Chapitre 14: Nightmare.

Lily

La pièce était baignée d'une lumière tamisée, un halo bleuté reflété sur les murs froids. Le son du patin qui raye la glace résonnait encore dans ma tête, comme un murmure lancinant. J'avais besoin d'air, mais chaque bouffée que j'avalais me donnait l'impression d'être encore plus enfermée.

Je la voyais. Elle, avec son sourire feint et ses airs innocents. Son rire perçait l'air comme une lame effilée, une insulte silencieuse à tout ce que j'étais. Mon sang bouillonnait dans mes veines alors qu'elle se pressait contre lui, qu'elle captait son attention avec ces gestes parfaitement étudiés. Elle voulait briller, l'éclipser. Me faire disparaître.

Je serrai les poings.

Un soupir. Un frisson. Un regard que je voulais glacé, mais qui trahissait ce tumulte que je n'arrivais pas à contrôler. Lui, il ne voyait rien. Ou peut-être qu'il refusait de voir. Qu'il refusait de comprendre que chaque seconde qu'il passait à la rassurer, à lui murmurer des mots doux, c'était une lame enfoncée un peu plus profondément dans ma peau.

Pourquoi est-ce qu'il s'attardait sur elle ?

Pourquoi ne voyait-il pas ce qui était juste devant lui ?

Je passai une main dans mes cheveux, inspirant profondément pour contenir cette rage brûlante. La jalousie est un poison. On dit qu'elle détruit tout sur son passage. Mais moi, je n'avais pas peur de brûler.

Je m'approchai. Doucement. Lentement. Mes pas résonnaient sur le parquet ciré de la patinoire vide, chaque écho un rappel de ce que je devais faire. La glace appelait, et moi, je n'étais qu'un fantôme, un spectre dans l'ombre de leur bonheur feint.

Je glissai derrière eux, juste assez près pour entendre ses murmures. Elle minaudait, jouant la carte de la détresse, de la douceur fragile. Son regard battait des cils, suppliant qu'on la rassure, qu'on lui dise qu'elle comptait, qu'elle était spéciale. Pitoyable.

Un rictus étira mes lèvres.

Je posai une main sur son épaule. Elle sursauta, se retournant vers moi avec un mélange de surprise et de méfiance. J'avais déjà gagné.

-Lily ?

Ma voix était un venin sucré.

-Tu ne devrais pas être là.

Elle papillonna des cils, cherchant une échappatoire invisible. Lui, il posa une main sur son bras, protecteur, attentif. Ce simple geste fut une détonation dans mon crâne. Une onde de choc.

-Pourquoi ? Tu as peur ?

Mon sourire s'élargit, cruel et incisif.

Elle ne répondit pas. Elle se contenta de détourner le regard, le suppliant silencieusement d'intervenir. Mais moi, je savais. Je savais que je l'avais déjà conquise. Elle se sentait menacée. Elle savait qu'elle ne pouvait pas rivaliser.

L'amour, ce n'était pas un jeu d'innocence et de douces promesses. C'était une guerre. Une guerre où l'on ne gagnait pas en étant la plus fragile.

Et moi, je n'étais pas prête à perdre.

Les secondes s'étiraient comme un fil tendu à craquer. Son regard oscillait entre lui et moi, comme si elle tentait de calculer la meilleure issue. Mais il n'y en avait pas. Pas pour elle.

-Lily, calme-toi, murmura-t-il en posant une main sur mon bras.

Je haussai un sourcil. Calme ? Ils voulaient que je sois calme ? Après tout ça ?

-Tu es avec moi, non ?

Sa prise se relâcha légèrement, et je compris. Il était hésitant. Il avait déjà perdu le fil de ce qu'il voulait. L'instabilité, cette faiblesse que je détectais en lui, était ma meilleure arme. Il suffisait de souffler un peu plus sur la braise.

-Pourquoi tu la regardes comme ça, alors ?

Il ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit immédiatement. J'en profitai pour reculer d'un pas, croisant les bras avec un sourire moqueur.

-Peut-être qu'elle te fait douter, pas vrai ? Peut-être que tu hésites entre nous. Peut-être que tu n'es pas aussi sûr que tu le dis.

Elle secoua la tête, posant une main tremblante sur son torse, cherchant à attirer son attention sur elle. Sa silhouette semblait si frêle sous cette lumière froide. Une pâle imitation de ce qu'elle voulait être.

-Non, c'est toi qui es en train de tout détruire, murmura-t-elle, la voix tremblante.

Je penchai la tête sur le côté, amusée.

-Détruire quoi ? Ce qui n'existe même pas ?

Son souffle se coupa. Je venais de toucher la corde sensible, celle qui la maintenait encore debout. Et j'adorais ça.

Elle recula d'un pas, cherchant une échappatoire, mais il ne la retint pas. Il me regardait moi. Comme s'il réalisait enfin que j'avais raison.

Je laissai un silence s'installer, appréciant l'instant. Puis je levai la main et effleurai son visage. Juste une seconde. Suffisamment pour qu'elle se sente de trop.

-Il faut savoir quand abandonner, chuchotai-je.

-Et alors, lentement, elle baissa les yeux, mordant sa lèvre pour contenir des larmes inutiles.

