Chapitre 5 - Le Mystère Du Manque
Je marche lentement dans Snowdin. La neige est silencieuse sous mes pieds, je porte peu de vêtements mais pourtant le froid ne me pince pas. D'ailleurs, je ne ressens pas la température basse du village enneigé.
Mes pas réguliers me mènent vers le bar singulier de Snowdin. Grillby se tient debout devant. "Tu n'es qu'un lâche."
Au début, je ne comprends pas. Pourquoi me dit-il ça? Je sais que c'est vrai, mais j'ai pourtant tout fait pourque ça ne se sache pas. Mais le reptile vert si grand et angulaire sort de derrière l'homme de feu, les poings fermés recouverts de poussière.
Puis mon père se présente, aussi. Le crâne fracturé en mille morceaux. Puis ma mère, le cou ouvert, et mon frère, une grande plaie dans le torse.
"Tu es incapable de protéger les gens qui ont besoin de ton aide. Je ne suis pas en sécurité avec toi, je ne serais jamais en sécurité avec un meurtrier. Ne reviens jamais me voir."
Ses flammes grandissent. La lumière du soleil est à présent masquée par celles des flammes de Grillby. "Sale meurtrier."
Les flammes m'engloutissent, et je ne me bats pas contre elles. Elles m'entourent, m'enveloppant d'une chaleur brève, puis tout s'arrête.
Tout est sombre, et pourtant je pense encore. Je suis allongé, recouvert d'une couverture... Je suis dans mon lit. Je bouge légèrement la tête. Constat: mon coussin est trempé. Je me frotte les pommettes, elles aussi inondées. Je me redresse, pour m'assoir dans mon lit.
"Sale meurtrier."
Les mots font écho dans ma tête, se répètent, heurtant un mur de mon crâne pour rebondir et atteindre l'autre.
Les larmes se remettent à couler.
Je serais prêt à prier pour que Grillby ne découvre jamais qui je suis vraiment.
Je n'ai pas pu sauver ma propre famille des humains, ni de la guerre. Autant dire que c'est moi qui les ai tués.
Si Alphys meurt, sa mort aussi sera de ma faute. Le silence est complicité, l'inaction est complicité. Je lui dois d'assurer sa protection, et son bien être. Si son père n'est pas capable de bien s'occuper d'elle, alors je le ferais à sa place, et m'assurerais qu'il ne peut pas lui faire de mal.
Je me lève, me frottant les orbites. Je me revêtis, allume les lumières, et regarde l'heure. Il est six heures du matin.
Autant dire que ma nuit se termine ici.
Je sors de ma chambre et descends, allumant les lumières dont j'ai besoin et éteignant celles qui ne servent plus à rien. Arrivé en bas, j'ouvre le frigidaire. Rien ne m'intéresse, alors je le referme. J'entre dans la salle de bains, me rince le visage à l'eau froide, puis ressors.
Peut-être qu'il serait bien que je fasse un peu de courses?
J'éteinds la lumière du salon pour allumer celle de l'entrée. Je mets mes chaussures et ma veste, tout en vérifiant la présence de mes clés et de mon porte feuilles dans mes poches, puis sors, ayant tout éteint et fermé ma porte à clé.
Je marche lentement dans Snowdin. La neige murmure sous mes pas, le froid me pince légèrement, juste assez pour me rappeler qu'il neige.
'Sale meurtrier.'
Ces mots retentissent à répétition dans ma tête, et j'accélère le pas. Peut-être qu'à l'intérieur du magasin, je penserai à autre chose.
Si je pouvais ne pas dormir, je le ferais. Comme ça, je n'aurai pas à me réveiller de ces cauchemars. Parce qu'il me faut un moment avant de me remettre de l'un deux. Et aussi tôt remis, en voilà un deuxième. J'ai l'impression que le passé fait tout pour refaire surface. Tout ce que je demande, c'est d'oublier, tout oublier...
Est-ce que je mérite vraiment d'oublier ce que j'ai fait, et de vivre comme si de rien était?
Peut-être que le passé me rattrape pour de bonnes raisons. Peut-être que je mérite cette souffrance.
J'entre dans le magasin.
"Bonjour, Gaster! Ça fait longtemps, dit donc. Comment tu vas?" La vendeuse chantait presque.
"...Je vais bien, merci." Je sais que je mens. "Je viens vous acheter des Cinnamon Bunnies, vous les faites si bien."
"Bien! Combien?"
"Euh..." Tiens, je pourrais en proposer à Grillby. "Deux, ça serait bien."
"Deux ça sera!" Elle prend une paire des pâtisseries du four, et les mets dans un sac en papier. "Ça vous fera 50G."
"C'est un peu cher payé..."
"C'est leur prix, et je n'ai pas l'intention de le changer."
