Chapitre 1: La glace et le feu.

Lily

Le son métallique de mes patins mordant la glace résonnait dans la patinoire vide, créant un écho presque hypnotique. J'exécutais mes mouvements avec une précision chirurgicale, mes longues jambes traçant des arcs parfaits alors que j'enchaînais pirouettes et sauts complexes. Mon souffle devenait visible dans l'air glacial, chaque expiration marquant une nouvelle tentative de chasser les pensées sombres qui m'envahissaient.

La glace avait toujours été mon refuge. Depuis l'âge de  mes quatre ans, j'avais trouvé dans cette surface froide et immaculée un sanctuaire, un espace où je pouvais oublier, ne serait-ce que pour quelques instants, les attentes impossibles de mon père. Dmitri Poliyakov n'était pas seulement un chef de mafia redouté ; il était aussi un homme qui voyait en moi bien plus qu'une simple fille ou une patineuse talentueuse. Pour lui, j'étais un outil, une arme à façonner.

Je terminai une dernière arabesque avant de m'arrêter au centre de la patinoire. Je me laissai tomber sur mes genoux, les bras pendants, la tête basse. Mes pensées tourbillonnaient, comme si elles tentaient d'imiter mes pirouettes. Je savais que mon père m'attendait. Une nouvelle mission, un nouveau test de loyauté. Mais aujourd'hui, l'idée de suivre ses ordres me semblait plus insupportable que jamais.

Alors que je retirais mes patins, le bruit familier d'une porte qui s'ouvrait résonna dans l'immense salle. Je me retournai brusquement, mon corps tendu comme une corde prête à rompre. Une silhouette massive se tenait dans l'ombre. Igor, l'un des hommes de main de mon père, s'avança lentement vers moi, son expression aussi impassible que d'habitude.

- Lily, ton père te demande, dit-il simplement.

Je hochai la tête sans répondre. Je savais qu'il était inutile de protester. Dmitri ne tolérait ni le retard ni la désobéissance. Je rangeai mes patins dans mon sac, enfilai mes bottes et suivis Igor en silence. La voiture noire qui m'attendait à l'extérieur ressemblait à une bête sombre, prête à m'engloutir. Je montai à l'arrière sans un mot, le regard fixé sur le paysage qui défilait derrière la vitre teintée.

La maison familiale, une imposante demeure située en périphérie de Moscou, était aussi froide et intimidante que mon père. Les murs épais, les portails en fer forgé et les gardes armés donnaient à l'endroit l'apparence d'une forteresse. À l'intérieur, le décor luxueux et austère reflétait parfaitement la personnalité de Dmitri : grandiose, mais dépourvu de chaleur.

Dmitri était assis dans son bureau, une pièce dominée par un immense bureau en acajou et des étagères remplies de livres reliés en cuir. Lorsque j'entrai, il leva à peine les yeux de son verre de vodka. Son regard perçant m'examina de haut en bas, comme pour s'assurer que j'étais prête.

- Assieds-toi, ordonna-t-il.

Je m'exécutai, prenant place sur l'une des chaises en face de lui. Dmitri posa son verre et croisa les mains devant lui, son expression sévère.

- Tu es prête pour ta prochaine mission ? demanda-t-il, bien que la question ne laisse aucunement place à un refus.

Je soutins son regard, cachant mon appréhension derrière un masque d'indifférence.

- Oui, répondis-je simplement.

Dmitri hocha la tête, visiblement satisfait. Il sortit un dossier d'un tiroir et le fit glisser sur le bureau jusqu'à moi.

- Cet homme, dit-il en pointant une photo dans le dossier, s'appelle Aleksandr Ivanov. C'est un ancien associé qui a décidé de trahir notre organisation. Il connaît trop de choses pour que je puisse le laisser en vie. Tu sais ce que tu as à faire.

Je regardai la photo. Aleksandr était un homme d'une quarantaine d'années, avec des traits marqués et un regard dur. Je savais qu'il ne serait pas une cible facile. Mais ce qui m'inquiétait le plus, c'était ce que je ressentais en tenant ce dossier. Un mélange de dégoût et de rébellion que je n'avais jamais ressenti aussi intensément auparavant.

