Chapitre 12: Crise.

 Lily

La porte claque avec violence, faisant trembler les murs. Viktor est là, son regard brûlant de rage, son souffle court, comme s'il venait de courir une distance infinie pour venir jusqu'à moi. Ses poings sont serrés, ses mâchoires crispées. Je le connais assez pour savoir qu'il est à la limite de l'explosion.

-Bordel, Lily ! Tu veux vraiment crever, c'est ça ?!

Sa voix résonne comme un coup de tonnerre dans la pièce. Mon cœur se serre, mais mon visage reste impassible. Je suis fatiguée, lessivée. Et puis, à quoi bon répondre ? Il a déjà décidé que j'étais une cause perdue.

-Dis quelque chose, merde ! hurle-t-il, son regard vrillé sur moi.

Je détourne les yeux, fixant un point invisible sur le sol. Le silence ne fait qu'attiser sa colère. Il s'avance brutalement, balayant la table du revers de la main. Tout vole en éclats – une bouteille, un cendrier, des papiers froissés. Je sursaute à peine.

-Putain, Lily ! Regarde-moi !

Ses mains agrippent mes épaules et il me secoue violemment. Ses doigts s'enfoncent dans ma peau, son souffle est brûlant contre mon visage. Mais ce qui me frappe, ce ne sont pas ses gestes, c'est l'émotion brute dans sa voix. Il n'y a pas que de la colère, il y a quelque chose d'autre. De la peur. Une peur viscérale.

-J'en ai marre de devoir te ramasser à chaque fois ! rugit-il. De devoir me demander si, demain, on va retrouver ton corps sans vie dans une putain de ruelle !

Je sens quelque chose monter en moi, quelque chose de sombre et amer. Une douleur enfouie sous des couches de déni. Je le repousse faiblement, mais il ne bouge pas.

-Tu crois que j'ai besoin que tu me fasses la morale ?

Ma voix est faible, rauque. Je suis fatiguée. Tellement fatiguée.

-Je crois que t'as besoin qu'on te secoue avant que tu te détruises complètement ! s'écrie Viktor, son regard vrillant le mien avec une intensité presque insoutenable.

Je ris. Un rire creux, sans âme. Il me lâche d'un coup, comme si mon cynisme l'écœurait.

-C'est ça, continue à jouer la fille indifférente, Lily. Continue à faire comme si rien ne t'atteignait, comme si t'étais déjà morte à l'intérieur. Mais je vais te dire un truc...

Il se penche vers moi, sa voix devient plus basse, plus tranchante.

-T'es pas seule dans cette descente aux enfers. Et moi, je refuse de te regarder crever.

Je ferme les yeux un instant. Les mots s'infiltrent sous ma peau, brisent quelque chose en moi. J'aimerais crier, hurler qu'il a tort. Mais la vérité, c'est que je ne sais même plus si je veux qu'il ait raison.

-Pourquoi... Pourquoi t'es encore là, Viktor ? soufflé-je, ma voix presque brisée.

Il passe une main dans ses cheveux, l'air plus désemparé que jamais.

-Parce que je tiens à toi, putain ! Parce que je refuse de te perdre !

Son aveu claque dans l'air comme un coup de fouet. Je sens mes jambes flancher, et sans prévenir, des larmes brûlantes roulent sur mes joues. Je n'avais pas pleuré depuis si longtemps.

Viktor s'adoucit légèrement, mais son regard reste grave. Il s'approche à nouveau, cette fois plus lentement, et pose une main hésitante sur ma joue.

-Laisse-moi t'aider, Lily. S'il te plaît.

Je voudrais lui dire que c'est trop tard. Que je suis déjà trop brisée pour être sauvée. Mais au fond de moi, une infime partie de mon être veut croire qu'il reste encore un espoir.

Je refuse.

Le silence dans la pièce était écrasant. Puis, soudainement, il explosa.

-Putain, Lily ! hurla Viktor en frappant violemment le mur du poing. Tu te rends compte de ce que tu fais ?! De ce que tu es en train de devenir ?!

Son regard était noir, sa voix tremblait d'une rage contenue, mais aussi d'une peur qu'il ne voulait pas avouer. Je restai figée sur place, incapable de réagir. Je voyais ses muscles tendus, son souffle saccadé, comme s'il se battait contre lui-même pour ne pas tout détruire autour de lui.

-Tu crois que tu peux juste tout foutre en l'air ? continua-t-il, sa voix brisée par l'émotion. Que je vais rester là, les bras croisés, pendant que tu te détruis à petit feu ?!

Je sentis une vague de colère monter en moi.

-Et alors ?! hurlai-je en retour. C'est ma vie, Viktor ! Tu n'as pas ton mot à dire !

Son regard s'embrasa.

-Ta vie ?! TA VIE ?! rugit-il en se rapprochant brutalement. Tu crois que c'est une putain de vie ça ?! À traîner dans les rues, à t'effondrer sous la drogue, à manquer de te faire tuer par des salopards ?! Tu crois que c'est ce que tu mérites ?!

Son souffle était chaud contre mon visage, son regard brûlait d'une intensité que je ne pouvais supporter. Je voulais me détourner, fuir, mais il m'attrapa par le bras, me forçant à l'affronter.

-Regarde-moi, Lily ! Regarde-moi putain !

Je tremblais. Il serra les dents, et d'un geste brusque, il me lâcha avant de passer une main nerveuse dans ses cheveux.

-Merde... Je...

