Chapitre 7: On ne peut pas effacer ce qui a été fait.
Lily
La brume matinale enveloppait doucement la ville, se mêlant aux souvenirs qui ne cessaient de tournoyer dans mon esprit. Je me tenais devant le miroir de ma chambre, les yeux rivés sur mon reflet. Il y avait quelque chose dans mon propre regard qui me mettait mal à l'aise, comme si mes propres yeux trahissaient des vérités que je préférais ignorer. Suis-je une meurtrière ?
Depuis la chute de Dmitri et l'effondrement de son empire, je pensais que je ressentirais enfin une paix, même minime. Mais ce sentiment de vide restait ancré en moi, me rongeant à chaque instant. Ce matin, je n'avais pas envie de faire semblant. Pas devant moi-même, en tout cas. Je ne peux plus faire s'emblant.
Arina était toujours là. Fidèle et persévérante, elle ne m'avait pas quittée depuis notre retour. Elle avait passé la nuit sur le canapé, entourée de dossiers et de notes sur les prochaines étapes pour révéler les vérités enfouies. Moi, en revanche, je me sentais paralysée. Chaque mouvement me semblait une épreuve, chaque pensée un rappel des cicatrices invisibles laissées par Dmitri.
Je m'approchai de la fenêtre, laissant mon regard errer sur les rues animées. Il y avait des vies qui continuaient en dehors de mes propres débris. Les passants, les voitures, le bourdonnement incessant de la ville... Tout semblait si étranger.
Arina entra soudain dans ma chambre, une tasse de café à la main.
— Tu es debout depuis longtemps ? demanda-t-elle, posant la tasse sur ma table de chevet.
Je hochai la tête sans un mot. Elle s'assit sur le bord du lit, m'observant avec ce mélange de compassion et de fermeté qui lui était propre.
— Lily, tu ne peux pas continuer comme ça. On a traversé l'enfer, mais on est sorties vivantes. Tu es sortie vivante. Tu as le droit de respirer, de ressentir, de...
— De quoi ?! l'interrompis-je, ma voix plus dure que je ne l'avais voulu. De prétendre que tout va bien ?! De faire comme si je pouvais simplement tourner la page ?!
Arina ne recula pas. Elle n'avait jamais reculé face à moi, même dans mes pires moments.
— Non, répliqua-t-elle calmement. Pas de prétendre. Mais de vivre. Peu importe comment, peu importe le temps que ça prend. Mais tu ne peux pas rester coincée ici, dans ce cercle de douleur.
Je baissai les yeux, incapable de soutenir son regard. Elle avait raison, bien sûr. Mais les mots avaient du mal à franchir mes lèvres. Alors, à la place, je me lançai.
— Quand j'étais enfant, commençai-je doucement, il y avait ce lac près de la maison de ma grand-mère. J'y allais tout le temps, même quand il faisait froid. C'était mon refuge. J'y lançais des pierres et j'observais les cercles qu'elles formaient. J'avais l'impression que peu importe ce que je jetais dans l'eau, elle l'absorbait toujours. Elle ne se plaignait jamais, ne se brisait jamais.
Arina écoutait en silence, me laissant dérouler mes pensées.
— Mais moi, je ne suis pas comme ce lac, continuai-je, ma voix tremblante. Chaque pierre, chaque blessure... Elles sont toutes là, empilées au fond. Et parfois, c'est comme si je n'arrivais plus à respirer sous leur poids.
Elle posa sa main sur la mienne, un geste simple mais réconfortant.
— Tu n'as pas besoin d'être comme ce lac, Lily. Personne ne le peut. Ce que tu ressens est normal. Ce que tu vis est normal. Et je suis là pour t'aider, autant de temps qu'il le faudra.
Un silence s'installa entre nous, mais il n'était pas lourd. Pour la première fois depuis longtemps, il était apaisant. Arina finit par se lever, m'offrant un sourire sincère.
— Habille-toi. On va faire un tour.
Je la regardai, hésitant.
— Où ?
— La patinoire. Tu sais, cet endroit où tu as l'habitude de voler sur la glace et de montrer à tout le monde à quel point tu es extraordinaire.
Je ris malgré moi, un rire faible mais réel. Elle savait toujours quoi dire pour allumer une étincelle en moi.
— Très bien, c'est parti.
Quelques heures plus tard, nous étions à la patinoire. L'air frais de la glace m'enveloppa dès que je posai un pied sur la piste. C'était comme retrouver une ancienne version de moi-même, une version que j'avais presque oubliée. Je glissai sur la glace, les mouvements revenant naturellement, comme si je n'avais jamais arrêté.
Arina, quant à elle, s'accrochait désespérément à la rambarde, luttant pour ne pas tomber. Ses grognements de frustration et ses rires maladroits résonnaient dans l'arène vide, et je ne pus m'empêcher de sourire.
— Tu veux un cours particulier, Ovramenko ? lui lançai-je en passant à côté d'elle.
— Très drôle, Poliyakova. Je vais te montrer de quoi je suis capable une fois que j'aurai appris à rester debout plus de deux secondes.
