Quatrième
Les cours s'étaient terminés. Je faisais mon chemin jusqu'à la sortie avec Roden, un ami que je m'étais fait en commençant mes études ici. C'était un garçon aux cheveux noirs et frisés toujours doté de lunettes de vue noires qui lui allait comme un gant. Il voulait devenir professeur, un peu comme moi et c'est ce qui nous a rapproché. Ma mère n'aimait pas ce métier, selon elle, je devais viser plus haut mais ma génitrice savait qu'elle ne pouvait pas m'obliger à me soumettre à elle. Du moins, ce n'était pas l'une des choses qui l'importait, il y avait tellement plus qu'elle voulait contrôler dans ma vie...
- Ah oui, j'ai oublié de te dire, Pency organise une fête vendredi soir chez l'un de ses amis richissimes, elle voulait nous inviter.
- Laisse moi deviner, il s'agit de Mathias Duwrith. Ses sourcils se haussèrent dans la surprise.
- Est-ce que tu lis dans les pensées ?
Je gloussai légèrement.
- C'est à peu près le seul garçon de l'université qui vient chaque matin en limousine.
- Ah ouais, tu marques un point. Je me demande quand-même comment un garçon aussi sophistiqué peut traîner avec Pency. Elle qui est si...
Après un temps d'arrêt, il claqua des doigts comme s'il avait le mot sur le bout de la langue.
- Crue ? Franche ?
- Oui, c'est ça ! On peut dire qu'elle ne mâche pas ses mots... C'est bien pour ça que vous avez du mal à communiquer, non ? Critiquer c'est comme respirer pour elle, vital. Ma tête acquiesça d'elle-même, étant du même avis. Tu viens à la fête alors ?
- Je ne sais pas, répondis-je. Je n'aime pas vraiment ces soirées. C'est toujours la même chose : alcool, danse, sensualité, ivresse et oppression qui finit en dépression.
- Tu parles comme ma mère, gémit-il. Tu es tellement vieux jeu, Zoé. Tu es déjà une vieille femme dans ta tête, c'est pas possible. Je suis surpris que tu n'aies pas déjà été abordée par un vieux cinquantenaire aux cheveux blancs.
Je restais silencieuse. Harry ne comptait pas ! Oh non, il avait seulement trente ans et son aura irrésistiblement mystérieuse aurait pu toucher n'importe quelle personne. C'est pour cela que je ne parlais pas de lui. Il était mon secret.
- Bon, j'ai besoin que tu viennes à la soirée. Histoire que j'ai pas l'air débile à venir tout seul.
J'hésitai. J'aimais manger avec Harry le soir, que l'on regarde des films ensemble et toutes ces choses que l'on peut faire à deux mais... une gamine de vingt ans comme moi est peut-être trop immature pour Harry.
J'étais en train de faire la grave erreur de devenir dépendante de lui. Harry n'allait pas rester seul toute sa vie, un jour, il trouvera la femme de sa vie avec laquelle il fondra une famille. Il fallait probablement que je m'efface de ce tableau dans lequel je n'occupais aucune place. Mais pour l'instant, je n'avais pas l'intention de m'éloigner de lui. Cet égoïsme me rendait un peu honteuse mais c'était plus fort que moi, il était bien trop tôt pour que je le laisse partir. D'autant plus qu'il me restait encore un peu de temps pour apprécier sa présence.
- Je ne peux pas ce soir mais je suis sûre que ça ne dérangerait pas Nahil, notre sublime professeure-élève de l'option théâtre, le taquinai-je. Il sourit, secouant frénétiquement ses frisottis de droite à gauche.
- Ma maîtresse Bérénice,
Ne trouverait rien d'autre à admirer que mon gigantesque pén...
Je le coupai, ne souhaitant pas en entendre plus.
- Un peu de tenu, Titus !
Vous êtes empereur Seigneur, et vous vous vantez !
