Le spectacle doit continuer !
Au dernier étage d'un building comme tant d'autres dans le centre de New-York, au bout d'un couloir au tapis rouge et aux murs lambrissés dans lequel attends un petit groupe de gens, derrière la porte de chêne marquée d'une plaque de laiton doré, une pièce décorée d'une baie vitrée. Au bout de la longue table de verre dépoli, centre de la pièce, trône dans un grand siège matelassé une femme d'âge moyen à l'air grave.
- Larwence, faites entrer.
Le majordome en livrée sombre acquiesce subrepticement et ouvre la porte de bois avant de se retirer de la pièce. Le petit groupe se presse à l'intérieur de la salle, attaché-casé au bras. lls prennent silencieusement place sur les sièges disposés autour de la table sous les yeux impatients de la femme en tailleur bordeaux.
- Mesdames, messieurs. L'heure est grave. Je ne vous ait pas fait venir pour rien. Vous êtes les meilleurs agents du gouvernement. La crème de la crème. Mon nom est Originalité, déclare-t-elle en pointant du doigt un petit badge accroché à sa poitrine. Je serait votre référente dans le cadre de cette mission.
Une vague de chuchots traverse la salle de part et d'autre, tandis que plusieurs opinent du chef.
- Bien. Voyez-vous, dans notre siècle décadent, les auteurs, métier autrefois éclatant de prestige, vestige d'un héritage remontant aux origines de la civilisation, sont devenus de bien tristes sires cédant à l'appât facile du gain, réfutant la qualité de leurs écrits pour empocher des sommes démentes. Et les lecteurs consomment en grandes quantités ces erreurs de notre temps, ils en sont friands ! Votre mission, si vous l'acceptez, sera de remettre les auteurs et leur public dans le droit chemin. Vous avez carte blanche en dehors de l'utilisation de la violence. Bonne journée.
Quelques murmures étonnés se perdent dans le bruit des chaises qui raclent le sol et de la porte qui s'ouvre sur le majordome. Le groupe sort d'un bon pas de la salle dans un brouhaha contrastant avec l'ambiance hors du temps de la pièce qu'ils viennent de quitter.
Une jeune femme en uniforme d'écolière japonaise se presse vers l'espace ouvert présent au même étage, suivie avec peine par un homme en costard aux tempes grisonnantes.
- Plume, bon sang, attends-moi !
- Pas le temps. Je dois plancher sur cette affaire.
La petite brune à la queue de cheval se retourna et ralentit en voyant son ami ahaner péniblement derrière elle. Elle le rejoignit en un tour de main et le soutint au niveau de l'épaule.
- Tu vas t'en sortir vieille croûte ? pouffa-t-elle.
- On va voir ça jeunesse ! Et arrête de m'appeler "vieille croûte" voyons !
- C'est trop d'efforts que tu me demande là mon cher Encre.
L'homme préféra ne pas répondre mais sourit malicieusement à son amie. Il l'aimait bien la petite. Elle l'écoutait toujours plutôt respectueusement, même lorsqu'il radotait à propos du passé. Les respect, une qualité bien rare dans sa génération il semblait.
Ils arrivèrent aussi rapidement que possible à un box de travail où étaient accolés deux bureaux simples, devant lesquels ils s'assirent.
- J'espère que ça va bien se passer ! On ne m'a donné que des petits problèmes à régler depuis que je suis ici. Enfin l'occasion de faire mes preuves !
- Si tu veux faire tes preuves il faut peut être que tu résolve l'affaire au lieu de souhaiter que la reconnaissance te tombe toute cuite dans le bec.
- Mais excellente idée, je n'y aurait jamais pensé sans toi ! ironisa-t-elle avec le sourire. De tout façons j'allais m'y mettre, reprit-t-elle plus sérieusement. On commence par quoi ?
- Par le début ma chère : à qui profite le crime ?
- On le sait déjà ça Agatha Christie. Les auteurs gagnent de l'argent, et les éditeurs encore plus. Non, la question qu'il faut se poser c'est : "Pourquoi les lecteurs achètent-ils ces livres incomplets, bâclés, faits uniquement pour l'argent et dans lesquels il n'y a aucune passion ?".
- Grâce à un résumé aguicheur peut être. Ou alors les éditeurs soudoient les médias pour qu'ils parlent en bien d'un livre. Influencés par ce genre de bêtises, le public achète, et même si les acheteurs abandonnent la lecture au bout de trois pages, leur argent est déjà dans la poche des hauts de l'échelle.
- Probable.
Elle tortilla ses cheveux du bout des doigts. Sa formation n'abordait pas ça ! Pas de coupables à arrêter, à filer, à faire avouer... Juste des mentalités à faire changer. Mais comment ? C'était l'oeuvre de plusieurs siècles de faire changer l'esprit humain. De la propagande peut être ? Non, non. Beaucoup trop long et coûteux à mettre en place...