Nos éclats de rire remplissaient l'espace, chassant les ombres de mon esprit, au moins pour un moment. C'était dans ces instants simples, ces petits fragments de bonheur, que je sentais les pierres au fond de moi s'alléger, une à une.
Cette journée à la patinoire marqua un tournant. Ce n'était pas une solution magique, mais c'était un début. Avec Arina à mes côtés, je commençais à croire que, peut-être, je pourrais apprendre à vivre avec les cicatrices plutôt que de les laisser me définir.
Et pour la première fois depuis longtemps, je me surpris à espérer.
******
Le soir, Arina est partie chez elle tandis que moi, je suis restée dehors. J'essaie de me vider l'esprit, mais ma conscience n'arrête pas de me rappeler que je suis une putain de tueuse, une salope qui a tué 17 personnes au cours de sa misérable vie.
Je saisis mon arme, cachée dans mon sac à main, quand je découvre que quelqu'un me suit. Je déteste ce sentiment de vulnérabilité qui s'empare de mon corps, comme un genre d'angoisse qui me paralyse. En marchant, je m'aperçois que plus personne ne me suit, ce qui a le don de me rassurer, mais seulement un peu. Le mal est fait : la paranoïa s'est installée. Chaque bruit, chaque ombre, chaque souffle de vent me donne l'impression qu'on m'observe.
En ce moment, j'ai l'impression que mon monde peut s'écrouler à tout moment. À vrai dire, il est déjà en train de s'effondrer. Une vie de violence, de mensonges et de regrets... Mais les regrets, ça ne change rien. On ne peut pas effacer ce qui a été fait.
Je m'engage dans une ruelle sombre, un raccourci que je connais par cœur. Les briques humides des murs suintent une odeur étrange, un mélange de moisissure et d'urine. Mes talons claquent sur le bitume, un bruit qui me trahit. Si quelqu'un est encore là, il sait exactement où je suis. Je serre l'arme dans ma main, prête à l'utiliser si nécessaire.
Mais pourquoi cette peur subite ? Je suis une tueuse, non ? Une femme qui a affronté bien pire que l'ombre de quelques inconnus dans la nuit. Pourtant, ce soir, tout semble différent. Une part de moi, peut-être la seule encore humaine, veut juste tout laisser tomber.
Une fois arrivée à mon appartement, je me verrouille à double tour. La nuit était glaciale, mais à l'intérieur, l'air est étouffant. Je dépose mon arme sur la table et m'écroule sur le vieux canapé. Mes pensées tournent en boucle, et ce chiffre – 17 – résonne comme un écho éternel. Dix-sept vies arrachées. Pourquoi est-ce que ce chiffre me hante autant ce soir ?
Peut-être parce que ce soir, j'ai vu leurs visages. Un à un, ils sont revenus me hanter. Des souvenirs flous, des regards suppliants. Des cris qui se mêlent à mon souffle court. J'ai toujours été douée pour étouffer mes remords. Mais pas ce soir.
Je me lève brusquement, prise d'une impulsion. Je me dirige vers la salle de bain et me regarde dans le miroir. Mes yeux, rougis par la fatigue, me fixent avec une intensité que je ne reconnais pas. « Qui es-tu devenue ? », murmure une voix à l'intérieur de moi. La question reste sans réponse. Je passe de l'eau froide sur mon visage, espérant chasser les images qui me tourmentent. Mais elles restent.
Je décide de sortir une bouteille de whisky d'un placard. Peut-être que l'alcool pourra m'apporter un répit temporaire. Assise à la table de la cuisine, je prends une gorgée, puis une autre. La chaleur de l'alcool descend dans ma gorge, mais elle ne parvient pas à éteindre l'incendie à l'intérieur.
Le téléphone sonne. Je sursaute, comme si ce bruit anodin était une détonation. Je le fixe un instant avant de répondre. La voix au bout du fil est calme, presque mielleuse. « Tu pensais vraiment pouvoir te cacher ? » dit-elle. Mon sang se glace.
« Qui êtes-vous ? », je demande, essayant de maintenir une voix ferme. Mais mon ton trahit ma peur.
La personne éclate de rire. « Tu le sais très bien, » dit-elle avant de raccrocher.
Je reste figée, le combiné encore dans ma main. Qui que ce soit, il sait. Il sait tout. Et il veut que je le sache.
La nuit est longue. Les heures passent, mais le sommeil ne vient pas. Je reste assise à regarder l'obscurité à travers la fenêtre, une main sur mon arme. J'ai survécu à beaucoup de choses, mais cette fois, je sens que quelque chose d'inéluctable s'approche.
Au petit matin, alors que la lumière grise de l'aube commence à filtrer à travers les rideaux, je prends une décision. Je dois trouver cette personne avant qu'elle ne me trouve. La peur, mêlée à une détermination froide, m'envahit. C'est une course contre la montre. Et cette fois, je ne sais pas si je sortirai gagnante.
Je fouille mon sac et vérifie mes munitions. Une fois équipée, je sors, le visage caché sous une capuche. La ville, encore endormie, semble différente. Chaque coin de rue devient un potentiel danger. Chaque passant est un suspect. Mon esprit s'accroche à une seule pensée : survivre. Mais à quel prix ?
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Chapitre fini et corrigé.
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