Nous éclatâmes de rire après la parodie de Bérénice de Racine que nous venions d'interpréter. Perdant mon hilarité précédente, j'observais mes alentours, à la recherche d'une voiture particulière. Le soupir provenant de Roden me força à focaliser mon attention sur lui.
- Nos chemins doivent malheureusement se séparer ici ma chère amie, il faut que je me retire, ma douce m'attend.
Il grimaça, plissant les yeux comme si cela le peinait.
- Arrête d'agir comme si je t'y avais obligée, tu veux l'inviter depuis la première année, dis-je amusée, en lui donnant un petit coup dans l'avant-bras. Il eut un rictus.
- C'est complètement faux, on sait tous les deux que c'est elle qui est complètement dingue de moi.
- Oui, peut-être. Qui sait, au bout de deux années à baver lors de ses somptueuses prestations, elle a peut-être pu poser ses yeux vairons sur toi. Je lâchai un petit rire lorsqu'il rougit légèrement avec embarras. Il se mit à me conter à quel point il adorait l'originalité naturel des iris décolorés de sa belle.
Les vibrations de mon téléphone m'interpelèrent soudainement, je le sortis instantanément de ma poche pour guetter le message que je venais de recevoir.
De : Harry.
Je suis en face de toi.
Le cœur tambourinant dans ma poitrine s'excita d'autant plus lorsqu'en relevant immédiatement la tête, ses deux iris capturèrent les miens. Au volant de sa voiture assez luxueuse (je me suis toujours demandée pour quelle raison il avait une voiture aussi belle alors qu'il vivait dans un appartement aussi délabré), Harry m'épiait avec une certaine tendresse dans le regard. Je souris alors, sans pouvoir m'en empêcher, sentant des bouffées de chaleur envahir mon corps tout entier. Ma jubilation cessa aussitôt lorsqu'il détourna ses yeux, comme si une petite voix dans ma tête criait à pleins poumons "donne moi de l'attention !".
Ses yeux étaient posés sur le second bouclé à mes côtés qui avait changé de sujet, me vantant ses talents d'orateur. L'expression d'Harry semblait mitigée, les muscles de son visage s'étaient tendus. Il affichait une expression contrariée mais, ce n'était pas de la colère, c'était autre chose de beaucoup plus fort cependant je ne saurais l'expliquer.
J'interrompis alors mon ami, assez pressée de rejoindre Harry :
- Il faut que j'y aille, Roden, mon Uber driver m'attend.
- Attends mais tu ne prends toujours pas le volant ? Zoé, m'appela-t-il alors que j'étais déjà loin de lui. Je lui fis un signe de main en guise d'au revoir qu'il me rendit maladroitement, l'air confus.
- Si on continue de parler, on pourrait en avoir pour le reste de la journée alors je m'échappe pendant qu'il en est encore temps. Je lui souris alors que ses yeux roulèrent, malgré tout du même avis. Mon ami partit du côté opposé, se fondant dans la foule d'étudiants qui, au contraire, sortaient du bahut.
Le brouhaha laissa place à un fin silence lorsque j'entrai dans la voiture d'Harry. Je plissai ma robe tout en m'asseyant. Le moteur démarra en même temps que ma ceinture se boucla. Je posai mon sac de cours à mes pieds puis osai tourner mon regard vers lui. Ses yeux me regardèrent un instant avant de se reposer sur la route. Lentement, sa langue induisit de salive ses lèvres gercées. Je déglutis, ne sachant que faire.
- Du baume à lèvres.
Son visage afficha une mine confuse marquée par un froncement de sourcil, tournant pendant une nanoseconde ses beaux yeux vers moi.
- Comment ? susurra-t-il.
- T-Tu devrais mettre du baume à lèvres sur tes lèvres, les mouiller ne fera que les gercer davantage.
Je détournai les yeux mais je vis du coin de l'œil un discret sourire passer sur son visage. Embarrassée, ma tête se posa contre la vitre pour ne pas qu'il s'aperçoit de la chaleur enflammant mes pommettes. Il savait. Il savait que j'étais en train de prendre conscience de lui. Je commençais à le voir d'une façon dont je ne devrais pas. Ses moindres faits et gestes m'intéressaient, me captivaient. A mi-chemin, Harry se mit à parler d'une voix légèrement cassé :
- Qui était le garçon avec toi ?