- Je ne te décevrai pas, dis-je finalement, bien que mes mots sonnaient creux à mes propres oreilles.

Dmitri me regarda un instant, comme s'il cherchait à déceler une faille dans mon masque. Puis il se pencha en arrière et reprit son verre.

- Je n'en doute pas. Maintenant, va te préparer.

Je me levai et quittai la pièce, le dossier serré contre ma poitrine. Je montai dans ma chambre, une pièce aussi luxueuse que le reste de la maison, mais tout aussi impersonnelle. Je m'assis sur mon lit, ouvris le dossier et examinai les informations qu'il contenait. Aleksandr Ivanov vivait dans un appartement sécurisé au centre de Moscou. Il était toujours accompagné de gardes du corps et changeait souvent de routine pour éviter d'être suivi.

Je savais que la mission serait dangereuse. Mais ce qui me troublait le plus, c'était la voix dans ma tête qui me murmurait de désobéir, de trouver une autre voie. Je refermai le dossier et me levai, déterminée à agir, même si je n'avais pas encore décidé dans quel sens.

Cette nuit-là, vêtue de noir et armée, je me rendis à l'adresse indiquée. J'observai l'immeuble de loin, analysant les allées et venues des gardes. Je pouvais sentir l'adrénaline courir dans mes veines, mais je n'étais pas sûre que ce soit une bonne chose. Je me concentrai, repoussant mes doutes, et attendis le bon moment pour agir.

Mais au lieu de me diriger vers l'appartement d'Aleksandr, je pris une décision impulsive. J'escaladai le mur d'un bâtiment voisin, trouvant un point d'observation d'où je pourrais surveiller ma cible sans être vue. Je voulais comprendre pourquoi mon père voulait cet homme mort, et j'avais besoin de réponses avant de passer à l'action.

Ce que je découvris cette nuit-là changea tout. Aleksandr n'était pas seulement un traître, comme Dmitri l'avait décrit. Il était aussi un homme traqué, tentant désespérément de protéger sa famille des représailles de la mafia. Je l'observai interagir avec sa femme et ses enfants, et pour la première fois, je vis une humanité que je n'avais jamais associée à mes cibles précédentes.

Je retournai chez moi au petit matin, le cœur lourd. Dans mon lit, je passai des heures à fixer le plafond, réfléchissant à ce que je devais faire. Chaque fibre de mon être me disait de fuir, de trouver un moyen d'échapper à l'emprise de mon père. Mais je savais que ce ne serait pas facile. Dmitri Poliyakov ne me laisserait jamais partir sans se battre.

Et ainsi commença ma lutte intérieure. Une lutte entre la loyauté envers mon père, l'homme qui avait façonné ma vie, et le désir de liberté, de trouver ma propre voie. Ce combat allait changer ma vie à jamais, me poussant à prendre des décisions qui mettraient tout en péril - ma famille, mes rêves, et peut-être même ma vie.

Je n'avais pas dormi depuis près de vingt-quatre heures, mais l'adrénaline m'empêchait de sombrer dans l'épuisement. Les images d'Aleksandr entouré de sa famille tournaient en boucle dans mon esprit, comme une mélodie entêtante. Je n'arrivais pas à associer cet homme à la trahison impitoyable que mon père lui reprochait. Et si Dmitri avait menti ? Et si Aleksandr était simplement une victime de ses propres choix ?

Assise à mon bureau, je relus le dossier pour la centième fois. Les informations étaient précises, trop peut-être. Tout était là : ses habitudes, ses horaires, ses préférences culinaires. Mais à aucun moment, il n'était mentionné pourquoi il avait choisi de trahir Dmitri. Ce silence pesait lourd, comme une ombre s'étendant sur les pages.

Je pris une profonde inspiration et m'emparai de mon téléphone. Si je voulais comprendre la vérité, il me fallait des informations que ce dossier ne pouvait pas m'offrir. Je composai le numéro de Mikhail, un ancien homme de main de mon père qui avait disparu des radars depuis des années. Il était l'un des rares à avoir eu le courage de se détourner de Dmitri sans finir dans une tombe anonyme.

- Lily ? répondit-il après quelques tonalités. Sa voix était rauque, méfiante.