J'avais gagné.

Les secondes s'étiraient, lentes et pesantes. Son regard oscillait entre lui et moi, la panique luisant dans ses yeux. Un silence tendu s'installa, lourd comme une menace non formulée.

Il fut le premier à bouger, détachant lentement sa main d'elle, comme s'il réalisait enfin ce que je voyais depuis le début. Un sourire victorieux effleura mes lèvres.

Elle, en revanche, se recroquevillait imperceptiblement. Sa posture changeait, son assurance factice s'effritait. Elle sentait le vent tourner.

-Lily... qu'est-ce que tu veux vraiment ? murmura-t-il, sa voix troublée.

Je penchai la tête, jouant avec une mèche de cheveux.

-Ce qui me revient de droit.

Elle inspira brusquement, comprenant que la partie était terminée. Je vis ses doigts trembler légèrement lorsqu'elle les serra en poings. Pathétique.

Puis, sans un mot de plus, elle recula, s'éloigna, fuyant comme une ombre chassée par la lumière.

Je la regardai disparaître dans la pénombre, savourant l'instant.

Lui, il était encore là. Déchiré, confus. Mais à moi.

Je me réveille, en sursaut.

Encore et toujours ce même cauchemar, qui me hante chaque putain de nuits.

Je le revois lui, lui, cette homme que j'ai tend aimer, mais que j'ai tué.

J'ai envie de patiner, je veux juste fuir la réaliter,  encore une fois.

La nuit était tombée depuis longtemps quand je poussai la porte de la patinoire. Le froid s'y engouffra aussitôt, s'accrochant à mes vêtements comme une ombre glaciale. Mon souffle formait de petits nuages blancs devant mon visage, et chaque pas résonnait dans le silence du bâtiment désert. L'odeur familière de la glace et du métal me piqua les narines, déclenchant une vague de souvenirs.

Je n'avais pas allumé les lumières principales, préférant la pénombre qui baignait la patinoire sous la lumière tremblante des lampadaires extérieurs. La solitude me pesait autant qu'elle m'apaisait. Tout en moi criait que j'aurais dû être ailleurs, avec les autres, à prétendre que tout allait bien. Mais ce soir, je ne pouvais plus faire semblant.

Je m'agenouillai pour lacer mes patins, mes doigts tremblants peinant à nouer correctement les lacets. Je sentais le poids invisible qui me compressait la poitrine, ce mélange de frustration, de regrets et de colère sourde que je n'arrivais jamais à exprimer autrement que par le patinage. Ici, au moins, j'étais seule. Personne pour juger mes failles, personne pour me rappeler ce que j'aurais dû être.

Je me redressai et glissai sur la glace d'un mouvement fluide. Le froid mordit aussitôt ma peau sous mes vêtements trop fins, mais je n'en avais cure. Je pris de la vitesse, accélérant, cherchant à distancer mes pensées. Chaque coup de lame contre la glace était un battement de cœur plus fort, un cri silencieux contre ce chaos intérieur. Je tournai, pivotai, sautai. L'air siffla à mes oreilles, et durant un instant suspendu, je crus m'échapper.

Mais l'atterrissage fut brutal. Trop brutal. Ma cheville se tordit légèrement, m'arrachant un sifflement de douleur. Je m'agenouillai sur la glace, les paumes à plat contre la surface gelée. Mon reflet trouble dans la patinoire vide me renvoya une image que je ne voulais pas affronter. Mon corps épuisé, mes traits tirés, mes yeux cernés d'ombres.

Je me laissai tomber sur le dos, le regard perdu dans le plafond. Mon souffle court formait des volutes au-dessus de moi, et le silence pesait de nouveau, lourd et oppressant. La glace sous moi était dure, impassible, comme un rappel cruel que rien ne pliait à ma volonté.

« Pourquoi je fais tout ça ? » murmurai-je, à peine audible.

La réponse ne vint pas. Seule la glace m'entendit, absorbant mon chuchotement comme elle absorbait chacun de mes chocs, chacun de mes échecs.

Et pourtant, malgré la douleur, malgré l'épuisement, je savais que je me relèverais. Parce que je n'avais jamais su faire autrement.

Je pris une longue inspiration et me redressai lentement. Mes muscles protestèrent, mais je les ignorai. Je ne pouvais pas rester allongée là éternellement. Avec précaution, je fis glisser mes lames sur la glace, retrouvant peu à peu mon équilibre. Chaque mouvement était une lutte contre moi-même, un rappel que je devais continuer, peu importe l'état de mon esprit.

Je recommençai à patiner, plus lentement cette fois, laissant mes pensées s'apaiser au rythme des courbes que je traçais sur la glace. Le silence n'était plus oppressant, mais apaisant. J'avais encore mal, mais cette douleur était supportable. Elle était familière.

Peu à peu, je me laissai porter par la sensation du froid, du mouvement, du souffle qui s'accordait avec mes pas. Et à cet instant précis, je sus que même si tout semblait s'effondrer autour de moi, ici, sur la glace, j'existais encore.

J'existe au moins quelque part, quelque part ou je me sens bien, ou je me sens chez moi. Sans aucune peur d'étre juger, ou même rabaisser.



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top