Il recula, posant ses mains sur ses hanches, tentant visiblement de calmer sa respiration erratique. Je le voyais lutter, essayer de se maîtriser. Ce n'était pas juste de la colère. C'était du désespoir.

-Tu n'as pas le droit de me faire ça, lâcha-t-il finalement, presque dans un murmure. Pas après tout ce qu'on a traversé.

Son ton s'était adouci, et c'était peut-être pire que ses hurlements. Parce que maintenant, je pouvais entendre la douleur dans sa voix, l'impuissance.

Je baissai la tête, incapable de répondre. Parce que la vérité, c'est que je ne savais pas quoi dire. Peut-être qu'il avait raison. Peut-être que j'étais en train de me perdre. Peut-être que, cette fois, il était trop tard pour revenir en arrière.

 L'air était trop épais, trop lourd. Il pesait sur mes épaules, m'enfermait dans un étau invisible. Brusquement, je me levai, incapable de supporter cette sensation une seconde de plus. Mon corps bouillonnait d'une énergie insoutenable. Je me mis à marcher de long en large, cherchant un exutoire, mais rien ne suffisait. Mes pensées fusaient, s'entrechoquaient, m'assaillaient sans répit.

-J'ai besoin d'air, lâchai-je, la gorge serrée.

Viktor, adossé au mur, arqua un sourcil.

- T'as besoin de te calmer surtout.

Je me retournai vivement vers lui, le cœur battant à tout rompre. Il ne comprenait pas. Il ne pouvait pas comprendre. Tout était trop lent, trop figé, comme si le monde entier avançait en apesanteur pendant que je brûlais de l'intérieur.

-Tu comprends pas, grognai-je, la rage et l'exaltation se disputant ma voix. Tout est trop lent, trop figé, ça me rend dingue !

Viktor ne bougea pas. Son regard restait rivé sur moi, attentif, calculateur. Il savait. Il savait que mes humeurs étaient changeantes, que je pouvais basculer d'un instant à l'autre. Mais ce soir, c'était différent. Ce n'était pas juste une lubie, pas un simple caprice. C'était un incendie qui dévorait tout sur son passage.

- Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? demanda-t-il calmement. Que je te laisse exploser toute seule ?

Sa voix me heurta comme une gifle. Une colère brutale, irrépressible, jaillit de ma poitrine.

-J'ai pas besoin de toi !

Les mots m'échappèrent dans un cri sec, impitoyable. Un éclat de vérité trop tranchant pour être ignoré.

Et pourtant, une seconde plus tard, mes doigts agrippaient son pull, mes jambes menaçaient de flancher. Je tremblais. Pas de froid, pas de peur. Juste... un trop-plein. Un ouragan que je ne contrôlais plus.

-J'ai pas besoin de toi, répétai-je, plus doucement cette fois, ma voix brisée, étranglée.

Viktor ferma les yeux. Un soupir. Puis, lentement, il passa un bras autour de mes épaules, m'attira contre lui. Je sentis la chaleur rassurante de son étreinte, la solidité de sa présence.

-Je reste quand même, murmura-t-il.

Et, pour une fois, je ne cherchai pas à le repousser.

Je restai contre lui quelques secondes, le temps d'un battement de cœur. Puis, d'un coup, comme si un choc électrique me traversait, je le repoussai violemment.

- Lâche-moi ! sifflai-je, reculant d'un pas comme si son contact m'avait brûlée.

Viktor ne broncha pas. Il me connaissait trop bien pour s'étonner.

-Tu veux que je parte ou que je reste ? demanda-t-il d'une voix posée, presque lasse.

-Je veux... Je veux que... ! Je m'interrompis, prise d'une rage sourde.

Mes propres pensées me trahissaient, se contredisaient. Je voulais être seule, mais pas abandonnée. Je voulais qu'il se taise, mais que sa voix me retienne. Je voulais fuir, mais qu'il me rattrape.

D'un geste brusque, je passai une main dans mes cheveux, tirant dessus comme si cela pouvait remettre de l'ordre dans mon esprit en ébullition.

-J'en peux plus, murmurai-je, ma voix tremblante.

Et puis, aussi vite que la tempête était montée, elle se dissipa.

Un rire m'échappa. Léger, presque amusé. Je relevai la tête vers Viktor et un sourire ironique étira mes lèvres.

- Regarde-toi, t'as l'air tellement confus. C'est drôle.

Viktor croisa les bras, m'observant avec cet air mi-exaspéré, mi-intrigué qu'il avait souvent avec moi.

-T'es un vrai tourbillon, Lily.

Je haussai les épaules avec une désinvolture feinte.

-Et toi, t'es un caillou. Toujours là, toujours immobile. C'est chiant.

Je m'éloignai de lui, tournant sur moi-même, comme pour prouver mon point. Puis je m'arrêtai net et le fixai à nouveau, l'intensité revenue dans mon regard.

-Dis-moi un truc.

- Quoi ?

- Un truc. N'importe quoi.

Il fronça les sourcils, réfléchit une seconde, puis déclara simplement :

- Il neige dehors.

Je plissai les yeux. Je n'avais pas besoin d'une évidence. Je voulais... Je ne savais même pas ce que je voulais.

Alors, encore une fois, je changeai d'avis.

- Viens, dis-je, attrapant sa main sans lui laisser le choix.

- Où ?

-Voir la neige, évidemment.

Et, comme si la crise d'il y a une minute n'avait jamais existé, je l'entraînai dehors, le sourire aux lèvres, impatiente comme une enfant devant un nouveau jouet.

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