Étonnée, je le dévisageai, tentant de déchiffrer son expression. Mais rien, il faisait exprès de ne rien montrer.
- C'est un ami à moi, il s'appelle Roden.
Quelque chose dans ses yeux apparut. Je changeai de position sur mon siège, ayant eu un sentiment inconfortable. Nous arrêtâmes de parler.
Je sentis alors la main d'Harry se poser sur mon genoux, en contact direct avec ma peau. J'eus accidentellement le réflex de bouger mais rien ne perturba sa posture, sa paume resta chaudement appuyée contre mon genou. Je triturais mes doigts, puisant dans mes forces pour ne pas sourire. Oh mon dieu, c'est bien ce qu'on appelle un coup de chaleur, n'est-ce pas ? Ses longs doigts et ses chevalières serrant mon genou de manière protectrice. Ca me donnait l'impression de lui appartenir. Je n'ai jamais ressenti ce genre de sentiment auparavant, j'étais pourtant persuadée que je voyais Harry d'une façon beaucoup moins... interdite.
- Zoé, ça te dit qu'on aille manger ailleurs, ce soir ? Il y a ce restaurant qui vient d'ouvrir à dix minutes de chez nous.
Reste calme, agis comme d'habitude, comme avant, lorsque tu n'avais pas remarqué l'intensité de ses phéromones. Jusque là, tout était normal, Harry était juste un ami. Il l'est toujours mais... je suis complètement consciente de sa masculinité débordante. Comment un homme aussi parfait, aussi doux et généreux peut-il avoir trompé son ex-copine ? Si j'étais elle, j'aurais approfondi-- Mais attendez, j'ai pas à me mettre à la place de sa petite amie !
- D'accord, mais je dois d'abord aller à l'orphelinat. J'ai promis à Léo et Natasha de leur amener le nouveau tome de Bobby le Pirate.
Pourquoi rajouter ce détail inutile ? J'aurais parier qu'il aurait ri de moi mais je n'eus droit qu'à un sourire qui me fit probablement perdre au moins un de mes yeux. Déjà qu'il sourit peu alors s'il m'offrait ce rayon de joie à chaque fois, je ne sais pas si mon cœur y survivrait.
- Je viens avec toi. La dernière fois, c'est Zachary qui m'a demandé de lui acheter la figurine collector.
Mes yeux s'arrondirent dans la surprise. C'est une figurine dont j'ai entendue parler à la télévision il n'y a pas si longtemps ; elle coûterait environ dans les huit cent livres. Je ne pensais pas qu'Harry avait les moyens d'en acheter une.
- Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de céder à ses caprices. Il réclame souvent des cadeaux aux prix ridiculeusement exorbitants.
- Ne t'inquiète pas pour ça.
Ses fins doigts resserrèrent leur prise sur mon genou, envoyant de l'électricité dans chaque coin et recoin de mon corps. Il s'arrêta à un feu rouge. Harry alluma la radio, sa main quittant pendant de longues secondes ma peau brûlée avant de se remettre à l'exact endroit, me faisant rougir de plaisir. Mes oreilles languissaient, bercées par la douce musique baroque de Bach.
- Cette musique est si reposante, m'extasiai-je presque, les yeux fermés pour tendre un peu plus l'oreille. Je sentis sa main bouger, ses doigts attrapant un peu plus sauvagement mon genou alors qu'il murmura d'une voix rauque et sur un ton extrêmement bas.
- Effectivement.
L'assèchement de ma gorge m'empêcha de rajouter quelconque mot. A la place, j'ouvris mes yeux pour le voir me guetter avec une certaine noirceur partielle dans les yeux. Ses prunelles m'emprisonnant, il desserra alors sa poigne, attrapa ma main et la porta à ses chaudes lèvres pour y porter un baiser mouillé.
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