- J'ai besoin de ton aide, Mikhail. C'est important.

Un silence tendu s'étira avant qu'il ne réponde.

- Je ne peux pas t'aider. Tu sais ce que ça veut dire si Dmitri apprend que je t'ai parlé.

- Il ne le saura pas, promis-je, bien que je savais que mes mots avaient peu de poids face à la peur que mon père inspirait.

Il soupira.

- Très bien. Mais ça reste entre nous. Qu'est-ce que tu veux savoir ?

- Aleksandr Ivanov. Qu'est-ce qui s'est passé entre lui et Dmitri ? Pourquoi est-il considéré comme un traître ?

Mikhail émit un petit rire amer.

- Aleksandr n'a jamais trahi Dmitri. C'est ton père qui l'a piégé. Aleksandr voulait sortir du milieu. Il voulait offrir une vie normale à sa famille. Mais Dmitri ne tolère pas qu'on lui tourne le dos.

Mes doigts se crispèrent sur mon téléphone. Les mots de Mikhail résonnaient avec une vérité que je ne pouvais ignorer. Mon père était un maître manipulateur, et Aleksandr était simplement sa dernière victime.

- Merci, Mikhail. Tu viens de m'aider plus que tu ne le penses.

- Fais attention, Lily. Dmitri n'est pas du genre à pardonner.

Je raccrochai, le cœur battant à tout rompre. Maintenant que je savais la vérité, une nouvelle question s'imposait à moi : que devais-je faire ?

La nuit suivante, je retournai près de l'immeuble d'Aleksandr. Cette fois, je ne me contentai pas d'observer. J'attendis que la sécurité autour de son appartement se relâche avant de m'infiltrer. J'avais appris à me fondre dans l'ombre, à me déplacer sans bruit. C'était une compétence que Dmitri avait cultivée chez moi avec soin, et je la détestais autant que je l'appréciais.

Je trouvai Aleksandr seul dans son bureau, penché sur une pile de documents. Lorsqu'il leva les yeux et me vit, son visage se figea dans une expression de stupeur.

- Qui êtes-vous ? demanda-t-il, sa voix mélangeant la peur et la défiance.

- Je suis là pour parler, dis-je doucement, levant les mains en signe de paix. Je ne suis pas là pour vous faire de mal.

Il fronça les sourcils, visiblement peu convaincu.

- Vous êtes l'une des leurs, n'est-ce pas ? Une de ces ombres que Dmitri envoie pour effacer ses problèmes.

Je secouai la tête.

- Pas cette fois. Je veux comprendre. Pourquoi Dmitri vous poursuit-il ?

Il hésita, mais finalement, il décida de parler. Pendant plus d'une heure, Aleksandr me raconta son histoire. Comment il avait servi fidèlement Dmitri pendant des années, accomplissant des actes dont il était loin d'être fier. Comment il avait réalisé que ce mode de vie était incompatible avec l'avenir qu'il voulait pour ses enfants. Et comment Dmitri avait interprété son désir de partir comme une trahison.

Chaque mot qu'il prononçait était comme un coup de poignard. Je voyais mon père sous un jour que j'avais toujours cherché à ignorer. Dmitri Poliyakova était un tyran, un homme incapable d'accepter qu'on lui dise non.

- Alors, qu'allez-vous faire ? demanda Aleksandr lorsqu'il eut fini. Me tuer, comme il vous l'a ordonné ?

Je le regardai droit dans les yeux, et pour la première fois depuis longtemps, je sus exactement quoi répondre.

- Non. Je vais vous aider.

En sortant de l'appartement, un plan commençait à prendre forme dans mon esprit. Pour protéger Aleksandr et sa famille, je devais les faire disparaître, leur offrir une nouvelle identité, une nouvelle vie loin de Moscou. Mais cela signifiait aussi me dresser contre Dmitri, briser les chaînes qu'il avait forgées autour de moi.

Je savais que cela ne serait pas facile. Dmitri ne me laisserait pas partir sans se battre. Mais pour la première fois, je sentais une lueur d'espoir. Peut-être que, dans cette bataille, je pourrais trouver ma liberté.

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Chapitre fini et corrigé.

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