"D'accord, excusez-moi." Je sors 50G de mon porte feuille, et paye le prix des deux pâtisseries. Elle me donne le paquet, et je me dirige vers la sortie. "Merci, à la prochaine fois."
"À la prochaine!"
La porte se referme derrière moi.
Je regarde en direction du bar. Peut-être qu'un verre ou deux ne me feront pas de mal. Juste histoire de me réveiller. Et de penser à autre chose. Et d'oublier, comme d'habitude.
Je marche de bon pas vers cet endroit si familier.
Dans ma vision périphérique, je vois un amas de formes que je semble reconnaître. Je tourne la tête, et voilà une petite fille, toute petite, et toute fragile, qui me regarde avec ses yeux giganteques.
Alphys.
"Coucou, toi. Tu viens me voir?"
Sans un seul mot, elle tourne la tête rapidement et s'enfuit. Ma question reste sans réponses, et je ne peux rien faire pour la rattrapper.
Je reste immobile. Figé, glacé dans Snowdin, me posant des questions, sans savoir lesquelles exactement. Je veux savoir où, et quand, et quoi, et pourquoi, et comment...
Les réponses viendront plus tard.
Je me remets à marcher vers le bar de Grillby. La neige couinant sous mes chaussures, le sachet en plastique bien serré dans mon poing gauche. Les pas s'enchaînent, de plus en plus rapidement. Peut-être que si je vais assez vite, mes pensées ne pourront pas me ratrapper. Et plus vite j'y suis, plus vite je pourrais boire.
Arrivé devant la porte, je m'arrête. Grillby tourne la clé dans la serrure, puis me fixe. "Gaster? Je ne t'ai jamais vu passer ici de bon matin. Qu'est-ce qui t'amène?"
Mon cauchemar? Non, à peine.
"J'ai pris deux Cinnamon Bunnies chez la vendeuse, et, je pensais que peut-être qu'on pourrait les manger ensemble." Je lui montre le paquet plein, qu'il examine un court instant avant de river son regard de nouveau sur le mien.
Les yeux dans les yeux.
J'ose même plus le regarder. On dit que les yeux sont des fenêtres vers l'esprit, et je n'ai surtout pas envie qu'il lise dans mes pensées. Qui sait comment il réagirait.
"Ah, merci Gaster. C'est vraiment très gentil de ta part. En plus tu tombes bien, ce matin je me suis levé tard et je n'ai pas eu le temps de déjeuner."
Je lui souris. Peut-être qu'il y a une lueur d'espoir, une petite étincelle de destin qui nous lie. Peut-être que je m'inquiète juste beaucoup trop.
Mais il vaut mieux s'attendre au pire, histoire de ne pas être déçu.
Parmi toutes les personnes dans ce trou minable, je devrais le savoir plus que le reste.
Grillby ouvre la porte au bar. "Les invités en premier," me rappelle-t-il en m'indiquant d'entrer, chose que je fais.
Un pied devant l'autre, laissant mes semelles taper contre le parquet de la salle. La porte se ferme derrière Grillby et il me rattrape. "J'ai laissé le panneau sur la porte du côté 'fermé' pour qu'on ait la paix." m'assure-t-il. Je lance un coup d'œil derrière moi, et peux confirmer que le côté 'ouvert' est à l'intérieur, et par conséquent le côté 'fermé' vers l'extérieur.
Je pose le sachet en papier sur le comptoir. Je sors un premier Cinnamon Bunny et le tends à Grillby. Il le prend délicatement, après avoir lâché un petit "merci". Sa voix résonnait dans sa cage thoracique, de telle manière à ce que je la ressente vibrer au travers de mes os. La température semblerait avoir augmenté, sans que je ne fasse rien... Et cette voix impressionnante inspire en moi deux choses et deux seulement: un sentiment de sécurité, peut-être avec l'impression qu'il pourrait me protéger s'il le fallait, puis une inquiétude, car qui sait ce que quelqu'un avec une telle voix pourrait dire, et comment ça m'affecterait.
Assez sur la voix.
Je prends le deuxième Cinnamon Bunny du paquet, puis un "bon appétit" d'entre mes lèvres, et nous commençons enfin à manger. Le sucre en poudre et la cannelle de la pâtisserie prennent le dessus sur le goût de ce petit déjeuner, et avant même de m'en rendre compte j'ai englouti le gâteau en forme de lapin entier.
"Merci beaucoup, Gaster. Idéal pour commencer la journée." Il me lance un sourire chaleureux. Ce sourire lui va tellement bien. Plus je l'observe, plus je me rends compte qu'il est impossible de ne pas être amoureux d'un homme comme lui. Il exprime tellement d'amour et de passion sans même avoir à faire quoi que ce soit.