- Pluuu-uuume !
- Quoi ?
- Je sais pas. Rien. T'avais l'air perdue.
- Oh.. Euh, ouais. Un peu. T'en penses quoi toi ? Comment on peut résoudre l'affaire ?
- En éduquant je suppose. Je vois que ça.
- Oui, mais... Ça prend du temps. Trop de temps, soupira-t-elle.
- Tout prend du temps ma jeune amie. Et puis, un chef d'oeuvre est peut être en train d'être écrit à l'instant où nous parlons ! Tu sais ce qu'on dit : les auteurs sont les esclaves de l'Inspiration. Ça vient d'un coup, ils écrivent, et puis ça repart.
- "Inspiration" ? Attends voir, j'ai une idée.
Plume se leva brusquement de sa chaise et se dirigea d'un pas décidé vers la couloir à tapis rouge et toqua à la porte de chêne. Larwence lui ouvrit placidement.
- Bonjour Larwence ! Je souhaiterai m'entretenir avec Madame Originalité.
Le majordome tourna la tête, reçut un bref signe d'approbation de la part de sa patronne, et s'écarta pour laisser passer la jeune fille, qui lui décocha un sourir de publicité pour dentifrice en passant.
- Qu'est ce qui vous amène donc Mlle.D'Oie. ?
- Eh bien voyez vous chère Madame, il se trouve que-
- Abrégez je vous prie. Je n'ai pas toute la journée à vous consacrer.
- Désolée. La fait est qu'il m'est apparu qu'un certain "Inspiration" pourrait être lié à cette affaire, et il me semble avoir vu son nom quelque part dans les archives. Je me demandais donc si vous pouviez m'aider à le retrouver.
- Attendez une petite seconde... dit-t-elle en tapotant sur le clavier de son ordinateur. C'est bon. Mr.Inspiration. Ancien agent. Domicilié au 4 de la quatorzième rue, New-York.
- Merci infiniment Madame !
- Sans doute, sans doute. Au revoir, répliqua-t-elle sèchement.
La petite brune sortir à reculons de la pièce avant de se retourner et de courir à toutes jambes vers son bureau.
- Encre ! J'ai une adresse, on embarque ! cracha-t-elle en coup de vent devant son ami avant de l'entraîner vers l'ascenseur à toute vitesse.
Elle le déposa quasiment sur le siège du conducteur de sa vieille chevrolet avant de se précipiter du côté passager.
- Tu ne sais toujours pas conduire toi ? Non ? Ah il est bien beau le dicton : Roulez jeunesse !
Elle leva les yeux au ciel en soufflant comiquement sur sa frange.
- Le Numéro 4 de la quatorzième rue s'il te plaît !
Le vieil homme soupira et enclencha le contact de sa voiture. En quelques minutes de circulation embouchée dans les rues de New-York, ils furent devant le petit pavillon résidentiel. Ils avancèrent doucement vers la porte et sonnèrent.
L'homme qui leur ouvrit, après quelques éternités à battre de la semelle devant la maison de banlieue, était un petit vieux rabougri, à la peau parcheminée et à la longue barbe blanche. Il invita ses visiteurs à entrer dans un petit salon cossu et étroit où ils purent s'asseoire.
- Monsieur Inspiration...
- Oui cher ami ?
- Alors voilà : nous sommes des agents. Et il s'avère que... Voyez vous, les auteurs n'écrivent plus par passion. Ils le font uniquement pour l'argent. Nous voulons que tout revienne à la normale.Nous voulons savoir pourquoi ils se contentent d'écrire de choses plates et insipides alors qu'il suffirait d'un peu de créativité pour faire mieux !
- C'est bien compliqué mon enfant. Vois tu, je suis vieux. L'âge du repos a sonné pour moi.
- Mais vous ne pouvez pas faire ça Monsieur, intervint Plume.
- Oui, vous ne pouvez pas ! Comme dit le dicton : "Le spectacle doit continuer." !
- J'aimerais bien vous aider, croyez-moi.
- Monsieur...
La petite voix fluette de Plume vint interrompre la discussion.
- En privant les gens d'histoires de qualité, de bons écrits... Vous les empêchez de rêver. Et qu'y-a-il de plus beau que le rêve ? C'est un monde parfait où tout va comme on veut. C'est un endroit où tout est possible. Ce serait vraiment dommage que les gens n'aient plus accès à ça. Et c'est parce c'est ce qui est en train de se passer que l'on vous demande de continuer ce que vous avez toujours fait.
- Mon enfant... Écoutes, je ne peux rien te promettre, mais je vais... Essayer. D'accord.
- Merci Monsieur !
Les deux amis serrèrent la main du vieillard et s'en allèrent dans le cabriolet vers le grand building. Mission accomplie.
Fin
Dans la douce lumière de son salon, un vieillard soupira. Encore une fois... Le châtiment des immortels...
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