été toute sa vie. J'avais juste des moments de flottement, même après six ans.

Parce que le temps ne pouvait pas tout effacer. Et je ne voulais pas qu'il le fasse.

Je voulais me rappeler.

Je voulais me souvenir de tout. Même du plus douloureux.

Arrivée à la maison, le moteur coupé, nous nous retrouvâmes à l'intérieur, ma main toujours dans celle de Reed. Il alluma les lumières ; je ne demandai pas où était Ash. Plantée au milieu de notre espace de vie, Reed leva les mains pour essuyer mes joues. J'avais à peine conscience de pleurer.

— Dis-moi ce qu'il te faut, Lani. Tu veux qu'on mange devant une bêtise à la télé ? Tu veux que je te fasse couler un bain ?

La gorge nouée par mon passé qui tentait de teinter mon présent, je repoussai la veste de Reed qui tomba au sol. Il me laissa lui retirer son pull, faire courir mes ongles sur son bas-ventre.

Le marquer. Inscrire mon besoin de lui sur nos peaux.

— Le canapé, soufflai-je.

Nos vêtements, des preuves laissées à même le sol. L'assise amortie le cul de Reed, à poils, son sexe gorgé de sang. Il m'observa balancer ma culotte d'un coup de pied, sans bouger, attendant que tout vienne de moi.

Une main sur son épaule, je m'installai à califourchon sur lui. Là encore, il ne fit rien, hormis me regarder, me dévorer des yeux.

— Tu es magnifique quand tu veux me baiser.

Mon front contre le sien, mes yeux fermés. Il agrippa sa queue pour me permettre de m'empaler dessus.

D'abord la brûlure. Légère. Coutumière.

Je glissai sur sa hampe, l'avalai entre mes chairs trempées.

— Je peux ?

La question flotta. Quelques secondes. Une minute. Je respirai lentement. Avant de finir par hocher la tête. Seulement là ses mains se posèrent sur moi. Agrippèrent mes hanches.

— Bouge, gronda Reed.

Front contre front, je levai le bassin, le redescendis.

En haut. En bas. Sa queue logée en moi, profondément.

En haut.

En bas.

Son corps. Le mien.

Avant que je ne lui laisse le contrôle et que le haut et le bas se confondent dans un bruit de peaux qui claquaient, qui se heurtaient, qui prenaient. 

**

Hello les Adaktives ❤️ comment ça va pour ce début de semaine ? 😁

Un petit tour côté Reed, que vous allez bientôt découvrir aussi 😘

Il y a une partie de l'histoire de Lani dans ce chapitre. Mais en vrai ce n'est que la partie visible de l'iceberg.😳

Comme dirait le Capitaine Barbossa : Accrochez vos boyaux 🤣🤣🤣🤣🤣

La bise 😘

Taki et Ada'

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