Je n'en peux plus! Je ne peux pas le regarder sans me sentir tomber plus profond encore dans cette incompréhension. Tellement, tellement profond dans l'incapacité de fonctionner normalement.
De toute façon, c'est pas possible que ce soit réciproque. C'est hors de question. Il mérite tellement mieux. Il ne mérite pas une chose comme moi, qui n'est, d'ailleurs, même pas foutu de garder les personnes importantes pour moi vivants.
Je suis encore un enfant, encore incapable et incompétent et hors de contrôle, seulement dirigé par mes émotions et mes envies égoïstes.
Je lui souris.
Je sens une putain de larme couler Pourquoi? Pourquoi maintenant?
"Gaster, ça va?"
"Oui." Une autre larme suit, puis une pluie. Qu'est-ce qui m'arrive bordel?
Grillby prend mes épaules dans ses mains. Sa chaleur. C'est juste assez chaud pour me signaler la présence d'un être vivant, et pourtant ça me brûle. "Lâche moi!" je dégage ses bras, il s'éloigne de moi, ses flammes de lumière éblouissante traînant devant lui avant de le rattraper. "Excuse-moi..."
J'ai juste besoin de partir. Je reviendrai plus tard, là je pense que c'est clair que je dois sortir d'ici.
Je me lèves, du moins j'essaye. Je vois que dalle et je suis aveuglé par la lumière sombre. Je pose un pied par terre, puis l'autre, et je bouge le premier pour faire un pas. Puis je tombe. Parce que bien évidemment, bien évidemment, je devais tout faire foirer. J'ai trébuché. Sur quoi? Je ne veux même plus savoir. Je suis par terre, je chiale, tout est tellement lourd. Le sol est froid, j'ai mal.
Une odeur de rouille dans un air humide, et tout défile devant mes yeux. L'environnement me semble plus froid.
Je ferme les yeux, prêt à prendre le coup qui m'est destiné. Peut-être bien qu'il me sera fatal. Peu importe. Je me mets en boule sur le sol, comme l'enfant misérable que je suis. Ceci est mon sort, mon destin. Soit.
"Gaster, respire."
J'ouvre de nouveau les yeux. Je sais plus où je suis. Mais je vois une silhouette lumineuse et familière devant moi. Une chaleur se dégage de Grillby, qui est à genoux sur le sol devant moi. Il inspire fort, me regardant droit dans les yeux, j'essaye de faire pareil. J'ai du mal à me contrôler, encore en train de pleurer. Mes côtes semblent expulser l'air que j'inspire d'elles-mêmes.
Je veux abandonner. Mais Grillby me regarde droit dans les yeux, une main sur le torse, m'attendant. Je ne peux pas le laisser tomber. J'inspire, comme je peux. Il me fait signe d'expirer, je le suis. "Grillby, j'ai... J'ai besoin de toi." C'est lamentable. Mais je suis déjà au sol, je pense que je peux dire que je ne tomberai pas plus bas.
Grillby s'approche. "Tu veux quoi?"
J'essaye de me relever. Il m'aide. J'ai pas la force ni l'envie de me relever. Et à ce stade, je pense que l'impression qu'il a de moi est faite. Je me laisse tomber sur lui. Sa chaleur m'envahit, je pleure encore. Il enroule ses bras autour de moi, après un moment d'hésitation. C'est tellement confortable, et j'aimerais tellement pouvoir en profiter. Mais je chiale dans les bras de Grillby pendant qu'on est assis par terre.
"Tu veux en parler?"
Peut-être que je devrais au moins lâcher un des quatorze mille morceaux que je garde pour moi. Les larmes cessent de couler, et j'arrive enfin à me mettre droit. Toujours par terre, mais personne n'a l'intention de se relever.
"Je... Me suis encore réveillé d'un cauchemar. Ce qui a bien mis l'ambiance pour quand j'ai retrouvé Alphys dehors. Je suis inquiet, sans doute trop. Mais je veux pas que qu'une seule personne de plus ne meurt par ma faute..."
"Par ta faute?" Il me regarde, perplexe. "Ce n'est pas de ta faute. Tu fais de ton mieux."
"Je ne fais rien."
"On ne peut rien faire pour l'instant. Essaye de ne pas trop y penser, au moins pour ce matin." Il se relève, puis me tends le bras. "Viens, je pense que t'as besoin d'un verre. Et j'en prendrais bien un avec toi."
Je prends sa main, et il me tire vers lui. Je suis relevé. Il garde une main près de ma taille, l'air de vouloir me rattraper si jamais je tombe encore.
On marche tous les feux vers le comptoir.
Un verre pour oublier, comme d'habitude. Mais maintenant je n'ai plus grand chose à cacher.
Il lui manque juste un bout d'information sur moi, qu'il ne va jamais savoir. Je vais m'en tenir certain.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top